Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ... Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

28.08.2013 Views

Chapitre 10 Dans le cadre de l’étude de Johnston, un pourcentage important des détenus n’avaient pas été élevés par leur famille, mais avaient été placés en famille d’accueil ou adoptés, élevés sous la tutelle de la société, ou avaient fréquenté des pensionnats (Johnston, 2000). Vingt-et-un pour cent avaient tenté de se suicider et de se blesser volontairement, indiquant un taux élevé de souffrance psychologique et de maladie mentale. 53 Les constatations de l’étude de Johnston indiquent qu’il faut faire preuve de prudence en examinant la question du taux de prévalence du SAF/malformations congénitales liées à l’alcool chez les détenus autochtones (Tait, 2003). Même s’il se peut que des détenus autochtones soient affectés par l’exposition intra-utérine à l’alcool, il reste que les répercussions des traumatismes cumulatifs observées chez la population autochtone indiquent que l’atteinte causée par l’alcool in utero peut être très difficile à distinguer des autres facteurs, notamment celui des perturbations de l’enfance et des traumatismes. De plus, la recherche scientifique semble indiquer que, même si toutes les mères des détenus autochtones avaient abusé de l’alcool, seulement un faible pourcentage d’entre eux auraient subi des effets de l’alcoolisation foetale (Abel, 1998a). Par contre, les spécialistes du SAF/malformations congénitales liées à l’alcool font part d’une importante réaction à ce type d’analyse, notamment les groupes de pression, soutenant que les cas de SAF/ malformations congénitales liées à l’alcool sont faciles à distinguer et que ces manifestations méritent une attention spéciale en fonction de la détermination de la peine et de l’incarcération des détenus (Conry et Fast, 2000). Ces considérations sont bien importantes pour toute personne subissant les effets d’un déficit ou d’incapacité mentale qui commet un acte criminel; toutefois, envisagées dans un contexte plus général, elles soulèvent de nombreuses questions. Voici l’exemple d’un jeune Autochtone chez qui on a diagnostiqué le SAF, retraçant son expérience avec le système de justice pénale, exemple qui illustre bien les considérations dont il est question. Tait écrit : [TRADUCTION] Au moment où j’ai rencontré James, 54 il était à la fin de la vingtaine et il venait de terminer une peine d’emprisonnement de six mois. James est un Autochtone et dans son enfance, on a diagnostiqué le SAF. En fait, il n’a aucun trait phénotypique physique [traits du visage, retard staturo-pondéral]; il ne se rappelle pas avoir eu recours à des services spécialisés ou d’avoir pris des médicaments en raison de son diagnostic. L’enfance de James a été bien tumultueuse; il a passé une grande partie de son temps à être déplacé d’un lieu à un autre, allant dans des groupes et des familles d’accueil différents. Il a abandonné l’école en neuvième année alors qu’il avait été placé dans une classe d’éducation spéciale. À ce moment-là, il venait de commencer à faire usage d’alcool et de drogue quotidiennement. Comme la plupart des enfants de famille d’accueil, une fois la majorité atteinte, il n’a plus été autorisé à rester dans sa famille d’accueil. James n’a obtenu aucun soutien transitoire après avoir laissé cette famille et, à vrai dire, il a dû 53 La souffrance psychologique ou morale a été défini comme « déficience secondaire »; par contre, il n’y a pas d’études ayant permis de constater que des personnes affectées du SAF/malformations congénitales liées à l’alcool sont à risque de suicide. Des études de contrôle auprès de personnes diagnostiquées ne montrent aucune corrélation entre le suicide ou l’auto mutilation et le SAF/malformations congénitales liées à l’alcool. 54 James est un pseudonyme utilisé pour protéger l’identité de la personne. 310

Chapitre 10 se débrouiller seul. En fait, il avait commencé à avoir des démêlés avec la justice avant de laisser sa famille d’accueil et, depuis ce temps-là, il est allé en prison de façon intermittente pour des infractions mineures. Bon nombre de facteurs l’ont entraîné dans cette situation : « Une fois qu’on vous emprisonne, je pense qu’on devient un meilleur criminel parce que la question de la criminalité vous entoure ... on vous donne des idées, on entend d’autres détenus parler de la façon dont ils ont procédé, comment ils en sont arrivés là ... mais j’ai l’impression que, pour beaucoup d’Indiens comme nous, la prison devient une partie de notre vie on a des oncles, des tantes, des cousins en prison, et, quand on y va à notre tour, on a de la famille parmi les détenus, cela devient une partie de notre vie. Comme mon plus jeune frère me le disait, avant que je sois condamné à l’emprisonnement, « bien, il était à peu près temps que tu retournes en prison ». Pour eux, la prison, c’est une sorte de mode de vie respectable. James vivait avec sa petite amie dans une chambre d’un hôtel délabré d’un secteur de la ville reconnu pour des problèmes de toxicomanie, de prostitution, de violence et de pauvreté. Ni l’un ni l’autre ne pouvaient voir comment leur situation pouvait s’améliorer dans un avenir prochain. Quand j’ai demandé à James ce qu’il planifiait faire maintenant qu’il était sorti de prison, il a expliqué : « à ma sortie de prison, ils m’ont dit : « Voici ton argent. Il y aura toujours une place au moment où tu décideras de revenir. » C’est tout. Obtenir un emploi, c’est très difficile du fait que j’ai un casier judiciaire. Recevoir de l’aide sociale, c’est aussi difficile vu que j’ai été incarcéré ... Ils s’attendent à ce que je ne reste pas en liberté trop longtemps et que je retourne en prison. » James subvenait à ses besoins en « trafiquant », ce qui en fait signifie voler de l’argent ou autre chose qu’il pouvait mettre en gage ou vendre dans la rue. Il n’avait aucun autre revenu; sa meilleure stratégie, d’après lui, était de rester hors de vue de la police. Pourtant, il s’attendait réellement à finir par retourner en prison dans un an ou deux. À part de sa petite amie, tous ses amis et ses parents étaient des buveurs excessifs ou inhalaient des solvants. Même s’il avait suivi bon nombre de traitements de l’alcoolisme et de la toxicomanie, une fois retourné dans son milieu, il rechutait rapidement (Tait, 2003 : 338-339). Ce qui ressort de la situation de James, c’est que, outre le fait du syndrome et de ses effets, il y a de nombreux autres facteurs ayant contribué à ce qu’il aboutisse en prison. Même si certains soutiendront qu’il est en prison en raison des effets de l’alcoolisation foetale et du fait de son enfance difficile, il n’en reste pas moins qu’il aurait pu finir en prison même si sa mère n’avait pas bu pendant sa grossesse. Trop souvent, on ne prête attention qu’aux effets de l’alcoolisation foetale, de telle sorte que le reste de la vie des personnes comme James est passée sous silence. James explique clairement que d’aller en prison n’est pas juste une question d’être pris à commettre un acte criminel, mais que c’est aussi entraîné par bon nombre de facteurs environnementaux et relationnels très importants pour comprendre la récidive (Tait, 2003). Kleinman et ses collaborateurs soutiennent que « ce que nous représentons et la façon dont nous le représentons préfigurent ce que nous ferons, ou ne ferons pas, pour intervenir. Ce qui n’est pas représenté n’est pas la réalité. beaucoup de détresse, de souffrances, habituelles restent invisibles; beaucoup de ce qui est rendu manifeste n’est pas normal ou routinier » (1997 : xiii). 311

Chapitre 10<br />

Dans le cadre de l’étude de Johnston, un pourcentage important des détenus n’avaient pas été élevés par<br />

leur famille, mais avaient été placés en famille d’accueil ou adoptés, élevés sous la tutelle de la société, ou<br />

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et de se b<strong>les</strong>ser volontairement, indiquant un taux élevé de souffrance psychologique et de maladie<br />

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Les constatations de l’étude de Johnston indiquent qu’il faut faire preuve de prudence en examinant la<br />

question <strong>du</strong> taux de prévalence <strong>du</strong> SAF/malformations congénita<strong>les</strong> liées à l’alcool <strong>chez</strong> <strong>les</strong> détenus<br />

<strong>autochtones</strong> (Tait, 2003). Même s’il se peut que des détenus <strong>autochtones</strong> soient affectés par l’exposition<br />

intra-utérine à l’alcool, il reste que <strong>les</strong> répercussions des traumatismes cumulatifs observées <strong>chez</strong> la<br />

population autochtone indiquent que l’atteinte causée par l’alcool in utero peut être très difficile à<br />

distinguer des autres facteurs, notamment celui des perturbations de l’enfance et des traumatismes. De<br />

plus, la recherche scientifique semble indiquer que, même si toutes <strong>les</strong> mères des détenus <strong>autochtones</strong><br />

avaient abusé de l’alcool, seulement un faible pourcentage d’entre eux auraient subi des effets de<br />

l’alcoolisation <strong>foetale</strong> (Abel, 1998a).<br />

Par contre, <strong>les</strong> spécialistes <strong>du</strong> SAF/malformations congénita<strong>les</strong> liées à l’alcool font part d’une importante<br />

réaction à ce type d’analyse, notamment <strong>les</strong> groupes de pression, soutenant que <strong>les</strong> cas de SAF/<br />

malformations congénita<strong>les</strong> liées à l’alcool sont faci<strong>les</strong> à distinguer et que ces manifestations méritent<br />

une attention spéciale en fonction de la détermination de la peine et de l’incarcération des détenus<br />

(Conry et Fast, 2000). Ces considérations sont bien importantes pour toute personne subissant <strong>les</strong><br />

effets d’un déficit ou d’incapacité mentale qui commet un acte criminel; toutefois, envisagées dans un<br />

contexte plus général, el<strong>les</strong> soulèvent de nombreuses questions. Voici l’exemple d’un jeune Autochtone<br />

<strong>chez</strong> qui on a diagnostiqué le SAF, retraçant son expérience avec le système de justice pénale, exemple<br />

qui illustre bien <strong>les</strong> considérations dont il est question. Tait écrit :<br />

[TRADUCTION] Au moment où j’ai rencontré James, 54 il était à la fin de la vingtaine<br />

et il venait de terminer une peine d’emprisonnement de six mois. James est un Autochtone<br />

et dans son enfance, on a diagnostiqué le SAF. En fait, il n’a aucun trait phénotypique<br />

physique [traits <strong>du</strong> visage, retard staturo-pondéral]; il ne se rappelle pas avoir eu recours<br />

à des services spécialisés ou d’avoir pris des médicaments en raison de son diagnostic.<br />

L’enfance de James a été bien tumultueuse; il a passé une grande partie de son temps à<br />

être déplacé d’un lieu à un autre, allant dans des groupes et des famil<strong>les</strong> d’accueil différents.<br />

Il a abandonné l’école en neuvième année alors qu’il avait été placé dans une classe<br />

d’é<strong>du</strong>cation spéciale. À ce moment-là, il venait de commencer à faire usage d’alcool et<br />

de drogue quotidiennement. Comme la plupart des enfants de famille d’accueil, une<br />

fois la majorité atteinte, il n’a plus été autorisé à rester dans sa famille d’accueil. James<br />

n’a obtenu aucun soutien transitoire après avoir laissé cette famille et, à vrai dire, il a dû<br />

53 La souffrance psychologique ou morale a été défini comme « déficience secondaire »; par contre, il n’y a pas<br />

d’études ayant permis de constater que des personnes affectées <strong>du</strong> SAF/malformations congénita<strong>les</strong> liées à l’alcool sont à<br />

risque de suicide. Des études de contrôle auprès de personnes diagnostiquées ne montrent aucune corrélation entre le<br />

suicide ou l’auto mutilation et le SAF/malformations congénita<strong>les</strong> liées à l’alcool.<br />

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