Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

nos propres voies et luttes, qui ne sont pas mieux ou pires que celles des autres. Un regard de reconnaissance ne comprend pas d’hypothèses ni de prescriptions sur l’héritage ou le legs historique des autres, que chaque personne mène de sa manière. Voici ce que le regard de reconnaissance accorde : une ouverture envers une autre façon d’être. Toutefois, si tout est lié dans un monde où il y une perte, une blessure, une violation et de la destruction, quelle sera notre relation avec les personnes qui portent un fardeau de souffrance énorme? Voici quelque chose que mon père m’a appris : on n’établit pas de rapports avec les autres uniquement en ce qui concerne leurs blessures. On ne les réduit pas à ce que la personne qui éprouve de la pitié, de l’empathie ou de la sympathie perçoit comme leur déficit. On respecte leur dignité; on respecte leur personne. Cependant, étant donné que je viens d’une communauté avec des antécédents de persécution, j’ai constaté la manière à laquelle les personnes qui souffrent peuvent, en retour, subir d’autres blessures, tant psychiques que physiques. Elles peuvent concevoir des réalités élaborées qui justifient leur chaos destructeur, leurs relations serviles, leur contrôle étouffant ou leurs états toxiques de colère. Les personnes qui remettent en question les termes de leur réalité ou, pire, refusent de s’y conformer, peuvent provoquer de la rage. Par conséquent, dans cette lutte avec mon héritage historique, j’en viens à réaliser lentement que la préoccupation pour le bien-être des autres signifie reconnaître non seulement l’autre, mais également se reconnaître dans la souffrance et tout ce qu’elle comporte. On ne parle pas ici de romancer ou diaboliser la personne qui souffre ou, quant à cela, sa propre souffrance. Il peut exister un sentiment confus d’être, d’une manière ou d’une autre, responsable de prendre soin des « victimes » du chaos, ou de les appuyer, et une culpabilité pour s’être retiré de ce qui est, en fait, un rôle prescrit. Cependant, si vous ne percevez pas les personnes qui souffrent et vous-même uniquement sur le plan des blessures, alors vous reconnaissez également la capacité de cette personne d’être, votre propre capacité d’être en relation avec les autres qui est liée aux autres et d’être dans le monde d’une manière qui peut causer une transformation. Autrement, percevoir les autres et se percevoir comparativement sur le plan d’un déficit signifie ne pas les voir et se voir, ne pas voir ce qu’ils sont ou ce que vous êtes et ce qu’ils peuvent être ainsi que ce que vous pouvez être, ce qui fait qu’eux et vous tombez dans l’abîme de l’expansion des cercles de destruction. Il peut alors y avoir une contrainte de se distancer de la personne qui souffre pour ne pas craindre d’être englouti. Il y a toutefois une autre façon de faire. Un geste offre une ouverture pour permettre aux personnes de s’avancer si elles le souhaitent. Le geste en luimême est nécessairement ancré où l’on se trouve. Il demande du courage, de la force et de la clarté. L’homme Lil’Wat nous accueille; c’est lui qui est en position d’inviter des personnes sur son territoire. Accepter l’invitation d’avancer entraîne 448 | Kirsten Emiko McAllister

la reconnaissance de ce lieu, dans son territoire, et ici sur Terre. Un geste de bienvenue ne force pas une autre personne à répondre. Il ne s’agit pas d’un moyen de contrôle. Il n’impose pas une relation entre vous et l’autre personne. Il reconnaît la capacité de l’autre à agir, à décider et à déterminer si elle répond, et la façon à laquelle elle répond. Ce qu’il exige, c’est que la personne reconnaisse votre présence, distincte de la sienne, comme l’homme Lil’Wat qui se tenait dans son territoire. Dans une telle ouverture, on offre une place d’acceptation — pas une acceptation et une supplication aveugles, mais un endroit pour une autre personne — qui entraîne l’estime et le respect mutuels. Il s’agit d’une acceptation qui comprend qu’il y a des pertes et de la souffrance, et que cette personne a dû trouver une façon de vivre avec son héritage, qu’elle soit engagée dans une lutte ou en paix. Il y a les personnes qui m’ont accordé cette acceptation. On ne prétend pas me connaître d’une manière définitive. De plus, cela ne réduit pas une personne à des blessures qu’elle a pu subir… ni ne mène, de façon importante, à être entraîné dans la fumée et les miroirs d’un paysage psychologique troublé. J’ai de la difficulté à « être » et de la misère à parcourir ce paysage. Que comporte ce regard de reconnaissance? Qu’est-ce que l’homme Lil’Wat nous a accordé par son invitation? Il a peut-être perçu la dépossession et le déplacement, mais il ne nous a pas réduits à cela. L’homme Lil’Wat m’a démontré que j’avais beaucoup à apprendre. Tout ce que je peux dire, c’est que je ne fais que commencer à voir tout ce qu’implique le fait de comprendre mon déplacement relatif à ma présence ici sur ces terres par le biais des nombreuses histoires et, plus important encore, des absences dans mon portrait mémoriel. Un retour Je termine par un souvenir récent de la marche des femmes de 2010 pour les femmes portées disparues ou assassinées dans le quartier Downtown Eastside le 14 février. 44 Hommes et femmes, nous avons rempli les rues : Gore, Hastings et passé le parc Oppenheimer. À l’extérieur de la circulation temporelle de la ville, nous avons marché à un autre rythme, les batteurs et chanteurs honorant les sites de perte et de deuil. Au fur et à mesure que nous avancions, un nouvel espace se créait avec nos corps chauds en mouvement dans des chemins poussiéreux. La marche s’est terminée à l’école de langue japonaise. Avant d’être internés en 1942, ma mère et d’autres enfants canadiens d’origine japonaise qui vivaient dans le secteur de la rue Powell remplissaient les couloirs de cette école et on leur enseignait leur culture, leur langue et leur histoire. En ce jour ensoleillé et froid de Vancouver, les couloirs étaient de nouveau remplis de générations, mais maintenant tirées de nations d’enfants, d’adultes, d’aînés, ainsi que de membres de différentes communautés rassemblés pour commémorer les filles, les sœurs, les amies et les proches qui ont quitté ce monde, où nous vivons aujourd’hui, dans le cadre de l’héritage continu du colonialisme au Canada. Il s’agissait d’une commémoration touchante livrant un fort message pour le présent. Dans le couloir japonais, c’était maintenant Cultiver le Canada | 449

nos propres voies et luttes, qui ne sont pas mieux ou pires que celles <strong>de</strong>s autres.<br />

Un regard <strong>de</strong> reconnaissance ne comprend pas d’hypothèses ni <strong>de</strong> prescriptions<br />

sur l’héritage ou le legs historique <strong>de</strong>s autres, que chaque personne mène <strong>de</strong> sa<br />

manière. Voici ce que le regard <strong>de</strong> reconnaissance accor<strong>de</strong> : une ouverture envers<br />

une autre façon d’être.<br />

Toutefois, si tout est lié dans un mon<strong>de</strong> où il y une perte, une blessure, une violation<br />

et <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction, quelle sera notre relation avec les personnes qui portent un<br />

far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> souffrance énorme? Voici quelque chose que mon père m’a appris :<br />

on n’établit pas <strong>de</strong> rapports avec les autres uniquement en ce qui concerne leurs<br />

blessures. On ne les réduit pas à ce que la personne qui éprouve <strong>de</strong> la pitié, <strong>de</strong><br />

l’empathie ou <strong>de</strong> la sympathie perçoit comme leur déficit. On respecte leur dignité;<br />

on respecte leur personne.<br />

Cependant, étant donné que je viens d’une communauté avec <strong>de</strong>s antécé<strong>de</strong>nts<br />

<strong>de</strong> persécution, j’ai constaté la manière à laquelle les personnes qui souffrent<br />

peuvent, en retour, subir d’autres blessures, tant psychiques que physiques. Elles<br />

peuvent concevoir <strong>de</strong>s réalités élaborées qui justifient leur chaos <strong>de</strong>structeur, leurs<br />

relations serviles, leur contrôle étouffant ou leurs états toxiques <strong>de</strong> colère. Les<br />

personnes qui remettent en question les termes <strong>de</strong> leur réalité ou, pire, refusent <strong>de</strong><br />

s’y conformer, peuvent provoquer <strong>de</strong> la rage. Par conséquent, dans cette lutte avec<br />

mon héritage historique, j’en viens à réaliser lentement que la préoccupation pour<br />

le bien-être <strong>de</strong>s autres signifie reconnaître non seulement l’autre, mais également<br />

se reconnaître dans la souffrance et tout ce qu’elle comporte. On ne parle pas<br />

ici <strong>de</strong> romancer ou diaboliser la personne qui souffre ou, quant à cela, sa propre<br />

souffrance. Il peut exister un sentiment confus d’être, d’une manière ou d’une<br />

autre, responsable <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong>s « victimes » du chaos, ou <strong>de</strong> les appuyer, et<br />

une culpabilité pour s’être retiré <strong>de</strong> ce qui est, en fait, un rôle prescrit. Cependant,<br />

si vous ne percevez pas les personnes qui souffrent et vous-même uniquement<br />

sur le plan <strong>de</strong>s blessures, alors vous reconnaissez également la capacité <strong>de</strong> cette<br />

personne d’être, votre propre capacité d’être en relation avec les autres qui<br />

est liée aux autres et d’être dans le mon<strong>de</strong> d’une manière qui peut causer une<br />

transformation. Autrement, percevoir les autres et se percevoir comparativement<br />

sur le plan d’un déficit signifie ne pas les voir et se voir, ne pas voir ce qu’ils sont ou<br />

ce que vous êtes et ce qu’ils peuvent être ainsi que ce que vous pouvez être, ce qui<br />

fait qu’eux et vous tombez dans l’abîme <strong>de</strong> l’expansion <strong>de</strong>s cercles <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction. Il<br />

peut alors y avoir une contrainte <strong>de</strong> se distancer <strong>de</strong> la personne qui souffre pour ne<br />

pas craindre d’être englouti.<br />

Il y a toutefois une autre façon <strong>de</strong> faire. Un geste offre une ouverture pour<br />

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est nécessairement ancré où l’on se trouve. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du courage, <strong>de</strong> la<br />

force et <strong>de</strong> la clarté. L’homme Lil’Wat nous accueille; c’est lui qui est en position<br />

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