Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

au Canada, une ségrégation prescrite par la loi, et en fonction du territoire, en Ontario et en Nouvelle-Écosse, deux provinces ayant depuis longtemps des populations historiques de descendants africains. Je considère ces endroits et leur anciennes écoles encore existantes comme des lieux de mémoire; il y a des générations d’histoires ignorées gravées dans ces sites géographiques et dans la mémoire des étudiants, des enseignants, des parents et des administrateurs qui ont vécu dans ces milieux scolaires. Les écoles ségrégées ont été le triste héritage tangible de l’esclavage des Noirs et des attitudes racistes conscientes et inconscientes de la société qui se sont entrelacés à cet odieux régime. Des traces subsistent dans notre langue : un négrier, travailler comme un esclave et dresser/discipliner sont des phrases communes proférées sans vraiment penser à leur origine ou à ce qu’elles pourraient susciter chez une personne de descendance africaine qui les entend. Le territoire des communautés noires au Canada, et plus particulièrement en Ontario et en Nouvelle-Écosse, porte les stigmates de l’attitude résiduelle fondée sur la race et la politique envers les Africains qui ont commencé à se manifester pendant l’esclavage et la colonisation. Considérés comme des citoyens de seconde zone ou de classe inférieure (le terme citoyen étant employé ici en pesant bien les mots étant donné qu’ils ne jouissaient pas des avantages et des droits comme les autres Canadiens), on leur a alloué un territoire en conséquence. Malgré tout, dès les débuts de leur établissement, les Africains ont instauré leurs propres institutions, dont deux ayant une importance primordiale, des églises et des écoles. Devant le refus à l’accessibilité de l’école publique ou commune, ils ont établi la leur, parallèlement à leur lutte pour le droit d’envoyer leurs enfants à l’école publique. Elise Harding–Davis peut retracer sept générations de son histoire familiale à partir de 1798, l’année où ses ancêtres ont traversé la rivière de Détroit pour venir au Canada commencer une vie nouvelle. Elle explique qu’ils n’avaient rien, [traduction] « Et alors souvent nous construisions d’abord une église. Et nous nous en servions comme école, un centre communautaire. L’éducation était le volet le plus important de la vie des communautés noires. » 21 Corrine Sparks, juge en Nouvelle-Écosse, qui a fréquenté une école ségrégée, souligne cette même connexion ou ce rapport essentiel entre l’école et l’église pour les premiers immigrants noirs en Nouvelle-Écosse : [traduction] L’éducation et la religion dans un contexte afro-néo-écossais sont étroitement liées. La vie familiale tourne autour de l’Église. En règle générale, les gens les plus instruits de la communauté seraient les diacres et, bien sûr, il y aurait un ministre qui est vraiment le chef de la communauté. Ainsi une grande partie des fondements éducatifs résultaient du cadre organisationnel de l’Église de la communauté noire.22 Le lien entre l’église et l’école n’était pas seulement philosophique, il était aussi géographique; les écoles partagent le même terrain et elles sont construites à côté des églises. Dans ma localité d’origine, Beechville près de Halifax, une école de deux pièces a été construite sur un terrain avoisinant attribué par les aînés de l’Église baptiste africaine. 102 | Sylvia D. Hamilton

La volonté des parents noirs de faire instruire leurs enfants était manifeste, ainsi qu’il ressort des innombrables pétitions qu’ils ont déposées auprès des gouvernements pour que leurs enfants fréquentent les écoles communes, et quand l’accès leur a été refusé, pour que des fonds soient alloués à la construction de leurs propres écoles. En 1820, les parents de la communauté de réfugiés noirs de Preston, Nouvelle-Écosse, ont adressé une pétition aux autorités pour obtenir de l’aide financière permettant de rémunérer un enseignant. Vingt-cinq ans plus tard, en 1845, dix-huit familles à Windsor, Nouvelle-Écosse, ont insisté auprès des autorités provinciales pour qu’on les aide à bâtir une école pour leurs enfants.23 Lieu de mémoire : The Little Black School House À la fin des années 1980, alors que la question raciale déclenchait des hostilités aux écoles néo-écossaises et que ces événements faisaient la manchette des nouvelles nationales, très peu de téléspectateurs étaient au courant de l’origine profonde de cette histoire. Parmi les membres des médias rapportant ces incidents, voire même parmi le personnel enseignant et administratif des écoles impliquées, un très petit nombre connaissait l’histoire et le parcours des parents et des grands-parents des élèves noirs engagés dans ce chambardement. Peu était bien renseigné sur les batailles de vieille date contre les pratiques racistes du système éducatif, ni leurs origines. En septembre 1990, un groupe de professeurs retraités ayant enseigné dans des écoles ségrégées de la Nouvelle-Écosse a organisé une rencontre pendant une fin de semaine; ces enseignants ont alors participé à toute une série d’activités, notamment une visite en autobus des endroits où se trouvaient d’anciennes écoles de Halifax County. Les séquences que j’ai filmées pendant cet événement mémorable ont été détruites dans un incendie important à l’Office national du film à Halifax. Ces histoires remémorées, ces endroits visités, ainsi que la promesse de ne pas oublier, tout cela est resté gravé en moi pour toujours. Après l’incendie, j’ai terminé un court-métrage intitulé Speak It! From the Heart of Black Nova Scotia, traitant de la jeunesse noire, de la race, de l’identité et de l’habilitation. 24 Toutefois, cette importante histoire appuyée par des témoignages, des récits de faits vécus — amorcée grâce à cette réunion — devait malgré cela être rapportée. The Little Black School House est un documentaire d’une heure 25 qui relate l’histoire des écoles ségrégées au Canada, des enseignants qui y ont travaillé et des élèves qui les ont fréquentées. C’est aussi l’histoire de la lutte des Afro-canadiens pour parvenir à l’égalité et à des conditions de dignité en poursuivant des études. La ségrégation dans le domaine de l’éducation correspond à celle existant aux États-Unis et en Afrique du Sud. En 1954, alors que la Cour suprème des États-Unis s’apprêtait à interdire la ségrégation raciale dans les écoles grâce à sa décision historique dans le cas Brown v. The Topeka School Board, 26 des écoles ségrégées en raison de la race étaient Cultiver le Canada | 103

au Canada, une ségrégation prescrite par la loi, et en fonction du territoire, en Ontario<br />

et en Nouvelle-Écosse, <strong>de</strong>ux provinces ayant <strong>de</strong>puis longtemps <strong>de</strong>s populations<br />

historiques <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendants africains. Je considère ces endroits et leur anciennes<br />

écoles encore existantes comme <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> mémoire; il y a <strong>de</strong>s générations<br />

d’histoires ignorées gravées dans ces sites géographiques et dans la mémoire <strong>de</strong>s<br />

étudiants, <strong>de</strong>s enseignants, <strong>de</strong>s parents et <strong>de</strong>s administrateurs qui ont vécu dans ces<br />

milieux scolaires. Les écoles ségrégées ont été le triste héritage tangible <strong>de</strong> l’esclavage<br />

<strong>de</strong>s Noirs et <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s racistes conscientes et inconscientes <strong>de</strong> la société qui se<br />

sont entrelacés à cet odieux régime. Des traces subsistent dans notre langue : un<br />

négrier, travailler comme un esclave et dresser/discipliner sont <strong>de</strong>s phrases communes<br />

proférées sans vraiment penser à leur origine ou à ce qu’elles pourraient susciter chez<br />

une personne <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendance africaine qui les entend.<br />

Le territoire <strong>de</strong>s communautés noires au Canada, et plus particulièrement en Ontario<br />

et en Nouvelle-Écosse, porte les stigmates <strong>de</strong> l’attitu<strong>de</strong> résiduelle fondée sur la race et<br />

la politique envers les Africains qui ont commencé à se manifester pendant l’esclavage<br />

et la colonisation. Considérés comme <strong>de</strong>s citoyens <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> zone ou <strong>de</strong> classe<br />

inférieure (le terme citoyen étant employé ici en pesant bien les mots étant donné<br />

qu’ils ne jouissaient pas <strong>de</strong>s avantages et <strong>de</strong>s droits comme les autres Canadiens),<br />

on leur a alloué un territoire en conséquence. Malgré tout, dès les débuts <strong>de</strong> leur<br />

établissement, les Africains ont instauré leurs propres institutions, dont <strong>de</strong>ux ayant<br />

une importance primordiale, <strong>de</strong>s églises et <strong>de</strong>s écoles. Devant le refus à l’accessibilité<br />

<strong>de</strong> l’école publique ou commune, ils ont établi la leur, parallèlement à leur lutte pour<br />

le droit d’envoyer leurs enfants à l’école publique. Elise Harding–Davis peut retracer<br />

sept générations <strong>de</strong> son histoire familiale à partir <strong>de</strong> 1798, l’année où ses ancêtres ont<br />

traversé la rivière <strong>de</strong> Détroit pour venir au Canada commencer une vie nouvelle. Elle<br />

explique qu’ils n’avaient rien, [traduction] « Et alors souvent nous construisions<br />

d’abord une église. Et nous nous en servions comme école, un centre communautaire.<br />

L’éducation était le volet le plus important <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s communautés noires. » 21<br />

Corrine Sparks, juge en Nouvelle-Écosse, qui a fréquenté une école ségrégée, souligne<br />

cette même connexion ou ce rapport essentiel entre l’école et l’église pour les premiers<br />

immigrants noirs en Nouvelle-Écosse :<br />

[traduction] L’éducation et la religion dans un contexte afro-néo-écossais sont<br />

étroitement liées. La vie familiale tourne autour <strong>de</strong> l’Église. En règle générale, les gens les<br />

plus instruits <strong>de</strong> la communauté seraient les diacres et, bien sûr, il y aurait un ministre<br />

qui est vraiment le chef <strong>de</strong> la communauté. Ainsi une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments<br />

éducatifs résultaient du cadre organisationnel <strong>de</strong> l’Église <strong>de</strong> la communauté noire.22<br />

Le lien entre l’église et l’école n’était pas seulement philosophique, il était aussi<br />

géographique; les écoles partagent le même terrain et elles sont construites à côté<br />

<strong>de</strong>s églises. Dans ma localité d’origine, Beechville près <strong>de</strong> Halifax, une école <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

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baptiste africaine.<br />

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