« Ce roman «n'est pas de la Reonde Table». - Université Rennes 2

« Ce roman «n'est pas de la Reonde Table». - Université Rennes 2 « Ce roman «n'est pas de la Reonde Table». - Université Rennes 2

sites.univ.rennes2.fr
from sites.univ.rennes2.fr More from this publisher
30.08.2013 Views

ACTES DU 22 e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008 PROCEEDINGS OF THE 22 nd CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY, 2008 ménestrels (« Il fait ses compaignons lever / Et lor asfaire bestorner », v. 3801-3802) 13. La réécriture n’est donc possible qu’au prix d’un dévoiement — d’un bestornement — des codes anciens, droit de péage dont doivent s’acquitter ceux qui choisissent d’emprunter les voies (trop) souvent parcourues du roman arthurien. Cette leçon de poétique romanesque se poursuit au château de Parsamant, personnage félon qui entretient la male coutume de faire tirer par les chevaliers qu’il a défaits au combat une charrette dans laquelle gît un contrais. L’idée qu’un chevalier arthurien ait un jour accepté de s’avilir en montant, par amour pour sa dame, dans une charrette infamante semble avoir marqué l’imagination des auteurs subséquents à Chrétien de Troyes, Gerbert de Montreuil le premier. L’étude comparative menée par Charles François a cru faire apparaître que la Quatrième Continuation n’empruntait guère au Chevalier de la Charrette 14, conclusion que ne vérifie aucunement l’examen de la circulation des motifs et des personnages. Au contraire, le récit de Gerbert reconduit l’association problématique du chevalier et de la charrette, au préjudice, cette fois, de Sémiramis, personnage qui n’intervient en amont qu’au Tournoi de Noauz 15 et qui subit ici une sorte de chemin de croix parodique. Déchaussé et vêtu de sa seule chemise 16, Sémiramis s’avance sous les huées de la vilonnaille qui l’affuble d’un sobriquet désignant sans ambages l’hypotexte principal de l’épisode : « Vez chi le chevalier du char ! » (v. 7712), annoncent les garçons qui le menacent de savates, de poumons et de vessies de bœuf gonflées d’air, armes anti-chevaleresques servant à signaler l’obéissance au principe matériel et corporel qui régit le carnaval 17. Le continuateur s’amuse d’ailleurs à permuter l’ordre du monde et, prenant au pied de la lettre le surnom imaginé par Chrétien de Troyes, il 13 Voir Keith Busby, « Der Tirstan Menestrel des Gerbert de Montreuil und seine Stellung in der algranzösischen Artustradition », Vox Romanica, vol. 42, 1983, p. 144-156 ; Jonna Kjær, « L’épisode de “Tristan menestrel” dans la Continuation de Perceval par Gerbert de Montreuil (XIII e siècle) : essai d'interprétation », Revue Romane, 1990, vol. 25, n o 2, p. 356-366 et Francis Gingras, Érotisme et merveilles dans le récit français des XII e et XIII e siècles, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 90-93. 14 « On ne trouve pour ainsi dire nulle trace de ce roman de Chrétien de Troyes [Le Chevalier de la Charrette] dans les deux poèmes de Gerbert » (Charles François, op. cit., p. 102). 15 Chrétien de Troyes, Le Chevalier de la Charrette, édition et traduction Charles Méla, dans Romans, Paris, Librairie Générale française, Le Livre de Poche, coll. « La Pochothèque », 1994, v. 5796 (« Li uns a non Semiramis »). 16 « un chevalier, / qu’il avoient fait despoillier / en chemise et si fu deschaus » (v. 7705-7707). 17 Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, traduit du russe par Andrée Robel, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1970, p. 29. 18 JUILLET, SESSION 2-L3 VARIA PAGE 4/11

CE ROMAN « N’EST PAS DE LA REONDE TABLE » ISABELLE ARSENEAU métamorphose le chevalier en bête de trait et fait ainsi courir à l’homme le risque de la bestialité : « Or cha ! sire, dist li contrais, Ja vous meterai en teus trais Ou vous arez molt de contraire : Moi et mon char vous covient traire Par les rues […] » Gerbert de Montreuil, Continuation, v. 7715-7719. Là où la rime entre trais et contrais dit l’humiliation à laquelle doit se soumettre tout chevalier incapable d’abattre le seigneur des lieux et ses quatre fils, celle entre traire et contraire, qui revient à cinq reprises 18, pourrait bien faire écho, en s’y opposant, à la formule dont se servait l’auteur d’Erec et Enide pour décrire l’activité du romancier, dont le geste poétique consiste à traire « d’un conte d’aventure / une mout bele conjointure 19 ». L’analyse intertextuelle n’est cependant pas indispensable puisque le contrais est déjà en lui-même une métaphore extrêmement productive qui exploite divers jeux étymologiques et homonymiques servant à exemplifier l’art du romancier. D’une part, l’adjectif substantivé contrais réfléchit le mouvement de contraction (< contrahere) qui donne son nom au perclus. Vu sous cette optique, le terme pourrait refléter la coïncidence des plans diégétique et structurel sur laquelle ont déjà insisté Alexandre Leupin et Keith Busby. En effet, si la nécessité de ressouder les deux parties de l’épée ouvre le récit de Gerbert de Montreuil tout en le soudant à la continuation précédente (Wauchier de Denain), la réparation finale de la brèche que va rajoindre Perceval (v. 17069) concorde aussi avec le raccord à la continuation suivante (Manessier). Grâce à un effort de « conjointure poétique 20», l’auteur ou le scribe parvient donc à insérer ce qui apparaît dès lors comme une interpolation au sein de l’ensemble formé par les Continuations du Graal. Le mouvement de contraction — que l’on peut extraire de l’image du contrait — pourrait aussi servir à rendre compte, plus généralement, de la mécanique intertextuelle, qui repose sur le rapprochement d’éléments empruntés à des sources diverses, les plus attendues (les romans du Graal, 18 v. 7599-7600, 7717-7718, 7795-7796, 12407-12408 et 12547-12548. 19 Chrétien de Troyes, Erec et Enide, édition et traduction Jean-Marie Fritz, dans Romans, op. cit., v. 13-14. 20 Keith Busby, « L’autre dans les Continuations de Perceval… », p. 294 : « L’épée fonctionne comme métaphore de l’acte d’assemblage, de conjointure poétique ». 18 JUILLET, SESSION 2-L3 VARIA, PAGE 5/11

CE ROMAN <strong>«</strong> N’EST PAS DE LA REONDE TABLE »<br />

ISABELLE ARSENEAU<br />

métamorphose le chevalier en bête <strong>de</strong> trait et fait ainsi courir à l’homme le<br />

risque <strong>de</strong> <strong>la</strong> bestialité :<br />

<strong>«</strong> Or cha ! sire, dist li contrais,<br />

Ja vous meterai en teus trais<br />

Ou vous arez molt <strong>de</strong> contraire :<br />

Moi et mon char vous covient traire<br />

Par les rues […] »<br />

Gerbert <strong>de</strong> Montreuil, Continuation, v. 7715-7719.<br />

Là où <strong>la</strong> rime entre trais et contrais dit l’humiliation à <strong>la</strong>quelle doit se<br />

soumettre tout chevalier incapable d’abattre le seigneur <strong>de</strong>s lieux et ses<br />

quatre fils, celle entre traire et contraire, qui revient à cinq reprises 18, pourrait<br />

bien faire écho, en s’y opposant, à <strong>la</strong> formule dont se servait l’auteur d’Erec<br />

et Eni<strong>de</strong> pour décrire l’activité du <strong>roman</strong>cier, dont le geste poétique consiste<br />

à traire <strong>«</strong> d’un conte d’aventure / une mout bele conjointure 19 ». L’analyse<br />

intertextuelle n’est cependant <strong>pas</strong> indispensable puisque le contrais est déjà<br />

en lui-même une métaphore extrêmement productive qui exploite divers<br />

jeux étymologiques et homonymiques servant à exemplifier l’art du<br />

<strong>roman</strong>cier.<br />

D’une part, l’adjectif substantivé contrais réfléchit le mouvement <strong>de</strong><br />

contraction (< contrahere) qui donne son nom au perclus. Vu sous cette<br />

optique, le terme pourrait refléter <strong>la</strong> coïnci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns diégétique et<br />

structurel sur <strong>la</strong>quelle ont déjà insisté Alexandre Leupin et Keith Busby. En<br />

effet, si <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> ressou<strong>de</strong>r les <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> l’épée ouvre le récit <strong>de</strong><br />

Gerbert <strong>de</strong> Montreuil tout en le soudant à <strong>la</strong> continuation précé<strong>de</strong>nte<br />

(Wauchier <strong>de</strong> Denain), <strong>la</strong> réparation finale <strong>de</strong> <strong>la</strong> brèche que va rajoindre<br />

Perceval (v. 17069) concor<strong>de</strong> aussi avec le raccord à <strong>la</strong> continuation<br />

suivante (Manessier). Grâce à un effort <strong>de</strong> <strong>«</strong> conjointure poétique 20»,<br />

l’auteur ou le scribe parvient donc à insérer ce qui apparaît dès lors comme<br />

une interpo<strong>la</strong>tion au sein <strong>de</strong> l’ensemble formé par les Continuations du Graal.<br />

Le mouvement <strong>de</strong> contraction — que l’on peut extraire <strong>de</strong> l’image du<br />

contrait — pourrait aussi servir à rendre compte, plus généralement, <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mécanique intertextuelle, qui repose sur le rapprochement d’éléments<br />

empruntés à <strong>de</strong>s sources diverses, les plus attendues (les <strong>roman</strong>s du Graal,<br />

18 v. 7599-7600, 7717-7718, 7795-7796, 12407-12408 et 12547-12548.<br />

19 Chrétien <strong>de</strong> Troyes, Erec et Eni<strong>de</strong>, édition et traduction Jean-Marie Fritz, dans Romans, op. cit., v. 13-14.<br />

20 Keith Busby, <strong>«</strong> L’autre dans les Continuations <strong>de</strong> Perceval… », p. 294 : <strong>«</strong> L’épée fonctionne comme<br />

métaphore <strong>de</strong> l’acte d’assemb<strong>la</strong>ge, <strong>de</strong> conjointure poétique ».<br />

18 JUILLET, SESSION 2-L3 VARIA,<br />

PAGE 5/11

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!