Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

En dépit des nombreuses critiques à l’égard de son optique eurocentrique, Michel Foucault et ses éclairages purement spéculatifs sur les racismes étatiques nous dote d’outils conceptuels importants permettant de repenser la rencontre coloniale et ses régimes fondés sur la vérité raciale. Les interprétations du colonialisme de M. Foucault ont certainement permis d’accroître notre connaissance/compréhension de la biopolitique et de ses nouvelles généalogies; cependant, il y a encore des lacunes conceptuelles entourant les questions de racisme étatique (institutionnel) ou plus précisément des racismes étatiques. 26 Même si les observations de Foucault sur [traduction] « les races de la race humaine, la distinction parmi les races, la hiérarchie des races », laissant supposer une hétérogénéité fondamentale, son analyse, comme il la présente, contribue peu à l’approfondissement de nos évaluations du colonialisme et de sa diversité, ainsi que de ses fondements épistémologiques contradictoires. 27 En fait, ces colonies étaient des lieux précis, là où une épistémé raciale était cultivée, mais ces différences raciales n’ont jamais été établies en regard seulement des caractères propres aux Européens. Comme nous en traitons dans les sections suivantes, les administrateurs coloniaux ont établi de nombreuses distinctions entre les populations de race blanche et les populations nonblanches. C’était précisément par la voie de ces nombreuses comparaisons qu’ils ont déterminé une hiérarchie des races, du type qui comporte de gros enjeux politiques. C’est certain que la rencontre coloniale n’a pas suscité un seul racisme étatique, homogène ou statique visant uniformément et directement tous les colonisés, mais elle a plutôt généré toute une chaîne de racismes étatiques ou institutionnalisés qui a fait la distinction entre les populations par le canal d’un répertoire dynamique de différences internes et externes. 28 En Colombie-Britannique, les caractéristiques phénotypiques, morales et culturelles attribuées en fonction de l’«indienéité ou indigénisation » et des « spécificités chinoises » ont permis aux agents des Indiens et aux missionnaires d’établir des spécificités pour ces populations et de déterminer leur place au sein du régime colonial. Les logiques relatives à la race que les fonctionnaires coloniaux ont répandues à travers toute la côte ouest du Canada ont fracturé le fossé colonisés/colonisateurs de façon importante. À partir du dix-neuvième siècle, les administrateurs se sont servis de différentes modalités de connaissances juridiques, notamment des statistiques criminelles, des causes judiciaires, ainsi que des commissions d’enquête, pour démarquer les Européens, pour creuser le fossé non seulement entre eux et les Indiens, mais aussi le fossé avec les Chinois. Dans leurs efforts pour recueillir/ compiler des données et constituer par exemple des archives, des juges, des policiers et des bureaucrates de la localité ont généré une hiérarchie raciale qui a rendu les « Blancs », les « Indiens », les « Chinois », les « Sang-Mêlés », et les « Noirs » des espèces séparées ou isolées et immuables dont les différences n’étaient pas uniquement d’origine biologique et indéracinables, mais également des espèces physiquement, moralement et affectivement incompatibles. Par conséquent, pour l’agent W.H. Lomas, l’« Indien » avait peu de volonté et il était enclin à l’ivrognerie alors que le « Chinois » avait une prédisposition raciale à corrompre les Autochtones vulnérables en leur vendant des boissons alcoolisées. 29 Classer la population en races était en 174 | Renisa Mawani

partie une affaire de risque calculé : laquelle de ces collectivités pouvait renforcer la société émergente de la Colombie-Britannique et laquelle pouvait constituer une entrave à son développement. Alors que les missionnaires et les agents des Indiens sur la côte ouest de la Colombie-Britannique percevaient l’avenir des Autochtones avec optimisme, que bon nombre d’entre eux pouvaient s’améliorer et même possiblement s’assimiler, ils voyaient par contre que les Chinois avaient des valeurs antithétiques aux valeurs occidentales et représentaient un danger pour les Blancs et les Indiens. Contrairement aux Autochtones, beaucoup étaient convaincus que les Chinois étaient une population qui ne pouvait pas facilement (ou ne pourrait jamais) s’assimiler à la société de la Colombie-Britannique. 30 À partir du dix-neuvième siècle, les distinctions raciales entre les Autochtones et les Européens ont été institutionnalisées systématiquement dans les pratiques juridiques. Comme John Comaroff le décrit, « cette offensive juridique » était cruciale pour l’empire — considérée comme une mesure coercitive du pouvoir colonial, des mesures anti-insurrectionnelles et un locus de production des connaissances. 31 Sans aborder directement les questions de colonialisme, Ian Haney-Lopez a fait référence à des cas de naturalisation américaine pour montrer comment les juges avaient puisé dans des bagages de connaissances scientifiques et de sens commun pour faire des distinctions juridiques entre les Blancs, les « Nègres » et des populations de migrants ne pouvant pas s’insérer facilement dans le paradigme Noirs/Blancs. 32 Ce que Haney- Lopez a démontré, c’est que, dans le passé, on n’a pas seulement eu recours à la loi pour produire des connaissances raciales, mais ces notions de vérités juridiques ont été suivies de conséquences importantes, graves, en redéfinissant qui avait accès aux privilèges, à la propriété, et finalement, à la citoyenneté et cela en fonction de la race. Plus important encore, les connaissances juridiques n’ont pas été produites dans la seule salle d’audience. 33 Les commissions d’enquête ont aussi été des lieux d’offensive juridique où des vérités liées à la différence raciale ont été nouvellement établies, débattues et dans certains cas, légiférées. 34 En effet, dès le dix-neuvième siècle, les Commissions royales, en tant que des enquêtes sur des problèmes sociaux spécifiques, ont fait partie intégrante de la production et de l’accumulation de connaissances juridiques, tant dans la zone urbaine et administrative et les établissements des colonies. 35 Au Canada, les commissions ont habilité les gouvernements impérial, fédéral et, dans bien des cas, les gouvernements provinciaux à générer de l’information qui leur fournirait non seulement des « faits » documentés ayant trait à des questions particulières, des questions urgentes sur le plan social et des questions morales, mais aussi qui formerait par la suite le fondement de plus amples enquêtes, de politique sociale et de législation. Toutefois, ces rouages producteurs de connaissances ont fait aussi partie de l’établissement de vérités raciales juridiques. Les commissions gouvernementales, comme celle dont John Comaroff nous parle et portant sur l’Afrique du Sud coloniale, n’avaient pas pour mission d’étayer la réalité ou de collecter des informations sur la réalité, mais elles étaient plutôt dans la pratique de la créer. Les commissions d’enquête ont généré des connaissances d’ethnologie sur les populations raciales qu’elles ont étudiées, Cultiver le Canada | 175

partie une affaire <strong>de</strong> risque calculé : laquelle <strong>de</strong> ces collectivités pouvait renforcer la<br />

société émergente <strong>de</strong> la Colombie-Britannique et laquelle pouvait constituer une<br />

entrave à son développement. Alors que les missionnaires et les agents <strong>de</strong>s Indiens<br />

sur la côte ouest <strong>de</strong> la Colombie-Britannique percevaient l’avenir <strong>de</strong>s Autochtones<br />

avec optimisme, que bon nombre d’entre eux pouvaient s’améliorer et même<br />

possiblement s’assimiler, ils voyaient par contre que les Chinois avaient <strong>de</strong>s valeurs<br />

antithétiques aux valeurs occi<strong>de</strong>ntales et représentaient un danger pour les Blancs<br />

et les Indiens. Contrairement aux Autochtones, beaucoup étaient convaincus que les<br />

Chinois étaient une population qui ne pouvait pas facilement (ou ne pourrait jamais)<br />

s’assimiler à la société <strong>de</strong> la Colombie-Britannique. 30<br />

À partir du dix-neuvième siècle, les distinctions raciales entre les Autochtones et<br />

les Européens ont été institutionnalisées systématiquement dans les pratiques<br />

juridiques. Comme John Comaroff le décrit, « cette offensive juridique » était cruciale<br />

pour l’empire — considérée comme une mesure coercitive du pouvoir colonial, <strong>de</strong>s<br />

mesures anti-insurrectionnelles et un locus <strong>de</strong> production <strong>de</strong>s connaissances. 31 Sans<br />

abor<strong>de</strong>r directement les questions <strong>de</strong> colonialisme, Ian Haney-Lopez a fait référence<br />

à <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> naturalisation américaine pour montrer comment les juges avaient puisé<br />

dans <strong>de</strong>s bagages <strong>de</strong> connaissances scientifiques et <strong>de</strong> sens commun pour faire <strong>de</strong>s<br />

distinctions juridiques entre les Blancs, les « Nègres » et <strong>de</strong>s populations <strong>de</strong> migrants<br />

ne pouvant pas s’insérer facilement dans le paradigme Noirs/Blancs. 32 Ce que Haney-<br />

Lopez a démontré, c’est que, dans le passé, on n’a pas seulement eu recours à la loi<br />

pour produire <strong>de</strong>s connaissances raciales, mais ces notions <strong>de</strong> vérités juridiques ont<br />

été suivies <strong>de</strong> conséquences importantes, graves, en redéfinissant qui avait accès aux<br />

privilèges, à la propriété, et finalement, à la citoyenneté et cela en fonction <strong>de</strong> la race.<br />

Plus important encore, les connaissances juridiques n’ont pas été produites dans<br />

la seule salle d’audience. 33 Les commissions d’enquête ont aussi été <strong>de</strong>s lieux<br />

d’offensive juridique où <strong>de</strong>s vérités liées à la différence raciale ont été nouvellement<br />

établies, débattues et dans certains cas, légiférées. 34 En effet, dès le dix-neuvième<br />

siècle, les Commissions royales, en tant que <strong>de</strong>s enquêtes sur <strong>de</strong>s problèmes<br />

sociaux spécifiques, ont fait partie intégrante <strong>de</strong> la production et <strong>de</strong> l’accumulation<br />

<strong>de</strong> connaissances juridiques, tant dans la zone urbaine et administrative et<br />

les établissements <strong>de</strong>s colonies. 35 Au Canada, les commissions ont habilité<br />

les gouvernements impérial, fédéral et, dans bien <strong>de</strong>s cas, les gouvernements<br />

provinciaux à générer <strong>de</strong> l’information qui leur fournirait non seulement <strong>de</strong>s « faits »<br />

documentés ayant trait à <strong>de</strong>s questions particulières, <strong>de</strong>s questions urgentes sur<br />

le plan social et <strong>de</strong>s questions morales, mais aussi qui formerait par la suite le<br />

fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> plus amples enquêtes, <strong>de</strong> politique sociale et <strong>de</strong> législation. Toutefois,<br />

ces rouages producteurs <strong>de</strong> connaissances ont fait aussi partie <strong>de</strong> l’établissement <strong>de</strong><br />

vérités raciales juridiques. Les commissions gouvernementales, comme celle dont<br />

John Comaroff nous parle et portant sur l’Afrique du Sud coloniale, n’avaient pas pour<br />

mission d’étayer la réalité ou <strong>de</strong> collecter <strong>de</strong>s informations sur la réalité, mais elles<br />

étaient plutôt dans la pratique <strong>de</strong> la créer. Les commissions d’enquête ont généré<br />

<strong>de</strong>s connaissances d’ethnologie sur les populations raciales qu’elles ont étudiées,<br />

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