Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

voulais), hors de l’université; c’était la prestation d’un cours d’anglais transférée pour la première année à Old Sun dans la Nation Siksika. Situé à 100 kilomètres à l’est du transport coopératif de l’université où je prenais une voiture chaque semaine, Old Sun était cet endroit où j’ai mis pour la première fois les pieds, là où autrefois il y avait un pensionnat. C’était étrange comme expérience; le professeur d’anglais faisait la navette du campus universitaire (où, assez ironiquement, des étudiants de Siksika devaient se rendre une fois par semaine pour apprendre le Pieds-Noirs vu que c’était le seul endroit de prestation de cours où on donnait un crédit universitaire à Calgary) pour traiter de la façon d’apprendre la littérature en analysant un petit nombre de romans et de nouvelles écrits au cours des siècles passés. Je me rappelle bien nettement qu’un jour je suis allé chercher mes manuels dans un bureau partagé avec un autre professeur; il était fermé à clef, et c’est ainsi que je me suis tout à coup vu être réprimandé sévèrement par un autre professeur, un Blanc d’âge moyen, pour avoir essayé d’entrer dans « son » bureau. Je me suis excusé, croyant que peut-être le bureau n’était pas un espace commun, mais celuici continuait à me lancer un regard furieux pour essayer d’en obtenir l’accès. Ce n’est que plus tard dans la journée qu’il est passé devant ma classe, m’a vu mener les débats et est venu vers moi à la fin du cours pour se confondre en excuses : « Je suis désolé : je croyais que vous étiez un étudiant ». Ces mots m’ont laissé perplexe pendant un certain temps — du fait que j’étais un étudiant j’avais droit à des reproches, alors que, comme collègue, membre du corps professoral, j’avais plutôt droit à des excuses. Encore là c’était une erreur d’identification, comme souvent des étudiants et des professeurs me prenaient pour un type différent d’Indien, ce qui ravivait ma curiosité de savoir ce que cela signifiait de faire partie de l’endroit, non quelqu’un venu d’ailleurs, et d’avoir les droits et les privilèges qui en découlent. Des années plus tard, dans une étape différente de mon parcours, je me suis retrouvé dans le domaine des arts visuels et de la littérature, exerçant un rôle éducatif et aussi organisationnel; dans ce cadre, je me suis interrogé sur l’établissement (ou non) de liens et la conception (ou non) de rapports entre le multiculturalisme officiel et les politiques touchant les Autochtones comme le gouvernement et la population générale les perçoivent. À cette époque exaltante des politiques sur l’identité, particulièrement dans le domaine des arts où le grand défi portait sur l’expression et la visibilité, il semblait qu’il y avait ce type de barrières. Je me rappelle d’avoir même ressorti de mon enfance les termes impropres alors que j’enseignais un cours de littérature internationale à Alberta College of Art and Design et que j’explorais le contenu de romans de l’Asie du Sud et de la littérature des Premières nations dans ce cours sur les Indiens indiens. Or, les difficultés ont commencé à se faire sentir au moment où Minquon Panchayat s’est rassemblé en 1992 pour contester l’autocratie des Blancs relativement à la place prédominante de ceux-ci dans le paysage artistique et la gestion par les artistes au Canada; le nom même de l’association et les adhérents comprenant un mélange d’immigrants et d’Autochtones, racialisés et radicalisés in extremis, a constitué un exercice à la fois axé sur les alliances et sur des contestations à l’intérieur du groupe. 6 | Ashok Mathur

Tout cela, un terrain fertile (quoique parfois donnant l’impression d’être vain) qui a incité à approfondir encore plus la matrice complexe permettant de s’accepter dans la diversité, de prendre un essor, dans un pays où des histoires sont élidées, restées ignorées ou trop soulignées, en fonction de l’humeur du jour, suivant les tergiversations de ceux qui gardent le pouvoir. Quand la Fondation autochtone de guérison m’a abordé pour me confier la direction de l’édition de ce troisième tome, dernier de la série, portant sur la complexité de la réconciliation au Canada, on m’a demandé de mettre au point une anthologie qui viserait à rassembler des voix (auteurs) non autochtones permettant d’élargir en quelque sorte l’horizon du discours actuel sur la question qui, jusqu’à maintenant, a centré surtout l’attention sur la relation binaire colonisés-colonisateurs, pionniers blancs et populations autochtones. Le principal intérêt, m’a-t-il semblé, était d’obtenir l’apport de textes provenant de divers centres de participation — les immigrants, les racialisés, les « nouveaux » Canadiens et d’autres populations minorisées — dont les histoires ont été jusqu’à maintenant exclues, soit n’ont-elles jamais été relatées, ou sont-elles passées généralement inaperçues. Comment des populations de cette nature sont-elles touchées par les subtilités de la réconciliation comme concept, non seulement celles des histoires autochtones, mais aussi des diverses trajectoires qui ont déterminé la configuration et le regroupement hétérogène actuel des habitants de ce pays? La déclaration du bilinguisme officiel, de la mosaïque multiculturelle et celle généralement énoncée sur les attributs de politesse et de compassion de la collectivité nationale surdétermine trop souvent ce que cela signifie d’être un citoyen canadien. Toutefois, notre entité et notre vie sont aussi empreintes d’invisibles (ou d’invisibilisés) témoignages qui circulent tout autour et au-dedans de nous, nous interpellant même à travers le prisme de la non-reconnaissance, ce qui nous impose l’obligation morale de résister à la quiétude, par ailleurs encouragée par des parlementaires de démocraties passives, et de réagir et de riposter en tant qu’agents dynamiques à l’esprit créateur et critique. Ce n’est pas une solution de facilité compte tenu de la conjoncture actuelle qui favorise des voies de moindre résistance, plutôt que de privilégier des analyses provocantes, dérangeantes, qui détruisent, sinon déracinent les histoires. En deux mots, notre code actuel pour la réussite préconise de laisser le passé derrière nous, d’avoir des oeillères en manoeuvrant le passage vers l’avenir, non encombrés par des réalités inopportunes qui, si on leur prêtait attention, pourraient nous déconcerter et nous faire diverger de la destinée qu’on s’est tracée. La question qu’il faut alors se poser, c’est comment peut-on éventuellement se réaliser si nous refusons les fantômes du passé, préférant les narrations officielles de l’histoire qui la veulent représentative d’une unité, une singularité, ce qui donne une fausse idée des réalités fragmentaires et discordantes qui peuvent être beaucoup plus rigoureuses, autant qu’elles peuvent être contradictoires et agressives ou amères? Peut-être s’agit-il d’une question de pure forme et sans réponse, mais il semble que le fait d’investiger ce processus est certainement le seul moyen de commencer à mieux comprendre le vecteur du passé. Cultiver le Canada | 7

Tout cela, un terrain fertile (quoique parfois donnant l’impression d’être vain) qui<br />

a incité à approfondir encore plus la matrice complexe permettant <strong>de</strong> s’accepter<br />

dans la diversité, <strong>de</strong> prendre un essor, dans un pays où <strong>de</strong>s histoires sont élidées,<br />

restées ignorées ou trop soulignées, en fonction <strong>de</strong> l’humeur du jour, suivant les<br />

tergiversations <strong>de</strong> ceux qui gar<strong>de</strong>nt le pouvoir.<br />

Quand la <strong>Fondation</strong> <strong>autochtone</strong> <strong>de</strong> <strong>guérison</strong> m’a abordé pour me confier la<br />

direction <strong>de</strong> l’édition <strong>de</strong> ce troisième tome, <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> la série, portant sur la<br />

complexité <strong>de</strong> la réconciliation au Canada, on m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> mettre au point<br />

une anthologie qui viserait à rassembler <strong>de</strong>s voix (auteurs) non <strong>autochtone</strong>s<br />

permettant d’élargir en quelque sorte l’horizon du discours actuel sur la<br />

question qui, jusqu’à maintenant, a centré surtout l’attention sur la relation<br />

binaire colonisés-colonisateurs, pionniers blancs et populations <strong>autochtone</strong>s. Le<br />

principal intérêt, m’a-t-il semblé, était d’obtenir l’apport <strong>de</strong> textes provenant <strong>de</strong><br />

divers centres <strong>de</strong> participation — les immigrants, les racialisés, les « nouveaux »<br />

Canadiens et d’autres populations minorisées — dont les histoires ont été jusqu’à<br />

maintenant exclues, soit n’ont-elles jamais été relatées, ou sont-elles passées<br />

généralement inaperçues. Comment <strong>de</strong>s populations <strong>de</strong> cette nature sont-elles<br />

touchées par les subtilités <strong>de</strong> la réconciliation comme concept, non seulement<br />

celles <strong>de</strong>s histoires <strong>autochtone</strong>s, mais aussi <strong>de</strong>s diverses trajectoires qui ont<br />

déterminé la configuration et le regroupement hétérogène actuel <strong>de</strong>s habitants<br />

<strong>de</strong> ce pays? La déclaration du bilinguisme officiel, <strong>de</strong> la mosaïque multiculturelle<br />

et celle généralement énoncée sur les attributs <strong>de</strong> politesse et <strong>de</strong> compassion <strong>de</strong><br />

la collectivité nationale surdétermine trop souvent ce que cela signifie d’être<br />

un citoyen canadien. Toutefois, notre entité et notre vie sont aussi empreintes<br />

d’invisibles (ou d’invisibilisés) témoignages qui circulent tout autour et au-<strong>de</strong>dans<br />

<strong>de</strong> nous, nous interpellant même à travers le prisme <strong>de</strong> la non-reconnaissance,<br />

ce qui nous impose l’obligation morale <strong>de</strong> résister à la quiétu<strong>de</strong>, par ailleurs<br />

encouragée par <strong>de</strong>s parlementaires <strong>de</strong> démocraties passives, et <strong>de</strong> réagir et <strong>de</strong><br />

riposter en tant qu’agents dynamiques à l’esprit créateur et critique. Ce n’est pas<br />

une solution <strong>de</strong> facilité compte tenu <strong>de</strong> la conjoncture actuelle qui favorise <strong>de</strong>s<br />

voies <strong>de</strong> moindre résistance, plutôt que <strong>de</strong> privilégier <strong>de</strong>s analyses provocantes,<br />

dérangeantes, qui détruisent, sinon déracinent les histoires. En <strong>de</strong>ux mots, notre<br />

co<strong>de</strong> actuel pour la réussite préconise <strong>de</strong> laisser le passé <strong>de</strong>rrière nous, d’avoir <strong>de</strong>s<br />

oeillères en manoeuvrant le passage vers l’avenir, non encombrés par <strong>de</strong>s réalités<br />

inopportunes qui, si on leur prêtait attention, pourraient nous déconcerter et<br />

nous faire diverger <strong>de</strong> la <strong>de</strong>stinée qu’on s’est tracée. La question qu’il faut alors<br />

se poser, c’est comment peut-on éventuellement se réaliser si nous refusons les<br />

fantômes du passé, préférant les narrations officielles <strong>de</strong> l’histoire qui la veulent<br />

représentative d’une unité, une singularité, ce qui donne une fausse idée <strong>de</strong>s<br />

réalités fragmentaires et discordantes qui peuvent être beaucoup plus rigoureuses,<br />

autant qu’elles peuvent être contradictoires et agressives ou amères? Peut-être<br />

s’agit-il d’une question <strong>de</strong> pure forme et sans réponse, mais il semble que le fait<br />

d’investiger ce processus est certainement le seul moyen <strong>de</strong> commencer à mieux<br />

comprendre le vecteur du passé.<br />

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