Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

Chapitre 11
disparu dans les dernières années sans qu’aucune accusation ne soit portée. Tout cela s’est passé malgré
les pistes données à la police par les familles et les amis des victimes, y compris la piste de la ferme de
Port Coquitlam. La question qui continue à préoccuper est la suivante : si les femmes disparues étaient
venues d’un bon quartier de l’ouest de Vancouver, aurait-il fallu attendre si longtemps pour qu’on arrête
quelqu’un? Et aurait-on attendu que leur nombre atteigne cinquante avant que l’opinion publique exige
que l’on agisse? Et si elles avaient été les femmes, les mères et les filles de quelque famille importante à
Vancouver, est-ce que la police aurait tant tardé à créer un groupe de travail spécial pour rechercher ces
disparues et trouver les ressources nécessaires pour fouiller la ferme de Port Coquitlam?
Le manque de réaction de l’opinion publique et le silence autour de la disparition de cinquante femmes
d’un quartier pauvre soulèvent également d’autres problèmes reliés aux femmes de la rue toxicomanes.
Ces femmes font partie de ce que d’aucuns appellent des pauvres « qui ne méritent pas », tandis que
leurs enfants appartiennent aux pauvres du Canada « qui méritent », comme l’indiquent les programmes
du gouvernement. Ces enfants sont classés dans la « pauvreté infantile » et non dans la « pauvreté » tout
court. Quand une femme de la rue est enceinte, elle fait ressortir cette distinction et devient la Trickster
ou Joueuse de tours (Tait, 2003). La Joueuse de tours est une personne issue de la tradition orale
indigène, qui est la fois vulgaire et sacrée. Elle peut prendre plusieurs formes, et scandaliser, dégoûter,
amuser, interrompre ou humilier. Cependant, la Joueuse de tours est aussi une force créatrice qui
transforme le monde autour d’elle par ses manières scandaleuses et choquantes. La femme enceinte
toxicomane est la Joueuse de tours par excellence parce qu’elle provoque simultanément la colère et
l’anxiété, l’indignation et l’inquiétude.
Elle est en même temps vulgaire et sacrée, dégoûtante et bénie. Le pouvoir de la Joueuse de tours
provient de sa capacité à devenir enceinte ainsi que de son habileté à interrompre les idées de ceux qui
la croient être ce qu’elle est, en se redéfinissant elle-même comme une mère et de ce fait, comme
méritante.
Plus visible, elle attire l’attention et nous oblige à la voir. Le pouvoir de la Joueuse de tours, sa nouvelle
visibilité, unit ceux qui l’entourent; et d’un coup, elle vaut la peine qu’on prenne soin d’elle, qu’on l’aide
et qu’on s’inquiète à son sujet, car nous devenons conscients, que comme société, nous sommes impliqués
et responsables d’elle comme toxicomane.
Cependant, ce rapport signale que quand une femme est dépendante de substances psychoactives et
devient une Joueuse de tours, elle perd tout son pouvoir dès l’instant où elle met son enfant au monde.
Des études démontrent que les femmes qui abusent de substances psychoactives et qui donnent naissance
à un enfant affecté par celles-ci risquent fort de mourir dans les quelques années après l’accouchement,
si elles ne se désintoxiquent pas. Alors que la Joueuse de tours enceinte provoque le scandale, celui-ci
s’efface vite et se transforme rapidement en silence et en indifférence. Dès que son enfant lui est enlevé,
elle retourne elle-même dans la rue. Ensuite, la détérioration de sa santé, les actes de violence qu’elle
subit et la douleur qu’elle ressent de l’expérience de ses pertes multiples se mêlent à un silence plus
profond encore, égal à celui de sa disparition et de sa mort. On ne sait pas si on arrivera à comprendre
la leçon de la Joueuse de tours, mais il semble qu’on accorde de plus en plus d’attention aux besoins des
femmes toxicomanes et de leurs enfants. Sans aucun doute, ceci constitue un signe rassurant.
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