Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

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Chapitre 5 collectivités autochtones après le retour de ces enfants dans leur milieu familial (Haig-Brown, 1988; Fournier et Crey, 1997). Dans certaines petites collectivités autochtones, on a estimé que plus de 80 % des membres ont été victimes d’abus sexuel à un moment donné de leur vie (Fournier et Crey, 1997). Même tous ces cas ne peuvent être attribués au régime des pensionnats, il est indéniable qu’il existe une relation directe entre les agressions sexuelles d’enfants subies dans les pensionnats et l’abus sexuel perpétré par ces élèves dans ces institutions, ou plus tard à l’âge adulte en dehors de celles-ci. À l’apogée du régime des pensionnats, plus de deux tiers des enfants autochtones âgés entre six et quinze ans ont fréquenté un pensionnat (Armitage, 1995). Nombreux sont ceux parmi les élèves qui ont été victimes d’abus ou exposés à des formes d’abus physique, sexuel et émotionnel. Même si les études n’ont pas réussi à fournir des données statistiques solides sur le nombre d’élèves victimes d’abus sexuel au pensionnat, les chiffres sont probablement très élevés, surtout dans certains pensionnats (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Satzewich et Mahood, 1995; Feehan, 1996; Grant, 1996; Miller, 1996; Chrisjohn et Young, 1997; Fournier et Crey, 1997; Milloy, 1999). Une estimation fournie dans un article du Globe and Mail, citant un conseiller spécial du ministre de la Santé et du Bien-être social au sujet de l’agression sexuelle d’enfants, fait état que, dans certains pensionnats, 100 % des enfants ont été agressés sexuellement (Milloy, 1999 : 298). Compte tenu de l’âge moyen des enfants appréhendés et du fait que le pensionnat ait été la principale influence socialisatrice de ces enfants, il n’est pas surprenant que ce type de relations dysfonctionnelles, fondées sur le pouvoir, le contrôle et la domination se soit redéveloppé dès le retour des pensionnaires dans leur collectivité. D’après Bull (1991), bon nombre d’anciens élèves ont intériorisé et régularisé la violence physique et sexuelle systématisée qui avait été perpétrée à leur égard. On peut donc soutenir que le taux de prévalence de la violence physique et de l’abus sexuel supérieur à la moyenne constatée chez certains groupes autochtones actuellement découle de l’expérience vécue dans les pensionnats. Résistance et survie La résistance des élèves aux conditions de vie du pensionnat a pris plusieurs formes et s’est manifestée tout au long de l’histoire du régime des pensionnats. La réaction la plus courante a sans doute été la fugue (Haig-Brown, 1988; Johnston, 1988; Furniss, 1992; Knockwood et Thomas, 1992; Grant, 1996; Miller, 1996; Milloy, 1999; Johansen, 2000). La fréquence à laquelle les élèves s’enfuyaient a inquiété beaucoup de dirigeants de pensionnat et d’agents de l’État, notamment parce que ces élèves étaient bien au courant des punitions très sévères qu’ils encourraient s’ils se faisaient prendre (Furniss, 1992). La plupart de ces fugueurs échouaient dans leur tentative, et pourtant, même s’ils étaient conscients du peu de chances de réussite et de la sévérité des châtiments qui les attendaient à leur retour, ils étaient très nombreux chaque année à tenter leur chance, ce qui inquétait les autorités (Johnston, 1988; Haig- Brown, 1988; Furniss, 1992; Knockwood et Thomas, 1992; Grant, 1996; Miller, 1996; Milloy, 1999). En effet, certains élèves qui se sont enfuis ont connu une fin tragique, et des documents tirés des archives fédérales font mention de nombreux cas où un fugueur avait péri lors de sa tentative (Furniss, 1992; Milloy, 1999; Johansen, 2000). Le gouvernement fédéral a mené des enquêtes dans des cas où des fugueurs sont morts avant d’être retrouvés et, dans la majorité de ces cas, on a découvert des antécédents d’abus et de mauvais traitements au pensionnat (Furniss, 1992; Johansen, 2000), indiquant qu’il s’agissait bien plus de tentatives de survie de la part de ces élèves que d’une tentative pure et simple de résistance. Le gouvernement fédéral n’a pas donné suite à ces enquêtes par la condamnation de la violence, ni par 86

Chapitre 5 une surveillance plus étroite de l’administration et des pratiques des pensionnats. Au contraire, les représentants de l’État ont adopté une position de neutralité bienveillante en regard du rôle exercé par les pensionnats. Au lieu de sévir contre les administrateurs pour les mauvais traitements que ceux-ci infligeaient systématiquement à leurs élèves, les représentants de l’État ont allégué que le fait de chercher à s’enfuir était un exemple de la nature « sauvage » propre aux enfants autochtones (Furniss, 1992). Les anciens élèves ont rapporté que s’exprimer en langue autochtone, même si c’était strictement interdit par les représentants des pensionnats, constituait un moyen très important pour eux de s’adapter au fait d’être séparés de leur famille et de leur collectivité et une forme d’opposition, de résistance à leur complète assimilation (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992). Dans la plupart des pensionnats, la violation de ce règlement se soldait par des punitions sévères (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Grant, 1996), et des élèves ont même rapporté que, dans un cas d’infraction au règlement, on leur avait enfoncé des aiguilles à coudre dans la langue pour les punir d’avoir parlé leur langue (Haig- Brown, 1988). Malgré ces risques, bon nombre d’élèves cherchaient un endroit non surveillé où ils pouvaient s’exprimer dans leur langue (Haig-Brown, 1988; Johnston, 1988; Knockwood et Thomas, 1992); toutefois, ce ne sont pas tous les élèves qui ont réussi à conserver leur langue maternelle, et beaucoup d’anciens élèves n’ont plus la compétence de communiquer dans la langue de leur nation. Un grand nombre d’anciens élèves rapportent avoir eu continuellement faim pendant leur séjour au pensionnat. Voler de la nourriture constituait une façon de résister au fait qu’on leur servait des aliments de mauvaise qualité et en quantité limitée (Haig-Brown, 1988; Johnston, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Grant, 1996). Un ancien élève, a déclaré qu’au pensionnat pour garçons St. Peters Claver (Spanish), la faim constituait un état si omniprésent que l’expression « j’ai le ventre plein » ne faisait pas partie du vocabulaire des enfants (Haig-Brown, 1988). La résistance aux règles, à la réglementation stricte, des pensionnats a revêtu de nombreuses formes, dont certaines ont eu des incidences plus graves que d’autres. Comme formes les plus courantes d’opposition, on mentionne le fait de sortir en cachette du dortoir (Haig-Brown, 1988), de communiquer avec des membres du sexe opposé (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Grant, 1996), et de refouler ses pleurs au moment d’une punition (Haig-Brown, 1988; Johnston, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Feehan, 1996). D’autres formes de résistance ont eu des conséquences beaucoup plus graves, notamment mettre le feu et faire brûler complètement des bâtiments du pensionnat (Knockwood et Thomas, 1992) et faire des tentatives (parfois réussies) de suicide (Haig-Brown, 1988). Un des cas où la résistance d’élèves ou leur tentative de fuir les conditions de vie du pensionnat a été poussée à son point extrême est survenu en 1920 au moment où neuf garçons du pensionnat indien de Williams Lake en Colombie-Britannique ont conclu un pacte suicidaire. Chaque garçon a bu de la cicutaire maculée, un poison violent ayant entraîné la mort de l’un d’eux. Malgré cette indication retentissante confirmant le fait que les garçons avaient bel et bien planifié ensemble leur tentative de suicide, une enquête du gouvernement fédéral a conclu à une mort accidentelle. Le témoignage des élèves a permis de dévoiler le récit troublant d’abus, de violence et de négligence dont ils étaient victimes, contribuant ainsi à renforcer l’idée chez certaines personnes que les garçons avaient tenté de se suicider pour échapper aux horribles conditions dans lesquelles ils étaient forcés de vivre et d’apprendre (Furniss, 1992; Milloy, 1999). 87

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une surveillance plus étroite de l’administration et des pratiques des pensionnats. Au contraire, <strong>les</strong><br />

représentants de l’État ont adopté une position de neutralité bienveillante en regard <strong>du</strong> rôle exercé par<br />

<strong>les</strong> pensionnats. Au lieu de sévir contre <strong>les</strong> administrateurs pour <strong>les</strong> mauvais traitements que ceux-ci<br />

infligeaient systématiquement à leurs élèves, <strong>les</strong> représentants de l’État ont allégué que le fait de chercher<br />

à s’enfuir était un exemple de la nature « sauvage » propre aux enfants <strong>autochtones</strong> (Furniss, 1992).<br />

Les anciens élèves ont rapporté que s’exprimer en langue autochtone, même si c’était strictement interdit<br />

par <strong>les</strong> représentants des pensionnats, constituait un moyen très important pour eux de s’adapter au fait<br />

d’être séparés de leur famille et de leur collectivité et une forme d’opposition, de résistance à leur complète<br />

assimilation (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992). Dans la plupart des pensionnats, la<br />

violation de ce règlement se soldait par des punitions sévères (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas,<br />

1992; Grant, 1996), et des élèves ont même rapporté que, dans un cas d’infraction au règlement, on<br />

leur avait enfoncé des aiguil<strong>les</strong> à coudre dans la langue pour <strong>les</strong> punir d’avoir parlé leur langue (Haig-<br />

Brown, 1988). Malgré ces risques, bon nombre d’élèves cherchaient un endroit non surveillé où ils<br />

pouvaient s’exprimer dans leur langue (Haig-Brown, 1988; Johnston, 1988; Knockwood et Thomas,<br />

1992); toutefois, ce ne sont pas tous <strong>les</strong> élèves qui ont réussi à conserver leur langue maternelle, et<br />

beaucoup d’anciens élèves n’ont plus la compétence de communiquer dans la langue de leur nation. Un<br />

grand nombre d’anciens élèves rapportent avoir eu continuellement faim pendant leur séjour au<br />

pensionnat. Voler de la nourriture constituait une façon de résister au fait qu’on leur servait des aliments<br />

de mauvaise qualité et en quantité limitée (Haig-Brown, 1988; Johnston, 1988; Knockwood et Thomas,<br />

1992; Grant, 1996). Un ancien élève, a déclaré qu’au pensionnat pour garçons St. Peters Claver (Spanish),<br />

la faim constituait un état si omniprésent que l’expression « j’ai le ventre plein » ne faisait pas partie <strong>du</strong><br />

vocabulaire des enfants (Haig-Brown, 1988).<br />

La résistance aux règ<strong>les</strong>, à la réglementation stricte, des pensionnats a revêtu de nombreuses formes,<br />

dont certaines ont eu des incidences plus graves que d’autres. Comme formes <strong>les</strong> plus courantes<br />

d’opposition, on mentionne le fait de sortir en cachette <strong>du</strong> dortoir (Haig-Brown, 1988), de communiquer<br />

avec des membres <strong>du</strong> sexe opposé (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Grant, 1996), et<br />

de refouler ses pleurs au moment d’une punition (Haig-Brown, 1988; Johnston, 1988; Knockwood et<br />

Thomas, 1992; Feehan, 1996). D’autres formes de résistance ont eu des conséquences beaucoup plus<br />

graves, notamment mettre le feu et faire brûler complètement des bâtiments <strong>du</strong> pensionnat (Knockwood<br />

et Thomas, 1992) et faire des tentatives (parfois réussies) de suicide (Haig-Brown, 1988).<br />

Un des cas où la résistance d’élèves ou leur tentative de fuir <strong>les</strong> conditions de vie <strong>du</strong> pensionnat a été<br />

poussée à son point extrême est survenu en 1920 au moment où neuf garçons <strong>du</strong> pensionnat indien de<br />

Williams Lake en Colombie-Britannique ont conclu un pacte suicidaire. Chaque garçon a bu de la<br />

cicutaire maculée, un poison violent ayant entraîné la mort de l’un d’eux. Malgré cette indication<br />

retentissante confirmant le fait que <strong>les</strong> garçons avaient bel et bien planifié ensemble leur tentative de<br />

suicide, une enquête <strong>du</strong> gouvernement fédéral a conclu à une mort accidentelle. Le témoignage des<br />

élèves a permis de dévoiler le récit troublant d’abus, de violence et de négligence dont ils étaient victimes,<br />

contribuant ainsi à renforcer l’idée <strong>chez</strong> certaines personnes que <strong>les</strong> garçons avaient tenté de se suicider<br />

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