Réconciliation - Fondation autochtone de guérison

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28.08.2013 Views

Je suis intéressée par deux questions : d’abord, quels souvenirs n’avons-nous pas réussi à représenter et ensuite, quels souvenirs voulons-nous représenter et pourquoi? L’asservissement des personnes de descendance africaine au Canada se situe à l’interconnexion de ces questions difficiles. Dans le texte intitulé History and Memory in African–American Culture, les éditeurs Geneviève Fabre et Robert O’Meally emploient l’expression lieux de mémoire de l’historien français Pierre Nora pour désigner le cadre théorique facilitant l’examen des deux thèmes interreliés de l’histoire et de la mémoire. D’après cette perspective, la réflexion se dirige vers une toute nouvelle série de sources historiques possibles comme des tableaux/toiles, des édifices, des danses, des journaux et revues, des romans, des poèmes et l’oralité — ce qui, dans l’ensemble, permet de lier les souvenirs individuels pour créer des souvenirs collectifs, communs, touchant la culture et le vie des Afro-Américains. Cette conception permet de réunir le particulier ou personnel, au moyen de récits oraux et d’histoires familiales, et le public, comme fonds d’archives. 17 Cette lecture a élargi mes perspectives et m’a aidée à visualiser et à mieux saisir ces éléments dans le contexte des Afro-canadiens. Que nous voulons nous en souvenir ou non, la ségrégation dans l’enseignement public des enfants de descendance africaine au Canada et ailleurs est une conséquence directe de la conception et du régime de l’esclave-chose, une institution dont le but était de dépouiller les Africains de leur dignité et de leur humanité pour s’en servir comme main d’œuvre à bon marché et réaliser des profits. Dans le cadre de plusieurs de mes films, j’ai fait référence à l’esclavage et, dans les discussions post-projection avec des auditoires majoritairement composés de Blancs, j’ai été interrogée à ce sujet. Dans bien des cas, les gens n’en croient pas leurs oreilles — comment n’ont-ils jamais été informés de cela? Je fais face à un silence pesant quand j’explique que des ministres (ecclésiastiques), des dignitaires d’Église ou des chefs et des personnages politiques importants possédaient des esclaves, qu’il y a des testaments enregistrés léguant des femmes, des enfants et des hommes comme biens domestiques à des héritiers et à des successeurs pour toujours; de plus, les femmes et les filles étaient recherchées en raison de leur capacité à engendrer et ainsi multiplier en quelque sorte les biens. Les premiers esclaves dans ce que nous connaissons maintenant comme le Canada ont été des personnes de premières nations que les colons français ont asservies et ils les ont remplacées plus tard par des Africains. Quand je marche le long des quais de Halifax, je revois ces jeunes enfants qui ont été achetés et vendus ici — une jeune fille africaine vendue comme les tonneaux de rhum. Debout près de St. Paul’s Church à Halifax, je pense aux esclaves africains qui ont été baptisés pour « sauver leur âme », mais leur corps noir ne leur appartenait même pas. Leurs voix se sont tues, leur souvenir me hante encore. Dans les premiers temps au Canada, les Africains se sont conformés, assoiffés d’apprendre, malgré l’attitude de la société prédominante qui, pour tout résumer, 100 | Sylvia D. Hamilton

partait du principe que si on éduquait un « esclave », on le rendait inapte pour le service. 18 Pendant les années 1960, à mon école secondaire, il y a eu ce qu’on a convenu d’appeler « vente aux enchères d’esclaves » où les étudiants pouvaient être achetés pour quelques jours, une semaine, et être l’esclave d’un autre élève. L’esclave aurait à transporter les livres du propriétaire et faire tout ce que ce dernier demandait. S’agissait-il d’événements pour collecter des fonds ou activités faisant partie du carnaval d’hiver, je ne m’en souviens plus ou, plus précisément, ma mémoire refuse de s’en rappeler. Faisant partie d’une poignée d’élèves noirs à l’école secondaire, j’ai, de même que mes compagnons, gardé mes distances. Parler de l’esclavage au Canada a été un sujet tabou. Dans l’ensemble, la documentation soutient que des personnes de descendance africaine sont arrivées au Canada par le chemin de fer clandestin. Les esclaves fugitifs ont suivi l’étoile du Nord vers la liberté, tel que l’a décrit Harriet Tubman par ses mots : « Vivre en liberté ou mourir » résonnant à leurs oreilles. Heritage Minute (Minute du patrimoine) relate l’histoire du chemin de fer clandestin 19 une histoire véridique. Des dizaines de milliers de descendants africains sont arrivés des États-Unis dans la province du Haut-Canada, surtout après l’adoption de Fugitive Slave Act de 1850. Toutefois, la diffusion de l’histoire du chemin de fer clandestin comme les principaux faits passés à l’histoire qui expliquent comment les Noirs sont venus au Canada masque le récit de faits arrivés en parallèle : ceux à propos des Africains réduits en esclavage dans les provinces maintenant appelées la Nouvelle-Écosse et le Québec, et en même temps, ceux portant sur les fugitifs, les clandestins à la recherche de liberté entrés au Canada. Afua Cooper, l’historien auteur de The Hanging of Angelique, l’histoire d’Angélique, une Africaine esclave et de l’incendie de Montréal qu’on l’a accusée d’avoir déclenché, a ouvert la porte à un débat sur l’esclavage au Canada. Cet examen de la question comprend aussi l’investigation des cimetières où sont enterrés des esclaves en Nouvelle-Écosse, en Ontario et au Québec. 20 Ces lieux de mémoire, du fait de leur existence même, remettent en question l’histoire dominante et l’image en découlant que les Canadiens ont d’eux-mêmes, particulièrement s’ils se comparent à leurs voisins des États-Unis. L’esclavage au Canada, s’il est reconnu, est en général contesté en partant de cette comparaison et de l’importance du nombre. Le fait d’en réduire le nombre était censé rendre ces pratiques plus acceptables, moins difficiles à supporter. Nous sommes supposés apprendre tout ce qui est important et significatif comme parties du programmes d’études de base dans notre système éducatif au niveau élémentaire et secondaire. Pourtant, c’est seulement au cours de la dernière décennie que nous avons pu obtenir des brides d’information au sujet des Africains au Canada, qu’elles ont été présentées dans les écoles publiques; et plus souvent qu’autrement, elles ont été reléguées aux événements du mois consacré à l’histoire des Noirs. Il est significatif que, pendant de nombreuses générations, nous n’avons rien appris sur l’histoire des écoles ségrégées Cultiver le Canada | 101

partait du principe que si on éduquait un « esclave », on le rendait inapte pour le<br />

service. 18<br />

Pendant les années 1960, à mon école secondaire, il y a eu ce qu’on a convenu<br />

d’appeler « vente aux enchères d’esclaves » où les étudiants pouvaient être achetés<br />

pour quelques jours, une semaine, et être l’esclave d’un autre élève. L’esclave aurait<br />

à transporter les livres du propriétaire et faire tout ce que ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>mandait.<br />

S’agissait-il d’événements pour collecter <strong>de</strong>s fonds ou activités faisant partie du<br />

carnaval d’hiver, je ne m’en souviens plus ou, plus précisément, ma mémoire refuse<br />

<strong>de</strong> s’en rappeler. Faisant partie d’une poignée d’élèves noirs à l’école secondaire, j’ai,<br />

<strong>de</strong> même que mes compagnons, gardé mes distances.<br />

Parler <strong>de</strong> l’esclavage au Canada a été un sujet tabou. Dans l’ensemble, la<br />

documentation soutient que <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendance africaine sont arrivées<br />

au Canada par le chemin <strong>de</strong> fer clan<strong>de</strong>stin. Les esclaves fugitifs ont suivi l’étoile du<br />

Nord vers la liberté, tel que l’a décrit Harriet Tubman par ses mots : « Vivre en liberté<br />

ou mourir » résonnant à leurs oreilles. Heritage Minute (Minute du patrimoine)<br />

relate l’histoire du chemin <strong>de</strong> fer clan<strong>de</strong>stin 19 une histoire véridique. Des dizaines<br />

<strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendants africains sont arrivés <strong>de</strong>s États-Unis dans la province du<br />

Haut-Canada, surtout après l’adoption <strong>de</strong> Fugitive Slave Act <strong>de</strong> 1850. Toutefois, la<br />

diffusion <strong>de</strong> l’histoire du chemin <strong>de</strong> fer clan<strong>de</strong>stin comme les principaux faits passés<br />

à l’histoire qui expliquent comment les Noirs sont venus au Canada masque le récit<br />

<strong>de</strong> faits arrivés en parallèle : ceux à propos <strong>de</strong>s Africains réduits en esclavage dans<br />

les provinces maintenant appelées la Nouvelle-Écosse et le Québec, et en même<br />

temps, ceux portant sur les fugitifs, les clan<strong>de</strong>stins à la recherche <strong>de</strong> liberté entrés<br />

au Canada. Afua Cooper, l’historien auteur <strong>de</strong> The Hanging of Angelique, l’histoire<br />

d’Angélique, une Africaine esclave et <strong>de</strong> l’incendie <strong>de</strong> Montréal qu’on l’a accusée<br />

d’avoir déclenché, a ouvert la porte à un débat sur l’esclavage au Canada. Cet examen<br />

<strong>de</strong> la question comprend aussi l’investigation <strong>de</strong>s cimetières où sont enterrés <strong>de</strong>s<br />

esclaves en Nouvelle-Écosse, en Ontario et au Québec. 20 Ces lieux <strong>de</strong> mémoire, du<br />

fait <strong>de</strong> leur existence même, remettent en question l’histoire dominante et l’image en<br />

découlant que les Canadiens ont d’eux-mêmes, particulièrement s’ils se comparent<br />

à leurs voisins <strong>de</strong>s États-Unis. L’esclavage au Canada, s’il est reconnu, est en général<br />

contesté en partant <strong>de</strong> cette comparaison et <strong>de</strong> l’importance du nombre. Le fait d’en<br />

réduire le nombre était censé rendre ces pratiques plus acceptables, moins difficiles à<br />

supporter. Nous sommes supposés apprendre tout ce qui est important et significatif<br />

comme parties du programmes d’étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> base dans notre système éducatif au<br />

niveau élémentaire et secondaire.<br />

Pourtant, c’est seulement au cours <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière décennie que nous avons pu obtenir<br />

<strong>de</strong>s bri<strong>de</strong>s d’information au sujet <strong>de</strong>s Africains au Canada, qu’elles ont été présentées<br />

dans les écoles publiques; et plus souvent qu’autrement, elles ont été reléguées aux<br />

événements du mois consacré à l’histoire <strong>de</strong>s Noirs. Il est significatif que, pendant <strong>de</strong><br />

nombreuses générations, nous n’avons rien appris sur l’histoire <strong>de</strong>s écoles ségrégées<br />

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