Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

là-bas. Il était toujours question de là-bas. Ces absences devenaient tangibles par les souvenirs émanant des albums de photos de membres de la famille disparus, rangés dans une malle avec d’autres souvenirs conservés par des voisins, uniquement pour être écoulés en échange d’une maigre somme dans l’une des nombreuses enchères publiques parrainées par le gouvernement. Les quelques photos qui ont été conservées à l’occasion du voyage à travers le pays, en guise de souvenirs de ce que nous laissions derrière nous, sont devenues les symboles obsédants de la vie précédant l’internement. L’atmosphère de rupture avec le passé a pétri les souvenirs de mon enfance, liés aux rues intérieures de Winnipeg qui m’ont vu grandir au cours des années d’après-guerre. Rien n’a su rendre cette sensation aussi réelle, du moins à mon jeune âge, que le contenu de cette histoire, celle d’un fantôme bienveillant que mon père, Kazuo, m’a relatée à de nombreuses reprises. Kazuo est né en Colombie-Britannique en 1906 et a grandi à Nihon machi (ou « Japantown »), un quartier de Vancouver, entre Powell et Alexander Streets, où la majorité des CJ de la ville vivait avant que ne survienne le déracinement de masse. Un soir d’été sombre et orageux — oui, il fallait que l’atmosphère soit sombre et orageuse —, un ami de la vallée du Fraser, qui ne pouvait pas rentrer chez lui, décida de passer la nuit dans un hôtel de Powell Street. Toutes les chambres affichaient complet, sauf une qui était habituellement vide. Des rumeurs circulaient au sein de la communauté, affirmant que la chambre était hantée par une jeune femme assassinée par son amant. Ne prêtant aucune attention aux superstitions, sarcastique à l’égard des croyances envers les fantômes, l’ami de mon père loua la chambre. Puisqu’il s’agissait d’une histoire de fantômes, comme il fallait s’y attendre, il fût réveillé au beau milieu de la nuit par des bruits semblables à des gémissements. À ce moment-là, sur le verre fumé de la porte, apparut le visage d’une femme aux longs cheveux noirs qui l’implorait de l’aider. Lorsque le visage disparût, il s’enfuit de l’hôtel. Le plus surprenant, disait mon père, et je ne l’ai jamais oublié, est que le fantôme a disparu avec la communauté lorsque Nihon machi a été démantelé lors du déracinement de masse de 1942. L’histoire est restée gravée dans ma mémoire au point que ma propre version m’est venue sous la forme d’un poème, écrit pour la première fois au début des années 1970. Il invoquait le visage d’une vieille femme qui errait dans les rues et ruelles de notre quartier du centre de Winnipeg. Elle se parlait constamment en japonais et ses propos décousus signalaient qu’elle était toujours à la recherche des panneaux indicateurs de sa communauté disparue de Vancouver. Tout comme le fantôme de l’histoire de mon père, elle est devenue la manifestation externe des effets intérieurs de l’internement. Je venais de déménager à Vancouver et, alors que je me promenais aux environs de Powell Street, une de mes habitudes à l’époque, elle est apparue dans mon imagination, comme une prémonition du mouvement de redressement qui s’annonçait — un 320 | Roy Miki

Photo : Archives nationales du Canada C47398 Cultiver le Canada | 321

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Cultiver le Canada | 321

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