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La stratégie chinoise du collier de perles.pdf - CESM

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Centre<br />

d’étu<strong>de</strong>s<br />

supérieures<br />

<strong>de</strong> la Marine<br />

<strong>La</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>chinoise</strong><br />

<strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » :<br />

menace, mythe ou prophétie auto-réalisatrice ?<br />

Margaux PIERREFICHE<br />

Magistère <strong>de</strong> Relations Internationales<br />

et Action à l’Étranger<br />

Paris I – Panthéon Sorbonne<br />

Année 2012-2013<br />

cesm.etu<strong>de</strong>s@marine.<strong>de</strong>fense.gouv.fr


Margaux PIERREFICHE<br />

Magistère <strong>de</strong> Relations Internationales et Action à l’Étranger<br />

Paris I – Panthéon Sorbonne<br />

Année 2012-2013<br />

<strong>La</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>chinoise</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » :<br />

menace, mythe ou prophétie auto-réalisatrice ?<br />

Intro<strong>du</strong>ction :<br />

Face à un développement fulgurant sans précé<strong>de</strong>nt, la Chine,<br />

consciente <strong>de</strong> sa dépendance énergétique à l'égard <strong>de</strong> l’étranger et <strong>de</strong><br />

la vulnérabilité <strong>de</strong> ses routes commerciales, réalise un vaste<br />

programme <strong>de</strong>stiné à répondre à ces contraintes. <strong>La</strong> conquête <strong>de</strong> la<br />

mer semble être l'une <strong>de</strong>s rares options envisageables pour lui<br />

permettre <strong>de</strong> répondre à une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> énergétique interne toujours<br />

grandissante et <strong>de</strong> rester ainsi au rang <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s puissances<br />

mondiales. Pour ce faire, la Chine a besoin <strong>de</strong> sécuriser ses<br />

approvisionnements et <strong>de</strong> pouvoir intervenir rapi<strong>de</strong>ment en mer si un<br />

inci<strong>de</strong>nt se présente. <strong>La</strong> Marine <strong>chinoise</strong> constitue le fer <strong>de</strong> lance <strong>de</strong><br />

cette ambitieuse politique. Un plan <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> la flotte,<br />

<strong>de</strong>vant être dotée d'une capacité renforcée <strong>de</strong> frappe et <strong>de</strong> projection<br />

en haute mer, est entrepris par les autorités <strong>chinoise</strong>s <strong>de</strong>puis 2009.<br />

L’acquisition d’un premier porte-avions, le Liaoning 16, en septembre<br />

2012 en est une illustration probante. Au même titre que les autres<br />

puissances maritimes que sont la France, les États-Unis et le Royaume-<br />

Uni, la Chine compte bien faire entendre sa voix et défendre ses<br />

intérêts vitaux. 600 ans près les exploits <strong>de</strong> l'amiral Zheng He sous la<br />

dynastie <strong>de</strong>s Ming, la Chine maritime est <strong>de</strong> retour.<br />

1


Cet article traitera <strong>du</strong> phénomène connu sous le nom <strong>de</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong><br />

« <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> », autrement dit la sécurisation <strong>de</strong> la route maritime<br />

qui relie la Chine aux pays l'approvisionnant en matières premières, un<br />

besoin sécuritaire dont dépend la pérennité <strong>du</strong> pays.<br />

L'action <strong>chinoise</strong> n'est pas sans conséquences sur la perception que<br />

certains acteurs tels que les États-Unis peuvent avoir. En effet, une<br />

gran<strong>de</strong> suspicion fait la part belle à un argumentaire <strong>de</strong> poids que les<br />

partisans <strong>de</strong> la « menace <strong>chinoise</strong> » défen<strong>de</strong>nt même dans les plus<br />

hauts milieux. Des interrogations sont soulevées notamment sur<br />

l’adéquation <strong>de</strong> la dite <strong>stratégie</strong> à la doctrine <strong>du</strong> « développement<br />

pacifique » intro<strong>du</strong>ite par Deng Xiao Ping.<br />

I<strong>de</strong>ntifier les enjeux réels que l’expression « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> »<br />

recouvre nécessite d’en examiner les contours, puis <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong><br />

comprendre les inquiétu<strong>de</strong>s qu'elle suscite avant d’étudier la<br />

pertinence <strong>de</strong> sa réalité.<br />

I/ <strong>La</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » : un enjeu<br />

géostratégique<br />

A/ Une expression américaine<br />

L’expression « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » trouve son origine géopolitique dans le<br />

rapport Energy Futures in Asia 1 , et a été divulguée par le journaliste Bill<br />

Gertz dans un article <strong>du</strong> Washington Times intitulé « China Builds up<br />

Strategic Sea Lines ».<br />

Selon Booz Allen & Hamilton, ce « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » désignerait<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s bases navales et <strong>de</strong>s points d’appui commerciaux que<br />

Pékin construit chez ses pays partenaires pour assurer ses voies<br />

d’approvisionnement énergétique. Le concept même <strong>de</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>perles</strong> » affublé à la Chine est donc étranger et exogène à sa propre<br />

conception <strong>de</strong> <strong>stratégie</strong> maritime.<br />

1 Document interne <strong>de</strong> la société <strong>de</strong> consultants Booz Allen & Hamilton pour le compte <strong>de</strong> l’Office of<br />

Net Assessment, une structure <strong>du</strong> département <strong>de</strong> la défense américaine alors pilotée par le<br />

secrétaire Donald Rumsfeld.<br />

2


B/ <strong>La</strong> Chine face au dilemme <strong>de</strong> Malacca<br />

Le principal facteur <strong>de</strong> puissance <strong>de</strong> la Chine est sa formidable<br />

croissance économique. Celle-ci repose en gran<strong>de</strong> partie sur les<br />

échanges internationaux, qu'il s'agisse <strong>de</strong>s exportations massives <strong>de</strong><br />

pro<strong>du</strong>its chinois ou <strong>de</strong> son importation tout aussi importante <strong>de</strong> pétrole<br />

(la Chine est le 2 ème importateur <strong>de</strong> pétrole au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière les États-<br />

Unis) pour alimenter son développement. Or, 90% <strong>du</strong> commerce chinois<br />

est <strong>de</strong> nature maritime, dont 80% emprunte <strong>de</strong>s routes chargées et<br />

considérées comme vulnérables, notamment vis-à-vis <strong>de</strong> la piraterie et<br />

potentiellement <strong>du</strong> terrorisme maritime : les détroits <strong>de</strong> Malacca et<br />

dans une moindre mesure ceux <strong>de</strong> la Son<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Lombok. Le détroit <strong>de</strong><br />

Malacca <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une surveillance permanente <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s États<br />

riverains (Malaisie, Singapour, Indonésie) pour lutter contre cette<br />

piraterie qui reste préoccupante ou contre les terroristes aujourd’hui.<br />

Le détroit <strong>de</strong> Malacca présente également le désavantage d'être très<br />

resserré (1,5 milles soit 2800m à son point le plus étroit, au canal<br />

Phillips <strong>de</strong>vant Singapour) et parfois pas assez profond (25m à peine)<br />

pour les supertankers ; il est <strong>de</strong> ce fait considéré comme un goulot<br />

d’étranglement pour la navigation.<br />

<strong>La</strong> défense <strong>du</strong> détroit <strong>de</strong> Malacca est principalement assurée par les<br />

États-Unis, ainsi que par les marines indiennes et japonaises. Même si le<br />

blocage <strong>du</strong> détroit par l'une <strong>de</strong> ces puissances paraît peu probable au<br />

regard <strong>de</strong> la dépendance <strong>de</strong> tous les acteurs en présence au commerce<br />

maritime, la Chine ressent cette vulnérabilité énergétique avec d'autant<br />

plus d'acuité qu'elle éprouve une profon<strong>de</strong> méfiance à l'encontre <strong>de</strong> la<br />

politique américaine à son égard. Selon certains analystes, Pékin<br />

considère Washington comme menant une politique <strong>de</strong> guerre froi<strong>de</strong><br />

contre la Chine, en menaçant son approvisionnement énergétique et sa<br />

croissance économique, tout en l'encerclant à travers une présence<br />

maritime (présence <strong>de</strong> la VIIe flotte) et terrestre (par l'invasion <strong>de</strong><br />

l'Afghanistan et la création <strong>de</strong> bases en Asie centrale). D'où la nécessité<br />

pour la Chine <strong>de</strong> développer sa puissance navale afin <strong>de</strong> protéger ses<br />

voies <strong>de</strong> communication maritime elle-même, et <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s routes<br />

alternatives autant que possible. C'est le fameux « dilemme <strong>de</strong> Malacca<br />

» souligné par Hu Jintao lors d'un séminaire économique <strong>du</strong> comité<br />

central <strong>du</strong> parti communiste chinois le 29 novembre 2003. Étant une<br />

3


puissance commerciale, la Chine est dans l'obligation <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s<br />

forces armées capables <strong>de</strong> défendre ses bateaux <strong>de</strong> commerce partout<br />

où ils se trouvent.<br />

C/ Les escales <strong>de</strong> la route maritime<br />

Voir annexe en page 15 : carte <strong>de</strong> la <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> »<br />

Afin <strong>de</strong> défendre ses principales routes <strong>de</strong> commerce, notamment en<br />

provenance <strong>de</strong> la péninsule arabique et <strong>de</strong> l'Afrique, la Chine a<br />

progressivement mis en place une série <strong>de</strong> points d'appui, les « <strong>perles</strong> ».<br />

Elles s'éten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'île <strong>de</strong> Hainan jusqu'au port <strong>de</strong> Gwandar au<br />

Pakistan, en passant par l'ile Woody aux Paracels, les disputées îles<br />

Spratleys, Sihanoukville au Cambodge, Mergui et Sittwe en Birmanie<br />

(avec <strong>de</strong>s facilités dans les localités <strong>de</strong> Thilawa, Hainggyi et Kyaukpyu),<br />

Chittagong au Bangla<strong>de</strong>sh, Hambantota au Sri <strong>La</strong>nka, ainsi qu'aux<br />

Maldives et à Port Soudan. Trois <strong>de</strong> ces points d'attache (Hainan, Woody<br />

et Mergui) sont <strong>de</strong>s bases militaires. Ces bases permettent à la marine<br />

<strong>chinoise</strong> <strong>de</strong> pouvoir mener <strong>de</strong>s opérations longues loin <strong>de</strong> ses côtes ;<br />

elles ont notamment permis l'envoi <strong>de</strong>s bâtiments chinois dans le golfe<br />

d'A<strong>de</strong>n pour lutter contre la piraterie et protéger ses intérêts<br />

commerciaux. Toutefois, elles servent également à affirmer l'influence<br />

et la puissance grandissante <strong>de</strong> la Chine en mer, avec un accroissement<br />

sans cesse renouvelé <strong>de</strong> son domaine d'action. L’île Maurice, les<br />

Seychelles voire l'Iran sont considérés par certains comme <strong>de</strong><br />

potentielles futures <strong>perles</strong>. <strong>La</strong> Chine s'affirme ainsi comme une force<br />

digne <strong>de</strong> considération pour ses <strong>de</strong>ux concurrents principaux dans la<br />

zone, l'In<strong>de</strong> et les États-Unis, qui n'hésitent pas à parler respectivement<br />

<strong>de</strong> tentative d'encerclement ou <strong>de</strong> menace <strong>chinoise</strong>.<br />

D’après les étu<strong>de</strong>s d’Olivier Zajec 2 , la Birmanie est citée comme l’un <strong>de</strong>s<br />

alliés les plus soli<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la Chine dans la région. Depuis longtemps, les<br />

mises à jour <strong>du</strong> schéma <strong>du</strong> <strong>collier</strong> indiquent qu’elle met à disposition <strong>de</strong><br />

Pékin les installations portuaires en eaux profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Sittwe (province<br />

d’Arakan) et une base d’écoute et d’interception sur l’île Coco, située à<br />

quelques encablures au nord <strong>de</strong> l’archipel indien <strong>de</strong>s Andamans. Même<br />

si elles sont plus rarement citées, les Chinois seraient toujours autorisés<br />

à utiliser les installations <strong>de</strong>s ports <strong>de</strong> Munaung et Hainggvi, et les sites<br />

2 Article « Actualité et réalité <strong>du</strong> <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » publié sur diploweb le 28 novembre 2009<br />

4


<strong>de</strong>s îles <strong>de</strong> Katan et <strong>de</strong> Zadaikyi. Au nord, le port birman <strong>de</strong> Khaukphvu<br />

leur est également ouvert, ainsi que la base <strong>de</strong> Mergui au sud <strong>du</strong> pays.<br />

<strong>La</strong> présence d’une perle <strong>du</strong> <strong>collier</strong> chinois aux Maldives est presque<br />

naturelle, compte tenu <strong>de</strong>s relations longtemps conflictuelles entre<br />

l’archipel musulman sunnite et l’In<strong>de</strong>, qui n’a jamais caché sa frustration<br />

<strong>de</strong> ne pouvoir contrôler ce relais insulaire important prolongeant loin<br />

dans l’océan la pointe sud <strong>du</strong> Deccan. New Dehli avait pourtant décidé<br />

<strong>de</strong> ne pas critiquer le régime dictatorial <strong>du</strong> Prési<strong>de</strong>nt Abdoul Gayoum,<br />

comptant en échange sur celui-ci pour protéger les intérêts indiens dans<br />

cette zone sensible, et ce d’autant plus que les forces indiennes avaient<br />

sauvé Gayoum d’un coup d’Etat fomenté en 1988 par <strong>de</strong>s opposants<br />

avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> mercenaires <strong>du</strong> LTTE tamoul. Malgré cela, Gayoum s’était<br />

très largement rapproché ces <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> pays sunnites<br />

rigoristes (Arabie saoudite en tête), mais aussi et surtout <strong>de</strong> la Chine.<br />

Les contacts avec Pékin s’étaient accélérés ces <strong>de</strong>rnières années, les<br />

Indiens et les Américains observant avec inquiétu<strong>de</strong> le ballet <strong>de</strong>s visites<br />

<strong>chinoise</strong>s à Malé. Lors <strong>du</strong> Tsunami <strong>de</strong> 2004, les Chinois avaient été<br />

particulièrement présents dans la reconstruction <strong>de</strong> logements sur<br />

l’archipel. Ils ont <strong>de</strong>puis construit le nouveau bâtiment <strong>du</strong> ministère <strong>de</strong>s<br />

affaires étrangères. L’ouverture d’une ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Maldives en Chine<br />

en août 2007 couronne ce rapprochement. Les rumeurs sur la<br />

construction éventuelle d’une base <strong>de</strong> sous-marins chinois à Marao,<br />

dont l’atoll, à 40 kilomètres au sud <strong>de</strong> la capitale, serait loué pour 25 ans<br />

aux Chinois, ont achevé <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s Maldives une <strong>de</strong>s « <strong>perles</strong> »<br />

régulièrement citées dans les mises à jour <strong>du</strong> schéma <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> ».<br />

Au Sri <strong>La</strong>nka, la Chine ne fait que profiter <strong>de</strong>s relations compliquées<br />

entre l’île et son voisin septentrional. Malgré le volte-face <strong>du</strong><br />

gouvernement indien qui assiste <strong>de</strong>puis quelques années le<br />

gouvernement sri-lankais dans sa lutte contre la guérilla <strong>de</strong>s Tigres<br />

tamouls, Colombo n’a jamais apprécié la réticence <strong>de</strong>s Indiens à lui<br />

fournir <strong>de</strong> l’armement mo<strong>de</strong>rne pour en finir militairement avec la<br />

rébellion. Aujourd’hui vainqueur, triomphant, Colombo fait donc payer<br />

avec intérêts le soutien apporté par New Dehli aux Tigres dans les<br />

années 80. Le Sri <strong>La</strong>nka consoli<strong>de</strong> alors son rapprochement avec Pékin<br />

et Islamabad. L’ai<strong>de</strong> militaire <strong>chinoise</strong> a joué un rôle clé dans la victoire<br />

finale <strong>du</strong> gouvernement <strong>de</strong> Colombo. Pour l’expert indien Brahma<br />

Chellaney 3 , il ne fait aucun doute que le « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » explique la<br />

proximité entre Pékin et Colombo : « Les Chinois courtisent le Sri lanka<br />

3 Article « India upset with China over Sri <strong>La</strong>nka crisis » publié dans The Times of India le 26<br />

avril 2009<br />

5


en raison <strong>de</strong> sa localisation dans l’Océan indien – un point <strong>de</strong> passage<br />

commercial et pétrolier crucial. Les ingénieurs chinois construisent<br />

actuellement, à coups <strong>de</strong> milliards <strong>de</strong> dollars, un port au sud-est <strong>du</strong><br />

pays, à Hambantota ; ceci est la <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>s « <strong>perles</strong> » <strong>de</strong> la <strong>stratégie</strong><br />

<strong>de</strong> la Chine pour contrôler les voies maritimes entre les océans Pacifique<br />

et Indien via la constitution d’un « <strong>collier</strong> », sous la forme <strong>de</strong> stations<br />

d’écoute, d’accords navals et d’accès portuaires ». A l’appui <strong>du</strong><br />

sentiment obsidional qui transparaît dans nombre d’analyses indiennes,<br />

on trouve également le comportement <strong>du</strong> Sri <strong>La</strong>nka dans la SAARC<br />

(l’Association <strong>de</strong> l’Asie <strong>du</strong> Sud pour la coopération régionale, forum créé<br />

en 1985 et réunissant le Bangla<strong>de</strong>sh, le Bhoutan, l’In<strong>de</strong>, les Maldives, le<br />

Népal, le Pakistan et le Sri <strong>La</strong>nka). Colombo souhaite en effet que la<br />

Chine soit davantage associée au forum. Une perspective loin <strong>de</strong> réjouir<br />

l’In<strong>de</strong>, qui considère la SAARC comme un moyen <strong>de</strong> renforcer sa propre<br />

prépondérance régionale en Asie <strong>du</strong> Sud.<br />

Le Pakistan peut également être considéré, avec le Sri <strong>La</strong>nka, comme<br />

l’une <strong>de</strong>s principales <strong>perles</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> ». Rien <strong>de</strong> nouveau, le pays étant<br />

l’allié <strong>de</strong> longue date <strong>de</strong> la Chine en Asie <strong>du</strong> Sud. Il est surtout cité en<br />

raison <strong>du</strong> port <strong>de</strong> Gwadar, que les Indiens surnomment déjà le<br />

« Gibraltar » sino-pakistanais. Construit avec l’assistance <strong>chinoise</strong>, il est<br />

sans doute <strong>de</strong>stiné à <strong>de</strong>venir la base la plus importante <strong>de</strong> la Marine<br />

<strong>chinoise</strong> (avec les installations pakistanaises d’Ormara) sur les côtes <strong>de</strong><br />

l’océan Indien.<br />

Au Bengla<strong>de</strong>sh, Chittagong, le principal port <strong>du</strong> pays, fait toujours<br />

l’objet d’un processus <strong>de</strong> réhabilitation et <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> sa partie<br />

militaire par la Chine, qui y gagne un accès pour ses propres navires. <strong>La</strong><br />

Corée <strong>du</strong> sud, fournisseur militaire <strong>de</strong> Dacca, est également présente<br />

dans les travaux <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation. Chittagong est appelé à <strong>de</strong>venir un<br />

grand centre <strong>de</strong> containers, une activité à laquelle ses eaux profon<strong>de</strong>s et<br />

son large front <strong>de</strong> mer se prêtent favorablement.<br />

Les Seychelles et l’île Maurice, qui couvrent tout le flanc ouest <strong>de</strong><br />

l’océan Indien, ont connu récemment un approfondissement <strong>de</strong> leurs<br />

relations avec la Chine. En février 2009, Hu Jintao a visité Maurice, avec<br />

à la clé la création d’une « zone économique spéciale » pourvoyeuse<br />

d’emplois, et l’ouverture d’un chantier <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> l’aéroport<br />

international. Son voyage l’a également amené aux Seychelles, inquiètes<br />

<strong>de</strong>s incursions <strong>de</strong> plus en plus sauvages et répétées <strong>de</strong>s pirates<br />

somaliens, et qui cherchent <strong>de</strong>s garanties <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

puissances navales. Cela a suffi pour que certains analystes ajoutent les<br />

6


<strong>de</strong>ux archipels à la liste <strong>de</strong>s « <strong>perles</strong> », en insistant particulièrement sur<br />

la valeur stratégique <strong>de</strong>s Seychelles, qui pourraient, pour les Chinois,<br />

faire pendant à la base américaine insulaire <strong>de</strong> Diego Garcia.<br />

<strong>La</strong> composante première <strong>de</strong> l'architecture <strong>de</strong> ce « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> perle » est<br />

donc d’ordre géo-économique. Cependant, certains États tels que les<br />

États-Unis et l'In<strong>de</strong> y voit une tentative <strong>de</strong> domination hégémonique qui<br />

dépasse largement ces prérogatives purement économiques.<br />

II/ Une menace <strong>chinoise</strong> ?<br />

A/ Le prisme américain<br />

Washington, sans contester obligatoirement la nécessité pour les<br />

Chinois <strong>de</strong> protéger leurs approvisionnements énergétiques en<br />

provenance <strong>de</strong> l’étranger, estime que <strong>de</strong>rrière cette politique se cache<br />

en réalité un objectif offensif plus ambitieux, aux implications<br />

stratégiques majeures. <strong>La</strong> réflexion, aux États-Unis, est en effet la<br />

suivante : <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong> la Guerre froi<strong>de</strong>, la Chine percevait la scène<br />

internationale comme placée sous l’hégémonie <strong>de</strong> Washington puisque<br />

aucune décision majeure touchant aux grands enjeux contemporains ne<br />

pouvait être prise sans son assentiment ; mais au fur et à mesure que la<br />

puissance <strong>de</strong> Pékin s’accroît, cette situation lui convient <strong>de</strong> moins en<br />

moins ; la <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » répond alors à une ambition,<br />

celle <strong>de</strong> créer un « nouvel ordre international multipolaire » se<br />

tra<strong>du</strong>isant en particulier par la remise en question <strong>de</strong> l’équilibre <strong>de</strong>s<br />

puissances en Asie au détriment <strong>de</strong>s Américains qui étaient jusqu’alors<br />

garants <strong>de</strong> la sécurité <strong>du</strong> continent et particulièrement <strong>de</strong> ses voies <strong>de</strong><br />

communication maritimes.<br />

Cette ambition est d’autant plus inquiétante selon Washington qu’elle<br />

ne se limite pas à l’Asie-Pacifique, mais s'étend à l’océan Indien. Dès la<br />

secon<strong>de</strong> moitié <strong>de</strong>s années 1990, l’US Southern Command tirait la<br />

sonnette d’alarme, évoquant une « gran<strong>de</strong> <strong>stratégie</strong> » <strong>chinoise</strong> <strong>de</strong><br />

présence à proximité <strong>de</strong> tous les points <strong>de</strong> passage maritimes obligés, à<br />

défaut <strong>de</strong> pouvoir les contrôler. Certains prônent désormais une<br />

attitu<strong>de</strong> nettement plus déterminée : les États-Unis ne doivent plus<br />

reculer <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s avancées <strong>chinoise</strong>s <strong>de</strong> nature à menacer à terme leur<br />

7


capacité <strong>de</strong> projection <strong>de</strong> puissance et <strong>de</strong> forces, leur liberté <strong>de</strong><br />

circulation sur les routes maritimes commerciales ainsi que leur<br />

aptitu<strong>de</strong> à garantir la sécurité <strong>de</strong> leurs alliés, et susceptibles <strong>de</strong><br />

déclencher tant une course aux armements que la montée en puissance<br />

<strong>de</strong> rivalités régionales.<br />

Ainsi on comprend que la Chine n’est plus considérée comme un pays<br />

en développement, ni comme une puissance réémergente, mais bien<br />

comme une puissance mondiale capable, <strong>de</strong> plus en plus souvent, <strong>de</strong><br />

s’opposer frontalement aux États-Unis sur un certain nombre <strong>de</strong><br />

dossiers. Cette accession <strong>de</strong> la Chine au rang <strong>de</strong> puissance mondiale, <strong>de</strong><br />

puissance « globale », constitue pour les promoteurs <strong>du</strong> discours sur la<br />

« menace <strong>chinoise</strong> » le principal défi que doivent aujourd’hui affronter<br />

les États-Unis. Le slogan <strong>du</strong> « développement pacifique », prôné par<br />

Deng Xiao Ping, ainsi que la phase défensive <strong>du</strong> « dilemme <strong>de</strong> Malacca »<br />

qui consistait à protéger l’accès chinois au pétrole moyen-oriental et<br />

africain (et les routes commerciales qui le soutiennent) sont pour les<br />

Américains désormais dépassés. Le Pentagone s'inquiète <strong>de</strong> la <strong>stratégie</strong><br />

<strong>chinoise</strong> en raison notamment <strong>de</strong> l'opacité <strong>du</strong> processus décisionnel<br />

chinois et <strong>de</strong> la dissimulation <strong>de</strong> ses capacités.<br />

<strong>La</strong> Chine est entrée dans une phase plus offensive : consolidation et<br />

<strong>de</strong>nsification <strong>de</strong> son réseau <strong>de</strong> « <strong>perles</strong> », avec en parallèle la<br />

mo<strong>de</strong>rnisation accélérée <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> projection, en particulier <strong>de</strong>s<br />

composantes navales, aériennes et spatiales afin <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong>s<br />

moyens militaires suffisants pour a minima défier les États-Unis, ou<br />

toute autre puissance occi<strong>de</strong>ntale, en cas <strong>de</strong> menace exercée sur <strong>de</strong>s<br />

intérêts perçus comme vitaux et a maxima servir <strong>de</strong>s ambitions <strong>de</strong><br />

puissance essentielle sur la scène internationale. Selon le point <strong>du</strong> vue<br />

américain, cette mo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong>s forces armées <strong>chinoise</strong>s participe<br />

donc d’une ambition qui va au-<strong>de</strong>là <strong>du</strong> simple <strong>du</strong>el avec les États-Unis et<br />

qui se manifeste dans un vaste et complexe plan d’expansion à caractère<br />

hégémonique.<br />

<strong>La</strong> réaction américaine face à cette crainte d'hégémonie <strong>chinoise</strong> a donc<br />

été <strong>de</strong> renforcer et d'étendre également son influence dans l'espace<br />

maritime asiatique, d’autant plus que cette politique d’empire à partir<br />

d’un réseau <strong>de</strong> « <strong>perles</strong> » a bénéficié <strong>de</strong> l’absence d’une politique<br />

asiatique <strong>de</strong>s États-Unis tout au long <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mandats <strong>de</strong> George W.<br />

Bush dont l’Administration resta focalisée sur la « guerre contre le<br />

terrorisme ».<br />

8


B/ Un soutien <strong>de</strong> poids : le discours indien sur l'encerclement chinois<br />

Ce renouveau <strong>du</strong> discours américain sur la « menace <strong>chinoise</strong> » articulé<br />

autour <strong>de</strong> la <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » reçoit un écho favorable<br />

aussi bien en In<strong>de</strong>, où il conforte celui <strong>de</strong> New Delhi sur son<br />

encerclement par la Chine, qu’en Asie <strong>du</strong> Sud-est, en particulier parmi<br />

les pays riverains <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong> Chine <strong>du</strong> Sud avec lesquels Pékin est en<br />

litige <strong>de</strong> souveraineté à propos, notamment, <strong>de</strong>s archipels Paracels et<br />

Spratleys..<br />

<strong>La</strong> proximité géographique <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux très gran<strong>de</strong>s puissances asiatiques,<br />

l’In<strong>de</strong> et la Chine, est source <strong>de</strong> compétition et <strong>de</strong> rivalité. <strong>La</strong><br />

pénétration <strong>de</strong> l’influence <strong>chinoise</strong> dans l’océan Indien est autant le fait<br />

d’une volonté d’expansion <strong>de</strong> Pékin afin <strong>de</strong> protéger ses accès aux<br />

ressources énergétiques <strong>du</strong> golfe Arabo-Persique et d’Afrique tout en se<br />

positionnant comme une puissance majeure sur cet espace maritime<br />

que celui d’une opportunité offerte aux pays d’Asie <strong>du</strong> Sud <strong>de</strong> s’extraire<br />

d’une relation bilatérale déséquilibrée avec l’In<strong>de</strong>. Cette expansion dans<br />

l’océan Indien est inévitablement perçue avec méfiance, sinon<br />

suspicion, par New Delhi qui voit son rival septentrional pénétrer à<br />

l’intérieur <strong>de</strong> sa zone d’influence sur ses flancs nord (Bhoutan et Népal),<br />

est (Bangla<strong>de</strong>sh et Birmanie), sud (Sri <strong>La</strong>nka) et ouest (Pakistan). Même<br />

si la dénonciation indienne d’un encerclement par la Chine est parfois<br />

exagérée, cette inquiétu<strong>de</strong> reste compréhensible d’autant que Pékin<br />

multiplie les tentatives <strong>de</strong> rapprochement avec les Seychelles, l'île<br />

Maurice et l’Iran, partenaires <strong>de</strong> New Delhi, ce qui pousse par<br />

contrecoup l’In<strong>de</strong> elle-même à approfondir ses relations avec la<br />

Birmanie, le Japon et le Viêt-nam, au cœur <strong>de</strong> la zone d’influence<br />

<strong>chinoise</strong>, et en Afrique orientale – le Mozambique en particulier – afin<br />

<strong>de</strong> suivre <strong>de</strong> façon plus précise les activités <strong>chinoise</strong>s aussi bien dans<br />

l’océan Indien que dans la Corne <strong>de</strong> l’Afrique, tout en raffermissant ses<br />

liens avec Madagascar, les Seychelles et l'île Maurice <strong>de</strong> façon à limiter<br />

la pénétration <strong>chinoise</strong> sur sa zone. D’une certaine manière, le<br />

rapprochement indo-américain initié dans l’ère Clinton s’inscrit aussi<br />

dans une <strong>stratégie</strong> consistant à faire front contre celle dite <strong>du</strong> « <strong>collier</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>perles</strong> ».<br />

Tout se passe comme si les discours et perceptions <strong>de</strong> New Delhi et<br />

Washington quant à l’ « encerclement chinois » et à la <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong><br />

« <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> », assez proches, se confortaient réciproquement.<br />

Pour les <strong>de</strong>ux capitales, l’intrusion <strong>chinoise</strong> dans l’océan Indien est un<br />

9


facteur <strong>de</strong> modification <strong>de</strong> l’équilibre <strong>de</strong>s puissances et <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong><br />

forces régionaux qui aura <strong>de</strong>s implications majeures pour l’Asie, voire le<br />

reste <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, en faveur <strong>de</strong> la Chine.<br />

III/ <strong>La</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> perle » : mythe ou<br />

prophétie auto-réalisatrice ?<br />

<strong>La</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » se concentre sur la partie nord <strong>de</strong><br />

l’océan Indien où la Chine aménage un réseau <strong>de</strong> relais – les « <strong>perles</strong> » –<br />

pour ré<strong>du</strong>ire les contraintes que lui impose le « dilemme <strong>de</strong> Malacca ».<br />

Cette architecture perçue comme légitime par Pékin dans la mesure où<br />

elle doit lui permettre <strong>de</strong> protéger son approvisionnement énergétique<br />

est au contraire présentée comme agressive à Washington, car<br />

susceptible <strong>de</strong> bouleverser l’équilibre <strong>de</strong>s puissances dans la région.<br />

<strong>La</strong> réalité se situe probablement à l’intersection <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux perceptions<br />

adverses et s’alimentant l’une l’autre. En effet, l’action <strong>de</strong> la Chine<br />

justifie le discours <strong>de</strong>s Etats-Unis, lequel s’amplifie et justifie dans une<br />

même mesure la crainte <strong>du</strong> premier, le con<strong>du</strong>isant à adopter <strong>de</strong>s<br />

mesures qui semblent à leur tour confirmer la justesse <strong>de</strong>s propos <strong>du</strong><br />

second et ainsi <strong>de</strong> suite.<br />

A/ Le dénis chinois d'une quelconque <strong>stratégie</strong> <strong>de</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> »<br />

<strong>La</strong> Chine conteste la notion et l’expression <strong>de</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>perles</strong> » et nie vigoureusement qu’il s’agisse là <strong>de</strong> la pointe visible d’un<br />

plus vaste projet hégémonique. Pékin part <strong>du</strong> constat que plus son<br />

développement est rapi<strong>de</strong>, plus sa dépendance à l’égard <strong>de</strong> l’étranger,<br />

en particulier en matière énergétique, sera considérable, et plus il sera<br />

indispensable <strong>de</strong> protéger ses routes commerciales perçues comme<br />

vulnérables. Le prési<strong>de</strong>nt Hu Jintao a parfaitement i<strong>de</strong>ntifié les enjeux<br />

dans son discours <strong>du</strong> 29 novembre 2003 : formaliser la constitution d’un<br />

réseau <strong>de</strong> relais dans l’océan Indien afin d’assurer la sécurité <strong>de</strong>s<br />

approvisionnements énergétiques, multiplier les voies <strong>de</strong><br />

contournement <strong>du</strong> détroit <strong>de</strong> Malacca afin <strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ire la vulnérabilité<br />

<strong>chinoise</strong> qui lui est associée, mo<strong>de</strong>rniser la composante navale <strong>de</strong><br />

10


l’Armée populaire <strong>de</strong> libération afin <strong>de</strong> soutenir la mise en place <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux instruments précé<strong>de</strong>nts. Cette mo<strong>de</strong>rnisation est d’ailleurs une<br />

priorité officielle <strong>de</strong>puis 2006, les Livres blancs <strong>de</strong> la défense chinois<br />

publiés dans le sillage <strong>du</strong> discours prési<strong>de</strong>ntiel l’ayant gravée dans le<br />

marbre.<br />

Ce discours tend alors à légitimer les dimensions défensive et<br />

économique <strong>de</strong> l’action <strong>chinoise</strong> dans l’océan Indien en tant que<br />

réponse au « dilemme <strong>de</strong> Malacca ». Les analystes rappelant <strong>de</strong> surcroît<br />

que Pékin accepte l’idée d’une coopération internationale en matière <strong>de</strong><br />

protection <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> communication maritime qui, cependant, ne<br />

doit pas l’empêcher <strong>de</strong> se doter <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> son autonomie, dont la<br />

marine est le fer <strong>de</strong> lance.<br />

<strong>La</strong> Chine a donc construit un discours cohérent pour appuyer sa<br />

politique dans l’océan Indien. Elle tente parallèlement <strong>de</strong> mettre en<br />

évi<strong>de</strong>nce l’ambiguïté <strong>de</strong> la politique américaine à son égard ; <strong>de</strong>rrière la<br />

rhétorique sur la « menace <strong>chinoise</strong> » et la « guerre contre le terrorisme<br />

international » il y aurait au fond une volonté d’encercler la Chine pour<br />

en contrôler le développement et la montée en puissance d’où<br />

l’adoption logique <strong>de</strong> contre-mesures par les autorités <strong>chinoise</strong>s.<br />

B/ Une auto-alimentation <strong>de</strong> la menace<br />

Cette « guerre <strong>de</strong>s discours » promeut la compétition sino-américaine<br />

qui, <strong>de</strong> la sorte, s’auto-alimente. Les actions américaines confortent<br />

Pékin dans sa conviction que Washington a pour objectifs principaux<br />

son encerclement et l’encadrement <strong>de</strong> sa croissance, <strong>de</strong> sa montée en<br />

puissance et les actions <strong>chinoise</strong>s persua<strong>de</strong>nt Washington qu’il existe un<br />

décalage entre les mots et les actes, et que Pékin dissimule ses<br />

ambitions hégémoniques.<br />

<strong>La</strong> Chine, lisant sa puissance et son potentiel <strong>de</strong> « peer competitor » 4<br />

dans les rapports officiels militaires et économiques <strong>de</strong> la<br />

superpuissance américaine et <strong>de</strong> son concurrent régional indien, n’y a-telle<br />

pas puisé une confiance renouvelée dans ses capacités et son<br />

statut, et n’a-t-elle pas décidé <strong>de</strong> jouer plus franchement le rôle que<br />

chacun souhaitait finalement lui attribuer, en exploitant une fenêtre<br />

d’opportunité, suscitant en retour un affolement encore plus prononcé<br />

4 Olivier Zajec : « Actualité et réalité <strong>du</strong> <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » publié sur diploweb le 28<br />

novembre 2009<br />

11


<strong>de</strong> New Dehli et <strong>de</strong> Washington ? L’agenda chinois a-t-il, en d’autres<br />

termes, été influencé par le miroir que lui tendaient les critiques<br />

américaines ? <strong>La</strong> question qui traiterait <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> la construction<br />

théorique <strong>de</strong> l’ennemi sur le jeu concret <strong>de</strong> la géopolitique mériterait<br />

sans doute d’être creusée. Elle expliquerait pourquoi, malgré les<br />

difficultés <strong>de</strong> mise en place d’un véritable « <strong>collier</strong> », ce schéma a pu<br />

<strong>de</strong>venir un <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> storytelling les plus fructueux <strong>de</strong>s dix<br />

<strong>de</strong>rnières années.<br />

C/ Une <strong>stratégie</strong> à relativiser<br />

Sans prendre au pied <strong>de</strong> la lettre les protestations <strong>chinoise</strong>s déniant au<br />

schéma toute réalité, quelques exemples suggèrent qu’il pourrait être<br />

intéressant <strong>de</strong> relativiser ou à reconsidérer sous un autre angle la<br />

cohérence et l’inéluctabilité <strong>du</strong> <strong>de</strong>ssein « grand-stratégique » <strong>du</strong> <strong>collier</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>perles</strong>.<br />

Il est déjà important <strong>de</strong> souligner que les ports commerciaux ne<br />

con<strong>du</strong>isent pas nécessairement à la construction <strong>de</strong> bases navales. The<br />

Diplomat, un journal en ligne spécialisé sur l'Asie-Pacifique, écrit que<br />

d’après une opinion communément admise, « <strong>La</strong> Chine va s’installer<br />

dans l’océan Indien pour accé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s lieux non à <strong>de</strong>s bases. Pékin<br />

négocie ainsi <strong>de</strong>s accords qui garantissent aux navires chinois le droit<br />

d’accé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s ports comme Gwadar, Hambantota et Chittagong pour<br />

faire le plein, une pause et éventuellement <strong>de</strong>s réparations. <strong>La</strong> Chine<br />

nourrit peu <strong>de</strong> désir pour un réseau <strong>de</strong> bases qu’elle détiendrait en<br />

propriété ». 5<br />

Les craintes vis-à-vis <strong>du</strong> <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> masquent aussi le fait qu’il<br />

faudrait que la Chine puisse transformer la capacité <strong>de</strong> ses ports en<br />

bases navales. Or certaines zones, telles que Gwadar, restent encore<br />

politiquement instables et donc peu propices à l'installation <strong>de</strong> bases<br />

militaires.<br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>du</strong> flux et <strong>du</strong> reflux <strong>de</strong>s influences indienne et <strong>chinoise</strong> dans<br />

l’Océan Indien suggère la pru<strong>de</strong>nce dans les analyses et les<br />

commentaires. L’océan Indien concentre un tel trafic énergétique et <strong>de</strong><br />

marchandises qu’il est normal que les gran<strong>de</strong>s puissances cherchent à<br />

s’y positionner sur le plan naval, dans les espaces internationaux libres<br />

5 Article <strong>de</strong> James Holmes et Toshi Yoshihara, « Is China planning string of pearls ? », 21<br />

février 2011, sur thediplomat.com<br />

12


<strong>de</strong> navigation. Ce mouvement, même s’il relativise la prépondérance<br />

jusqu’alors absolue <strong>de</strong> l’US Navy dans la zone, tout en fragilisant les<br />

projets <strong>de</strong> domination régionale exclusive <strong>de</strong> la marine indienne,<br />

entraîne par précaution une course aux armements relative. Cela ne<br />

signifie pas pour autant l’inéluctabilité d’une montée aux extrêmes. <strong>La</strong><br />

Chine, concentrée sur son développement économique en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

crise, a-t-elle d’ailleurs intérêt à provoquer les <strong>de</strong>ux puissances qui<br />

occupent la zone ? Plutôt que la preuve d’un « grand <strong>de</strong>ssein » chinois<br />

coercitif qui modèlerait l’ensemble <strong>de</strong> la zone en reliant<br />

méthodiquement et point à point les <strong>perles</strong> <strong>de</strong> son <strong>collier</strong> côtier <strong>de</strong><br />

Shanghai à l’Afrique, mieux vaut sans doute considérer la présence<br />

<strong>chinoise</strong> dans la région comme un mouvement <strong>de</strong> plus – ni inatten<strong>du</strong>, ni<br />

anormal – sur un échiquier complexe fait d’alliances et <strong>de</strong> partenariats à<br />

géométrie variable dans le cadre d’un mon<strong>de</strong> multipolaire incertain.<br />

Soulignons par ailleurs qu’en comparaison avec les navires déployés par<br />

les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France, la flotte <strong>chinoise</strong> reste bien<br />

mo<strong>de</strong>ste. Plus généralement, l’ambition maritime <strong>chinoise</strong> est toute<br />

récente et résulte <strong>de</strong> ses immenses besoins énergétiques. À l’aune <strong>de</strong>s<br />

données publiques, les capacités à sa disposition (appuis logistiques,<br />

bâtiments <strong>de</strong> projection <strong>de</strong> forces) ne <strong>de</strong>vraient pas impliquer une<br />

redistribution <strong>de</strong> puissance dans l’océan Indien au cours <strong>de</strong>s trois<br />

prochaines décennies.<br />

Conclusion :<br />

<strong>La</strong> <strong>stratégie</strong> navale <strong>chinoise</strong> <strong>de</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » est ambivalente. <strong>La</strong><br />

Chine a trouvé auprès <strong>de</strong> pays présents sur la route reliant Shanghai au<br />

Moyen Orient <strong>de</strong>s alliés <strong>de</strong> poids pour permettre aux navires chinois <strong>de</strong><br />

faire escale sur un parcours jugé instable. Perçue comme une menace<br />

par certains, cette <strong>stratégie</strong> est justifiée par les Chinois comme action<br />

« légitime » pour sécuriser un approvisionnement énergétique vital<br />

pour la pérennité <strong>du</strong> pays. Mais cet argument fondé sur une philosophie<br />

<strong>chinoise</strong> <strong>de</strong> « développement pacifique » ne convainc pas les <strong>de</strong>ux<br />

gran<strong>de</strong>s puissances présentes dans la région que sont l'In<strong>de</strong> et les États-<br />

Unis. Or, si la puissance maritime <strong>chinoise</strong> soulève tant d'inquiétu<strong>de</strong>s, il<br />

est également envisageable <strong>de</strong> considérer les choses sous un autre<br />

angle. Ces formulations <strong>de</strong> spéculations suspicieuses ne pourraient-elles<br />

pas au final conforter Pékin dans sa conviction <strong>de</strong> l'existence d'une<br />

politique d'encerclement et <strong>de</strong> limite à son développement par les<br />

13


puissances étrangères, notamment les États-Unis ? <strong>La</strong> vision américaine<br />

<strong>de</strong> la Chine semble alors se transformer en une sorte <strong>de</strong> prophétie autoréalisatrice<br />

qui renforce l'action expansionniste <strong>chinoise</strong> et renfloue par<br />

là même les craintes étrangères. Toutefois, même si la Chine renforce sa<br />

présence maritime, elle est encore loin <strong>de</strong> la puissance américaine<br />

toujours dominante dans ce domaine.<br />

14


Bibliographie :<br />

Articles :<br />

AMELOT <strong>La</strong>urent, « Le dilemme <strong>de</strong> Malacca », Outre-Terre 2/2010 (n° 25-26),<br />

p. 249-271<br />

AMELOT <strong>La</strong>urent, « <strong>La</strong> <strong>stratégie</strong> <strong>chinoise</strong> <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » », Outre-<br />

Terre 2/2010 (n° 25-26), p. 187-198<br />

SAMAAN Jean-Loup, « L'océan Indien, laboratoire <strong>de</strong> la géographie militaire<br />

américaine », Hérodote 2/2012 (n° 145), p. 30-47<br />

YANG Vivian, «Stratégie maritime <strong>de</strong> la Chine : le « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » rêve ou<br />

réalité ? », Asia Times, 20 juillet 2011<br />

ZAJEC Oliver, « Le jeu <strong>de</strong> go maritime <strong>de</strong> Pékin », Manière <strong>de</strong> voir, juin-juillet<br />

2012 (n°123), « Chine état critique »<br />

Ouvrage :<br />

TERTRAIS Hugues (sous la direction <strong>de</strong>) « <strong>La</strong> Chine et la mer : Sécurité et<br />

coopération régionale en Asie orientale et <strong>du</strong> Sud-Est », L'Harmattan, 2011<br />

Sites web :<br />

www.diploweb.com :<br />

- article <strong>de</strong> Jérôme LACROIX-LECLAIR « Stratégie maritime <strong>chinoise</strong> : quelle<br />

dynamique ? », 30 septembre 2012<br />

- article d'Olivier ZAJEC « Actualité et réalité <strong>du</strong> « <strong>collier</strong> <strong>de</strong> <strong>perles</strong> » », 28 novembre<br />

2009<br />

www.thediplomat.com :<br />

- article <strong>de</strong> James HOLMES et Toshi YOSHIHARA, « Is China planning string of<br />

pearls ? », 21 février 2011<br />

www.dombosco.fr/article-chine-la-strategie-<strong>du</strong>-<strong>collier</strong>-<strong>de</strong>-<strong>perles</strong><br />

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