Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ... Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

28.08.2013 Views

Chapitre 5 rapidement exercée, il serait inconsidéré de ne pas tenir compte du rôle que la terreur a joué. Et en disant cela, et c’est de nous dont je parle, il s’agit de réfléchir à propos de la terreur qui, tout en étant un état physiologique, est aussi une dimension sociale dont les particularités ont servi de médiateur par excellence à l’hégémonie coloniale : l’espace laissé par la mort où l’Indien, l’Africain, le Blanc ont donné naissance au Nouveau Monde (Taussig, 1987 : 5). Le pensionnat était du type « institution totalitaire » (Goffman, 1961), autarcique; il s’agissait d’une institution sociale « emmurée », fermée au monde extérieur. Dans un tel lieu, il n’existait pas, comme dans la société générale, des barrières distinctes entre l’endroit où l’on travaille, dort ou joue. Ces particularités facilitaient le renforcement et le maintien d’une extrême disparité du pouvoir entre une grande population de « prisonniers » et une population moins nombreuse de surveillants qui continuaient à faire partie du monde extérieur (Chrisjohn et Young, 1997; Commission du droit du Canada, 2000). La réglementation stricte des activités des élèves de même que les punitions sévères pour ceux qui violaient les règles étaient appliquées par des enseignants responsables de contrôler les enfants et de les socialiser (Johnston, 1988; Haig-Brown, 1988; Bull, 1991; Ing, 1991; Knockwood et Thomas, 1992; Feehan, 1996; Fournier et Crey, 1997; Milloy, 1999; Colmant, 2000; Johansen, 2000). Afin de prévenir l’insubordination, bon nombre de ces pensionnats ont adopté des mesures disciplinaires, comme la privation de nourriture, l’administration de coups au moyen d’une lanière de cuir et l’isolement dans un endroit fermé comme une cellule, moyens utilisés pour sanctionner les enfants qui s’étaient « mal conduits » (Milloy, 1999). Les punitions étaient régulièrement administrées devant les autres élèves de façon à les mettre en garde contre les conséquences de l’insubordination. On considérait comme de la désobéissance : mouiller son lit, communiquer avec des enfants du sexe opposé, parler la langue autochtone, voler de la nourriture, s’enfuir, répondre au personnel et sortir des limites du pensionnat (Haig-Brown, 1988; Bull, 1991; Knockwood et Thomas, 1992; Feehan, 1996; Miller, 1996; Graham, 1997; Milloy, 1999). En appliquant des mesures disciplinaires et des punitions aussi abusives à l’égard des élèves, l’intention principale était de les faire souffrir et de les humilier. L’humiliation, telle que celle causée par l’administration – en public – de coups avec la lanière de cuir, visait à diminuer l’importance du sentiment de dignité, de valorisation, d’image positive de soi et d’identité chez l’enfant (Graham, 1997). D’anciens élèves ont rapporté que l’humiliation infligée en public a constitué un des aspects les plus dévastateurs de leur expérience de vie au pensionnat (Grant, 1996; Graham, 1997). Dans certains pensionnats, comme l’Institut Mohawk et celui du Mount Elgin, l’abus était tellement fréquent que les élèves étaient classés d’après le nombre de punitions qui leur étaient infligées et les raisons pour lesquelles celles-ci avaient été administrées. (Graham, 1997). Le gouvernement fédéral canadien a officiellement essayé de dissuader les responsables d’administrer des punitions corporelles dans les pensionnats; toutefois, il apparaît clairement que l’application de règles strictes et de punitions sévères en cas de violation de ces règles, était jugée nécessaire afin de d’atteindre avec succès l’objectif d’assimiliation des enfants autochtones. Même si Duncan Campbell Scott, surintendant délégué des Affaires indiennes, attestait que c’était le droit et le devoir du gouvernement fédéral canadien de protéger les enfants autochtones contre les mauvais traitements, il 82

Chapitre 5 n’y avait pas de lignes directrices officielles portant sur l’éventail des mesures disciplinaires et de punitions corporelles que le personnel enseignant des pensionnats aurait pu appliquer (Miller, 1996; Milloy, 1999). Les agents des Indiens devaient évaluer les conditions dans lesquelles les élèves sous leur responsabilité devaient vivre et apprendre. Au début du vingtième siècle, ils avaient une autorité assez significative : ils pouvaient notamment déterminer quels enfants seraient envoyés au pensionnat; recommander au ministère des Affaires indiennes le renvoi d’enseignants, de directeurs d’école et de membres du personnel dont le rendement n’était pas satisfaisant; et renvoyer des élèves. Dans les archives fédérales, on a découvert nombre de rapports classés par les agents des Indiens, attestant des conditions cruelles et inhumaines que subissaient les élèves dans de nombreux pensionnats. (Satzewich et Mahood, 1995; Milloy, 1999; Johansen, 2000). Il ne faudrait pas en déduire pour autant que ces rapports aient donné lieu à des réformes scolaires. Il convient également de faire remarquer que, dans la plupart des cas, on ne signalait pas les mesures disciplinaires abusives et les punitions sévères subies par les élèves. Même si les agents des Indiens locaux avaient le droit de recommander le renvoi du personnel et des élèves, il existe très peu de preuves démontrant qu’ils ont appliqué ce droit de regard de façon significative. Certaines plaintes contre les mesures disciplinaires abusives et les punitions sévères infligées par les membres de l’Église qui administraient les pensionnats ont été portées à l’attention du ministère des Affaires indiennes; cependant, dans ces cas-là, peu de dispositions ont été prises pour remédier au problème. Les motifs du ministère des Affaires indiennes pour justifier son inaction s’ancrait dans la connivence entre les Églises qui géraient ces pensionnats et le gouvernement fédéral. Les fonctionnaires de l’État camouflaient facilement les rapports sur les abus (Satzewich et Mahood, 1995), et le gouvernement fédéral était peu disposé à révéler au public canadien et à l’opinion internationale les conditions de vie réelles des enfants dans les pensionnats. Abus sexuel et pensionnats [TRADUCTION] Le cauchemar a commencé dès qu’Emily [huit ans] et sa soeur Rose, alors âgée de onze ans, sont montées à bord du petit bateau qui pouvait les emporter au loin. « Je me suis agrippée à Rose jusqu’à ce que le père Jackson l’arrache de mes bras ... J’ai cherché Rose partout dans le bateau. Finalement, j’ai grimpé au poste de timonerie et j’ai ouvert la porte. Là, j’ai vu le père Jackson étendu sur ma soeur. La robe de ma soeur était levée et ses culottes baissées. J’étais trop jeune pour être au courant du sexe; mais j’ai compris qu’il la violait » (tel que cité dans Fournier et Crey, 1997 : 47). [TRADUCTION] La première fois que j’ai été agressé sexuellement par un élève, j’avais six ans et, par la suite, à huit ans par un surveillant, un ancien marine homosexuel. J’ai appris à tirer parti de ma sexualité, comme l’ont fait beaucoup d’élèves. Les faveurs sexuelles permettaient d’assurer sa protection, d’obtenir des sucreries (une rareté dans les pensionnats) et même de l’argent pour s’acheter de l’alcool. Mais ces agissements ont eu des effets à long terme ... notamment l’alcoolisme, l’inaptitude à toucher les gens et une attitude d’indifférence (ancien élève des pensionnats tel que cité dans Haig-Brown, 1988 : 17). 83

Chapitre 5<br />

rapidement exercée, il serait inconsidéré de ne pas tenir compte <strong>du</strong> rôle que la terreur a<br />

joué. Et en disant cela, et c’est de nous dont je parle, il s’agit de réfléchir à propos de la<br />

terreur qui, tout en étant un état physiologique, est aussi une dimension sociale dont <strong>les</strong><br />

particularités ont servi de médiateur par excellence à l’hégémonie coloniale : l’espace<br />

laissé par la mort où l’Indien, l’Africain, le Blanc ont donné naissance au Nouveau<br />

Monde (Taussig, 1987 : 5).<br />

Le pensionnat était <strong>du</strong> type « institution totalitaire » (Goffman, 1961), autarcique; il s’agissait d’une<br />

institution sociale « emmurée », fermée au monde extérieur. Dans un tel lieu, il n’existait pas, comme<br />

dans la société générale, des barrières distinctes entre l’endroit où l’on travaille, dort ou joue. Ces<br />

particularités facilitaient le renforcement et le maintien d’une extrême disparité <strong>du</strong> pouvoir entre une<br />

grande population de « prisonniers » et une population moins nombreuse de surveillants qui continuaient<br />

à faire partie <strong>du</strong> monde extérieur (Chrisjohn et Young, 1997; Commission <strong>du</strong> droit <strong>du</strong> Canada, 2000).<br />

La réglementation stricte des activités des élèves de même que <strong>les</strong> punitions sévères pour ceux qui<br />

violaient <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> étaient appliquées par des enseignants responsab<strong>les</strong> de contrôler <strong>les</strong> enfants et de <strong>les</strong><br />

socialiser (Johnston, 1988; Haig-Brown, 1988; Bull, 1991; Ing, 1991; Knockwood et Thomas, 1992;<br />

Feehan, 1996; Fournier et Crey, 1997; Milloy, 1999; Colmant, 2000; Johansen, 2000). Afin de prévenir<br />

l’insubordination, bon nombre de ces pensionnats ont adopté des mesures disciplinaires, comme la<br />

privation de nourriture, l’administration de coups au moyen d’une lanière de cuir et l’isolement dans un<br />

endroit fermé comme une cellule, moyens utilisés pour sanctionner <strong>les</strong> enfants qui s’étaient « mal<br />

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façon à <strong>les</strong> mettre en garde contre <strong>les</strong> conséquences de l’insubordination. On considérait comme de la<br />

désobéissance : mouiller son lit, communiquer avec des enfants <strong>du</strong> sexe opposé, parler la langue<br />

autochtone, voler de la nourriture, s’enfuir, répondre au personnel et sortir des limites <strong>du</strong> pensionnat<br />

(Haig-Brown, 1988; Bull, 1991; Knockwood et Thomas, 1992; Feehan, 1996; Miller, 1996; Graham,<br />

1997; Milloy, 1999).<br />

En appliquant des mesures disciplinaires et des punitions aussi abusives à l’égard des élèves, l’intention<br />

principale était de <strong>les</strong> faire souffrir et de <strong>les</strong> humilier. L’humiliation, telle que celle causée par<br />

l’administration – en public – de coups avec la lanière de cuir, visait à diminuer l’importance <strong>du</strong> sentiment<br />

de dignité, de valorisation, d’image positive de soi et d’identité <strong>chez</strong> l’enfant (Graham, 1997). D’anciens<br />

élèves ont rapporté que l’humiliation infligée en public a constitué un des aspects <strong>les</strong> plus dévastateurs<br />

de leur expérience de vie au pensionnat (Grant, 1996; Graham, 1997). Dans certains pensionnats,<br />

comme l’Institut Mohawk et celui <strong>du</strong> Mount Elgin, l’abus était tellement fréquent que <strong>les</strong> élèves étaient<br />

classés d’après le nombre de punitions qui leur étaient infligées et <strong>les</strong> raisons pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> cel<strong>les</strong>-ci<br />

avaient été administrées. (Graham, 1997).<br />

Le gouvernement fédéral canadien a officiellement essayé de dissuader <strong>les</strong> responsab<strong>les</strong> d’administrer<br />

des punitions corporel<strong>les</strong> dans <strong>les</strong> pensionnats; toutefois, il apparaît clairement que l’application de<br />

règ<strong>les</strong> strictes et de punitions sévères en cas de violation de ces règ<strong>les</strong>, était jugée nécessaire afin de<br />

d’atteindre avec succès l’objectif d’assimiliation des enfants <strong>autochtones</strong>. Même si Duncan Campbell<br />

Scott, surintendant délégué des Affaires indiennes, attestait que c’était le droit et le devoir <strong>du</strong><br />

gouvernement fédéral canadien de protéger <strong>les</strong> enfants <strong>autochtones</strong> contre <strong>les</strong> mauvais traitements, il<br />

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