Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

état d’apathie comme un animal peu évolué ». 71 Ces « degrés de non liberté » ont rendu non seulement la situation très difficile, voire impossible, pour la « main d’oeuvre non qualifiée canadienne » sur le plan de la concurrence, mais ils ont contribué à réactiver et à renouveler l’ancien vocabulaire racial qui était né au moment de la traite transatlantique des esclaves. 72 Encore plus important, les épistémologies raciales qui a fait naître cette grammaire ont non seulement contribué à façonner et à organiser les relations de travail coloniales en Californie, mais aussi en Colombie-Britannique, où les politiciens se sont constamment mis en garde les uns les autres contre les effets démoralisants que la main d’oeuvre venue de Chine pourrait avoir sur la vie des Blancs. Par ailleurs, on a aussi perçu que les migrants chinois compromettaient d’autres façons la nation et son avenir relativement aux races. Entre ses commentaires sur l’« esclavage abject » et « l’« apathie d’un animal peu évolué », Malcolm Sproat a expliqué les menaces de la façon suivante : [traduction] La plainte notable des colons blancs dans la province, du point de vue social et politique,… est qu’en plus d’être accablés par une masse d’Indiens non civilisés qui les dépassent en nombre, un autre énorme fardeau d’étrangers ignorants et avilis, des hommes sans famille et absolument sans possibilité de citoyenneté [les Chinois] leur est imposé, dans une indifférence impitoyable à l’égard de leur bien-être et des résolutions à répétition et des lois de leur corps législatif.73 La présence croissante des Chinois peut effectivement avoir accru le fardeau des Blancs relatif aux races, comme Sproat le laisse entendre; toutefois, selon la mise en garde de l’agent des Indiens Lomas et des autres, les Chinois ont aussi compromis d’autres façons l’avenir de l’établissement des Blancs : la migration à grande échelle des Chinois a entraîné des rapprochements interraciaux qui ont perturbé les initiatives de l’État visant à apprivoiser et à assimiler « la masse d’Indiens non civilisés ». C’est de ces points dont je veux maintenant traiter. désagrégation des races : La Commission royale sur le trafic des liqueurs (1894) Le temps que le rapport de la Commission royale sur l’immigration chinoise soit publié en 1885, il était formellement établi que les Chinois étaient une population non seulement inférieure aux Blancs, mais aussi distincte et incompatible par rapport aux autres populations raciales. Comme Malcolm Sproat et beaucoup d’autres l’ont soutenu, les Chinois ne pourraient jamais être assimilés avec succès à la société coloniale de la Colombie-Britannique. Non seulement minaient-ils la valeur de la main d’oeuvre blanche, mais comme les témoins s’étant présentés devant la Commission royale sur l’immigration chinoise (1885) l’avaient allégué, ils affichaient d’autres « défauts raciaux », notamment un mépris de la vérité et une propension à commettre des actes criminels. 74 Dans les années 1890, c’étaient précisément ces appréhensions au sujet de la putative immoralité et des influences dangereuses des Chinois qui avaient suscité les inquiétudes les plus pressantes auprès des autorités coloniales. Cette menace touchait l’établissement des Blancs et beaucoup plus : si les migrants chinois continuaient de pénétrer dans le pays, 184 | Renisa Mawani

comme les agents des Indiens et les forces de l’ordre le déclaraient, leur présence ne ferait pas que corrompre les Blancs, mais pourrait possiblement anéantir les Autochtones. Selon la mise en garde dans le rapport annuel de l’agent Lomas, les travailleurs chinois comme les commerçants chinois étaient directement impliqués dans l’approvisionnement de substances intoxicantes aux Indiens, une situation qui attaquait le fondement même de l’autorité coloniale. La crainte que des Chinois approvisionnent les Indiens en boissons alcoolisées s’est généralisée pendant la fin du dix-neuvième siècle. Bien que les agents des Indiens et les agents de police aient répandu ces appréhensions et aient communiqué ensemble à ce sujet au moyen de notes de service, de lettres, et de poursuites, c’est dans le cadre de la Commission royale sur le trafic des liqueurs (1894) qu’ils ont déclaré formellement leur sentiment général. À l’opposé de la Commission royale sur l’immigration chinoise (1885) dont le mandat était d’enquêter sur les effets de l’immigration chinoise, une question litigieuse mais non complètement divisive, cette commission a été confrontée à la difficulté de se prononcer sur la question délicate de la prohibition, un dossier tellement sensible, controversé; même le gouvernement fédéral s’était soustrait depuis longtemps à cette obligation. Rapidement, la Commission royale a été établie en 1891 pour évaluer la faisabilité d’une prohibition nationale à un moment où cette question était farouchemnent contestée. Présidée par Sir Joseph Hickson, la Commission a eu de nombreux mandats : déterminer l’ampleur du trafic des liqueurs fortes au Canada, décider de l’application de la Loi de tempérance du Canada et évaluer si une politique nationale de tempérance était souhaitable, voire même réalisable. Quoique la Commission ait déclaré dès sa mise sur pied que son intention n’était pas d’évaluer les aspects moraux de la consommation de liqueurs fortes, mais d’enquêter sur les intérêts sociaux et commerciaux entourant la production sous licence et l’application de la loi, il reste que son rapport a suscité et renforcé un ordre moral important où les vérités raciales ont été cruciales. Comme dans le cas de la Commission royale sur l’immigration chinoise (1885), les chiffres sont un élément fondamental dans la production de connaissances relatives aux races. Non seulement les chiffres ont-ils forgé des données factuelles ou informations probantes pour la Commission qui ont alimenté les vérités sur la race, mais les données statistiques ont été utilisées pour démontrer un lien causal entre la race et le crime, même dans le cas où ces allégations ne pouvaient pas être numériquement appuyées. Dans la section de la Colombie-Britannique, les tableaux race-crime évoqués par les commissaires et les témoins comme un moyen de bien souligner les dangers de l’immigration chinoise, Henry William Sheppard, le chef de la police de la ville de Victoria, a présenté deux tableaux numériques à la Commission tirés du rapport annuel de sa division pour 1891. Ces tableaux, dont l’un résumait les causes criminelles devant le juge de paix de Victoria et l’autre des condamnations documentées (se reporter aux tableaux II et III ci-après), ont paru dans les annexes de la Commission royale, et ils ont servi de points de référence importants dans le témoignage des participants. Au lieu de faire ressortir d’autres caractéristiques pertinentes (comme le sexe et l’âge par exemple), ces tableaux ont Cultiver le Canada | 185

comme les agents <strong>de</strong>s Indiens et les forces <strong>de</strong> l’ordre le déclaraient, leur présence<br />

ne ferait pas que corrompre les Blancs, mais pourrait possiblement anéantir les<br />

Autochtones. Selon la mise en gar<strong>de</strong> dans le rapport annuel <strong>de</strong> l’agent Lomas, les<br />

travailleurs chinois comme les commerçants chinois étaient directement impliqués<br />

dans l’approvisionnement <strong>de</strong> substances intoxicantes aux Indiens, une situation qui<br />

attaquait le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’autorité coloniale.<br />

La crainte que <strong>de</strong>s Chinois approvisionnent les Indiens en boissons alcoolisées s’est<br />

généralisée pendant la fin du dix-neuvième siècle. Bien que les agents <strong>de</strong>s Indiens et<br />

les agents <strong>de</strong> police aient répandu ces appréhensions et aient communiqué ensemble<br />

à ce sujet au moyen <strong>de</strong> notes <strong>de</strong> service, <strong>de</strong> lettres, et <strong>de</strong> poursuites, c’est dans le cadre<br />

<strong>de</strong> la Commission royale sur le trafic <strong>de</strong>s liqueurs (1894) qu’ils ont déclaré formellement<br />

leur sentiment général. À l’opposé <strong>de</strong> la Commission royale sur l’immigration chinoise<br />

(1885) dont le mandat était d’enquêter sur les effets <strong>de</strong> l’immigration chinoise,<br />

une question litigieuse mais non complètement divisive, cette commission a été<br />

confrontée à la difficulté <strong>de</strong> se prononcer sur la question délicate <strong>de</strong> la prohibition,<br />

un dossier tellement sensible, controversé; même le gouvernement fédéral s’était<br />

soustrait <strong>de</strong>puis longtemps à cette obligation. Rapi<strong>de</strong>ment, la Commission royale a<br />

été établie en 1891 pour évaluer la faisabilité d’une prohibition nationale à un moment<br />

où cette question était farouchemnent contestée. Présidée par Sir Joseph Hickson, la<br />

Commission a eu <strong>de</strong> nombreux mandats : déterminer l’ampleur du trafic <strong>de</strong>s liqueurs<br />

fortes au Canada, déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l’application <strong>de</strong> la Loi <strong>de</strong> tempérance du Canada et<br />

évaluer si une politique nationale <strong>de</strong> tempérance était souhaitable, voire même<br />

réalisable. Quoique la Commission ait déclaré dès sa mise sur pied que son intention<br />

n’était pas d’évaluer les aspects moraux <strong>de</strong> la consommation <strong>de</strong> liqueurs fortes, mais<br />

d’enquêter sur les intérêts sociaux et commerciaux entourant la production sous<br />

licence et l’application <strong>de</strong> la loi, il reste que son rapport a suscité et renforcé un ordre<br />

moral important où les vérités raciales ont été cruciales.<br />

Comme dans le cas <strong>de</strong> la Commission royale sur l’immigration chinoise (1885),<br />

les chiffres sont un élément fondamental dans la production <strong>de</strong> connaissances<br />

relatives aux races. Non seulement les chiffres ont-ils forgé <strong>de</strong>s données factuelles<br />

ou informations probantes pour la Commission qui ont alimenté les vérités sur la<br />

race, mais les données statistiques ont été utilisées pour démontrer un lien causal<br />

entre la race et le crime, même dans le cas où ces allégations ne pouvaient pas<br />

être numériquement appuyées. Dans la section <strong>de</strong> la Colombie-Britannique, les<br />

tableaux race-crime évoqués par les commissaires et les témoins comme un moyen<br />

<strong>de</strong> bien souligner les dangers <strong>de</strong> l’immigration chinoise, Henry William Sheppard,<br />

le chef <strong>de</strong> la police <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Victoria, a présenté <strong>de</strong>ux tableaux numériques à<br />

la Commission tirés du rapport annuel <strong>de</strong> sa division pour 1891. Ces tableaux, dont<br />

l’un résumait les causes criminelles <strong>de</strong>vant le juge <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> Victoria et l’autre <strong>de</strong>s<br />

condamnations documentées (se reporter aux tableaux II et III ci-après), ont paru<br />

dans les annexes <strong>de</strong> la Commission royale, et ils ont servi <strong>de</strong> points <strong>de</strong> référence<br />

importants dans le témoignage <strong>de</strong>s participants. Au lieu <strong>de</strong> faire ressortir d’autres<br />

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