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Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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là-bas. Il était toujours question <strong>de</strong> là-bas. Ces absences <strong>de</strong>venaient tangibles par<br />

les souvenirs émanant <strong>de</strong>s albums <strong>de</strong> photos <strong>de</strong> membres <strong>de</strong> la famille disparus,<br />

rangés dans une malle avec d’autres souvenirs conservés par <strong>de</strong>s voisins,<br />

uniquement pour être écoulés en échange d’une maigre somme dans l’une <strong>de</strong>s<br />

nombreuses enchères publiques parrainées par le gouvernement. Les quelques<br />

photos qui ont été conservées à l’occasion du voyage à travers le pays, en guise<br />

<strong>de</strong> souvenirs <strong>de</strong> ce que nous laissions <strong>de</strong>rrière nous, sont <strong>de</strong>venues les symboles<br />

obsédants <strong>de</strong> la vie précédant l’internement. L’atmosphère <strong>de</strong> rupture avec le<br />

passé a pétri les souvenirs <strong>de</strong> mon enfance, liés aux rues intérieures <strong>de</strong> Winnipeg<br />

qui m’ont vu grandir au cours <strong>de</strong>s années d’après-guerre. Rien n’a su rendre<br />

cette sensation aussi réelle, du moins à mon jeune âge, que le contenu <strong>de</strong> cette<br />

histoire, celle d’un fantôme bienveillant que mon père, Kazuo, m’a relatée à <strong>de</strong><br />

nombreuses reprises.<br />

Kazuo est né en Colombie-Britannique en 1906 et a grandi à Nihon machi (ou<br />

« Japantown »), un quartier <strong>de</strong> Vancouver, entre Powell et Alexan<strong>de</strong>r Streets,<br />

où la majorité <strong>de</strong>s CJ <strong>de</strong> la ville vivait avant que ne survienne le déracinement<br />

<strong>de</strong> masse. Un soir d’été sombre et orageux — oui, il fallait que l’atmosphère<br />

soit sombre et orageuse —, un ami <strong>de</strong> la vallée du Fraser, qui ne pouvait pas<br />

rentrer chez lui, décida <strong>de</strong> passer la nuit dans un hôtel <strong>de</strong> Powell Street. Toutes<br />

les chambres affichaient complet, sauf une qui était habituellement vi<strong>de</strong>. Des<br />

rumeurs circulaient au sein <strong>de</strong> la communauté, affirmant que la chambre était<br />

hantée par une jeune femme assassinée par son amant. Ne prêtant aucune<br />

attention aux superstitions, sarcastique à l’égard <strong>de</strong>s croyances envers les<br />

fantômes, l’ami <strong>de</strong> mon père loua la chambre.<br />

Puisqu’il s’agissait d’une histoire <strong>de</strong> fantômes, comme il fallait s’y attendre, il fût<br />

réveillé au beau milieu <strong>de</strong> la nuit par <strong>de</strong>s bruits semblables à <strong>de</strong>s gémissements.<br />

À ce moment-là, sur le verre fumé <strong>de</strong> la porte, apparut le visage d’une femme aux<br />

longs cheveux noirs qui l’implorait <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r. Lorsque le visage disparût, il s’enfuit<br />

<strong>de</strong> l’hôtel. Le plus surprenant, disait mon père, et je ne l’ai jamais oublié, est que le<br />

fantôme a disparu avec la communauté lorsque Nihon machi a été démantelé lors<br />

du déracinement <strong>de</strong> masse <strong>de</strong> 1942. L’histoire est restée gravée dans ma mémoire<br />

au point que ma propre version m’est venue sous la forme d’un poème, écrit pour<br />

la première fois au début <strong>de</strong>s années 1970. Il invoquait le visage d’une vieille<br />

femme qui errait dans les rues et ruelles <strong>de</strong> notre quartier du centre <strong>de</strong> Winnipeg.<br />

Elle se parlait constamment en japonais et ses propos décousus signalaient<br />

qu’elle était toujours à la recherche <strong>de</strong>s panneaux indicateurs <strong>de</strong> sa communauté<br />

disparue <strong>de</strong> Vancouver. Tout comme le fantôme <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> mon père, elle est<br />

<strong>de</strong>venue la manifestation externe <strong>de</strong>s effets intérieurs <strong>de</strong> l’internement. Je venais<br />

<strong>de</strong> déménager à Vancouver et, alors que je me promenais aux environs <strong>de</strong> Powell<br />

Street, une <strong>de</strong> mes habitu<strong>de</strong>s à l’époque, elle est apparue dans mon imagination,<br />

comme une prémonition du mouvement <strong>de</strong> redressement qui s’annonçait — un<br />

320 | Roy Miki

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