Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

Réconciliation - Fondation autochtone de guérison Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

28.08.2013 Views

personnes de couleur comme autant d’amis et d’alliés potentiels, et considérait nos combats pour la survie et l’adaptation à la culture dominante comme des points communs. À cette époque, nous n’étions pas nombreux, Autochtones ou personnes de couleur, des îlots bruns dans une mer blanche. Avance rapide jusqu’en 2005. Pour de nombreux Autochtones de l’Est du Canada, la pression de l’urbanisation et de l’assimilation dans les années 50 et 60 a incité nos parents à épouser des Blancs. Cette même période à connu également une forte immigration de personnes de couleur. Donc, désormais, en tant qu’Autochtones vivant en ville, nous sommes des îlots un peu plus pâles qui flottent dans une mer plus foncée, « multiculturelle ». Au cours des 15 dernières années environ, depuis la crise d’Oka, comme de nombreux métis vivant en ville, je me suis battue pour en apprendre plus sur ma propre indigénéité. Dans ce contexte, ma peau claire me sépare des personnes de couleur que ma mère aurait considérées comme des alliées. L’ambigüité raciale des métis de tous les milieux n’est pas nouvelle. Mais, pour les peuples autochtones du Canada, quelque chose d’autre est à l’œuvre : des générations de politiques élaborées spécialement dans le but de détruire nos communautés et de fragmenter nos identités. Depuis des années, je suis témoin du résultat de ces politiques, tandis que ma famille, mes amis et un grand nombre de mes étudiants luttent contre le manque de connaissances de notre patrimoine, dû au silence de nos parents, le fait que l’usage de nos langues a été extirpé par la force de la génération de nos grandsparents, que nous avons été évincés de l’accès à nos terres pendant des générations, que nous connaissons peu de choses de nos propres cérémonies et, qu’en dernier ressort, notre indigénéité est, soit validée, soit niée par des cartes du gouvernement qui certifient notre statut « d’Indien ». Aucune de ces politiques ou de leurs répercussions ne sont des sujets discutés lors des conférences antiracistes. Et il est difficile de ne pas conclure qu’il y a quelque chose de profondément injuste dans la manière dont, sur notre propre territoire, l’antiracisme ne commence pas par, ni ne reflète, l’ensemble des expériences vécues par les peuples autochtones, c’est-àdire la prise en compte du génocide qui a permis de créer et de maintenir jusqu’à nos jours l’ensemble des états colonisateurs en Amérique. Et pourtant, pour commencer à traiter de la décolonisation de l’antiracisme, je dois commencer par reconnaître que je fais partie du cercle très fermé des chercheurs autochtones dans le monde universitaire. En tant que telle, il m’est très fréquemment demandé de « parler pour » et de représenter l’indigénéité pour des profanes, d’une manière qui est par nature problématique. Pour cette raison, je dois toujours commencer par évoquer les anciens traditionnels et les personnes de la communauté, et d’autres intellectuels autochtones, qui considèrent que le savoir autochtone est plus important que le savoir académique et qui commenceraient par poser la question suivante : « Qu’est-ce que les théories du postcolonialisme et de l’antiracisme ont à voir avec nous ? ». Un article universitaire traitant de ce sujet 242 | Bonita Lawrence et Enakshi Dua

s’adresse donc principalement aux intellectuels et aux activistes de l’antiracisme, qui, pour la plupart, ne sont pas des Autochtones. De plus, il est construit sur les rythmes et les hypothèses du discours académique, et n’inclut ni résonance culturelle, ni référence à la culture micmaque ou à d’autres structures propres aux Autochtones. Pour cette raison, mon appréhension est que cet article contribue encore à homogénéiser les peuples autochtones dans toute leur diversité, les transformant en une entité unique et incohérente connue des profanes sous le nom de « peuples des Premières Nations », exactement comme cela est souvent le cas dans le discours antiraciste. Ces tensions entre au nom de qui je peux prétendre parler, comment je parle pour défendre des théories académiques, et à qui je m’adresse dans cet article, demeurent permanentes. Ena : Je suis arrivée au Canada lorsque j’avais 16 ans. Je suis née en Inde, et nous avons habité aux États-Unis avant d’émigrer au Canada. J’ai rencontré des références aux peuples autochtones dans ces trois contextes. En Inde, les gens se posaient des questions sur un autre endroit qui était aussi habité par des Indiens. Ayant grandi aux États-Unis et au Canada, j’ai été saturée d’histoire colonialiste. Des programmes scolaires jusqu’aux programmes de télévision en passant par les sites de vacances, une histoire colonialiste de conquête et d’effacement était sans arrêt rejouée. J’ai habité une ville dans laquelle les rues principales portaient les noms de dirigeants et de communautés autochtones. Comme les maisons dans lesquelles nous habitions débouchaient dans ces rues, ces noms étaient importants car ils nous inséraient en tant que colons dans la géographie du colonialisme. Cela me mettait mal à l’aise. On m’a enseigné une histoire similaire sur l’Inde et les autres Indiens, mais je savais que cette histoire était fausse. J’avais vaguement conscience que les vies des peuples autochtones et des personnes de couleur étaient façonnées par les mêmes processus. Je me voyais comme étant l’alliée des Autochtones. Cependant, ce que je ne voyais pas, c’était comment je pouvais faire partie du projet continu de colonisation. Je ne me positionnais pas dans les processus qui produisent de telles représentations ou de telles relations. Les expériences du racisme, du sexisme et de l’impérialisme ont conduit la jeune femme que j’étais à s’impliquer dans un projet dont l’objectif était de développer le féminisme antiraciste, et dans lequel j’espérais que nous pourrions étudier les manières dont les différents types d’oppression se recoupent. Cependant, en y repensant, je me rends compte que nous avons omis d’intégrer le processus de colonisation continue dans cet ensemble de connaissances émergentes. Par exemple, j’ai publié un projet de livre collectif, dans lequel des intellectuels féministes antiracistes exploraient les recoupements entre la « race » et le genre. À cette époque, j’avais le sentiment que nous étions efficaces dans notre entreprise de cadrage des problèmes autochtones. Nous avons commencé l’anthologie en étudiant les façons dont les femmes autochtones avaient été traitées à travers l’histoire en fonction de leur race et de leur sexe. Un autre article étudiait les questions des gouvernements autonomes des peuples autochtones. En y repensant, Cultiver le Canada | 243

s’adresse donc principalement aux intellectuels et aux activistes <strong>de</strong> l’antiracisme,<br />

qui, pour la plupart, ne sont pas <strong>de</strong>s Autochtones. De plus, il est construit sur<br />

les rythmes et les hypothèses du discours académique, et n’inclut ni résonance<br />

culturelle, ni référence à la culture micmaque ou à d’autres structures propres aux<br />

Autochtones. Pour cette raison, mon appréhension est que cet article contribue<br />

encore à homogénéiser les peuples <strong>autochtone</strong>s dans toute leur diversité, les<br />

transformant en une entité unique et incohérente connue <strong>de</strong>s profanes sous le nom<br />

<strong>de</strong> « peuples <strong>de</strong>s Premières Nations », exactement comme cela est souvent le cas<br />

dans le discours antiraciste. Ces tensions entre au nom <strong>de</strong> qui je peux prétendre<br />

parler, comment je parle pour défendre <strong>de</strong>s théories académiques, et à qui je<br />

m’adresse dans cet article, <strong>de</strong>meurent permanentes.<br />

Ena : Je suis arrivée au Canada lorsque j’avais 16 ans. Je suis née en In<strong>de</strong>, et nous<br />

avons habité aux États-Unis avant d’émigrer au Canada. J’ai rencontré <strong>de</strong>s<br />

références aux peuples <strong>autochtone</strong>s dans ces trois contextes. En In<strong>de</strong>, les gens se<br />

posaient <strong>de</strong>s questions sur un autre endroit qui était aussi habité par <strong>de</strong>s Indiens.<br />

Ayant grandi aux États-Unis et au Canada, j’ai été saturée d’histoire colonialiste.<br />

Des programmes scolaires jusqu’aux programmes <strong>de</strong> télévision en passant par les<br />

sites <strong>de</strong> vacances, une histoire colonialiste <strong>de</strong> conquête et d’effacement était sans<br />

arrêt rejouée. J’ai habité une ville dans laquelle les rues principales portaient les<br />

noms <strong>de</strong> dirigeants et <strong>de</strong> communautés <strong>autochtone</strong>s. Comme les maisons dans<br />

lesquelles nous habitions débouchaient dans ces rues, ces noms étaient importants<br />

car ils nous inséraient en tant que colons dans la géographie du colonialisme.<br />

Cela me mettait mal à l’aise. On m’a enseigné une histoire similaire sur l’In<strong>de</strong> et<br />

les autres Indiens, mais je savais que cette histoire était fausse. J’avais vaguement<br />

conscience que les vies <strong>de</strong>s peuples <strong>autochtone</strong>s et <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> couleur<br />

étaient façonnées par les mêmes processus. Je me voyais comme étant l’alliée<br />

<strong>de</strong>s Autochtones. Cependant, ce que je ne voyais pas, c’était comment je pouvais<br />

faire partie du projet continu <strong>de</strong> colonisation. Je ne me positionnais pas dans les<br />

processus qui produisent <strong>de</strong> telles représentations ou <strong>de</strong> telles relations.<br />

Les expériences du racisme, du sexisme et <strong>de</strong> l’impérialisme ont conduit la jeune<br />

femme que j’étais à s’impliquer dans un projet dont l’objectif était <strong>de</strong> développer<br />

le féminisme antiraciste, et dans lequel j’espérais que nous pourrions étudier<br />

les manières dont les différents types d’oppression se recoupent. Cependant, en<br />

y repensant, je me rends compte que nous avons omis d’intégrer le processus<br />

<strong>de</strong> colonisation continue dans cet ensemble <strong>de</strong> connaissances émergentes. Par<br />

exemple, j’ai publié un projet <strong>de</strong> livre collectif, dans lequel <strong>de</strong>s intellectuels<br />

féministes antiracistes exploraient les recoupements entre la « race » et le genre. À<br />

cette époque, j’avais le sentiment que nous étions efficaces dans notre entreprise<br />

<strong>de</strong> cadrage <strong>de</strong>s problèmes <strong>autochtone</strong>s. Nous avons commencé l’anthologie en<br />

étudiant les façons dont les femmes <strong>autochtone</strong>s avaient été traitées à travers<br />

l’histoire en fonction <strong>de</strong> leur race et <strong>de</strong> leur sexe. Un autre article étudiait les<br />

questions <strong>de</strong>s gouvernements autonomes <strong>de</strong>s peuples <strong>autochtone</strong>s. En y repensant,<br />

Cultiver le Canada | 243

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!