Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

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Chapitre 5 Au cours des dernières années, un grand nombre d’anciens élèves des pensionnats ont témoigné publiquement avoir été victimes dans leur enfance d’abus sexuel, commis par les personnes à qui ils avaient été confiés pour être éduqués, protégés et pris en charge (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Satzewich et Mahood, 1995; Feehan, 1996; Grant, 1996; Miller, 1996; Chrisjohn et Young, 1997; Fournier et Crey, 1997; Milloy, 1999; Johansen, 2000; Million, 2000). La prévalence de l’abus sexuel et l’étendue des sévices perpétrés à l’égard des victimes sont révoltantes et horrifiantes, tout comme ces témoignages sur la façon dont les abus ont corrodé la vie des victimes ainsi que celle des élèves qui en ont été témoins. Les prêtres, les religieuses, les enseignants et d’autres élèves ont été les auteurs de ces agressions sexuelles (Haig-Brown, 1988; Miller, 1996; Milloy, 1999). A mesure que se précise l’étendue de l’abus sexuel commis dans les pensionnats, certains émettent l’idée que ce régime n’était rien de moins que « de la pédophilie institutionnalisée » (Fournier et Crey, 1997). Bien que d’anciens agents des Indiens et des fonctionnaires de l’État aient dressé auprès du gouvernement canadien un bilan assez exhaustif de l’étendue des mauvais traitements infligés aux élèves, ils ont pratiquement omis dans ces comptes rendus la plupart des signalements d’abus sexuel. Ceux dans les archives officielles du gouvernement étaient transmis dans un langage abondamment codé selon les règles de la répression sexuelle qui, à cette époque-là, marquait le discours au Canada (Milloy, 1999; Johansen, 2000). Le comportement sexuel défini par les fonctionnaires de l’État comme déviant et nécessitant d’être porté à la connaissance des autorités était constitué d’actes survenus entre élèves, comme des rapports sexuels entre garçons et filles et entre membres du même sexe. Ces comptes rendus étaient soulignés dans les dossiers officiels, et à peine quelques rapport faisaient mention d’abus sexuel commis par des dispensateurs de soins des pensionnats (Haig-Brown, 1988; Milloy, 1999). De nombreux fonctionnaires et dispensateurs de soins percevaient les enfants autochtones comme anormaux sur le plan sexuel, une anomalie qu’ils attribuaient à la constitution primitive des élèves sur le plan physique et mental. A titre d’exemple, un principal affirmait que les Indiens étaient tout simplement « sans morale ... leur nature étant la plus forte ... Bien sûr, le problème réside dans le fait que ces personnes, en ce qui a trait au sexe, deviennent matures ou adultes beaucoup plus tôt que les Blancs, [ce qui exige] de guider cet aspect émotionnel de leur constitution vers des avenues plus normales et sûres » (Milloy, 1999 : 296). Selon Million, le fait que le gouvernement canadien n’ait pas réussi à traiter les questions d’abus sexuel dans les pensionnats est révélateur des connaissances que possédait la société coloniale des dix-neuvième et vingtième siècles au sujet des Autochtones, déclarant entre autre qu’ils étaient moins « civilisés », moins « développés mentalement » et qu’ils manquaient de moralité chrétienne. Les institutions chrétiennes dépeignaient les Autochtones comme des personnes immorales sur le plan sexuel (Million, 2000) et, par conséquent, déclaraient leurs enfants avaient été contaminés par cette « quiddité indienne » (Graham, 1997). Le régime des pensionnats avait été anticipé comme le moyen de corriger cette prédisposition à l’immoralité sexuelle des Autochtones, par l’intermédiaire des enfants. Pour cette raison, les pensionnats ont été organisés conformément aux structures organisationnelles de la plupart des sociétés occidentales européennes où la ségrégation sexuelle était en vigueur (Haig-Brown, 1988; Knockwood et Thomas, 1992; Miller, 1996; Graham, 1997; Milloy, 1999; Million, 2000). Le contact entre garçons et filles était réglementé et étroitement surveillé par le personnel. Dans le cas où il y avait communication entre les 84

Chapitre 5 membres de sexe opposé, les sanctions étaient généralement sévères, entraînant fréquemment des punitions corporelles et la perte d’une ou de l’ensemble des quelques libertés dont disposaient les enfants dans ces institutions (Grant, 1996; Miller, 1996; Milloy, 1999). On ne parlait ni de sexe ni de sexualité, et encore moins d’abus sexuel dans les débats politiques ou publics à propos des pensionnats. Avant que les anciens élèves dénoncent les abus dont ils ont été victimes, on entretenait une façade auprès de l’opinion publique : l’image des pensionnats considérés comme des institutions où, sous l’influence morale de l’Église, les manifestations de la sexualité étaient réprimées. Au contraire, les témoignages des dernières années démontrent que la sexualité faisait partie intégrante de ce milieu. Nombre d’enfants y ont appris rapidement à établir un lien entre les rapports sexuels et l’exercice du pouvoir, et même certains d’entre eux ont tiré parti de leur propre sexualité pour obtenir un statut particulier auprès des surveillants et d’autres élèves (Haig-Brown, 1988). Des auteurs ont émis l’idée que certaines punitions corporelles infligées aux élèves constituaient en réalité une façon voilée pour les éducateurs de se satisfaire sexuellement. Furniss (1992) mentionne que ces punitions à caractère sexuel administrées aux élèves des pensionnats ressemblaient aux pratiques de l’Angleterre de l’époque victorienne où, notamment, le fait de fouetter quelqu’un servait de moyen d’excitation sexuelle chez certaines personnes. Selon Jonathan Benthall, un socioanthropologue britannique, fouetter, flageller et donner une volée de coups représentaient pour ces enseignants et ces directeurs un « rituel d’une autorité abusive » et cachaient une forme d’assouvissement sexuel (dans Scheper-Hughes, 1998). Milloy soutient que la pratique de donner des coups de fouet à quelqu’un visait plusieurs objectifs dans l’environnement des pensionnats, les punitions corporelles et l’excitation sexuelle étant les plus courants, comme le montre ce témoignage obtenu directement d’une ancienne élève : [TRADUCTION] Dès que je suis arrivée, le Père m’a demandé d’aller dans son bureau, ce que j’ai fait. Il m’a posé quelques questions. Ensuite, il m’a emmenée dans un autre bureau. Il m’a dit de m’agenouiller. Il a ensuite levé ma jupe et baissé ma culotte. Il a mis ma tête entre ses jambes et il a commencé à me donner des coups de lanière de cuir. (cité dans Milloy, 1999 : 297). Les caractéristiques du pensionnat, particulièrement le fait que la population étudiante était presque totalement isolée du monde extérieur, permettaient aux prédateurs sexuels d’avoir accès à des centaines d’enfants. Million (2000) indique que, dans les pensionnats, le silence collectif au sujet de la sexualité et de l’abus sexuel a établi un vide discursif permettant aux prédateurs sexuels de persister dans leur comportement pendant longtemps. Les représentants des pensionnats, particulièrement ceux qui oeuvraient pour l’Église, ont été d’une façon ou d’une autre impliqués dans ce silence. On peut ainsi mieux s’expliquer pour quelle raison la population canadienne n’a pas été mise au courant de l’abus physique et sexuel généralisé et systématique des élèves autochtones. Étant donné l’absence de rapports ou de comptes rendus dans les archives gouvernementales et les dossiers officiels à propos de l’abus sexuel commis dans les pensionnats, une grande partie de l’information est tirée d’enquêtes spéciales sur ce problème et de témoignages des personnes qui en ont été victimes ou témoins. Assez souvent, des élèves plus âgés ayant été principalement formés dans ce régime sont devenus eux mêmes des agresseurs et ont abusé des élèves plus jeunes (Haig-Brown, 1988; Piatote, 2000). L’abus sexuel ne s’est pas borné aux limites des pensionnats et, dans bien des cas, il s’est poursuivi dans les 85

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membres de sexe opposé, <strong>les</strong> sanctions étaient généralement sévères, entraînant fréquemment des<br />

punitions corporel<strong>les</strong> et la perte d’une ou de l’ensemble des quelques libertés dont disposaient <strong>les</strong> enfants<br />

dans ces institutions (Grant, 1996; Miller, 1996; Milloy, 1999). On ne parlait ni de sexe ni de sexualité,<br />

et encore moins d’abus sexuel dans <strong>les</strong> débats politiques ou publics à propos des pensionnats. Avant que<br />

<strong>les</strong> anciens élèves dénoncent <strong>les</strong> abus dont ils ont été victimes, on entretenait une façade auprès de<br />

l’opinion publique : l’image des pensionnats considérés comme des institutions où, sous l’influence<br />

morale de l’Église, <strong>les</strong> manifestations de la sexualité étaient réprimées. Au contraire, <strong>les</strong> témoignages des<br />

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ont appris rapidement à établir un lien entre <strong>les</strong> rapports sexuels et l’exercice <strong>du</strong> pouvoir, et même<br />

certains d’entre eux ont tiré parti de leur propre sexualité pour obtenir un statut particulier auprès des<br />

surveillants et d’autres élèves (Haig-Brown, 1988).<br />

Des auteurs ont émis l’idée que certaines punitions corporel<strong>les</strong> infligées aux élèves constituaient en<br />

réalité une façon voilée pour <strong>les</strong> é<strong>du</strong>cateurs de se satisfaire sexuellement. Furniss (1992) mentionne que<br />

ces punitions à caractère sexuel administrées aux élèves des pensionnats ressemblaient aux pratiques de<br />

l’Angleterre de l’époque victorienne où, notamment, le fait de fouetter quelqu’un servait de moyen<br />

d’excitation sexuelle <strong>chez</strong> certaines personnes. Selon Jonathan Benthall, un socioanthropologue<br />

britannique, fouetter, flageller et donner une volée de coups représentaient pour ces enseignants et ces<br />

directeurs un « rituel d’une autorité abusive » et cachaient une forme d’assouvissement sexuel (dans<br />

Scheper-Hughes, 1998). Milloy soutient que la pratique de donner des coups de fouet à quelqu’un<br />

visait plusieurs objectifs dans l’environnement des pensionnats, <strong>les</strong> punitions corporel<strong>les</strong> et l’excitation<br />

sexuelle étant <strong>les</strong> plus courants, comme le montre ce témoignage obtenu directement d’une ancienne<br />

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ce que j’ai fait. Il m’a posé quelques questions. Ensuite, il m’a emmenée dans un autre<br />

bureau. Il m’a dit de m’agenouiller. Il a ensuite levé ma jupe et baissé ma culotte. Il a mis<br />

ma tête entre ses jambes et il a commencé à me donner des coups de lanière de cuir. (cité<br />

dans Milloy, 1999 : 297).<br />

Les caractéristiques <strong>du</strong> pensionnat, particulièrement le fait que la population étudiante était presque<br />

totalement isolée <strong>du</strong> monde extérieur, permettaient aux prédateurs sexuels d’avoir accès à des centaines<br />

d’enfants. Million (2000) indique que, dans <strong>les</strong> pensionnats, le silence collectif au sujet de la sexualité et<br />

de l’abus sexuel a établi un vide discursif permettant aux prédateurs sexuels de persister dans leur<br />

comportement pendant longtemps. Les représentants des pensionnats, particulièrement ceux qui<br />

oeuvraient pour l’Église, ont été d’une façon ou d’une autre impliqués dans ce silence. On peut ainsi<br />

mieux s’expliquer pour quelle raison la population canadienne n’a pas été mise au courant de l’abus<br />

physique et sexuel généralisé et systématique des élèves <strong>autochtones</strong>. Étant donné l’absence de rapports<br />

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ce problème et de témoignages des personnes qui en ont été victimes ou témoins.<br />

Assez souvent, des élèves plus âgés ayant été principalement formés dans ce régime sont devenus eux<br />

mêmes des agresseurs et ont abusé des élèves plus jeunes (Haig-Brown, 1988; Piatote, 2000). L’abus<br />

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