Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

photographiées qui, en général, ont une relation très étroite avec la terre, la cultivent et y vivent? MMS: Comme Canadienne de première génération, j’ai observé directement les effets, complexités et sacrifices de l’immigration? Je crois que c’est de là que me vient l’inspiration du thème de mon travail. Je ne peux parler au nom des sujets avec qui j’ai travaillé. Toutefois, je les ai entendu dire à maintes reprises comment le fait de passer huit mois de l’année au Canada et quatre mois dans un autre pays suscitait chez eux une très grande dualité en ce qui a trait aux notions de « patrie/pays d’origine », « chez-soi/domicile » et « famille ». Qu’est-ce qui se passe quand une grande partie de sa vie se déroule avec des compagnons de travail sur une terre étrangère au lieu d’être avec son époux ou son épouse et ses enfants? Ce que j’ai entendu souvent était des termes comme « mon second chez-moi », « ma deuxième famille ». Également de nombreux hommes ont dit avoir sacrifié leur relation avec leurs enfants afin que ceux-ci puissent se faire instruire. Il n’y a pas un seul des travailleurs rencontrés qui était au Canada parce qu’il se sentait rattaché à ce pays. Leur rapport au pays est d’abord et avant tout économique. S’ils gagnaient suffisamment chez-eux pour subvenir aux besoins de leur famille, ils n’auraient pas décidé de venir ici. Je crois que, dans pareil cas, la perspective utopique d’une relation avec le pays commence à s’effriter face à la migration et à l’économie de marché. Ceci dit, je ne peux pas parler pour chaque participant. En toute honnêteté, je pense que j’aurais besoin de passer plus de temps avec eux et que j’aurais besoin de les citer. Le sens général du chez soi, de la famille, du sacrifice, a semblé synonyme du sentiment de non-relation ou de coupure. La suppression de relation ou la coupure avec sa propre patrie, l’absence du sentiment d’appartenance à un port d’attache, la séparation d’avec sa famille, son histoire familiale et ses racines. C’est comme s’ils transcendaient ou sortaient du paysage et aboutissaient directement dans son essence et psyché. Quand je photographiais, j’ai souvent eu l’image en tête d’une peinture de Frida Kahlo The Two Fridas 4 . C’est en fait l’idée qu’il y a une division du soi qui se produit chez chaque participant au moment de notre interaction. Il y avait cette nostalgie de son pays, l’envie soudaine de revoir sa famille. Également, il y avait souvent du stoïcisme, une conviction que c’était la bonne chose à faire pour une plus grande aisance économique. C’était le seul moyen à prendre devant une économie fragile. Selon mon point de vue personnel et photographique, j’ai été intéressée à découvrir si ce sentiment de déplacement et de bouleversement pouvait être représenté ou le faire voir sur film. Je suis fascinée de voir la façon dont le corps garde l’empreinte du vécu et comment le geste ou l’expression peut laisser transparaître les répercussions de l’histoire qu’a vécue une personne. Si quelqu’un apporte l’idée qu’il a un « second chez-soi », je pense à ce sentiment de dualité, cette existence du « ni ici ni là-bas » (ou peut-être « ici et là-bas »), et 134 | Meera Margaret Singh

je me demande si je peux seulement commencer à montrer cela en photo. Je suppose que c’est un défi que je suis encore en train de relever. AM : D’après mon expérience, je sais qu’une caméra peut représenter une distance entre le photographe et le sujet, l’appareil en tant que tel sert d’écran ou de voile qui sépare les deux. Par contre, elle peut aussi agir en tant qu’intermédiaire, une sorte de véhicule ou de média/moyen de communication, qui au lieu d’entraver l’intimité, permet de la renforcer. Pouvez-vous décrire comment votre expérience comme photographe peut susciter l’impression d’un plus grand rapprochement avec votre sujet — essentiellement, de quelle façon pensez-vous que la photographie vous aide à communiquer avec vos sujets et, plus poussé encore, de quelle façon le résultat obtenu vous aide-t-il à communiquer avec le monde? Un addenda à ceci : grâce au projet sur les terres agricoles, qu’est-ce que vous avez appris à propos de ce qu’on désigne communauté, communion et réconciliation? MMS : Mon travail sur Farmland m’a vraiment permis d’explorer cette zone mal définie qui existe entre les domaines de la photographie documentaire et la photographie d’art. Malgré qu’il y ait toujours un désir d’établir des liens et de faire passer un message dans mon travail, ce projet n’était pas seulement à coloration personnelle, mais il renfermait vraiment de nombreuses couches sociales, économiques et culturelles. Même si le cadre conceptuel était bien spécifique, le projet n’a pas commencé, ni ne s’est achevé, avec la représentation exacte. Cette image photographique est devenue presque d’une importance secondaire par rapport à l’écoute de ces expériences vécues. La caméra me donne une liberté d’accès aux collectivités et aux personnes que je n’aurais par ailleurs aucune chance de rencontrer. Elle peut certainement établir une distance, comme vous l’avez évoquée, mais mon expérience a toujours été autre. Je crois que cela réside dans le fait que je mets davantage l’emphase sur le processus plutôt que sur le résultat final. Je suis complètement absorbée par le processus de la prise de vues, c’est réellement là que je retire le plus de satisfactions dans la photographie. La caméra agit souvent comme un laissez-passer à l’arrière-scène de la vie d’une personne. Elle semble détenir en général une sorte de légitimité. Les gens souvent font confiance au photographe s’ils sont placés dans un contexte privé ou personnel. Je veux dire que si un photographe et un sujet se rencontrent directement en face à face, il y a échange complexe qui s’articule autour d’une bonne dose de confiance. Le sujet ne peut pas voir ce que je vois et par conséquent il cède un certain pouvoir quant à la façon dont il est représenté. Cela semble infime ou insignifiant, mais je trouve cela magnanime. Chaque fois que quelqu’un travaille avec moi, j’éprouve une immense gratitude étant donné que je sais que c’est beaucoup plus qu’un moment d’échange, c’est de la confiance non exprimée. Cultiver le Canada | 135

je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si je peux seulement commencer à montrer cela en photo. Je<br />

suppose que c’est un défi que je suis encore en train <strong>de</strong> relever.<br />

AM : D’après mon expérience, je sais qu’une caméra peut représenter une distance<br />

entre le photographe et le sujet, l’appareil en tant que tel sert d’écran ou <strong>de</strong> voile<br />

qui sépare les <strong>de</strong>ux. Par contre, elle peut aussi agir en tant qu’intermédiaire,<br />

une sorte <strong>de</strong> véhicule ou <strong>de</strong> média/moyen <strong>de</strong> communication, qui au lieu<br />

d’entraver l’intimité, permet <strong>de</strong> la renforcer. Pouvez-vous décrire comment votre<br />

expérience comme photographe peut susciter l’impression d’un plus grand<br />

rapprochement avec votre sujet — essentiellement, <strong>de</strong> quelle façon pensez-vous<br />

que la photographie vous ai<strong>de</strong> à communiquer avec vos sujets et, plus poussé<br />

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le mon<strong>de</strong>? Un ad<strong>de</strong>nda à ceci : grâce au projet sur les terres agricoles, qu’est-ce<br />

que vous avez appris à propos <strong>de</strong> ce qu’on désigne communauté, communion et<br />

réconciliation?<br />

MMS : Mon travail sur Farmland m’a vraiment permis d’explorer cette zone mal<br />

définie qui existe entre les domaines <strong>de</strong> la photographie documentaire et la<br />

photographie d’art. Malgré qu’il y ait toujours un désir d’établir <strong>de</strong>s liens et<br />

<strong>de</strong> faire passer un message dans mon travail, ce projet n’était pas seulement<br />

à coloration personnelle, mais il renfermait vraiment <strong>de</strong> nombreuses<br />

couches sociales, économiques et culturelles. Même si le cadre conceptuel<br />

était bien spécifique, le projet n’a pas commencé, ni ne s’est achevé, avec la<br />

représentation exacte. Cette image photographique est <strong>de</strong>venue presque d’une<br />

importance secondaire par rapport à l’écoute <strong>de</strong> ces expériences vécues.<br />

La caméra me donne une liberté d’accès aux collectivités et aux personnes que<br />

je n’aurais par ailleurs aucune chance <strong>de</strong> rencontrer. Elle peut certainement<br />

établir une distance, comme vous l’avez évoquée, mais mon expérience a<br />

toujours été autre. Je crois que cela rési<strong>de</strong> dans le fait que je mets davantage<br />

l’emphase sur le processus plutôt que sur le résultat final. Je suis complètement<br />

absorbée par le processus <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> vues, c’est réellement là que je retire<br />

le plus <strong>de</strong> satisfactions dans la photographie. La caméra agit souvent comme<br />

un laissez-passer à l’arrière-scène <strong>de</strong> la vie d’une personne. Elle semble<br />

détenir en général une sorte <strong>de</strong> légitimité. Les gens souvent font confiance<br />

au photographe s’ils sont placés dans un contexte privé ou personnel. Je veux<br />

dire que si un photographe et un sujet se rencontrent directement en face<br />

à face, il y a échange complexe qui s’articule autour d’une bonne dose <strong>de</strong><br />

confiance. Le sujet ne peut pas voir ce que je vois et par conséquent il cè<strong>de</strong><br />

un certain pouvoir quant à la façon dont il est représenté. Cela semble infime<br />

ou insignifiant, mais je trouve cela magnanime. Chaque fois que quelqu’un<br />

travaille avec moi, j’éprouve une immense gratitu<strong>de</strong> étant donné que je sais<br />

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exprimée.<br />

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