Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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alors que j’aperçus un grand bus qui remontait lentement la rue. Aucun doute à ce propos, le logo figurant sur le côté annonçait avec audace que la campagne des libéraux fonctionnait à plein régime dans notre quartier. Je me suis empressé d’appeler ma femme, Slavia, et mes deux enfants, Waylen et Elisse. Là, juste à côté de notre maison, se trouvait l’homme en personne, John Turner, qui descendait du bus. J’ai attrapé mon appareil photo et nous avons tous couru à l’extérieur. L’air quelque peu exténué et manquant d’énergie, Turner s’efforçait quand même de rester positif afin de donner l’image du politicien accompli. En plaisantant à moitié, je l’ai remercié d’avoir pris le temps de me rendre visite afin de parler du redressement, et il m’a répondu en souriant de bon gré. J’ai constaté, avec étonnement, qu’il semblait connaître mon travail sur la question. Je lui ai dit que nous lui apporterions tout notre soutien s’il promettait de ne pas laisser tomber la question du redressement dans l’oubli après l’élection. Il fit un signe approbateur de la tête, reconnaissant que le sujet lui importait ce qui, pour moi, était une réponse suffisamment positive pour que la NAJC continue à le soutenir à Ottawa. Turner a finalement été élu à Quadra, mais son parti a subi une défaite cuisante aux élections, passant de 147 à 40 sièges à la Chambre des communes, soit une perte de 107 sièges, au profit d’un parti conservateur triomphant. Dans les années qui suivirent, lorsqu’il devint chef de l’opposition, Turner, à son plus grand honneur, s’efforça de constamment soutenir les négociations portant sur un accord avec la NAJC. Nous avons gravé l’instant où le premier ministre nous a rendu visite en demandant à son conseiller de prendre une photo de famille avec lui — et là, aussi vite qu’il était arrivé, il quitta la rue accompagné de son entourage libéral. Le départ devient une arrivée : quatre montages photographiques Être hanté par une histoire basée sur des absences, si celle-ci est laissée telle quelle, peut entraîner un blocage de l’état de conscience. Le passé dégage un pouvoir hégémonique et dresse une barrière entre l’imagination et l’immédiateté du présent. Pendant ce temps, le futur perd sa fécondité potentielle et en vient à reproduire les conséquences de l’absence. Le redressement a eu lieu dans l’arène de l’opinion publique et de la dynamique politique, mais ce qu’a accompli le traité, le 22 septembre 1988 était, aux yeux des CJ et des Canadiens qui les soutenaient, un évènement d’une importance inestimable. Ce que j’ai nommé « instants poétiques » constituait la transition d’un passé hanté vers un présent capable d’imaginer un futur plus prometteur. C’était comme si les signes indicateurs du redressement étaient la preuve que des forces de justice supérieures étaient à l’œuvre, que le redressement a même confirmé l’existence d’une énergie spirituelle permettant l’émergence de nouvelles formes de création. En ce qui me concerne, la plus grande partie du passé hanté de mon enfance était invoquée par les photographies de ces visages en partance vers un futur qu’ils ignoraient, apparues régulièrement dans le cadre des différents récits 330 | Roy Miki

sur l’internement. Ces photos ont été pour moi des points de repère au cours du mouvement de redressement. La peur du déplacement apparaît de manière criante sur leurs visages, même lorsqu’ils regardent l’objectif de l’appareil photo en essayant de cacher ce qui, pour eux, représente un instant évident de tragédie personnelle et collective. J’ai sélectionné quatre de ces photos afin de les incorporer sous la forme d’un montage. Avec ces images, qui contiennent également des photos actuelles de sites locaux — du moins qui l’étaient pour les CJ avant la guerre — j’ai tenté de montrer l’évènement du départ comme une arrivée sur les côtes, comme le commencement d’une phase de transformation après le redressement. Il ne s’agit pas d’espaces dans lesquels les difficultés d’adaptation à notre culture de consommation actuelle ont disparu, mais plutôt d’espaces au sein desquels des complicités complexes sont imaginées au-dede la reproduction du cadre de l’histoire de l’ailleurs. notes 1 Miki, Roy (2004). Redress: Inside The Japanese Canadian Call for Justice. Vancouver, Colombie-Britannique : Raincoast Books. 2 Wood, S.T. (7 février 1942). Avis public du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada à l’attention des sujets masculins d’un pays ennemi. Extrait le 2 novembre 2010 de : http://www.najc.ca/thenandnow/experiencec_firstorder.php 3 St Laurent, L.S. (26 février 1942). Avis public du ministère de la Justice à l’attention de toutes les personnes d’origine japonaise. Extrait du 2 novembre 2010 de : http://www. najc.ca/thenandnow/ National Association of Japanese Canadians (1984). Democracy Betrayed: The Case for Redress. Requête adressée au gouvernement du Canada concernant la violation des droits et libertés des Canadiens japonais lors de la Seconde Guerre mondiale. Winnipeg, Manitoba : Association nationale des Canadiens japonais 4 Comité spécial sur la participation des minorités visibles à la société canadienne (1984). L’égalité ça presse! Rapport du Comité spécial sur la participation des minorités visibles à la société canadienne. Ottawa, Ontario : Imprimeur de la Reine. Bob Daudlin a servi en tant que président du comité. 5 Kogawa, Joy (1981). Obasan. Ottawa, Ontario : Penguin Canada. 6 Sunahara, A. Gomer (2000). The Politics of Racism: The Uprooting of Japanese Canadians During the Second World War. (2 e édition). Ottawa, Ontario : Ann Gomer Sunahara. Extrait le 26 novembre 2010 de : http://www.japanesecanadianhistory.ca/ index.html 7 The New Canadian, journal rédigé en anglais et présenté comme la voix des Nisei, a été publié pour la première fois en 1938 à Vancouver. Tom Shoyama a remplacé l’éditeur Peter Higashi en devenant éditeur de la version anglaise, en 1939. 8 Dyer, J. (19 septembre 1944). Engagement de Mackenzie ‘Pas de Japs en Colombie- Britannique’. The Vancouver Sun: 19. Cultiver le Canada | 331

sur l’internement. Ces photos ont été pour moi <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> repère au cours<br />

du mouvement <strong>de</strong> redressement. La peur du déplacement apparaît <strong>de</strong> manière<br />

criante sur leurs visages, même lorsqu’ils regar<strong>de</strong>nt l’objectif <strong>de</strong> l’appareil<br />

photo en essayant <strong>de</strong> cacher ce qui, pour eux, représente un instant évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

tragédie personnelle et collective. J’ai sélectionné quatre <strong>de</strong> ces photos afin <strong>de</strong><br />

les incorporer sous la forme d’un montage. Avec ces images, qui contiennent<br />

également <strong>de</strong>s photos actuelles <strong>de</strong> sites locaux — du moins qui l’étaient pour<br />

les CJ avant la guerre — j’ai tenté <strong>de</strong> montrer l’évènement du départ comme une<br />

arrivée sur les côtes, comme le commencement d’une phase <strong>de</strong> transformation<br />

après le redressement. Il ne s’agit pas d’espaces dans lesquels les difficultés<br />

d’adaptation à notre culture <strong>de</strong> consommation actuelle ont disparu, mais plutôt<br />

d’espaces au sein <strong>de</strong>squels <strong>de</strong>s complicités complexes sont imaginées au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />

la reproduction du cadre <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’ailleurs.<br />

notes<br />

1 Miki, Roy (2004). Redress: Insi<strong>de</strong> The Japanese Canadian Call for Justice. Vancouver,<br />

Colombie-Britannique : Raincoast Books.<br />

2 Wood, S.T. (7 février 1942). Avis public du commissaire <strong>de</strong> la Gendarmerie royale du<br />

Canada à l’attention <strong>de</strong>s sujets masculins d’un pays ennemi. Extrait le 2 novembre<br />

2010 <strong>de</strong> : http://www.najc.ca/thenandnow/experiencec_firstor<strong>de</strong>r.php<br />

3 St Laurent, L.S. (26 février 1942). Avis public du ministère <strong>de</strong> la Justice à l’attention <strong>de</strong><br />

toutes les personnes d’origine japonaise. Extrait du 2 novembre 2010 <strong>de</strong> : http://www.<br />

najc.ca/thenandnow/ National Association of Japanese Canadians (1984). Democracy<br />

Betrayed: The Case for Redress. Requête adressée au gouvernement du Canada<br />

concernant la violation <strong>de</strong>s droits et libertés <strong>de</strong>s Canadiens japonais lors <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong><br />

Guerre mondiale. Winnipeg, Manitoba : Association nationale <strong>de</strong>s Canadiens<br />

japonais<br />

4 Comité spécial sur la participation <strong>de</strong>s minorités visibles à la société canadienne<br />

(1984). L’égalité ça presse! Rapport du Comité spécial sur la participation <strong>de</strong>s minorités<br />

visibles à la société canadienne. Ottawa, Ontario : Imprimeur <strong>de</strong> la Reine. Bob Daudlin<br />

a servi en tant que prési<strong>de</strong>nt du comité.<br />

5 Kogawa, Joy (1981). Obasan. Ottawa, Ontario : Penguin Canada.<br />

6 Sunahara, A. Gomer (2000). The Politics of Racism: The Uprooting of Japanese<br />

Canadians During the Second World War. (2 e édition). Ottawa, Ontario : Ann Gomer<br />

Sunahara. Extrait le 26 novembre 2010 <strong>de</strong> : http://www.japanesecanadianhistory.ca/<br />

in<strong>de</strong>x.html<br />

7 The New Canadian, journal rédigé en anglais et présenté comme la voix <strong>de</strong>s Nisei,<br />

a été publié pour la première fois en 1938 à Vancouver. Tom Shoyama a remplacé<br />

l’éditeur Peter Higashi en <strong>de</strong>venant éditeur <strong>de</strong> la version anglaise, en 1939.<br />

8 Dyer, J. (19 septembre 1944). Engagement <strong>de</strong> Mackenzie ‘Pas <strong>de</strong> Japs en Colombie-<br />

Britannique’. The Vancouver Sun: 19.<br />

Cultiver le Canada | 331

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