Ilse Aichinger Les comptines du désastre « Nous ... - Esprits nomades
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<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong><br />
<strong>Les</strong> <strong>comptines</strong> <strong>du</strong> <strong>désastre</strong><br />
<strong>«</strong> <strong>Nous</strong> pouvons retourner ce qui semble tourné contre nous ; nous<br />
pouvons précisément entreprendre de raconter depuis la fin et jusquʼà la<br />
fin et cʼest de nouveau pour nous lʼaube <strong>du</strong> monde. Alors quand nous<br />
nous mettons à parler sous le gibet, cʼest de la vie même que nous<br />
parlons. »<br />
<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> est cette grande dame, peu connue en France, pourtant<br />
conscience inaliénable, de la littérature autrichienne en langue<br />
allemande, qui aura su tenir <strong>«</strong> un discours sous le gibet » et parler<br />
presque avant tout le monde, et en tout cas dʼune manière totalement<br />
unique, de la Shoah, et lʼaura racontée au travers des yeux dʼune petite<br />
fille.<br />
Son récit <strong>«</strong> Das vierte Tor » (<strong>«</strong> Le quatrième portail ») est le premier texte<br />
à parler des camps de concentration en Autriche dès 1945.<br />
Elle écrit également un texte brûlot de deux pages, un texte qui va<br />
fonder la nouvelle littérature autrichienne de langue allemande : <strong>«</strong> Aufruf<br />
zum Misstrauen » (<strong>«</strong> Appel à la défiance »). <strong>«</strong> Méfions-nous de nousmêmes.<br />
De la clarté de nos convictions, de la profondeur de nos<br />
pensées, de la bonté de nos actions ! De notre propre vérité, il faut se<br />
méfier ». Cette défiance constructive fondera aussi son œuvre.<br />
La plupart des écrivains seront marqués par cet appel à désapprendre<br />
pour mieux réapprendre la langue allemande, qui permettra dʼ<strong>«</strong> écrire »<br />
après Auschwitz. »<br />
Et son unique et aveuglant roman <strong>«</strong> Un plus grand espoir » écrit en<br />
1947, et paru en 1948, va être une onde de choc, un saisissement, au<br />
sortir de la guerre dʼextermination. Bien avant les textes de sa grande<br />
amie Ingeborg Bachmann, des incantations habitées de Paul Celan, des<br />
lamentos de Nelly Sachs qui restera son écrivain préféré, ou de ceux de<br />
Rose Ausländer, des témoignages cliniques de Primo Levi, une voix<br />
sʼétait levée pour jeter à la face dʼun pays refusant toute culpabilité et se<br />
faisant passer pour victime, les vérités des blessures et des massacres.<br />
Face à <strong>«</strong> lʼaustro-fascisme » dont parle Thomas Bernhard, son autre<br />
grand ami, elle ne déroulait que la marelle des jours des enfants<br />
pourchassés, assassinés. Le journal dʼAnne Frank publié lui aussi en<br />
1947 a pu émouvoir plus mondialement les gens, mais lʼhistoire dʼEllen<br />
narrée dans <strong>«</strong> Un plus grand espoir » nʼest pas un simple journal, mais<br />
un roman, une odyssée, écrit dans une langue qui transcende la langue<br />
des bourreaux, qui la désapprend et la réinvente, débarrassée des<br />
or<strong>du</strong>res nazies.<br />
On ne sort pas indemne de la tragique odyssée dʼEllen son double<br />
autobiographique, qui entre rêves et horreur <strong>du</strong> quotidien, nous raconte<br />
ce que fut la ville de Vienne dès 1938, toute entière tournée vers le<br />
massacre des innocents.<br />
Cette prose lyrique et poétique nʼavait pas de précédent, et nʼaura pas<br />
de suite. Il sʼagit dʼune des œuvres maîtresses <strong>du</strong> vingtième siècle.<br />
Cette errance des enfants pourchassés, interdits de tout – école, parcs,
manèges, vie - en quête dʼune protection contre les tueurs, dʼun saufcon<strong>du</strong>it,<br />
dʼun certificat, leur évitant la déportation est décrite comme un<br />
conte atroce. Mais nul ne se portera garant pour eux.<br />
Et les 200 000 juifs de Vienne seront traqués, dénoncés, en route pour<br />
lʼextermination. 65 000 seront assassinés avec la pleine collaboration de<br />
ses habitants. 25 000 sang-mêlé (mischlings) seront eux aussi tués, car<br />
ils avaient trop dʼancêtres <strong>«</strong> mauvais », cʼest-à-dire juifs. <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong><br />
était sang mêlé plus présentable, ce qui lui permettra de rester <strong>du</strong> côté<br />
de la vie, contrairement à sa famille maternelle, qui elle sera totalement<br />
anéantie.<br />
<strong>«</strong> Aucun jour pour rien », dit pourtant <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong>, qui avec les mots<br />
des victimes, des pourchassés, élèvent ces victimes à une sorte d e<br />
rédemption, de transcendance, une fuite vers le ciel bleu, <strong>«</strong> là où ils ne<br />
seront pas serrés » (Celan).<br />
Sa nouvelle Spiegelgeschichte, histoire dans un miroir, publiée en 1948<br />
va marquer toute une génération.<br />
<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> a aussi écrit de bouleversantes nouvelles parues sous le<br />
titre Eliza, Eliza, et des poèmes parus en allemand sous le titre<br />
Verschenkter Rat, (Conseil offert), et en français sous le titre <strong>«</strong> Le jour<br />
aux trousses » dans une tra<strong>du</strong>ction exemplaire de Rose-Marie François<br />
qui a tenté et réussi à rendre plus lisibles les énigmes hermétiques qui<br />
les constituent.<br />
En effet <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong>, enfant caché, ne peut écrire que dans une langue<br />
cachée, méfiante, cryptée, comme si les bourreaux étaient toujours<br />
parmi nous. Elle semble porter un devoir de méfiance, et non de haine<br />
<strong>«</strong> La mélancolie, c'est notre dernière possession. », est lʼune de ses<br />
phrases. Et devant toutes ces vies per<strong>du</strong>es dʼavance, ces fuites<br />
éper<strong>du</strong>es, ces désespoirs qui semblent venir boire dans ses mains, <strong>Ilse</strong><br />
<strong>Aichinger</strong> dresse une stèle émue, mais sans aucun pathos à tous ces<br />
enfants partis en fumée.<br />
Elle le fait <strong>du</strong> point de vue de l'aliénation.<br />
Et terrible sa voix dʼenfant sʼimprime à jamais en nous. Elle femme<br />
discrète, presque effacée comme ses poèmes qui se dissolvent dans le<br />
silence et lʼinterrogation. <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> semble ne vouloir laisser que peu<br />
de traces derrière elle, si ce nʼest ses écrits qui sont autant <strong>«</strong> de brasiers<br />
dʼénigmes » comme avait dit sa chère Nelly Sachs.<br />
Reconnue, admirée par Thomas Bernhard, Ingeborg Bachmann, le<br />
groupe littéraire des 47, elle a vu sʼamonceler les prix littéraires à ses<br />
pieds. Mais <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> demeure lointaine, ailleurs, sautant dans le ciel<br />
bleu comme son héroïne Ellen, son double dans <strong>«</strong> Un plus grand<br />
espoir ». Elle demeure comme <strong>«</strong> celle qui longe nos haies aveugles ,<br />
toute seule, et passe ». (Prénom de papillon)<br />
Une vie dans le miroir éclaté de lʼenfance et<br />
le devoir de méfiance
<strong>«</strong> Je ne puis me représenter aucun endroit au monde dont je puisse<br />
dire : je suis vraiment chez moi. »<br />
<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> est une déracinée à lʼintérieur dʼelle-même, juive par sa<br />
mère et avec un père fier de porter lʼuniforme nazi. Elle échappera aux<br />
rafles, par son statut ambigu de sang-mêlé, pas tout à fait juive, pas<br />
assez aryenne, et la protection discrète de son père accentuera sa<br />
culpabilité de survivante. Seule la fraternité <strong>du</strong> petit groupe de fuyards<br />
comme elle, et dont très peu échapperont au massacre, sera un peu de<br />
chaleur.<br />
Sa ville de Vienne quʼelle aimait tant va devenir une prison, un vaste<br />
territoire de dénonciation et de haine antisémite, où les voisins, les amis<br />
se détournent et vous traquent. Plus dʼamis, pas de pitié, et la quête<br />
désespérée au certificat dʼaryanité ou au visa permettant de survivre<br />
sont sans espoir. Cette Vienne des opérettes et des valses, mais aussi<br />
de la Sécession et de Mahler, se donnait avec extase sur la Place des<br />
Héros à son maître Hitler.<br />
<strong>«</strong> Ville homicide et familière », dira <strong>Aichinger</strong> de Vienne.<br />
<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> ne pouvait plus être chez elle dans ce pays qui a<br />
massacré son enfance. Elle ne pouvait plus être non plus dans son pays<br />
intérieur, aussi cʼest par un regard dʼenfant quʼelle exorcisera les<br />
lambeaux de sa vie brisée, pour que <strong>«</strong> le jour aux trousses » ne la<br />
rattrape plus.<br />
Elle est née à Vienne le 1er novembre 1921, ainsi que sa sœur jumelle<br />
Helga. Sa mère est juive et exerce le métier de médecin. Son père est<br />
instituteur catholique et sensible aux thèses nationalistes en cours, fier<br />
de son aryennité. Elle passera sa petite enfance à Linz.<br />
<strong>Les</strong> parents divorcent en 1926, et <strong>Ilse</strong> est élevée à Vienne par sa mère<br />
et son père coupe les ponts avec la famille et devient un partisan des<br />
nazis et renie sa famille, et il portera lʼuniforme nazi après lʼAnschluss de<br />
1938.<br />
Pourtant il aidera en secret sa fille à passer entre les mailles <strong>du</strong> filet.<br />
De 1938 à 1945 la famille juive dʼ<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> est soumise aux<br />
humiliations et aux persécutions. Sa mère perd son emploi de médecin, ,<br />
mais surtout la déportation frappe sa famille et la plupart de ses proches,<br />
frères et sœurs de sa mère et sa grand-mère adorée, sont assassinés<br />
en 1942, dans les camps dʼextermination près de Minsk.<br />
Sa sœur Helga réussit à sʼenfuir en 1939 en Angleterre dans lʼun des<br />
derniers transports dʼenfant, <strong>Ilse</strong> nʼa pas cette chance, <strong>Ilse</strong> devait suivre<br />
avec le reste de la famille, mais le projet va échouer. En tant que demijuive,<br />
<strong>Ilse</strong> ne peut poursuivre aucune étude et ne peut entreprendre en<br />
1939 ses études de médecine car la loi raciale le lui interdit. Sa mère et<br />
elle, sont soumises au service obligatoire de travail.<br />
Elles seront réquisitionnée pour travailler dans les services sanitaires de<br />
lʼarmée. <strong>Ilse</strong> vit avec sa mère dans une toute petite pièce sombre,<br />
proche de la Gestapo, située à lʼHotel Metropol de Morzinplat! Elle lui<br />
sert de caution, car les lois raciales de Nüremberg, stipulent que la mère<br />
juive est protégée jusquʼà la majorité de son enfant sang-mêlé si elle vit<br />
sous le même toit avec sa belle-fille mineure. Selon les lois de
Nuremberg, sa mère était protégée tant qu'elle a vécu sous le même toit<br />
avec sa belle-fille mineure <strong>«</strong> au premier degré sang-mêlé. »<br />
<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> se réfugie dans lʼécriture.<br />
En 1945, lʼAutriche <strong>«</strong> libérée », mais non dénazifiée à cause de la guerre<br />
froide naissante, <strong>Ilse</strong> peut reprendre des études de médecine quʼelle va<br />
vite abandonner pour lʼécriture.<br />
Et elle publie en 1945 son récit <strong>«</strong> Das vierte Tor » (<strong>«</strong> Le quatrième<br />
portail ») premier texte à parler des camps de concentration en Autriche.<br />
Il dérange, mais ne change pas les consciences.<br />
En 1946 son <strong>«</strong> Appel à la défiance » a un impact immense sur les<br />
intellectuels.<br />
En 1948, paraît son seul roman <strong>«</strong> Die grössere Hoffnung » (<strong>«</strong> Un plus<br />
grand espoir »), chef-dʼœuvre en partie autobiographique, et roman<br />
phare <strong>du</strong> siècle. Cʼest aussi lʼannée de parution de Pavot et Mémoire de<br />
son ami Paul Celan.<br />
De 1949 à 1950 elle est lectrice auprès de lʼéditeur Fischer, qui sera son<br />
éditeur exclusif. DE 1950 à 1951 elle devient lʼassistante dʼInge Aicher-<br />
Scholl à l'École de design d'Ulm.<br />
Elle rejoint en 1951 le groupe littéraire allemand <strong>«</strong> Gruppe 47 ».<br />
En 1952 son livre <strong>«</strong> Lʼhomme ligoté » (Der Gefesselte) est récompensé.<br />
Elle se marie en 1953 avec le poète Günther Eich. Elle aura deux<br />
enfants avec lui, Clemens en 1954 et Mirjam en 1957.<br />
Elle écrit à cette époque des pièces radiophoniques dont <strong>«</strong> Die Knöpfe »,<br />
les boutons qui la rendent célèbre. Et les prix littéraires sʼaccumulent.<br />
Après avoir vécu en Allemagne, Francfort et Bavière notamment, la<br />
famille retourne en Autriche près de Salzbourg en 1963. Après un<br />
nouveau séjour à Francfort en 1984, elle va sʼétablir définitivement à<br />
Vienne. Entre-temps son recueil de nouvelles Eliza, Eliza, (1965), son<br />
recueil de poésie <strong>«</strong> Verschenkter Rat », Conseil gratuit, paraît en 1978 et<br />
regroupe la totalité de ses poèmes de 1955 à 1978. Deux deuils vont<br />
assombrir sa vie, la mort de son mari Günther Eich le 20 décembre 1972,<br />
et celle de son fils Clemens, dans un accident en février 1998.<br />
Après avoir écrit son autobiographie en 2001, <strong>«</strong> Film und Verhängnis.<br />
Blitzlichter auf ein Leben », Film et <strong>désastre</strong>. <strong>Les</strong> lumières aveuglantes<br />
dʼune vie, après 14 ans dʼabandon de lʼécriture, <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> se retire<br />
progressivement de la vie publique et littéraire. Marquée à jamais par<br />
son enfance massacrée, elle dira que la vie est une proposition absurde<br />
et voudra disparaître, ou <strong>du</strong> moins sʼeffacer. <strong>«</strong> La peur reste avec moi »<br />
avouera-t-elle.<br />
Elle vit à Vienne où son 90e anniversaire a été célébré avec faste en<br />
2011. Mais elle reste étrangère à jamais. Elle lʼétranger pour elle nʼest<br />
pas un pays lointain mais sa ville natale de Vienne, pays étranger et<br />
homicide, mais si familier. Là entre café et cinéma, elle regarde sʼécouler<br />
la courbe <strong>du</strong> temps.<br />
<strong>«</strong> Qui est étranger, vous ou moi ? La haine est plus étrangère que d'être<br />
haï, et les plus étrangers sont ceux qui se sentent le plus à la maison. »<br />
Raconter la fin pour restituer lʼaube <strong>du</strong> monde
<strong>«</strong> Ne me rattrape pas mon jour,<br />
mais reste à mes trousses. » (Près de Linz)<br />
Et le jour, mais aussi les nuits de fuite et de terreur passées à Vienne<br />
sont aussi à ses trousses. Dans <strong>«</strong> lʼoutrenoir » de lʼhumanité, là où la<br />
chasse à lʼenfant battait son plein <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> a survécu, mais comme<br />
tous les survivants et leur culpabilité profonde dʼêtre encore vivant et les<br />
autres non, elle a voulu témoigner, dire lʼindicible :<br />
<strong>«</strong> Entreprendre de raconter depuis la fin et jusquʼà la fin, et cʼest de<br />
nouveau pour nous lʼaube <strong>du</strong> monde ».<br />
Raconter, non pour maudire ou haïr, mais dire comme le pourrait un<br />
enfant mélangeant réel et rêves, traques et <strong>comptines</strong>, faire se le ver<br />
<strong>«</strong> un plus grand espoir ». Là où la neige ne rouillerait pas avant lʼannée,<br />
où le soleil ne serait pas décapité, et la grand-mère poussée au suicide.<br />
Là où quelquʼun se porterait garant de vous, vous sauvant par un<br />
certificat de la déportation et <strong>du</strong> néant.<br />
Mais cela arriva rarement et chaque bon habitant avait à cœur de<br />
dénoncer les juifs.<br />
Elle parle peu <strong>du</strong> sort des a<strong>du</strong>ltes, mais plutôt de ceux des enfants<br />
errants dans les cimetières et la faim. Ce qui fut son sort.<br />
Et la descente des rêves sʼest brisée :<br />
Matin d'hiver <br />
Avant que ne rouille et se casse <br />
la descente des rêves, <br />
laissez-y glisser les bien-aimés, <br />
grands et petits en manteaux gris, <br />
regardez, la piste claire, la glace. (Tra<strong>du</strong>ction Rose-Marie François)<br />
Et dans leurs petits manteaux gris les enfants sont partis vers les camps<br />
de la mort, et la glace reste seule et aveuglante, là où jadis ils patinaient.<br />
Face aux cordes des bourreaux <strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> semble sʼévader par<br />
lʼenvol vers lʼailleurs, lʼimmersion dans les chansons populaires, les<br />
contes et les <strong>comptines</strong>. Elle transfigure le réel par lʼirréel de lʼenfance.<br />
Elle écrit en allemand, mais en fait elle semble écrire dans une langue<br />
étrangère qui parfois se recoupe avec celle-ci. Sa langue est de lʼautre<br />
côté de notre condition humaine, elle devient un pays pour la fuite des<br />
enfants, un refuge où les enfants ne sont plus pris à parti <strong>«</strong> par les<br />
chasseurs » - mot qui revient souvent chez elle pour désigner les nazis -.<br />
Dans ce pays tournent des manèges pour eux, les parcs ne leur sont<br />
plus interdits, et ils ne sont plus obligés dʼapprendre une langue pour<br />
sʼenfuir outre océan.<br />
<strong>«</strong> Toujours chercher pour reste ailleurs »<br />
Et aussi bien dans son roman, ses nouvelles, ses poèmes, reviennent<br />
sans cesse les thématiques de la fuite, de la méfiance, de la perte, de la<br />
nature qui se referme contre les enfants. Ils ne restent à ces enfants que<br />
des lambeaux dʼenfance, construits avec les poupées de quelques<br />
souvenirs, de quelques chansons qui traînent dans la tête, de quelques
lieux familiers interdits.<br />
Elle qui <strong>du</strong> côté maternel a vu disparaître la quasi-totalité de sa famille,<br />
ne dresse pas un chant de consolation, car elle nʼy croit plus, mais des<br />
écharpes de tendresse, des échappées de rêve, et le <strong>«</strong> plus grand<br />
espoir », nʼest pas de survivre, mais de rejoindre lʼétoile <strong>du</strong> berger et le<br />
ciel bleu.<br />
Elle refuse toute parabole, toute symbolique, et ses mots angoissants,<br />
parfois hermétiques, parlent de lʼobscurité qui descend sur la vie.<br />
Tout semble chuchoté, naître <strong>du</strong> silence et y retourner, pour ne point se<br />
trahir et se faire prendre.<br />
Ce silence habité est son cri intériorisé, sa langue :<br />
<strong>«</strong> Aujourdʼhui, la langue ne parle plus, elle a per<strong>du</strong> la parole. <strong>Nous</strong><br />
devons sortir de cette <strong>«</strong> manipulation », sinon nous sommes tous<br />
per<strong>du</strong>s...Car la fausse langue fait de nous des sans-abri, la vraie langue<br />
nous procure une demeure...La langue est le premier et le dernier lieu de<br />
la vie. » (Materialen cité par Rose-Marie François).<br />
Ses poèmes courts, ramassés dans leur mystère sont à lire et écouter en<br />
état de veille, car ils semblent souvent nous échapper, énigmatiques,<br />
méfiants. Ils glissent, ils passent, loin de nous, mais déjà en nous.<br />
Ils sont ainsi imprégnés de senteurs, dʼanimaux,, de couleurs, de<br />
tristesse aussi, de lumière se souvenant des lieux enchantés de<br />
lʼenfance avant le <strong>désastre</strong>. La pluie frappe contre la fenêtre de ses mots.<br />
Et toutes ses <strong>comptines</strong> <strong>du</strong> <strong>désastre</strong> nous disent dans une langue<br />
cachée, lʼenfant caché. Ils ne restent que quelques cailloux blancs à<br />
déchiffrer. La biographie dʼ<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> est lʼune des clés. La<br />
connaissance de lʼAutriche en ce temps, ses histoires populaires, ses<br />
légendes et ses horreurs, en est une autre.<br />
Sur le silex de ces poèmes incantatoires, il suffirait aussi de se laisser<br />
porter par des yeux dʼenfants et par la courbe <strong>du</strong> temps. Ils résistent au<br />
sens des a<strong>du</strong>ltes et sʼouvrent à celui des enfants. <strong>Les</strong> ombres <strong>du</strong><br />
<strong>désastre</strong> deviennent alors de noirs oiseaux qui grincent sous nos regards.<br />
Ces enfants dont le seul sauf-con<strong>du</strong>it était un permis de mourir, errent<br />
sous la lune, avec une étoile jaune couvrant lʼétoile <strong>du</strong> berger. Ils<br />
passent et repassent, à peine esquissés dans les poèmes, mais à jamais<br />
inconsolables.<br />
Ce rejet, cette chasse à lʼenfant, galope dans toutes les nuits des mots.<br />
Enfance rasant les murs, se souvenant des villages, mots cachés,<br />
écriture dissimulée pour raser le sens dʼune langue qui a menti.<br />
Ce monde meurt et vous rend coupable de ses fautes. Et les ombres<br />
consolatrices ne se sont jamais penchées sur eux. Ils sont restés seuls,<br />
puis emportés dans le néant.<br />
<strong>«</strong>La bonne littérature est identique à la mort. », dira-t-elle désabusée<br />
<strong>«</strong> car tout ce que vous dites ou écrivez n'est que la conclusion de ce qui<br />
ne se dit pas"<br />
Il fait nuit, il fait froid dans le pays des mots dʼ<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong>. Et aux<br />
portes des églises, dans la ville, ne tournent que la mort et la
dénonciation, et les rêves sont pen<strong>du</strong>s aux clochers, évanouis dans les<br />
parcs.<br />
Seuls flottent encore des bouts dʼhistoire qui font encore écran entre les<br />
<strong>«</strong> chasseurs », les nazis, et le rêve qui permet la survie quelques<br />
instants encore. Contes de vieilles femmes, contes de petite fille, contes<br />
de la vie qui glisse des doigts. Avec cette logique des enfants qui affirme<br />
que ce qui peut être imaginé, décrit, peut exister, et réciproquement. Ces<br />
contes prolongent la vie en faisant se lever un espoir, bien sûr irrationnel.<br />
Le paradis de lʼenfance est le seul endroit où se sont réfugiés les anges.<br />
Ainsi ces histoires que demande encore et encore Ellen à sa grand-mère,<br />
afin de retarder le suicide de celle-ci.<br />
Elle se méfie des images, des connexions entre elles, et dans ses<br />
poèmes nomme lʼessentiel des êtres et des choses, méfiante de la<br />
poésie même, méfiante <strong>du</strong> monde.<br />
<strong>«</strong> Je sais que le monde est pire que son nom et que par conséquent, son<br />
nom est aussi mauvais. »<br />
<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong>, pas tout à fait juive, elle la demi-juive, car ayant un père<br />
aryen en uniforme nazi, est dans cet entre-monde où lʼon peut basculer<br />
de la vie à la mort suivant le fait dʼavoir de <strong>«</strong> bons » ou de <strong>«</strong> mauvais »<br />
ancêtres, au seuil des douleurs. Elle se définit comme <strong>«</strong> une exilée dans<br />
lʼexil », et ses textes sont une quête pour trouver sa place, et un sens à<br />
tout cela.<br />
Elle a per<strong>du</strong> son espoir de sauver lʼenfance, et donc lʼhumanité. Sa vie<br />
se ré<strong>du</strong>it à son devoir de récit de la destruction dʼun siècle.<br />
Parler de ceux qui comme sa grand-mère disait <strong>«</strong> Je préférerais avoir<br />
disparu avant la naissance », comme ces enfants <strong>«</strong> nés pour être<br />
assassinés »<br />
Mais peut-être que le sens secret est la longue <strong>du</strong>rée de sa vie et de son<br />
écriture.<br />
<strong>«</strong> L'écriture est d'apprendre à mourir", a noté <strong>Aichinger</strong>.<br />
Elle qui craint tant que le silence soit de retour, a forgé les armes de la<br />
mémoire par ses livres.<br />
Et elle aura su <strong>«</strong> mettre des mots compréhensibles sur<br />
l'incompréhensible. »<br />
"Gil Pressnitzer"""<br />
Source : $Le jour aux trousses, recueil de poèmes tra<strong>du</strong>it de l'allemand et<br />
présenté par Rose-Marie François, collection Orphée, éditions de la<br />
Différence, 1992.<br />
Choix de textes<br />
Un plus grand espoir<br />
La lune pâlissait.
Ellen essayait de saisir le visage de sa mère. De ses deux bras, elle<br />
essayait de saisir ce visage brûlé de larmes sous le chapeau noir. Ce<br />
visage qui avait donné au monde chaleur et vérité, ce visage de toujours,<br />
ce visage unique. D'un geste implorant, Ellen voulut saisir une fois encore<br />
ce premier visage, ce trésor de secrets, mais le visage de sa mère était<br />
devenu insaisissable, il s'échappa et devint pâle comme la lune quand<br />
blanchit l'aube.<br />
Ellen hurla. Elle rejeta la couverture, essaya de se redresser et saisit<br />
le vide. De ses dernières forces elle baissa les barreaux. Elle tomba <strong>du</strong> lit.<br />
Et elle tomba loin.<br />
Personne n'essayait de la retenir. Nulle part une étoile à laquelle<br />
s'agripper. Ellen tombait à travers les<br />
bras de toutes ses poupées et de ses ours en peluche. Comme un ballon<br />
traverse un cerceau, elle tombait à travers la ronde des enfants dans la<br />
cour qui ne voulaient pas la laisser jouer avec eux. Ellen tombait à travers<br />
les bras de sa mère.<br />
Le croissant de lune la rattrapa, et, chavirant sournoisement comme<br />
tous les berceaux, il la projeta loin de lui. <strong>Les</strong> nuages n'avaient rien d'un<br />
édredon, le ciel n'était pas une voûte bleue. Mensonges, tout cela. Le ciel<br />
était béant, mortellement béant, et dans sa chute Ellen comprit que le<br />
haut et le bas avaient cessé d'exister. Elles l'ignoraient donc encore, ces<br />
pauvres grandes personnes qui appelaient <strong>«</strong> saut » la chute vers le bas et<br />
<strong>«</strong> vol » la chute vers le haut ? Quand le comprendraient-elles ?<br />
Dans sa chute, Ellen déchira les images <strong>du</strong> grand livre d'images, le filet<br />
des acrobates.<br />
Sa grand-mère la souleva et la remit dans son lit. Brûlants et<br />
inexorables comme des courbes de température, la lune et le soleil, les<br />
jours et les nuits, montaient puis retombaient.<br />
Tra<strong>du</strong>ction : Uta Müller et Denis Denjean. Copyright éditions Verdier<br />
Eliza, Eliza<br />
<strong>Les</strong> anges de la nuit<br />
Ce sont les jours clairs de décembre, qui ne se font pas dʼillusions sur<br />
leur propre clarté et ainsi deviennent de plus en plus clairs, qui sʼirritent<br />
de leur pâleur et accueillent leur brièveté comme une promesse, qui se<br />
nourrissent des longues nuits, assez forts pour parvenir sans peine à<br />
leur terme, assez forts, assez faibles et doux.<br />
Ce sont les jours qui tirent <strong>du</strong> noir leur éclat et rien que de lui. Il y en a<br />
peu. Car sʼil y en avait beaucoup, il y aurait aussi trop de bizarre, trop<br />
dʼhorloges de clocher deviendraient tout simplement lʼœil même de Dieu.<br />
Aussi ces jours sont ils rares afin que le bizarre reste bizarre, afin que<br />
les gens revenus de la guerre ne souffrent pas trop souvent de leurs
membres arrachés par les balles, ni ne tiennent trop de choses dans<br />
leurs mains amputées depuis longtemps par le gel. Quʼils ne connaissent<br />
pas trop la paix de la nuit.<br />
Mais parfois, il y a des nuits comme des oiseaux qui ont oublié de<br />
prendre leur vol vers le sud. Ils déploient leurs ailes claires au-dessus de<br />
la ville et lʼair vibre de leur chaleur, ils rendent encore une fois notre<br />
souffle invisible avant le gel. Et quand vient lʼheure, ils se dépêchent de<br />
mourir. Ils ne veulent ni long crépuscule ni nuages rouges, ils ne<br />
répandent pas leur sang à<br />
la vue de tous. Ils tombent des toits et il fait sombre.<br />
Peut-être sʼil n'y avait pas ces oiseaux égarés, ces jours clairs de<br />
décembre, pas un seul ne croirait encore aux anges, alors que tous les<br />
autres en rient déjà, pas un seul nʼentendrait les froissements des ailes<br />
avant lʼaube, alors que tous les autres nʼentendent quʼaboyer les chiens...<br />
En ce temps-là, jʼignorais encore que ce sont les anges qui prouvent<br />
notre existence.<br />
Ce nʼest pas nous qui les rêvons, ce sont les anges qui nous rêvent.<br />
<strong>Nous</strong> sommes les fantômes de leurs nuits claires, cʼest nous qui<br />
claquons les portes qui nʼexistent pas, qui sautent par-dessus des<br />
cordes qui cliquettent comme des chaînes.<br />
Peut-être devrions-nous être plus doux dans leurs rêves, afin de ne pas<br />
leur faire peur...<br />
Tra<strong>du</strong>ction : Henri Plard. Copyright éditions Verdier<br />
Dédicace<br />
Je ne vous écris pas de lettres,<br />
mais il me serait facile de mourir avec vous.<br />
Doucement, nous nous laisserions glisser<br />
le long des lunes, une première halte<br />
auprès des cœurs de laine, puis<br />
une autre parmi les loups, les framboisiers<br />
et ce feu que rien n'apaise ; à la troisième,<br />
j'aurais traversé les fines mousses<br />
des nuages raréfiés,<br />
passé sans effort le pauvre fourmillement<br />
des étoiles, pour arriver<br />
dans votre ciel, tout près de vous.<br />
tra<strong>du</strong>it par Rose-Marie François
Enfant trouvé<br />
Glissé sous la neige,<br />
inconnu des anges,<br />
ni trésor, ni faveur,<br />
jamais offert aux fées,<br />
mais caché dans les grottes,<br />
toutes traces vivement effacées<br />
des cartes de la forêt.<br />
Un renard enragé<br />
le mord et le réchauffe,<br />
lui prodigue bien vite les premières tendresses<br />
puis s'en va, tremblant et torturé,<br />
se rendre à la mort.<br />
Qui aidera cet enfant ?<br />
<strong>Les</strong> mères,<br />
leur angoisse ancestrale,<br />
les chasseurs,<br />
leurs cartes faussées,<br />
les anges,<br />
leurs plumes chaudes,<br />
leurs ailes vides de missions ?<br />
On n'entend rien,<br />
ni dans l'air un battement,<br />
ni au sol un pas sourd.<br />
Ah ! Reviens donc, toi,<br />
vieux sauveur frénétique,<br />
glisse-toi encore auprès de lui,<br />
mords-le, égratigne-le,<br />
réchauffe-le, tant que sont encore chaudes tes pattes<br />
de voleur,<br />
car à part toi<br />
personne ne viendra,<br />
sois-en sûr.<br />
tra<strong>du</strong>it par Rose-Marie François<br />
Bien trop tôt<br />
Tu ne couches auprès de moi aucune pierre,<br />
pour mettre plus haut notre deuil si ancien,<br />
ne me donnes aucune lumière à craindre<br />
et aucune crainte, pour faire plus de clarté,<br />
même pas un lambeau de mélancolie,<br />
que réclame chaque étoile.<br />
Tu tʼagites près de ton enfant trouvé<br />
et moi je nʼai pas encore trouvé<br />
les demoiselles de cire,<br />
qui sont plus calmes,<br />
que Jésus dans la crèche,<br />
pas encore.<br />
Adaptation personnelle<br />
Conseil pour le temps présent
Avant tout<br />
tu dois croire<br />
que le jour survient<br />
quand le soleil se lève.<br />
Mais si tu ne le crois pas,<br />
dis oui.<br />
Ensuite,<br />
tu dois croire<br />
et de toutes tes forces,<br />
que la nuit survient,<br />
quand la lune se lève.<br />
Si tu ne le crois pas,<br />
dis oui,<br />
ou approuve en hochant la tête,<br />
cela ils lʼacceptent également .<br />
(Zeitlicher Rat, 1978)<br />
Adaptation personnelle<br />
Comptine<br />
Le jour, celui où tu es venu<br />
dans la glace sans chaussures<br />
le jour, celui<br />
où les deux veaux<br />
ont été con<strong>du</strong>its à lʼabattoir<br />
Le jour, celui où<br />
je me suis tiré une balle dans lʼœil gauche.<br />
Mais plus jamais, ce jour où<br />
dans le journal des bouchers on pouvait lire,<br />
la vie continue,<br />
le jour, où elle a continué.<br />
Adaptation personnelle<br />
Jour qui passe<br />
Une journée tranquille de Juin<br />
me brise les os,<br />
mʼégare,<br />
me jette contre le portail,<br />
me pend aux clous,<br />
qui avec les couleurs<br />
jaune, blanc et argentée,<br />
ne me ratent pas,<br />
avec personne,<br />
laisse donc au loin la casquette des fous,<br />
ma chanson préférée,<br />
mʼétrangle<br />
avec ses frais nœuds coulants
tant que je respire encore.<br />
Reste, cher jour.<br />
Adaptation personnelle<br />
Le commencement <strong>du</strong> lieu<br />
Je n'ai pas confiance en la paix,<br />
ni aux voisins, ni aux buissons de roses,<br />
au mot chuchoté.<br />
J'ai enten<strong>du</strong>,<br />
quʼils étendent les peaux au collet,<br />
quʼils basculent les bancs avant lʼhiver,<br />
leurs braillements de joie dégringolent<br />
armés pour le sommeil<br />
au travers des écoles et des églises<br />
encore et encore.<br />
Qui croient encore les oiseaux<br />
qui demeurent,<br />
la fumée par-dessus l'herbe rase ?<br />
Adaptation personnelle<br />
Échanges de lettres<br />
Si la poste passait la nuit<br />
et que la lune glissait sous la porte<br />
les mots malades,<br />
ils surgiraient comme des anges<br />
dans leurs blanches tuniques,<br />
et se tiendraient silencieux<br />
sur le seuil.<br />
Adaptation personnelle<br />
Réponse de lʼhiver<br />
Le monde est fait de lʼétoffe<br />
qui réclame de la considération,<br />
plus dʼyeux désormais,<br />
pour regarder les blanches prairies,<br />
plus dʼoreilles, pour entendre<br />
dans les fourrés le frémissement des oiseaux.<br />
Grand-mère, où sont donc tes lèvres<br />
pour goûter les herbes,<br />
et qui donc nous fera humer le ciel<br />
jusquʼà la fin ?<br />
quelles joues se frottent et sʼécorchent aujourdʼhui encore<br />
aux murs <strong>du</strong> village ?<br />
Nʼest-ce pas une sombre forêt<br />
où nous sommes parvenus ?
Non, grand-mère, elle nʼest pas sombre,<br />
je le sais, car jʼai longtemps habité<br />
avec les enfants à sa lisière,<br />
et aussi il nʼy a pas de forêt.<br />
Adaptation personnelle<br />
Pénurie de servantes<br />
Qui des rochers conserve la trace,<br />
qui borde les herbes,<br />
et nous enferme dans les places<br />
de lʼautre côté des rues ?<br />
Ceux qui mangeaient avec la cuillère,<br />
ont emporté avec eux dans leurs souliers<br />
les pierres,<br />
et ils sont partis depuis longtemps.<br />
Qui encore nous aide,<br />
qui laisse maintenant le soleil<br />
dans son jeu léger ?<br />
Sommes-nous dʼarbre en arbre<br />
restés tout seul<br />
ou bien les ombres, les consolatrices, vont bouger,<br />
hors de leurs filets,<br />
pour bientôt se pencher sur nous ?<br />
Adaptation personnelle<br />
Chemin de village<br />
En automne se moquent les étourneaux<br />
et parfois jʼentends les portes<br />
cogner deux fois,<br />
dont une fois en rêve.<br />
Qui nous a donné les images,<br />
les pommes rouges,<br />
dans le jardin <strong>du</strong> charbonnier,<br />
absurdement, mais disposé<br />
à se perdre avec nous.<br />
Adaptation personnelle<br />
Treize ans<br />
La fête des cabanes est loin,<br />
le brillant des châtaignes,<br />
alignées devant la fenêtre <strong>du</strong> jardin.<br />
Et encore dans la pièce<br />
la bougie,<br />
les religions <strong>du</strong> monde.
La poussière des déserts sous le pneu <strong>du</strong> vélo.<br />
Après ce midi<br />
le crépuscule survient plus vite.<br />
<strong>Les</strong> compagnons<br />
et une tombe verte,<br />
Rajissa.<br />
Le soir nous serons à nouveau là,<br />
nous ne serons plus jamais là.<br />
Adaptation personnelle<br />
Fin de ce qui ne fut pas écrit<br />
Ainsi nul ne saura<br />
de nos atomes cognés lʼun contre lʼautre<br />
quand nous aurons couru sur le pont,<br />
et de ce qui est resté allongé derrière nous,<br />
ils ne lʼapprendront pas :<br />
les faibles signes des noms,<br />
les soleils sans tête.<br />
<strong>Les</strong> halls dʼentrée des hôpitaux<br />
sont silencieux.<br />
Adaptation personnelle<br />
Bibliographie<br />
En français<br />
<strong>«</strong> Un plus grand espoir » (Die größere Hoffnung), 1948 (roman)<br />
tra<strong>du</strong>ction française éditée chez Verdier, mars 2007<br />
Eliza Eliza, 1965 (nouvelles), tra<strong>du</strong>ction française éditée chez Verdier
sous le même titre, comprend également "l'Homme ligoté" (mars 2007)<br />
Eliza, Eliza (nouvelles et prose courte). Tra<strong>du</strong>ction par Jean-François<br />
Boutout, Sylvaine Faure- Godbert, Uta Müller et Denis Grandjean, Henri<br />
Plard. Editions Verdier, 2007<br />
Un plus grand espoir (roman) Tra<strong>du</strong>ction par Uta Muller et Denis<br />
Grandjean Editions Verdier, 2007<br />
Le jour aux trousses (poésies) Tra<strong>du</strong>ction par Rose-Marie François La<br />
Différence (collection Orphée n°113 / édition bilingue), 1992<br />
En allemand<br />
Die größere Hoffnung, 1948 (roman)<br />
Verschenkter Rat Gedichte. - Fischer, Frankfurt , 1978<br />
Meine Sprache und ich. Erzählungen, FISCHER TASCHENBUCH –<br />
1978<br />
Der Gefesselte (1953)- Fischer<br />
Eliza, Eliza (1965)- Fischer<br />
Nachmittag in Ostende (1968)- Fischer<br />
Nachricht vom Tag (1970)- Fischer<br />
Schlechte Wörter (1976)- Fischer<br />
Wo ich wohne (1963)- Fischer<br />
<strong>Ilse</strong> <strong>Aichinger</strong> Werke. FISCHER TASCHENBUCH - Verlag, 1991<br />
Zu keiner Stunde . S. FISCHER – Verlag<br />
Wo ich wohne, 1963- Fischer<br />
Auckland, 1969- Fischer<br />
Spiegelgeschichte, Fischer, 1948<br />
Film und Verhängnis. Blitzlichter auf ein Leben, 2001, Fischer<br />
Hörspiele (pièces radiophoniques)<br />
Knöpfe (1953)<br />
Besuch im Pfarrhaus (1961)<br />
Nachmittag in Ostende (1968)- Fischer<br />
Gare Maritime. Fischer 1976.<br />
Zu keiner Stunde. Szenen und Dialoge. Fischer, 1980