Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ... Syndrome d'alcoolisation foetale chez les peuples autochtones du ...

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Chapitre 5 fédéral a commandé une enquête en 1907 dans le but d’en déterminer la cause. Le Rapport Bryce, désigné ainsi en raison du Dr Peter Bryce, expert principal, a conclu que chaque élève des pensionnats devait être considéré comme un malade potentiel atteint de la tuberculose (Bryce, 1907). Dans sa réponse au Rapport Bryce, le ministère des Affaires indiennes, dirigé par Duncan Campbell Scott, n’a émis qu’un seul avis : celui faisant valoir que les recommandations formulées dans ledit rapport ne s’appliquaient pas au régime des pensionnats. A la suite de cette riposte, les familles et les collectivités autochtones ont continué à subir l’enlèvement de leurs enfants envoyés au pensionnat, que l’on associait de plus en plus à la maladie et à la mort (Kelm, 1996). En réaction contre ces risques encourus par leurs enfants, de nombreux parents ont essayé de résister à l’obligation scolaire en les gardant à la maison, mais en vertu des mesures législatives établies par le gouvernement, il était illégal d’agir ainsi. Kelm (1996) ironise que le régime des pensionnats était cependant basé sur la croyance que l’État et l’Église se devaient de « sauver » les enfants autochtones de leur milieu familial insalubre. En effet, à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, ces allégations apparaissent clairement dans les descriptions gouvernementales, notamment que les collectivités autochtones sont considérées comme « peu évoluées », « sales », que leurs enfants sont en mauvaise santé en raison de l’incapacité des parents « non civilisés », inaptes à prendre soin d’eux (Kelm, 1996; Million, 2000). En réalité, ce sont les pensionnats qui ont été de plus en plus responsables des infections, des maladies et de la mort chez les enfants autochtones ainsi que des répercussions dont les Autochtones souffrent encore de nos jours, notamment la perpétuation d’un mauvais état de santé (Kelm, 1996). Le gouvernement fédéral était un fervent partisan du concept selon lequel la combinaison d’atelier industriel et d’apprentissage d’activités économiques avec l’enseignement et l’acquisition de connaissances était le seul moyen de transformer les enfants autochtones et de les amener à être des Canadiens productifs (Furniss, 1992; Milloy, 1999). Jusqu’au milieu du vingtième siècle, la plupart des pensionnats fonctionnaient d’après le modèle de la « demi-journée » (Johnston, 1988; Haig-Brown, 1988; Miller, 1996; Milloy, 1999). La moitié de la journée était consacrée aux matières scolaires, tandis que l’autre moitié visait la formation pratique ou l’exercice d’un métier, comme la couture (pour les filles) ou l’agriculture (pour les garçons). Les pensionnats se caractérisaient par une réglementation très stricte (Bull, 1991; Feehan, 1996; Grant, 1996; Kelm, 1996; Miller, 1996; Milloy, 1999). Manger, travailler, étudier, dormir et faire des travaux de nettoyage représentaient les activités qui devaient être accomplies suivant un horaire rigide. Des manquements à l’observance de l’horaire imposé donnaient lieu à des punitions. Les rapports indiquent qu’il arrivait que les élèves passent plus de temps à travailler dans les champs qu’en classe (Milloy, 1999). Le programme scolaire des pensionnats était conçu pour enseigner aux enfants autochtones les rudiments de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique (Miller, 1996). Il était aussi utilisé comme moyen d’assimilation en réduisant l’écart entre les conditions de « sauvagerie » dans lesquelles, selon les perceptions du gouvernement et de l’Église, les enfants étaient élevés et la société coloniale « civilisée » dans laquelle, espéraient-ils, ceux-ci seraient admis (Milloy, 1999; Grant, 1999). Toutefois, les pensionnats se sont avérés inadéquats dans leur capacité à former les élèves. Les normes d’enseignement étaient très inférieures à celles des écoles provinciales avoisinantes destinées aux enfants non autochtones (Haig-Brown, 1988; Bull, 1991; Knockwood et Thomas, 1992; Miller, 1996; Fournier et Crey, 1997; Milloy, 1999). 80

Chapitre 5 Le programme d’études des pensionnats a fait abstraction et a discrédité l’héritage culturel des Autochtones. Cette approche se distinguait des stratégies adoptées dans les pensionnats amérindiens où on avait intégré des aspects de la langue et de la culture indiennes pour atténuer la pression exercée sur les élèves (Carroll, 2000). Au cours du vingtième siècle, certains inspecteurs d’école ont demandé que l’on revoie le curriculum en profondeur afin que celui-ci réponde aux besoins vitaux des enfants et tienne compte de leur héritage culturel. Ces inspecteurs d’école soutenaient que l’intégration – dans le programme scolaire – de l’histoire se rapportant à l’héritage culturel des Autochtones contribuerait à susciter chez les élèves l’intérêt d’apprendre (Milloy, 1999). Le gouvernement et les Églises ont, de façon constante, ignoré les recommandations en faveur d’une réforme du programme scolaire, et un curriculum fondé sur des valeurs racistes, ethnocentriques et eurocentriques a été maintenu. Entre 1890 et 1950, on a estimé qu’approximativement 60 % des élèves des pensionnats n’avaient pas atteint un niveau de connaissances allant au-delà de la troisième année. Ce pourcentage, pour certaines, est même plus élevé, allant jusqu’à 80 % (Milloy, 1999). L’échec scolaire a été attribué à des facteurs tels que l’insuffisance de fonds, le manque de compétence du personnel enseignant et au fait que les enfants autochtones étaient « mentalement retardés ». Comme excuse pour justifier le peu de résultats obtenus par les élèves des pensionnats, le gouvernement fédéral et l’Église invoquaient l’insuffisance de fonds, ce qui a par conséquent entraîné l’embauche d’un personnel enseignant peu qualifié, étant donné que l’on n’offrait que de bas salaires et que l’emplacement de la plupart des pensionnats ne représentait aucun attrait pour des enseignants compétents. C’est aussi par manque de moyens financiers que l’on forçait les élèves à passer autant de temps à travailler. Cette main-d’oeuvre assurait un revenu additionnel aux pensionnats (Grant, 1996; Miller, 1996; Milloy, 1999). Discipline, contrôle et punitions [TRADUCTION] Un jour, j’ai été prise par une des membres du personnel à passer mes notes ... J’ai été enfermée dans une pièce, et on m’a laissée là toute la journée sans rien à manger. Je ne pouvais pas aller à la toilette, j’ai donc mouillé ma culotte. J’avais neuf ou dix ans. J’ai séché mes sous-vêtements sur le calorifère et, bien sûr, l’odeur était épouvantable. Le soir venu, quand l’intendante est venue me chercher, elle a senti l’odeur et elle m’a frappée parce que je m’étais échappée; je ne pouvais pas faire autrement, je n’avais aucune place où aller. Elle m’a ensuite amenée au dortoir où les autres filles étaient déjà au lit. Elle m’a dit de mettre ma robe de nuit et de me coucher sur le ventre dans mon lit. Elle a pris une lanière de cuir et elle m’a frappée sur le dos. A la fin, j’étais tellement engourdie que je ne pouvais plus pleurer. Elle a pourtant continué à me frapper tout en disant aux autres filles qu’elle se servait de cette punition qu’elle m’administrait pour leur donner un exemple (cité dans Dieter, 1999 : 28). [TRADUCTION] L’établissement de la réalité coloniale survenu dans le Nouveau Monde continuera d’être un sujet de grande curiosité ainsi que l’étude du Nouveau Monde où les Indiens et les Africains, ces êtres « irrationnels et dépourvus de raison », sont devenus conformes à un petit nombre de Blancs chrétiens pourvus de raison. Quelles que soient les conclusions que nous dégagions sur la façon dont l’hégémonie a été aussi 81

Chapitre 5<br />

fédéral a commandé une enquête en 1907 dans le but d’en déterminer la cause. Le Rapport Bryce,<br />

désigné ainsi en raison <strong>du</strong> Dr Peter Bryce, expert principal, a conclu que chaque élève des pensionnats<br />

devait être considéré comme un malade potentiel atteint de la tuberculose (Bryce, 1907).<br />

Dans sa réponse au Rapport Bryce, le ministère des Affaires indiennes, dirigé par Duncan Campbell<br />

Scott, n’a émis qu’un seul avis : celui faisant valoir que <strong>les</strong> recommandations formulées dans ledit<br />

rapport ne s’appliquaient pas au régime des pensionnats. A la suite de cette riposte, <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> et <strong>les</strong><br />

collectivités <strong>autochtones</strong> ont continué à subir l’enlèvement de leurs enfants envoyés au pensionnat, que<br />

l’on associait de plus en plus à la maladie et à la mort (Kelm, 1996). En réaction contre ces risques<br />

encourus par leurs enfants, de nombreux parents ont essayé de résister à l’obligation scolaire en <strong>les</strong><br />

gardant à la maison, mais en vertu des mesures législatives établies par le gouvernement, il était illégal<br />

d’agir ainsi.<br />

Kelm (1996) ironise que le régime des pensionnats était cependant basé sur la croyance que l’État et<br />

l’Église se devaient de « sauver » <strong>les</strong> enfants <strong>autochtones</strong> de leur milieu familial insalubre. En effet, à la<br />

fin <strong>du</strong> dix-neuvième siècle et au début <strong>du</strong> vingtième, ces allégations apparaissent clairement dans <strong>les</strong><br />

descriptions gouvernementa<strong>les</strong>, notamment que <strong>les</strong> collectivités <strong>autochtones</strong> sont considérées comme<br />

« peu évoluées », « sa<strong>les</strong> », que leurs enfants sont en mauvaise santé en raison de l’incapacité des parents<br />

« non civilisés », inaptes à prendre soin d’eux (Kelm, 1996; Million, 2000). En réalité, ce sont <strong>les</strong><br />

pensionnats qui ont été de plus en plus responsab<strong>les</strong> des infections, des maladies et de la mort <strong>chez</strong> <strong>les</strong><br />

enfants <strong>autochtones</strong> ainsi que des répercussions dont <strong>les</strong> Autochtones souffrent encore de nos jours,<br />

notamment la perpétuation d’un mauvais état de santé (Kelm, 1996).<br />

Le gouvernement fédéral était un fervent partisan <strong>du</strong> concept selon lequel la combinaison d’atelier<br />

in<strong>du</strong>striel et d’apprentissage d’activités économiques avec l’enseignement et l’acquisition de connaissances<br />

était le seul moyen de transformer <strong>les</strong> enfants <strong>autochtones</strong> et de <strong>les</strong> amener à être des Canadiens pro<strong>du</strong>ctifs<br />

(Furniss, 1992; Milloy, 1999). Jusqu’au milieu <strong>du</strong> vingtième siècle, la plupart des pensionnats<br />

fonctionnaient d’après le modèle de la « demi-journée » (Johnston, 1988; Haig-Brown, 1988; Miller,<br />

1996; Milloy, 1999). La moitié de la journée était consacrée aux matières scolaires, tandis que l’autre<br />

moitié visait la formation pratique ou l’exercice d’un métier, comme la couture (pour <strong>les</strong> fil<strong>les</strong>) ou<br />

l’agriculture (pour <strong>les</strong> garçons). Les pensionnats se caractérisaient par une réglementation très stricte<br />

(Bull, 1991; Feehan, 1996; Grant, 1996; Kelm, 1996; Miller, 1996; Milloy, 1999). Manger, travailler,<br />

étudier, dormir et faire des travaux de nettoyage représentaient <strong>les</strong> activités qui devaient être accomplies<br />

suivant un horaire rigide. Des manquements à l’observance de l’horaire imposé donnaient lieu à des<br />

punitions. Les rapports indiquent qu’il arrivait que <strong>les</strong> élèves passent plus de temps à travailler dans <strong>les</strong><br />

champs qu’en classe (Milloy, 1999).<br />

Le programme scolaire des pensionnats était conçu pour enseigner aux enfants <strong>autochtones</strong> <strong>les</strong> rudiments<br />

de la lecture, de l’écriture et de l’arithmétique (Miller, 1996). Il était aussi utilisé comme moyen<br />

d’assimilation en ré<strong>du</strong>isant l’écart entre <strong>les</strong> conditions de « sauvagerie » dans <strong>les</strong>quel<strong>les</strong>, selon <strong>les</strong> perceptions<br />

<strong>du</strong> gouvernement et de l’Église, <strong>les</strong> enfants étaient élevés et la société coloniale « civilisée » dans laquelle,<br />

espéraient-ils, ceux-ci seraient admis (Milloy, 1999; Grant, 1999). Toutefois, <strong>les</strong> pensionnats se sont<br />

avérés inadéquats dans leur capacité à former <strong>les</strong> élèves. Les normes d’enseignement étaient très inférieures<br />

à cel<strong>les</strong> des éco<strong>les</strong> provincia<strong>les</strong> avoisinantes destinées aux enfants non <strong>autochtones</strong> (Haig-Brown, 1988;<br />

Bull, 1991; Knockwood et Thomas, 1992; Miller, 1996; Fournier et Crey, 1997; Milloy, 1999).<br />

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