« Ce roman «n'est pas de la Reonde Table». - Université Rennes 2

« Ce roman «n'est pas de la Reonde Table». - Université Rennes 2 « Ce roman «n'est pas de la Reonde Table». - Université Rennes 2

sites.univ.rennes2.fr
from sites.univ.rennes2.fr More from this publisher
30.08.2013 Views

ACTES DU 22 e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008 PROCEEDINGS OF THE 22 nd CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY, 2008 maîtresse de Gauvain et mère de Guinglain — et qui doit servir à préserver, entre autres, de la folie et de la goutte (« esvertin ne goute ne mal / n’avra nus qui en soit covers », v. 6510-6511), réduction du motif du sauf-conduit qui témoigne une nouvelle fois de la tentation de la parodie 33. En conjoignant — ou en resaldant (v. 1492) — les aventures d’Yder et de Girflet, le sénéchal commet en quelque sorte un « lapsus par condensation 34 » capable de faire la synthèse entre les deux voies du roman en vers qui se dessinent dans le paysage littéraire au moment où Gerbert de Montreuil entreprend la rédaction, peut-être parallèle, de la Continuation et du Roman de la Violette : d’une part, la voie canonique, incarnée par Yder et l’épreuve de l’épervier telle qu’il l’a « véritablement » vécue chez Chrétien de Troyes ; de l’autre, la voie du renouvellement ludique, personnifiée par ce sénéchal qui se permet en quelque sorte de réécrire un épisode d’Erec et Enide« à la manière » de Renaut de Beaujeu. Le personnage rappelle ainsi à sa façon que toute réécriture non seulement réévalue le « conte par avant » (v. 6355), mais détourne bien souvent l’œuvre ancienne. Exploitant le même hypotexte, Le Roman de la Violette fournira à son tour une image éloquente de la pratique romanesque de Gerbert de Montreuil. Comme dans Guillaume de Dole, la liste des participants au tournoi de Montargis inclut un nombre élevé de chevaliers historiques 35. L’auteur de la Violette se saisit cependant d’un procédé imaginé par l’auteur du Bel Inconnu — qui faisait s’affronter différentes générations romanesques au tournoi de Valendon — et confronte le roman breton et le « beau jeu » des parodistes : au chevalier « de Bretaigne » (v. 5914) qu’il place dans le premier camp répond, dans le second, « li sires de Biaugiu » (v. 5942). Comme pour la coutume de l’épervier, le tournoi deviendra l’occasion de retracer, par la bande, la genèse et la fortune du genre romanesque et de mettre en regard roman et antiroman ou, comme dans le Bel Inconnu, le roman de Perceval et celui de cet anti ou de ce néo-Perceval qu’est Guinglain. 33 Tentation à laquelle cédera aussi le Roman de la Violette puisqu’on y retrouvera un fermail magique devant servir à protéger l’héroïne du vergondage (« Qui l’a au col, chou est la somme, / ja par homme n’ert vergondee », v. 823-824). 34 Voir Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 2004 [1904]. 35 Pour une lecture historique du tournoi de Saint-Trond, voir John W. Baldwin, « Jean Renart et le tournoi de Saint-Trond. Une conjonction de l’histoire et de la littérature », Annales. Économies, Société, Civilisation, mai-juin, 1990, vol. 45, n o 3, p. 565-588. 18 JUILLET, SESSION 2-L3 VARIA PAGE 10/11

CE ROMAN « N’EST PAS DE LA REONDE TABLE » ISABELLE ARSENEAU La Quatrième Continuation a connu une fortune relative et n’a été conservée que dans deux « manuscrits frères 36 », où elle s’insère entre les continuations de Wauchier de Denain et de Manessier 37. Comme le Roman de la Violette, le roman arthurien de Gerbert de Montreuil s’érige en bonne partie sur une négativité que traduisent bien sa structure et sa matérialité : le terme du récit ramène le lecteur à son point de départ en répétant les quatorze derniers vers de la Deuxième Continuation, auxquels viennent s’accrocher les premiers vers de la Troisième Continuation dans les autres manuscrits. En s’amusant à faire croire à son lecteur que rien ne s’est produit entre le moment où Perceval échoue à ressouder parfaitement l’épée et le passage où il y arrive, le scribe des manuscrits T et V parvient à incarner matériellement la formule d’Aron Kibédi Varga selon laquelle le roman est toujours un anti-roman 38, négativité sans laquelle le canon arthurien risquait peut-être la paralysie. C’est d’ailleurs précisément contre cette « perclusion » du roman que semble travailler Gerbert de Montreuil lorsqu’il confie aux chevaliers le rôle de leur monture et leur demande de tirer un char dans lequel gît un contrefait haineux qui joue les « chevaliers de la charrette ». Tout compte fait, ce roman n’était peut-être pas tout à fait, lui non plus, de la « Reonde Table ». ISABELLE ARSENEAU UNIVERSITÉ MCGILL, CANADA 36 Alexandre Micha, La Tradition manuscrite des romans de Chrétien de Troyes, Genève, Droz, 1966 [1939], p. 189 : 37 Il s’agit des manuscrits T (BnF fr 12576, début XIII e siècle) et V (BnF fr nouv. acq. 6614, fin XIII e ). Voir Keith Busby, Codex and Context : Reading Old French Narrative in Manuscripts, 2 vol., Amsterdam, Rodopi, 2002, p. 75-86. 38 Aron Kibédi Varga, « Le roman est un anti-roman » Littérature, n o 48, 1982, p. 3-20. 18 JUILLET, SESSION 2-L3 VARIA, PAGE 11/11

CE ROMAN <strong>«</strong> N’EST PAS DE LA REONDE TABLE »<br />

ISABELLE ARSENEAU<br />

La Quatrième Continuation a connu une fortune re<strong>la</strong>tive et n’a été<br />

conservée que dans <strong>de</strong>ux <strong>«</strong> manuscrits frères 36 », où elle s’insère entre les<br />

continuations <strong>de</strong> Wauchier <strong>de</strong> Denain et <strong>de</strong> Manessier 37. Comme le Roman<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Violette, le <strong>roman</strong> arthurien <strong>de</strong> Gerbert <strong>de</strong> Montreuil s’érige en bonne<br />

partie sur une négativité que traduisent bien sa structure et sa matérialité : le<br />

terme du récit ramène le lecteur à son point <strong>de</strong> départ en répétant les<br />

quatorze <strong>de</strong>rniers vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Deuxième Continuation, auxquels viennent<br />

s’accrocher les premiers vers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Troisième Continuation dans les autres<br />

manuscrits. En s’amusant à faire croire à son lecteur que rien ne s’est<br />

produit entre le moment où Perceval échoue à ressou<strong>de</strong>r parfaitement<br />

l’épée et le <strong>pas</strong>sage où il y arrive, le scribe <strong>de</strong>s manuscrits T et V parvient à<br />

incarner matériellement <strong>la</strong> formule d’Aron Kibédi Varga selon <strong>la</strong>quelle le<br />

<strong>roman</strong> est toujours un anti-<strong>roman</strong> 38, négativité sans <strong>la</strong>quelle le canon<br />

arthurien risquait peut-être <strong>la</strong> paralysie. C’est d’ailleurs précisément contre<br />

cette <strong>«</strong> perclusion » du <strong>roman</strong> que semble travailler Gerbert <strong>de</strong> Montreuil<br />

lorsqu’il confie aux chevaliers le rôle <strong>de</strong> leur monture et leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

tirer un char dans lequel gît un contrefait haineux qui joue les <strong>«</strong> chevaliers <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> charrette ». Tout compte fait, ce <strong>roman</strong> n’était peut-être <strong>pas</strong> tout à fait, lui<br />

non plus, <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>«</strong> Reon<strong>de</strong> Table ».<br />

ISABELLE ARSENEAU<br />

UNIVERSITÉ MCGILL,<br />

CANADA<br />

36 Alexandre Micha, La Tradition manuscrite <strong>de</strong>s <strong>roman</strong>s <strong>de</strong> Chrétien <strong>de</strong> Troyes, Genève, Droz, 1966 [1939],<br />

p. 189 :<br />

37 Il s’agit <strong>de</strong>s manuscrits T (BnF fr 12576, début XIII e siècle) et V (BnF fr nouv. acq. 6614, fin XIII e ).<br />

Voir Keith Busby, Co<strong>de</strong>x and Context : Reading Old French Narrative in Manuscripts, 2 vol., Amsterdam,<br />

Rodopi, 2002, p. 75-86.<br />

38 Aron Kibédi Varga, <strong>«</strong> Le <strong>roman</strong> est un anti-<strong>roman</strong> » Littérature, n o 48, 1982, p. 3-20.<br />

18 JUILLET, SESSION 2-L3 VARIA,<br />

PAGE 11/11

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!