Tout Simplement Noir - Hell's Kitchen
Tout Simplement Noir - Hell's Kitchen
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H E L L S K I T C H E N<br />
Un jeu de mots, c’est souvent lourd. Ou parfois, le chemin le plus court.<br />
“Pariphéries”.<br />
Tel est le thème de ce numéro.<br />
Pour éviter aussi d’employer n’importe comment le mot ghetto, comme nous le<br />
rappelle Laurent Mucchielli dans notre interview à propos des bandes de jeunes.<br />
Les mots sont importants. “Requins”, par exemple.<br />
Rien n’est anodin.<br />
Surtout pas un jeu de mots.<br />
Alors oui, on se pose plein de questions, on se cherche, on tourne en boucle, et<br />
parfois, on croit se trouver.<br />
Ce quatrième numéro est en tout cas une façon de boucler une boucle.<br />
Une façon d’avancer par cercles concentriques, en élargissant le cercle de nos<br />
préoccupations.<br />
Et de tourner une page.<br />
<strong>Tout</strong> en revenant aux sources aussi, puisque ce Hell’s <strong>Kitchen</strong> #4 contient des sujets<br />
dont on parlait entre nous avant même de sortir le #1. Boucle, encore.<br />
Il nous en a donc fallu du temps pour y arriver, encore plus que d’habitude.<br />
Mais on a pris le temps qu’il faut, pour parler de ces sujets comme il faut. Avec de<br />
vrais gens, qu’il faut prendre le temps d’écouter.<br />
Pour mieux les lire, les yeux sans ornières.<br />
Pour le plaisir des yeux aussi, et leur repos également, tel notre trou normand<br />
avec le portfolio de Dimitri Coste, déjà présent mais différemment dans le HK #3…<br />
Boucle, toujours.<br />
Boucles.<br />
Ce #4 n’est pourtant pas un sampleur et ne fut pas sans pleurs.<br />
Ni sans reproches.<br />
À vous de voir.<br />
La rédaction.<br />
NUMÉRO 4<br />
Directeur de la publication // Fabrice Marco<br />
Rédaction // Oldboy, Armatya, Kemar, Bus<br />
D.A. & Maquette // Bus<br />
D.A. Photo // Wilee<br />
Couverture par : Cyril Cavalié<br />
P.S. : Hell’s <strong>Kitchen</strong> n’est pas le nom d’un appartement raviolis.<br />
Ce surnom est celui du quartier anciennement irlandais du westside de Manhattan ;<br />
de la 57è à la 34è rue, de la 8è Avenue à l’Hudson River.<br />
Là où les gangs irlandais se sont déchaînés pendant des décades, notamment quand<br />
les Porto-Ricains ont commencé à investir le quartier. Hell’s <strong>Kitchen</strong> a inspiré de nombreux polars et plusieurs films,<br />
Westside stories, Gangs of New York pour ne citer qu’eux. Dans Warriors, c’est le territoire des Rogues.<br />
E D I T O<br />
H E L L S K I T C H E N<br />
NUMÉRO 4<br />
A P É R O<br />
10 WILEEXPO 15<br />
E N T R É E<br />
16 ARISTOPOPULO 33<br />
P L A T 1<br />
34 CHINÉ CITTA 45<br />
P L A T 2<br />
46 REQUINS 59<br />
S É R I E M O D E<br />
61 CLICLI 69<br />
P L A T 3<br />
70 KEBAB MOBILE 71<br />
P L A T 4<br />
7 ARMES À L’ŒIL 81<br />
P L A T 5<br />
8 BANDES DE JEUNES 95<br />
T R O U N O R M A N D<br />
96 DIMITRI COSTE 99<br />
F R O M A G E<br />
100/101<br />
D E S S E R T<br />
10 /105<br />
D I G E S T I F<br />
106 SYSTEMA 115<br />
M E N U<br />
3
A P É R O A P É R O
«LA PHOTO, C’EST UN SPORT DE RICHES“… COMBIEN DE FOIS AVONS-NOUS ENTENDU<br />
ICI, AU COURS DE RÉUNIONS DE RÉDACTION PAS TOUJOURS TRÈS SAGES, CES MOTS<br />
FLEURIS DE LA BOUCHE DE NOTRE WILEE À NOUS, D.A. PHOTO MAISON.<br />
NOTAMMENT QUAND IL S’AGIT DE FAIRE LA SOMME DES BUDGETS QUE NÉCESSITE LA<br />
PRODUCTION D’UNE SÉRIE MODE “À L’ANCIENNE“… PARCE QUE MONSIEUR WILEE<br />
TRAVAILLE À L’ARGENTIQUE.<br />
1<br />
Transcription apocryphe de nos débats sans fin : allez… arrête un peu, on sait<br />
bien que t’es un gros fan de George Romero ou de Wes Craven mais c’est un<br />
truc de mort vivant ton truc-là, tu peux pas faire comme tout le monde, et travailler<br />
au numérique ? Déjà qu’on n’a pas une thune… T’aimes pas les religieux<br />
alors fais pas ton intégriste !<br />
«Je ne suis pas un intégriste de l’argentique ! (bordel !! en v.o. non censurée)…<br />
Je ne tiens pas spécialement à rester en argentique, ou plus exactement je ne<br />
m’interdis pas de shooter en numérique. J’ai mes raisons. D’une, c’est une<br />
question de finance. Le problème du numérique c’est que, dès que tu sors ton<br />
boîtier de son carton, il faut le rentabiliser le plus rapidement possible, car dès<br />
qu’un nouveau boîtier va sortir, le tien ne vaudra plus rien. Acheter un boitier à<br />
8000€, et voir sa côte tombée à 1000€ à peine deux ans après, c’est juste tendu.<br />
Et puis je n’ai pas une activité qui me permette de le rentabiliser aussi vite. Le<br />
numérique est un super support pour certains types de travaux : catalogue, photos<br />
de soirées… «<br />
A P É R O<br />
1<br />
Et notre Wilee ne fait pas, ou plus, de photos de soirées, ni de concerts. Mais il<br />
en a fait, ça, c’est sûr.<br />
On peut même y passer une soirée, le temps qu’il faut pour qu’il nous raconte<br />
tout, par exemple le concert des Run DMC à la Cigale quand ils ont voulu faire les<br />
malins devant une fosse remplie de lascars parisiens… En quelle année ? Euh, je<br />
m’en rappelle plus, je commençais à m’endormir, avant qu’il ne me réveille d’une<br />
éructation du son de sa charmante et virile voix…<br />
Le pire, c’est qu’il en a un wagon, des comme ça : quand il est allé faire Damon<br />
Dash, lui demandant, à l’encore patron de Roc-A-Fella, s’il kiffait Paris alors que<br />
D.D. s’était pris un pain dans sa tête gonflée comme un melon, la veille aux Halles…<br />
Hop, encore un Américain qui n’a pas compris Paris…<br />
Hop. Hip… hip hop ! Wilee est hip hop, il pourrait rajouter à ses tatouages, ces<br />
6 lettres sur son front comme un gangsta de la Mara Salvatrucha, ça dénoterait<br />
pas, à part peut-être un peu dans un studio où il shoote des mannequins anorexiques.<br />
1-Ol’kainry<br />
Photos : Wilee<br />
A P É R O<br />
13
2<br />
Car cet ancien jeune du 94 en a fait du chemin. Au cours duquel il a rencontré<br />
pas mal de son hall of fame à lui, de Jermaine Dupri à David Banner.<br />
<strong>Tout</strong> ça en bossant pendant, allez, on va dire 15 ans pour la presse spécialisée<br />
rap. L’alliance non pas de la carpe et du lapin, mais de l’utile et de l’agréable.<br />
Scène du métier d’il y a 10 ans, une époque révolue pour de bon : Allô, Wilee ?<br />
Tu veux partir en voyage de presse à L.A. ? Mais c’est demain, tu pars à l’aube…<br />
Ok ? cool ! Mais tu sais que c’est un peu ghetto là où l’on t’envoie ?(...) Même<br />
pas peur ? Super, viens chercher tes billets alors…<br />
Mais notre Wilee, il nage là-dedans comme un poisson dans l’eau, dans le ghetto.<br />
Il s’y sent un peu chez lui, comme un peu partout d’ailleurs.<br />
Genre dans un grand hôtel parisien pour un shooting de la vénérée Aaliyah, en 15<br />
mn chrono parce que les R.P. ça n’attend pas. Et ça il sait le faire, le vite fait bien<br />
fait. Dans un palace ou dans une arrière cour crasse avec un DJ homo de Detroit,<br />
avec un nouveau boîtier chiné sur eBay…<br />
14<br />
2-Zoxea<br />
3-Parano Refré<br />
4-Lino<br />
5-Wilee himself<br />
Photos : Wilee<br />
A P É R O<br />
3<br />
4<br />
Eh oui, il est un peu collectionneur sur les bords : «chaque appareil et chaque<br />
objectif donne son propre grain, un rendu d’image particulier. L’argentique a cette<br />
particularité que ses propres défauts chimiques et physiques en font ses qualités.<br />
Pour moi la définition du numérique par rapport à l’argentique, c’est tout simplement<br />
la traduction en langage binaire (0 et 1) des conséquences chimiques dues<br />
à des interactions physiques de divers éléments. Je ne vais pas mentir, c’est<br />
aussi et surtout cette deuxième raison qui me fera toujours pencher du côté de<br />
ce type de photographie, par rapport à mon travail et la façon dont je l’aborde.»<br />
Abrège un peu, tu veux pas simplifier ? Qu’on ait vraiment envie de bouger nos<br />
fesses à ton expo : «je ne recadre jamais et je retouche un minimum mes images.<br />
C’est une règle que je me suis donné et que j’ai scrupuleusement appliqué.<br />
Même après 18 ans de métier, quand je fais mon editing, je ne choisis que celle<br />
qui me semble parfaite : cadrage, lumière, attitude, etc. C’est le seul truc que je<br />
sais faire, la photo, alors… je m’applique ! Mais comme tout le monde, il y a des<br />
jours avec, et d’autres sans… Pour info, dans cette expo, la seule que je vais réaliser<br />
de l’époque où j’étais photographe pour des magazines de musique, aucune<br />
des images exposées ne sont recadrées ou retouchées.»<br />
Ça va, ça va. On vient.<br />
Exposition<br />
«HIP HOP MORTALS»<br />
Du 16 au 30 Octobre<br />
Au premier étage de<br />
l’Adidas Originals Store<br />
, av des Champs-Elysées<br />
75008 Paris.<br />
A P É R O<br />
5<br />
15
QUAND ELIZABETH SMITH MILLER, ACTIVISTE FÉMINISTE DE LA NOUVELLE ANGLETER-<br />
RE (ETATS-UNIS) DÉCIDE EN 1851 DE FAIRE PÉTER LE CORSET, ELLE NE SE DOUTAIT PAS<br />
QU’ON ALLAIT LA PRENDRE ICI COMME NOTRE POINT DE DÉPART DU SPORTSWEAR !<br />
CORSET PÉTÉ, AU SENS PROPRE COMME FIGURÉ : EXPLOSÉ LE CORSET DE L’ESPRIT<br />
PURITAIN, À LA POUBELLE CE SOUS-VÊTEMENT INSTRUMENT DE TORTURE QUOTI-<br />
DIENNE.<br />
RÉVOLTE SOCIALE RÉSUMÉE À UN VÊTEMENT.<br />
LE VÊTEMENT DE SPORT.<br />
SIGNE DES TEMPS QUI BOUGENT, TEMPS REBELLES AVEC OU SANS CAUSE, JUSQU’À<br />
L’ATTIRAIL DES SUSNOMMÉES “RACAILLES“ QUI A FAIT FUREUR BIEN PLUS TARD DANS<br />
NOS FRANÇAISES CONTRÉES.<br />
MICROFIBRES TEXTILES, MACROFIBRE SOCIALE.<br />
L’HISTOIRE, ÇA S’ÉCRIT SELON LES POINTS DE VUE, ET LE NÔTRE EST AINSI : TOUT EST<br />
POLITIQUE, JUSQU’AU FIL D’UNE MAILLE COTON.<br />
16<br />
E N T R É E<br />
1<br />
E N T R É E
Elizabeth Smith Miller a inventé cette<br />
espèce de jupe pantalon (plus exactement<br />
: sorte de pantalons bouffants<br />
sous une jupe), Amelia Bloomer a propagé<br />
cette mode révolutionnaire via sa<br />
revue, révolution indifférente au qu’en<br />
dira-t-on moralo religieux. Avant de se<br />
rétracter et de revenir en arrière.<br />
Mais sa volte-face un peu bizarre est<br />
venue trop tard : les jeunes femmes<br />
modernes de cette è partie du XIXè<br />
américain vont plébisciter ce vêtement<br />
contenant en lui une charge littéralement<br />
politique.<br />
Mais aussi quotidienne : rien de plus<br />
pratique et de beaucoup plus confortable<br />
que cette drôle de 2 en 1, qu’on va<br />
finir par appeler tout simplement “bloomers“<br />
du nom de l’apostate Amelia.<br />
Surtout quand il s’agit de faire du vélo,<br />
par exemple, activité de plus en plus<br />
prisée par la jeunesse féminine et urbaine,<br />
qui a décidé de lâcher les rênes<br />
du conservatisme appliqué à l’apparence<br />
extérieure pour chevaucher la<br />
petite reine.<br />
Le vélo : instrument de déplacement<br />
et de mobilité qui jouera un grand rôle<br />
plus tard et ailleurs, notamment en<br />
France au moment du Front populaire<br />
et des congés payés, dans le développement<br />
du sport et de la société de<br />
loisirs. Et dans le développement du<br />
vêtement de sport.<br />
L’on va y revenir.<br />
18<br />
JERSEY, LE TISSU, PAS L’ÎLE<br />
Si Coco Chanel est universellement connue pour son tailleur pour femmes, elle<br />
est pour nous celle qui a senti le vent de la modernité avant beaucoup.<br />
Encore plus fort que Paul Poiret qui, même s’il a lui aussi clos pour de bon le<br />
règne du corset dans le champ couture, est resté depuis ses excentricités orientalisantes<br />
toujours bloqué sur la démarcation vêtement pour l’intimité domestique<br />
et celui en vue des mondanités publiques. Chanel, elle, a compris dans les<br />
premières que la femme allait avoir besoin d’un nouvel horizon, un ciel dégagé<br />
des obligations de la parure pour la parure, un avenir différent de la femme typiquement<br />
bourgeoise à l’ancienne, placée là dans les cocktails et les dîners par<br />
son mari comme un trophée de chasse, une tête de cerf par exemple ; mignon<br />
mais selon des canons moustachus.<br />
Dès avant la première guerre mondiale, elle commence alors, en plus de porter<br />
déjà le tricot bien avant tout le monde, à étudier de près les matières qui permettraient<br />
de rendre le vêtement moins empesé et moins ampoulé, plus élastique et<br />
plus pratique, afin d’obtenir un toucher et un port qui correspondent à ses idées<br />
et ses coupes.<br />
Et le jersey fut trouvé, dans le sous vêtement précisément, puisqu’on considérait<br />
jusqu’à présent ce tissu pas assez noble, du tout, à part protéger les bijoux de<br />
famille. Le début du XXè : carrément un autre siècle.<br />
Le jersey va plus tard envahir à peu près toutes les maisons, notamment Hermès<br />
qui en 19 6 ouvre un département de vêtements femmes et couture avec des<br />
collections où cuir et jersey font ménage commun.<br />
‘‘PATOU FUT D’ABORD UN COUTURIER,<br />
AU MOINS AUSSI IMPORTANT<br />
QUE CHANEL À L’ÉPOQUE ’’<br />
Mais Chanel n’est pas la seule et unique : elle est la fille d’une époque, de l’avant-garde<br />
d’une époque plus exactement. Une génération qui va renverser les hiérarchies<br />
après la guerre et qui va animer les années folles.<br />
Des années qui veulent de la folie, respirer, de la légèreté, expirer de l’air. De l’air, du<br />
mouvement, de la rapidité : les aviateurs sont des héros de ces temps modernes<br />
d’avant, les voitures ne sont plus des prototypes, l’architecture se révolutionne et se<br />
pense fonctionnelle, le cubisme pense en trois dimensions et en formes géométriques,<br />
le futurisme veut trouver les manières de représenter la vitesse.<br />
Hygiène de vie, hygiène du corps, nouvelle esthétique, nouveaux vêtements.<br />
Une génération dont fait aussi partie Jean Patou (qui déteste cordialement Chanel,<br />
et réciproquement, soit dit en passant).<br />
Encore connu aujourd’hui pour ses parfums, Patou fut d’abord un couturier, au<br />
moins aussi important que Chanel à l’époque et précurseur de Lacoste.<br />
MEA CULPA : comme des crétins mal renseignés, nous avions écrit en ouverture<br />
de notre interview avec Christophe Lemaire (Hell’s <strong>Kitchen</strong> # ) que René Lacoste<br />
était le premier à avoir apposé un logo au niveau du cœur… Faux, tout faux,<br />
honte à nous : le premier fut Jean Patou. Désolé.<br />
1-Publicité Jean Patou<br />
“Le coin des sports ”<br />
“Patou”<br />
Meredith Etherington-Smith<br />
Ed. St Martin’s Marek N.Y.<br />
2-Gabrielle Bonheur Chanel 1935<br />
3-Jean Patou<br />
2<br />
3<br />
ANNÉES FOLLES, CRÉATEURS PAS FOUS<br />
C’est Jean Patou qui va aussi synthétiser la nouvelle femme<br />
contemporaine, en habillant Suzanne Lenglen.<br />
Vraie star et reine provocante de la petite balle, elle règne<br />
non seulement en maître sur les courts mais cette maîtrise<br />
est comprise comme étroitement dépendante de ses vêtements,<br />
beaucoup plus souples que ceux de ses concurrentes<br />
trop old school, lui permettant des acrobaties improbables<br />
et jamais vues à Wimbledon. Les vieilles mamies encore<br />
un peu victoriennes sont choquées.<br />
Le look Lenglen : jupe plissée en soie qui remonte au genou,<br />
bandeau en tulle sur la tête pour retenir des cheveux coupés<br />
courts et surtout pour ce qui nous concerne : le cardigan<br />
sans manche. Ou le “sweater“. En jersey.<br />
Jean Patou décline son vestiaire maison : du cricket so british,<br />
il adopte le blazer, avec les fines rayures, les pulls en V<br />
aussi afin que le corps respire mieux sous la chemise ouverte<br />
au dernier bouton du haut, etc.<br />
Sauf que Patou, même s’il nous apparaît comme un second<br />
point de départ à notre petite histoire du sportswear,<br />
est encore loin du système de la mode d’aujourd’hui, et du<br />
sportswear tel qu’on le comprend maintenant.<br />
Ce qu’il a cherché à faire, c’est d’amener l’élégance de la<br />
ville, la nouvelle élégance de la bourgeoisie citadine, sur le<br />
terrain de jeux. Même si l’air du temps réclame de l’air pour<br />
le corps, pour un corps qui commence à se libérer, le sport<br />
à l’époque reste mondain. Autrement dit : l’inverse du processus<br />
sportswear contemporain.<br />
Même s’il a évidemment surfé (le surf n’étant encore pratiqué<br />
que par les Polynésiens et personne d’autre) sur la folie de la<br />
pratique sportive propre à ces années : au rez-de-chaussée<br />
de sa boutique rue St Florentin, il crée “Le coin des sports“,<br />
où ses clients pouvaient trouver tous les accessoires maison<br />
possibles pour toutes les activités du moment : tennis, ski et<br />
sports d’hiver, golf, équitation (on pourrait reparler d’Hermès<br />
mais…non), natation, gymnastique.<br />
19
0<br />
E N T R É E<br />
4<br />
Idem pour Elsa Schiaparelli qui indique<br />
clairement la couleur en ouvrant sa boutique<br />
rue de la Paix, sous l’enseigne :<br />
“Elsa Schiaparelli. Pour le sport“. En<br />
19 7.<br />
Jupes hyper simples (loin de l’image plutôt<br />
“baroque“ qui colle à Schiaparelli, à<br />
partir des années 30), pull-overs et encore<br />
une fois : sweaters, ou encore blousons<br />
d’aviateurs, elle aussi est en plein<br />
dans cette exaltation du grand bol d’air.<br />
Simplicité et praticité : de cette philosophie<br />
du vêtement, Schiaparelli en<br />
tire la formule stylistique qui la rendra<br />
célèbre et au moins aussi polémique<br />
que Chanel : la robe du soir réduite à<br />
un fourreau en crêpe de Chine blanc<br />
portée avec jaquette à longs pans croisés<br />
dans le dos. L’élégance mondaine<br />
avec un je ne sais quoi de sportif.<br />
Et l’on pourrait continuer longtemps<br />
comme ça, en citant Madeleine Vyonnet<br />
ou moins connue : Madeleine de<br />
Rauch, en se limitant à la France.<br />
Aux Etats-Unis, pays supposé de la<br />
vie au grand air et d’une autre sorte<br />
d’élégance longtemps moquée dans<br />
nos pays européens plus stricts quant<br />
à la séparation entre classes sociales<br />
et aux signes de différenciation, le vêtement<br />
plus relax, plus décontracté,<br />
commence à faire apparaître ce qu’on<br />
va appeler le look sport. En particulier<br />
grâce à Claire McCardell, papesse de<br />
la mode US à partir des années 40, et<br />
maman de l’“American Look“.<br />
Mais c’est une autre histoire. On en reparlera<br />
un jour.<br />
Notre histoire à nous, c’est le sportswear<br />
vu d’ici.<br />
5<br />
6<br />
4-Suzanne Lenglen<br />
19 5 Wimbledon<br />
“Mode Tennis”<br />
Diane Elisabeth Poirier<br />
Ed. Assouline<br />
5-Hermès 19 7<br />
6-Boutique Jean Patou à Deauville<br />
“Patou”<br />
‘‘DEUX<br />
SEMAINES DE<br />
CONGÉS PAYÉS,<br />
À NOUS LES<br />
PLAGES’’<br />
DES REQUINS<br />
ET UN CROCODILE<br />
Et ici, on en est à la fin des années 20,<br />
qui s’achèvent avec le Krach de 19 9.<br />
1927 - 1932 : ces 5 années de transition<br />
sont celles des 6 victoires consécutives<br />
des “Quatre mousquetaires”<br />
à la Coupe Davis, de tennis, sport de<br />
plus en plus apprécié et qu’on va dire<br />
populaire, entre double guillemets.<br />
Sauf que.<br />
Sauf que début des années 30, l’on<br />
finit par s’apercevoir que le vent d’air<br />
frais a soulevé seulement le chapeau<br />
et décoiffé juste un peu la tête du pays,<br />
autrement dit : les classes moyennes<br />
supérieures et classes supérieures tout<br />
court. Joséphine Baker parade encore<br />
telle la star vraiment populaire qu’elle<br />
est, mais le complet veston et la femme<br />
à la maison sont la règle majoritaire.<br />
La bourgeoisie française reste empêtrée<br />
dans ses amours catho et conservateurs,<br />
et les esprits se crispent.<br />
Émeutes (proto-facho) de février 1934.<br />
Réaction: installation du Front Populaire<br />
en 1936. Deux semaines de congés<br />
payés, à nous les plages, celles de<br />
Normandie en particulier pour les prolos<br />
parisiens ; horreur et damnation<br />
pour ceux de la haute : Deauville se<br />
barricade face à Trouville, idem entre<br />
Mer et Fécamp etc.<br />
Et puis, avant de se baigner à Deauville<br />
ou à Biarritz en pyjamas de bains, encore<br />
faudrait-il pour la majorité espérer<br />
fouler un jour le sable blanc. La Sncf<br />
n’existe pas encore, et les voitures<br />
sont un luxe inatteignable, même pas<br />
en rêve : vive le vélo.<br />
Encore le vélo, toujours le vélo. Sport<br />
-c’est le début de la grande époque<br />
des courses en vélodromes, le Tour de<br />
France est déjà un événement médiatique-<br />
et activité de loisir, pour se déplacer<br />
sans dépenser autre chose que<br />
son jus de cuisse, et de mollet.<br />
E N T R É E<br />
1
En haut de la pyramide sociale, les clubs sportifs s’organisent. Règles strictes et<br />
montants élevés de cotisations comme il faut pour rester entre soi, entre gens comme<br />
il faut.<br />
Interdiction de la couleur autre que blanche dans les clubs, privés, de tennis.<br />
Léo Lagrange a beau occuper le maroquin du tout premier sous-secrétariat aux<br />
sports (et à ”l’organisation des loisirs”), c’est pas demain la veille que les clubs<br />
de sports municipaux et de quartiers vont quadriller le terrain. Ce n’est qu’un<br />
début, d’autres vont continuer le combat.<br />
E N T R É E<br />
7<br />
7-Publicité Lacoste<br />
“Mode Tennis”<br />
C’est dans cette France post Krach, le<br />
pays s’enfonçant dans la crise plus que<br />
les autres pays développés peut-être,<br />
et se crispant sur sa lutte de classes,<br />
c’est dans cette France pas folichonne-là<br />
que René Lacoste, abandonnant<br />
sa carrière de sportif embrasse celle<br />
des affaires textiles.<br />
En 1933.<br />
Avec un énorme logo sur le cœur, et<br />
que ceux qui ont trouvé très laid le revival<br />
du gros croco cette année révisent<br />
leurs classiques… façon de capitaliser<br />
sur un symbole. Signe de reconnaissance<br />
évidemment, d’un style de vie et<br />
d’un niveau de vie, aussi et surtout.<br />
Capitalisation également sur un autre<br />
phénomène, émergent : la starification<br />
des sportifs. Des sportifs qui gagnent,<br />
c’est mieux, même en France malgré le<br />
futur syndrome Poulidor…<br />
Ici commence le sportswear contemporain<br />
: les chemises Lacoste avec<br />
leur maille (jersey petit piqué) et leur<br />
coupe (manches de chemises raccourcies,<br />
col bord-côtes) étudiées pour<br />
la pratique sportive d’abord et avant<br />
tout, vont renverser la hiérarchie entre<br />
terrain urbain et terrain de sport qui<br />
structurait encore la décennie précédente.<br />
René Lacoste annonce, lui, le<br />
sportswear strictement d’aujourd’hui :<br />
le sportswear, catégorie de pensée du<br />
prêt-à-porter et une bonne part de son<br />
marché .<br />
Mais l’on n’a pas le temps de s’en<br />
apercevoir encore.<br />
La è guerre mondiale arrive, on va<br />
avoir autre chose à penser que de soigner<br />
son look, en tout cas la majorité…<br />
Pas les jeunes zazous (ni les privilégiés<br />
de l’Occupation). Mais c’est une autre<br />
histoire.<br />
DE DE GAULLE À DE GAULLE<br />
1944, la guerre est en train de finir et le gouvernement provisoire dans sa grande<br />
mansuétude donne le droit de vote aux femmes ; la France, comme souvent, est<br />
en avance sur son temps -les Anglaises sont des citoyennes comme les autres<br />
depuis 1918…<br />
La libération du pays, en plus de tout le principal, a donné aux Français et Françaises<br />
la possibilité d’observer de près ces Américains et surtout Américaines<br />
(les armées se baladent avec leurs infirmières et tutti quanti), lesquelles font voir<br />
un nouveau style aux femmes françaises. Style relax : jupes larges à poches,<br />
chemisiers de coton retroussés aux coudes ou chemises d’hommes nouées sur<br />
le ventre, pantalons corsaires… On se détend, dans tous les sens du terme.<br />
Dommage (ou pas, c’est selon) pour elles, Christian Dior revient à plus de strict<br />
et à moins de relâché.<br />
Fin de la guerre, la société de consommation n’est pas pour aujourd’hui, mais<br />
pour demain.<br />
<strong>Tout</strong>efois, les dollars du Plan Marshall se déversent dans les circuits. “Make it<br />
rain” : la France est le 2è pays le plus chouchouté, après l’Angleterre. On reconstruit<br />
le pays, la fin des années 40 et début des années 50 sont la décennie des<br />
bambins fécondés à tour de bras (d’une autre extrémité corporelle en fait…) et ce<br />
sont ces futurs ados qui vont tout chambouler.<br />
À la fin des années 50, ces jeunes-là se construisent petit à petit leur propre<br />
culture, comme partout dans le monde occidental, sur l’exemple américain:<br />
rock’n’roll, films, plein emploi et argent de poche, pour ceux qui en ont.<br />
Fuck les vieux, tu peux pas comprendre si tas dépassé 25 ans : construction<br />
d’une sociabilité et d’un mode de vie adolescents, on commence à voir les jeu-<br />
“LES ANNÉES 60<br />
VONT FAIRE MAL<br />
À LA VIEILLE<br />
FRANCE.<br />
SALUT LES<br />
COPAINS’’<br />
nes d’un autre œil. D’un très mauvais<br />
œil. Reformulation d’une veille peur sociale,<br />
celle d’une nouvelle délinquance<br />
juvénile (voir notre sujet “Bandes de<br />
jeunes”).<br />
Les années 60 vont faire mal à la vieille<br />
France.<br />
Salut les copains.<br />
Optimisme et prospérité pour tous et<br />
santé pour tout le monde. Malgré de<br />
Gaulle (de retour au pouvoir en 58),<br />
l’américanisation de la société fonce à<br />
toute vitesse et surtout chez les couches<br />
les plus jeunes. Rebelles bien peignés.<br />
Et dans l’american way of life de France,<br />
le sport se développe à fond les<br />
ballons. 1958 est comme par hasard<br />
l’année où l’équipe de France de football<br />
atteint les demi-finales de la coupe<br />
du monde, waouh !! Cocorico, Justo<br />
(Fontaine).<br />
Cet exploit -il va falloir attendre 198<br />
pour le renouveler (Schumacher, gros<br />
boucher…)- n’est pas encore retransmis<br />
dans chaque foyer par la télévision<br />
vu que cette grosse lucarne est le privilège<br />
d’une minorité pour l’instant encore<br />
mais les journaux se sont multipliés.<br />
Et la radio va suivre : Europe1 sera la<br />
radio qui va faire humer les parfums<br />
de la modernité jeune, donc les tubes<br />
de la nouvelle Angleterre, celle des<br />
Beatles et compagnie. La pop culture.<br />
Roaring sixties à l’horizon, attention :<br />
explosion.<br />
Pas en France, mais d’abord en Angleterre,<br />
of course, mate.<br />
E N T R É E<br />
3
EUROPA<br />
Avant que les hippies ne monopolisent<br />
Carnaby Street, dans les odeurs de<br />
LSD et de THC, c’est l’amphétamine<br />
(Dinaml pour ceux qui veulent de la<br />
précision d’apothicaire) qui court dans<br />
les cerveaux des jeunes Anglais. En<br />
quête du chic urbain moderne. Du matin<br />
au petit matin.<br />
Si l’on a écrit moderne, c’est parce que<br />
ceux qu’on appelle les Mod’s sont la<br />
è génération des dits Modernistes,<br />
qui ont balancé l’attirail teddy boy de<br />
leurs aînés par dessus le ferry… Un<br />
mouvement de jeunes snobs arrogants<br />
hyper attachés à leur look extérieur qui<br />
ne veulent plus entendre parler d’autre<br />
chose que ce qui se passe au-delà de<br />
la Manche : les styles français et italien.<br />
Vespa et Lambretta, Mastroianni et la<br />
Dolce Vita. Après Mastroianni, c’est<br />
Belmondo circa “Pierrot le fou” et les<br />
coupes de cheveux “Nouvelle Vague”<br />
qui prennent le relais idole des Mod’s,<br />
ces nouveaux jeunes British à la coupe<br />
de cheveux, non pas à la Beatles mais<br />
à la Small Faces, dans le vent de leurs<br />
scooters chéris.<br />
Hors sujet sportswear ? Non.<br />
Pourquoi ? Parce la marque Fred Perry<br />
(cf. interview suivante : “Chiné citta»),<br />
voit sa marque devenir très vite florissante<br />
à l’orée des années 50. Devenant<br />
ainsi dix ans plus tard le blason<br />
de cette jeunesse plutôt middle class<br />
toujours très classe et dans le genre<br />
bagarreuse -avec le logo aux lauriers<br />
comme emblème, calqué sur le logo<br />
originel du tournoi de Wimbledon.<br />
Et danser toute la nuit au son de la soul<br />
US notamment, c’est tout un sport et le<br />
polo Fred Perry n’a pas de concurrent<br />
pour garder toute sa classe bien ajustée<br />
jusqu’au petit matin.<br />
C’est là que ça se passe : le vêtement<br />
de sport est extirpé par ces jeunes-là<br />
du court de tennis à la ville.<br />
Or, dans cette Italie fantasmée par<br />
les premiers Mod’s, Ottavio Missoni,<br />
lui-même ancien athlète (du 400 mètres),<br />
a commencé sa nouvelle vie en<br />
équipant de survêtements à son nom<br />
l’équipe italienne d’athlétisme dès les<br />
J.O. de 1948. C’est à partir de ce starting-block<br />
que Missoni jette les bases<br />
de sa maison couture… Nouvelle haie<br />
de sautée, nouvelle étape de franchie :<br />
du sport à la couture. Tour gagnant de<br />
toute la piste textile assez exceptionnelle<br />
pour la famille Missoni.<br />
Plus classiquement, du sport au<br />
sportswear, comme Réné Lacoste<br />
ou Fred Perry, par eux mais pas que<br />
pour eux (au contraire du premier<br />
streetwear), Sergio Tacchini également<br />
“BOURGEOISIE<br />
COOL, QUI PRATI-<br />
QUE SES SPORTS<br />
DISTINGUÉS<br />
COMME L’ON<br />
BOIT LE THÉ’’<br />
E N T R É E<br />
8-Mod’s<br />
9-Tommie Smith & John Carlos<br />
J.O Mexico 1968<br />
Pour l’instant De Gaulle est toujours là,<br />
mais les jeunes ont la gaule, trop d’entraves<br />
pour leurs nouvelles jouissances,<br />
ça gonfle.<br />
68 : bidonvilles de Nanterre à côté de la<br />
faculté, mouvement du mars, sous<br />
les pavés la plage… Pas pour tout le<br />
monde, surtout pas pour les étudiants<br />
mexicains massacrés juste avant les<br />
J.O. de Mexico. Ni pour les Africains<br />
Américains ; gants noirs de Tommie<br />
Smith et John Carlos, sur le podium :<br />
sport et politique sous un autre angle,<br />
on change de focale.<br />
Dans la France post soixante-huitarde,<br />
c’est la libération des mœurs, les<br />
femmes ont enfin la maîtrise de leurs<br />
corps, les prolos ont été trahis et les<br />
gauchistes de St Germain des Près<br />
vont revenir sous le nom de è gauche,<br />
libérale, dans les mœurs évidemment,<br />
comme en économie.<br />
Nouveau théorème : il n’ y a plus de<br />
classes sociales, juste une énorme<br />
classe moyenne divisée en petite,<br />
moyenne et haute. Tous communiant<br />
dans cette euphorie que les débuts du<br />
chômage de masse n’ont pas encore<br />
assombrie.<br />
Individualisme et consommation : dis<br />
moi ce que tu achètes, je te dirai qui<br />
tu es.<br />
Libéralisme et libération du corps.<br />
Décennie des cheveux longs, comme<br />
ceux de Björn Borg qui entame son<br />
règne. Et décade de temps d’antenne<br />
toujours plus longs pour le sport.<br />
La télévision est désormais dans presque<br />
tous les foyers.<br />
Les années 70 sont l’introduction à notre<br />
époque : deux industries montent à<br />
l’unisson, médias et sport. Développement<br />
parallèle logique. J.O. et Coupes<br />
du monde de football deviennent les<br />
vaches à lait automatiques pour une<br />
audience maximale.<br />
Ceux qui gagnent deviennent les nouveaux<br />
dieux, du stade.<br />
tennisman réputé dans son pays lance<br />
sa marque à partir de 1966.<br />
Comme ses prédécesseurs, Tacchini<br />
et ses associés savent pertinemment<br />
la valeur glamour ajoutée à un vêtement<br />
grâce un logo censé refléter un<br />
style de vie un peu jet set, bourgeoisie<br />
cool parce que sportive, qui pratique<br />
ses sports distingués comme l’on boit<br />
le thé dans un salon aux fauteuils club,<br />
avec classe. Petit doigt bien levé.<br />
Des sports distingués parce qu’ils distinguent<br />
ceux qui ont les moyens d’en<br />
faire, de ceux qui ne le peuvent : le tennis,<br />
la voile, l’équitation et le polo, le<br />
golf… On se répète oui, mais l’on ne<br />
répétera jamais assez qu’il s’agit là de<br />
CHEVEUX LONGS<br />
la source principale du sportswear tel En cette France des années 70, les années 0 sont de la préhistoire, ici aussi le<br />
que nous, nous l’entendons : l’adop- sport est tranquillement en train de devenir une industrie, peut-être pas comme<br />
tion de marques qui ne s’y attendaient les autres, mais une industrie quand même. Et à mesure que la pratique sportive<br />
pas (cf. Lacoste et Ralph Lauren) par se développe, il va falloir penser à équiper tous ces corps, ces bras et ces arrière-<br />
un public portant leurs vêtements en trains qui suent avec entrain.<br />
dehors d’une pratique sportive, tota- Ça tombe bien, la grande distribution se met en place. On n’en est pas encore<br />
lement citadine et en plus et surtout : aux Decathlon dans n’importe quel trou avec centre commercial, mais les Le-<br />
sans leur agrément. Scandale markeclerc, Auchan etc. se sont déjà créés, petits épiciers devenus grandes chaînes<br />
ting. Certaines ont refoulé ce mouve- alimentaires. Comme la famille Guichard et son réseau Casino, dont la couleur<br />
ment d’appropriation externe par peur commerciale est le vert, couleur du club dont ils favorisent la création -l’AS St<br />
de l’abaissement de l’image de mar- Etienne- et dont le pater familias, Geoffroy Guichard, donne son nom au stade<br />
que, d’autres ont un été un poil plus bientôt très fameux.<br />
subtiles. Gourmets oui, mais gour- L’on va y revenir.<br />
mands niveau chiffre d’affaires…<br />
Restons au niveau économique : pour assumer ce développement industriel tous<br />
L’on oubliait le ski : rappelez vous pour azimuts, il faut de la main d’œuvre. On a décolonisé avec plus ou moins de bon-<br />
plus tard les photos de Jamel Shabazz, heur (la guerre d’Algérie s’est achevée dans la douleur en 196 ) mais comme<br />
back in the days of the 80’s, un des ac- l’on avait besoin des zouaves au front, il nous faut les mêmes Africains, mais<br />
cessoires des jeunes B-Boys new-yor- sur un autre nouveau front, celui de l’industrialisation, dont la construction des<br />
kais sont les lunettes de ski. Loin des agglomérations -80% de la population devient urbaine dans les années 60. Mais<br />
84 cimes, près du deal de dimes.<br />
là aussi, pas question de se mélanger.<br />
Non, ce n’est pas une autre histoire. L’on va y… revenir, oui, oui.<br />
5<br />
E N T R É E<br />
9
Björn Borg, l’invincible Suédois (sauf à<br />
l’US Open) dit aussi Iceman, est un de<br />
ces tout nouveaux dieux qui donne à la<br />
marque qui l’équipe pas meilleur support<br />
publicitaire. En l’occurrence Fila<br />
avec Iceborg.<br />
Fila, encore une marque italienne -on<br />
oublie Ellesse et on oublie aussi que<br />
Fila est désormais possédée par des<br />
Sud-Coréens- n’explosera qu’à partir<br />
de ce moment-là pour se retrouver<br />
au coeur du phénomène sportswear,<br />
adoptée qu’elle a été ensuite par la<br />
rue hip hop américaine : remember<br />
Schoolly D, Steady B, Just-Ice aussi et<br />
tant d’autres dans les années 80… Il<br />
y aura même un Fila Fresh Crew pas<br />
d’anthologie.<br />
Sur cette adoration italienne loin du<br />
pays d’origine et pas vraiment là où<br />
l’on s’y attend, surtout pas les services<br />
commerciaux, on a lu plusieurs explications.<br />
Toujours l’explication socio-<br />
6<br />
E N T R É E<br />
10<br />
10-“The Fresh Commandments”<br />
Fresh Gordon<br />
11-“Oh, My God!”<br />
Doug E Fresh & The Get Fresh Crew<br />
“The Book of Hip Hop Cover Art”<br />
Andrew Emery<br />
Ed. Mitchell Beazley<br />
logique classique (appropriation des<br />
signes de la bourgeoisie blanche) mais<br />
l’on en a une autre en magasin : la fripe,<br />
pour plus de frime. La fripe, qu’on<br />
n’appelait pas encore vintage pour<br />
faire riche. Les pauvres, et les jeunes<br />
pauvres en quête de marques qui parlent<br />
leur langage à eux, commencent à<br />
accéder à ce genre de produits grâce à<br />
ce réseau de deuxième main.<br />
Au-delà, c’est un autre mouvement<br />
global, plus vaste encore que l’appropriation<br />
d’une marque par un public<br />
pas prévu, qui fait sens : l’hyper individualisation<br />
des icônes sportives qui<br />
font frémir les foules, et leur fait acheter<br />
en masse les produits qu’elles portent.<br />
Le marketing du sport. Là où excellera<br />
Nike.<br />
11<br />
KILLY ET PLATINI, ÇA RIME<br />
Jean-Claude Killy, énorme star en France après sa triple médaille d’or aux J.O. de<br />
Grenoble (1968) en est un parfait exemple : glissant tout schuss sur sa légende<br />
nationale, notre starlette d’Hollywood (il a tourné là-bas une série B et a connu<br />
son heure de gloire aux E.-U. après y avoir été coureur automobile au point<br />
d’avoir été le sujet d’un article du gonzo Hunter S. Thompson…) est devenu très<br />
tôt l’ami de Mark McCormack, l’inventeur du marketing appliqué au sport, celui<br />
qui a compris très tôt tous les bénéfices que les marques pouvaient tirer d’une<br />
association avec un héros des temps post-modernes que sont les sportifs.<br />
Notre Jean-Claude devient client de l’agence de son ami américain : I.M.G.,<br />
bientôt fameuse dans le management de talents, se faisant une spécialité de la<br />
gestion de l’image des vedettes sportives -et les droits qui vont avec, de plus<br />
en plus nombreux à mesure que notre (post-) modernité contemporaine avance,<br />
notamment les stars du tennis (de Pete Sampras aux soeurs Williams) ou du golf,<br />
dont Tiger Woods aujourd’hui -oui, l’on n’a jamais parlé du golf, ni du rugby, dans<br />
ce topo, on fait ce qu’on veut, il faut faire des choix.<br />
“CO-BRANDING : ASSOCIATION<br />
DE 2 MARQUES AVEC LE NOM D’UN<br />
CHAMPION DEVENU L’ÉQUIVALENT<br />
D’UNE MARQUE’’<br />
Puis Killy s’associe avec la marque Veleda en 1976 pour lancer en 77 une marque<br />
de vêtements de sports de montagne. Pile poil juste avant l’envolée des<br />
sports de montagne parmi les classes moyennes : cette démocratisation est<br />
un des phénomènes historiques des années 80, justification sociologique de la<br />
“classe moyennisation” de la société dans son ensemble. Veleda, ça ne dit pas<br />
grand’chose à pas grand’ monde, mais Killy, si. Co-branding : association de 2<br />
marques avec le nom d’un champion devenu l’équivalent d’une marque. Sillon<br />
d’avenir. Quand ce sillon est glamour.<br />
Qui c’est qui a dit Michalak et Kaporal 5 ? Mauvaise réponse… c’était Michael<br />
Jordan et Nike.<br />
Michel Platini, jeune star montante du football hexagonal dès ses premiers dribbles<br />
à Nancy, est également la figure de proue de l’équipe lorraine dans une<br />
publicité pour la marque de jus de fruits Fruité, en 1976 / 77. Symptôme d’un<br />
mouvement beaucoup plus large dans la décennie suivante.<br />
La preuve : l’expansion du Coq Sportif, dont les courbes de vente suivent la<br />
popularité de Yannick Noah (le tennisman, pas le chanteur aux pieds nus…), au<br />
sommet après sa victoire à Roland Garros : 1983.<br />
5 ans avant Zidane, la collaboration payée d’une idole des foules pour contribuer<br />
à l’image d’une marque est enclenchée, marketing plein pot qui va nous<br />
amener à voir la bouille d’un n° 10 spécialisé dans le coup de tête et le coup de<br />
boule en finales de coupes du Monde, dans tous les spots pub après les flashes<br />
d’une chaîne tout info ciblée jeunes cadres actifs, de Danone à je sais même plus<br />
quelle compagnie assurances, à moins que ce soit pour des lunettes, ou de l’eau<br />
minérale… stop.<br />
Revenons à son illustre prédécesseur, Platini : pendant que le futur gras patron de<br />
l’UEFA commence à savoir tirer ses coup-francs dans la lucarne, l’AS St Etienne<br />
des mineurs et de Manufrance enchante la France du milieu des années 70 mais<br />
se fait planter par les Reds de Liverpool en 1977.<br />
Début de la fin de la “légende des verts“, qui c’est les meilleurs, évidemment<br />
c’est les Verts, tralali tralalère.<br />
E N T R É E<br />
7
8<br />
LOOK FOOT<br />
En cette fin des années 70, les clubs anglais de foot sont (déjà) une division au<br />
dessus des clubs français.<br />
Et là-bas, 10 ans après la fin de la génération Mod’s, soit à Liverpool soit à Manchester<br />
(version qui varient selon les spécialistes de la chose), des lads anglais<br />
nouvelle génération, remettent au goût du jour l’esprit Mod’s. Pas tant au niveau<br />
du look (les pattes d’éph’ aux chevilles de leurs jeans sont tout sauf Mod’s) qu’au<br />
niveau de l’attention maniaque accordée à leurs fringues.<br />
“SE BASTONNER AVEC LES MECS<br />
ADVERSES OU COURIR AVEC LES FLICS<br />
AU CUL, C’EST AUSSI DU SPORT ’’<br />
12-Jeunes Casuals<br />
Photo : David Corio<br />
“Looks d’enfer”<br />
Ted Polhemus<br />
Ed. Alternatives<br />
E N T R É E<br />
12<br />
C’est une nouvelle génération anglaise, celle des Casuals, fans de foot plus ou<br />
moins, et plutôt plus que moins, versés dans le hooliganisme.<br />
Contrairement à Ted Polhemus qui, dans sa bible sur les cultures jeunes (“Looks<br />
d’enfer“), explique cette vraie folie sportswear chez ces jeunes Casuals accompagnant<br />
leur équipe partout à l’extérieur, par l’importation des looks des autres<br />
supporters européens, français ou italiens, l’on aurait tendance, nous, à y voir<br />
une autre explication, endogène.<br />
Les Scallies à Liverpool ou les justement nommés Perry Boys de Manchester<br />
-Perry comme Fred Perry pour les mal comprenants- ont les premiers lancé leur<br />
look sportswear non pas en se référant à l’étranger mais par eux-mêmes (et<br />
cette explication hypothétique colle avec le chauvinisme de club propre à cette<br />
culture).<br />
Explication fonctionnelle : se bastonner avec les mecs adverses ou courir avec<br />
les flics au cul, c’est aussi du sport. Comme la danse est un genre d’activité sportive,<br />
qu’on retrouvait déjà chez les Mod’s 2è génération, ce goût maniaque du<br />
vêtement de sport trouvent là aussi une partie de son explication -en n’oubliant<br />
pas que les Perry Boys de Manchester sont les enfants du style Northern Soul.<br />
En tout cas, avec les Casuals, toutes les marques de sport validées par les mecs<br />
au ras du bitume, toutes celles que l’on a connues ou connaît encore maintenant<br />
-Fred Perry évidemment mais aussi Adidas, Umbro, Ellesse, Fila, Puma, Lacoste,<br />
Kappa, Tacchini etc. etc.- toutes ces marques passées fétiches de cette culture<br />
anglaise se déversent ensuite sur tout le continent. Avec Burberrys’ aussi forcément,<br />
qui va rassembler dans son sillage des légions d’amateurs, et amateurs<br />
13-Stan Smith 1971<br />
14-Arthur Ashe 1970<br />
“Mode Tennis”<br />
15-Grandmaster Flash<br />
d’adrénaline virile -et l’on oublie des<br />
marques plus spécialement connotées<br />
hooligans : Long Island et les chemises<br />
de cette marque en particulier.<br />
A partir de 1978 / 79, c’est parti. L’on<br />
en est pas encore, notamment pas au<br />
regard du look, aux lascars français et<br />
aux chav’ anglais des années 90 puisqu’ils<br />
ne sont pas encore, ou à peine,<br />
nés.<br />
Mais l’on y arrive.<br />
Pour l’instant ce sont les hauts (sweaters<br />
toujours en coton jersey, du col en<br />
V à la Mod’s mais aussi, de plus en plus,<br />
du col rond) qui affichent leurs logos<br />
sport tels des armoiries de combat ;<br />
en bas, l’on porte encore des jeans,<br />
de plus en plus droit avec l’arrivée des<br />
marques Lois et Lee, et le revival (pas<br />
le premier ni le dernier) Levi’s. Et aux<br />
pieds : religion Adidas, avec la Stan<br />
Smith plus que toute autre (même si le<br />
modèle Samba a beaucoup plu aussi)<br />
et quelques concurrentes outsiders :<br />
la Green Flash de Dunlop ou la Arthur<br />
Ashe du Coq Sportif.<br />
L’importation du hooliganisme à la<br />
sauce Kop de Boulogne, plutôt looké<br />
skins versant boneheads, est une autre<br />
histoire (rencontre musclée des maîtres<br />
anglais et de leurs élèves français lors<br />
d’un match amical France / Angleterre<br />
dans les travées du Parc des Princes<br />
transformées en tranchées : 1984).<br />
13<br />
14<br />
SOUS LE MAINSTREAM<br />
À Paris, pas porte de St Cloud mais<br />
vers Châtelet ou ailleurs encore et surtout<br />
vers Stalingrad / La Chapelle, une<br />
autre “culture jeunes” a pris pied.<br />
H.I.P.H.O.P, Sidney à la télé et Dee<br />
Nasty aux platines de La Chapelle,<br />
gants blancs et Kway, folie B-Boys et<br />
graffiti, tout cela est (un peu) mieux<br />
connu –et si vous voulez du précis à<br />
notre façon allez (re)lire notre dossier<br />
Vintage Streets dans notre # .<br />
Pour ce qui est de notre sujet<br />
d’aujourd’hui, le look sportif n’a envahi<br />
nos rues qu’au cours dans les 80’s,<br />
progressivement. Très progressivement.<br />
Il en a fallu, du temps, pour que le look<br />
hip hop US et avant tout new yorkais<br />
arrive ici et même quand il est arrivé,<br />
la silhouette hip hop français n’est pas<br />
exactement une réplique fidèle de l’originale.<br />
Peut-être parce que le hip hop<br />
est le pur produit de son contexte et<br />
celui de La Chapelle n’est pas celui du<br />
Bronx.<br />
Et qu’un contexte est le produit de<br />
données économiques, sociales, politiques,<br />
culturelles, médiatiques ; une<br />
équation de paramètres dans lequel<br />
infra- et super-structures sont des<br />
données mouvantes. Qui, en plus, se<br />
modifient à travers le temps. En 6 mois<br />
tout peut changer. Un seul disque suffit.<br />
Comme un maxi 45 de Grandmaster<br />
Flash qui passe sur les ondes radio,<br />
par exemple…<br />
15
30<br />
16/17-Casual<br />
Photo : Justin Alphonse<br />
“Looks d’enfer”<br />
18-Michael Jordan<br />
À la fin des années 70 et au début des années 80, Paris<br />
n’est (et ne sera jamais) New York. Les jeunes dont on parle<br />
parce qu’ils surprennent et choquent et dont les disques<br />
référents ont déjà été disques d’or en Angleterre, ce sont les<br />
punks. Le seul mouvement culturel juvénile à connaître une<br />
exposition médiatique -la queue de comète d’un contexte<br />
qui peut à son tour en modifier la trajectoire- est le punk. Ou<br />
les skins notamment. Pas les Casuals. Eux, on en parlera à<br />
Paris qu’au début des années 90 quand les hools français<br />
adopteront ce modèle.<br />
Si le sportswear est aussi un langage de rue, on est en<br />
France loin de comprendre ce qu’il pourrait bien exprimer.<br />
Dans les premières années 80, le trou des Halles est un carrefour<br />
où se croisent rockers, punks, new waves, skins, et<br />
chasseurs de skins (Ducky Boys, Redskins, Red Warriors ou<br />
Ruddy Fox) qui, en dépouillant les boneheads, leur empruntent<br />
leur look. Années bombers et Dr Martens.<br />
Nous sommes dans les années bataille (de rue), pas encore<br />
les années battle.<br />
“NE JAMAIS OUBLIER LES<br />
RAISONS PRATIQUES D’UN<br />
“VÊTEMENT CULTUREL” ’’<br />
Décalage temporel. Et culturel. Chacun son contexte.<br />
Même dans le Bronx, l’uniforme sportswear n’existait pas<br />
à la fin des années 70, l’on était très loin des shelltoes et<br />
vestes Adidas à la Run DMC, au contraire : sous le show off<br />
disco chemises cols pelle à tarte chaînes en or qui brillent,<br />
dans les quartiers difficiles comme on allait dire en France<br />
dans les années 80, dans les plus exactement ghettos du<br />
Bronx, le style en vogue était celui des mauvais garçons<br />
dérivé des Hell’s Angels tout en jeans Lee Cooper -la veste<br />
aux manches coupées avec dans le dos le blason du gang<br />
sur un pantalon denim pas façon pattes d’éph’.<br />
Ce n’est qu’avec la è vague breakdance, quand les B-Boys<br />
s’exportent downtown à l’orée des années 80, que le vêtement<br />
de sport a été adopté comme vêtement culturel : la<br />
toupie avec un costard en velours et pantalons taille haute,<br />
ça l’aurait fait moyen moyen…<br />
Comme dit tout au long de cet article : ne jamais oublier les<br />
raisons pratiques d’un “vêtement culturel”. Pareil cas avec<br />
les petits frères des Casuals anglais une paire d’années plus<br />
tard à Manchester et les premiers ravers : danser sous ecstasy<br />
toute la nuit en Dr Martens, non merci.<br />
E N T R É E<br />
16<br />
17<br />
Logiquement ces deux influences<br />
sportswear, anglaises et américaines,<br />
auraient dû converger pour vite acclimater<br />
cette douce France toujours en retard<br />
d’un train d’avance.<br />
Sauf qu’en ces années 80, que les jeunes<br />
d’aujourd’hui ne peuvent pas imaginer<br />
même dans leurs cauchemars, l’accès à<br />
l’information était dans le genre réduit…<br />
Pas de web (sic), pas (ou très, très peu)<br />
de magazines spécialisés si ce n’étaient<br />
les mag’ étrangers, des concerts bien<br />
tous les 36 du mois (et encore, bonjour la<br />
province), peu de clips sauf si l’on avait<br />
la chance d’avoir MTV… En résumé : un<br />
quasi désert de moyens pour savoir ce<br />
qu’il se passait, là où ça se passait, à part<br />
les premiers fanzines, les pochettes de<br />
disques, les émissions de télé musicales,<br />
dont celle de de Caunes (pas Emma,<br />
Antoine : monopole familial sur Canal…)<br />
appelée Rapido, ou Rapline d’Olivier Cachin<br />
sur la jeune M6.<br />
À moins de voyager, mais encore fallait-il<br />
en avoir les moyens, de ces voyages qui<br />
forment la jeunesse, et les cultures de la<br />
jeunesse.<br />
Comme un autre diction qui dit qu’à toute<br />
chose, malheur est bon, les jeunes Français<br />
versés hip hop commencent alors<br />
à se construitre leurs propres panoplies.<br />
Le 501 et les Stan Smith en bas, en haut<br />
l’écharpe Burberrys’ pour colmater les<br />
brèches du col de sa doudoune Chevignon,<br />
qu’il valait mieux ranger tranquillement<br />
dans son placard sinon… salut les<br />
embrouilles. Et la dépouille. Mélodies en<br />
sous-sol (du métro).<br />
18<br />
Contrairement alors à la vision romantique qui veut que les undergrounds, ou la<br />
rue, finissent par dessiner un modèle général, main street, mainstream, il nous<br />
apparaît maintenant évident que ce sont des évolutions beaucoup plus globales<br />
qui ont aussi modelé le sportswear français des années 90. Aussi et peut-être :<br />
surtout.<br />
Mondialisation en marche, grande distribution, urbanisation, chômage, crise, télévision<br />
: le sportswear français, même à signification culturelle, est le produit<br />
d’une société. Ni plus, ni moins.<br />
Une société française qui perd de son particularisme, s’américanise et où les<br />
codes ”American Look” imprègnent les fibres textiles. Devant le stress de la précarité<br />
en marche, il faut savoir se détendre. Les années 80 sont aussi les années<br />
New Man ou Daniel Hechter. Struggle for life, le combat, c’est un sport. De tous<br />
les jours. Le survêtement commence à se porter hors des terrains prévus à cet<br />
effet : uniforme du quotidien uniforme.<br />
Le sport est désormais cool, le corps est devenu un capital à sauvegarder. Au diable<br />
le vieux fond intello français à la Sartre / de Beauvoir qui dénonce le spectacle des<br />
stades comme un nouvel opium du peuple. Et du peuple des femmes. Parcourez le<br />
best of Elle des années 80 : pas un créateur qui ne soit passé à côté.<br />
L’INTÉGRATION<br />
À LA FRANÇAISE<br />
L’Équipe magazine est créé comme<br />
par hasard exactement en 1980. Parce<br />
que le sport comme style de vie pour<br />
classes moyennes au moins le temps<br />
du week-end passe pour une nouvelle<br />
règle, de nouvelles pages conso<br />
s’offrent de plus en plus aux lecteurs<br />
pour effeuiller les envies, et le porte<br />
monnaie. Et surtout, englobant ce<br />
tout très moderne, L’Équipe magazine<br />
met en avant des sportifs comme de<br />
nouveaux étalons, mais hors actualité<br />
brute des bêtes à concours, laissée à<br />
L’Équipe, le quotidien. Le magazine<br />
amène une nouvelle façon de parler.<br />
Centrée moins sur les performances<br />
pures et dures, que d’un rapport général<br />
à une façon de vivre. <strong>Tout</strong> est challenge,<br />
comme celui de perdre les kilos<br />
pas très sportifs.…<br />
E N T R É E<br />
31
Nouveau formatage des esprits à cette nouvelle échelle de<br />
la réussite : se sentir bien dans son corps qui bouge pour<br />
montrer aux autres qu’on est dans le mouv’.<br />
Au niveau du marché de masse, le sportswear gagne donc<br />
sa place dans toutes les garde-robes, notamment celles des<br />
quartiers populaires via la baisse des prix des produits offerts<br />
à la consommation, de plus en grande grande consommation.<br />
Sport 2000, La Hutte Intersport sont au sommet avant de<br />
chuter, et dans les placards, d’autres placards plus discrets<br />
commencent à orner n’importe quel sweat-shirt de jeune, le<br />
jeune pas encore dit djeun : le logo Nike devient la norme<br />
3<br />
“À QUOI ÇA SERT<br />
UN BOUTON ?’’<br />
-Adidas ne comprenant toujours pas, restant sur son terrain du<br />
sports pour le sport malgré l’opération Run DMC, à quel point le<br />
marché est mûr pour tout rafler.<br />
Le sweat et la veste de survêtement commencent à s’enfiler<br />
comme s’ils avaient toujours existé. C’est vrai ça, à quoi ça sert<br />
un bouton ? Ça fait perdre du temps. Mauvais chrono. Et les enfants<br />
des parents dont on parlait plus haut ont l’impression de se<br />
retrouver mal partis dans la course sociale.<br />
Le sport apparaît dans les années 90, avec la musique -d’autant<br />
que le rap commence à devenir majeur en signant sur les majors-<br />
un de ces rares secteurs où les opportunités semblent ouvertes.<br />
Surtout que le sport est particulièrement inscrit dans la modernité<br />
hyper moderne : compétition, sélection, seuls les forts survivent.<br />
E N T R É E<br />
19<br />
“OVERGROUND, UNDERGOUND, LE<br />
TOUT EST DANS LES PARTIES,<br />
ET RÉCIPROQUEMENT’’<br />
Le marketing sportif surfe sur la pensée unique, il a désormais pris le contrôle,<br />
même des esprits réfractaires, personne n’y résiste. Confer l’hystérie de 1998, on<br />
est tous des champions du monde…<br />
Même Monsieur “défaite de la pensée” Finkielkraut signera une tribune sur le<br />
génie de l’intégration à la française, le même qui déplorera 7 ans plus tard la couleur<br />
trop bronzée des joueurs français… mais c’est encore une autre histoire.<br />
Le sport est devenu une attitude des jeunes des classes populaires -première,<br />
20<br />
19-Arsenik<br />
Photo : Wilee<br />
20-Publicité Lacoste<br />
“The Best in Sportswear Design”<br />
Joy Mc Kenzie<br />
Ed. Batsford<br />
deuxième troisième génération !- un<br />
look qui montre l’aspiration à l’intégration,<br />
la parfaite assimilation des codes<br />
majoritaires. D’où l’appropriation à la<br />
fois des marques de sport signalant<br />
le bourgeois bien français. “Lacoste, a<br />
love supreme”, adoration qui va culminer<br />
à la fin de ces années 90-là (on en<br />
reparle dans notre article “Requins”.)<br />
Mais la majorité ne veut pas le voir, elle<br />
pour qui le sport reste juste un hobby,<br />
non une échappée extraordinaire d’un<br />
ordinaire en voie de ghettoïsation.<br />
Overground, undergound, le tout est<br />
dans les parties, et réciproquement.<br />
Milieu des années 90 : des marques se<br />
font comme l’écho des clips vus à la télé<br />
qui déverse de plus en plus de rap américain<br />
et au-delà, ce qu’on désigne là-bas<br />
comme “urban music”(New Jack, R’n’B<br />
etc.). Les jeunes sont désormais ultra informés.<br />
C’est Northface, c’est Helly Hansen<br />
et tellement d’autres, qu’il suffit de<br />
savoir d’outre-atlantique pour les adopter<br />
: c’est Nautica puis Columbia, avec<br />
la fameuse capuche de la parka qu’on<br />
peut profiler.<br />
<strong>Tout</strong> un look bien français qui n’a rien<br />
à voir avec les marques typiquement<br />
connotées hip hop américain : ça, c’est<br />
d’abord pour une minorité, malgré les<br />
containers de Fubu (For Us By Us),<br />
Karl Kani au début, puis du Phat Farm,<br />
Ecko ou Sean John qu’on cherche à refourguer<br />
rue St Denis. Mais ça, c’est du<br />
streetwear, et même pas du streetwear<br />
français qui, lui non plus, n’est jamais<br />
arrivé dans les périphéries en tant que<br />
langage commun.<br />
On a dit streetwear, pas sportswear.<br />
Qui dit streetwear, dit communauté,<br />
pas toute une société. Le sportswear<br />
se joue à l’échelle du pays.<br />
Qui dit streetwear, dit nouvelle ère, dit<br />
fin de notre histoire à nous.<br />
Une histoire française du sportswear.<br />
E N T R É E<br />
33
34<br />
1-Fred Perry 1947<br />
«Mode Tennis»<br />
Diane Elisabeth Poirier<br />
Ed. Assouline<br />
CHINER, C’EST DU SPORT. ET DU TEMPS. ET LE TEMPS, C’EST DE L’ARGENT.<br />
ET EN PASSANT DU TEMPS À ESSAYER DE DÉNICHER LA VESTE, LE BLOUSON, LA CHE-<br />
MISE OU LE POLO QUI VA BIEN ET SURTOUT MOINS CHER, ON MET DE LA FRAÎCHE AU<br />
CHAUD.<br />
LE VINTAGE COMME L’ON DIT MAINTENANT, LA FRIPE COMME L’ON DISAIT AVANT, A<br />
D’ABORD ÉTÉ UN TRUC DE PAUVRES. AVANT QUE LES STYLÉS PLUS FRIQUÉS NE CHER-<br />
CHENT À LEUR TOUR LA PIÈCE QUE PERSONNE D’AUTRE QU’EUX N’AURA.<br />
ET POUR S’ENRICHIR À PAS CHER, IL FAUT BIEN CONNAÎTRE.<br />
CONVERSATION AVEC UN DES ACTEURS DES PUCES DE CLIGNANCOURT : MONSIEUR<br />
ROBERTO. PHILOSOPHE DU TEXTILE VINTAGE QUI NOUS A DÉFINITIVEMENT DÉPUCE-<br />
LÉS EN CETTE VASTE MATIÈRE, NOTAMMENT L’ANTIQUE SPORTSWEAR.<br />
P L A T 1<br />
1<br />
P L A T 1<br />
35
Comment fait-on pour dater à peu près des<br />
pièces : les étiquettes, les coutures, les liserés,<br />
autre chose encore ?<br />
Pour parler du polo, et en particulier d’une marque connue<br />
pour ses liserés, Fred Perry, qui a démarré comme joueur de<br />
tennis dans les années 30 et qui ensuite a lancé sa ligne de<br />
vêtements avec un Australien, cette ligne de vêtements était<br />
signée du liseré autour du cou et au niveau des bras. Et la<br />
couronne de lauriers, évidemment, pour donner un logo à sa<br />
marque. Un logo qui, au départ, était brodé.<br />
Et en fait, ce qu’on prend pour le nouveau et<br />
récent logo Fred Perry est tout simplement celui<br />
des origines…<br />
<strong>Tout</strong> à fait, ils se basent sur des anciens modèles, comme<br />
un peu tout le monde, ils l’ont à peine retouché. C’est juste<br />
pour donner un côté fashion et un aspect nouveau par rapport<br />
aux productions d’avant. <strong>Tout</strong> le monde joue sur un<br />
certain come-back actuellement, comme les lignes d’Adidas,<br />
entre autres. Sauf qu’elles n’ont pas la qualité qu’elles<br />
avaient auparavant, quand il y avait toute une recherche,<br />
soit dans la texture du vêtement, soit dans les logos. Parmi<br />
les plus anciens logos Adidas par exemple, il y avait une<br />
mappemonde et même s’il y a eu des répliques par la suite,<br />
ils n’ont jamais trouvé preneurs parce que ça ne reflétait pas<br />
l’association d’idées entre Adidas et leur logo fleur, ça n’a<br />
pas eu d’impact. Après, la fleur a fait son chemin, notamment<br />
la grosse fleur floquée… De là, on peut dater : les années<br />
60, les années 70 etc. tout ça grâce à la fleur. Je parle<br />
même pas des étiquettes.<br />
Ils ont fait (des vestes à) une ou deux poches aussi, légèrement<br />
sur le côté, des poches zippées ou carrément<br />
plaquées. On a eu même, ce qui est beaucoup plus rare,<br />
des vestes à pression en velours : ça, c’est les années 60.<br />
C’était terrible, de très, très belles pièces. Par contre, avec<br />
les étiquettes, en vérité, pour détecter le vintage, il faut avoir<br />
des étiquettes toutes blanches, écrites en bleu et tout en<br />
dessous, il y avait Ventex de marqué. Sinon encore il y a des<br />
produits, mais pas d’aussi bonnes qualités que le Ventex,<br />
qui ont été fabriqués aux Etats-Unis. En fait, c’étaient des<br />
mélanges, moins appréciés que la fabrication européenne,<br />
notamment et surtout la française.<br />
Pour revenir sur Fred Perry, pour dater les anciens modèles,<br />
on a au départ des étiquettes rectangulaires assez larges,<br />
de couleur verte, ce sont les années 60 (je n’ai malheureu-<br />
36<br />
P L A T 1<br />
sement jamais eu de pièces d’époques<br />
antérieures). Un vert pas vraiment émeraude,<br />
émeraude clair on va dire, avec<br />
écriture blanche à l’intérieur. Ensuite,<br />
vers la moitié des années 60, on trouve<br />
un petit logo extérieur à côté des lauriers,<br />
les lettres F.P., apposées, écrites<br />
en bleu. On ne trouvait pas ce logo sur<br />
tous les vêtements. Moi je l’ai vu surtout<br />
sur les petites jupes de tennis. Fred<br />
Perry était celui qui se taillait la part du<br />
lion dans tout ce qui était tennis -normal,<br />
puisqu’il était tennisman- et ça<br />
marchait dans le monde entier. Lacoste<br />
avait démarré beaucoup plus tôt mais<br />
disons que Lacoste n’était pas aussi<br />
international que Fred Perry, parce que<br />
c’était une production française. On<br />
trouvait certes du Lacoste très souvent<br />
dans la jet set européenne mais Fred<br />
Perrry, puisqu’il s’était associé en plus<br />
avec des Australiens pour lancer sa ligne<br />
à la fin des années 40, englobait<br />
tout ce qui était anglo-saxon. Il avait<br />
une plus grosse sphère d’expansion,<br />
plus d’impact dans la jet set mondiale.<br />
Lacoste, c’était limité plus à l’Europe.<br />
Pour rester toujours sur les<br />
étiquettes Fred Perry, après<br />
on a eu quoi ?<br />
Des étiquettes vertes encore, mais un<br />
peu plus foncé, et légèrement moins<br />
larges. Ensuite, dans les années 70,<br />
époque à laquelle, vu l’ampleur qu’il<br />
avait gagné au niveau de la commercialisation<br />
de sa marque dans le monde<br />
entier, tout le monde s’est mis à le<br />
copier… Parmi les premiers plagiés du<br />
monde du sport, on trouve Fred Perry.<br />
Mais dans les années 70, c’était encore<br />
assez bien fait et parfois, la seule<br />
façon de pouvoir différencier un Fred<br />
Perry d’une contrefaçon, c’étaient de<br />
tout petits détails, comme les coutures,<br />
les fils qui pendouillent ou pas par<br />
exemple, ce qu’une grande marque ne<br />
peut se permettre et surtout : l’étiquette<br />
! Parce que l’étiquette était brodée,<br />
comme les Lacoste. Or à l’époque (les<br />
contrefacteurs) n’avaient pas encore<br />
mis ça au point : ils pouvaient copier<br />
au niveau du patronage du vêtement<br />
ainsi que les petits détails extérieurs<br />
mais pas l’étiquette brodée.<br />
C’est à cette époque là que Fred Perry<br />
a commencé à avoir moins d’impact<br />
parce qu’il y a eu vulgarisation de<br />
la marque, comme on dit. Les gens y ont eu plus facilement accès grâce aux<br />
contrefaçons, c’était moins cher que le vrai. Et automatiquement, vulgarisation<br />
veut dire frein à la progression qui était la sienne, au niveau des ventes et de la<br />
commercialisation.<br />
Donc dans les années 70 on trouve des étiquettes tout en bleu, mais il y en a<br />
deux sortes : celles à fond bleu, assez large, où sont marqués Fred Perry en lettres<br />
dorées ou jaunes. Sinon, le vrai 70 c’est à dire 73 et plus, on trouve une étiquette<br />
rectangulaire, pas large, avec des bandes blanches en haut et en bas (tout<br />
est écrit en “blond“, toujours) et à l’intérieur, le laurier brodé avec la taille à côté.<br />
Avec ce laurier qu’ils ont remis au goût du jour…<br />
Exactement, et le laurier n’est pas brodé dans la matière même, il était apposé,<br />
comme le crocodile de Lacoste, il est surpiqué, en haut à gauche à côté du<br />
cœur…
C’est dans les années 70 qu’ils ont commencé<br />
à mélanger le coton avec des matières synthétiques<br />
?<br />
Disons qu’on peut avoir une idée de l’époque d’une pièce<br />
grâce à ça, parce qu’à partir des années 70, c’était obligé<br />
de marquer la composition des vêtements : dans n’importe<br />
quel vêtement, quand on regarde à l’intérieur, on trouve la<br />
petite étiquette qui décrit la composition. À l’époque, on<br />
disait pas polyester, ça s’appelait du terylene (le tergal en<br />
français, ndr) ou autre appellation qui revenait au même.<br />
Mais à travers ces indications, tu peux commencer à dater,<br />
début 70 au minimum. Tandis que pour tout ce qui est avant<br />
70, il n’y avait pas d’obligation de marquer la composition.<br />
Dans les années 60, vu l’effort qu’ils faisaient dans le tennis<br />
ou autre, le vêtement juste en coton, au niveau des coutures,<br />
ça peut lâcher. Il n’avait pas cette souplesse donc<br />
ils utilisaient ce genre de polyester pour donner comme un<br />
effet de lycra et même sous la tension du muscle ou du<br />
mouvement, le vêtement ne claquait pas. Dans les années<br />
60, le mélange typique, c’est un peu de coton et beaucoup,<br />
beaucoup de polyester.<br />
<strong>Tout</strong> ça fait beaucoup d’indications et donc, on arrive à donner<br />
une datation approximative.<br />
Passons des produits à la consommation des<br />
produits : comment t’expliques que Lacoste<br />
a beaucoup plus marché en France que Fred<br />
Perry ?<br />
Déjà, la fierté d’avoir un produit français, ensuite pour la valeur<br />
de Lacoste en tant que joueur, qui remonte à l’époque<br />
des mousquetaires et des résultats qu’ils avaient eu, c’était<br />
un honneur, et surtout, un plaisir un peu chauvin, d’avoir<br />
un champion qui lance une ligne de vêtements. Sur le premier<br />
vêtement que Lacoste a donné à faire, et c’étaient des<br />
vêtements à peu près anodins, il a demandé d’y mettre un<br />
logo bien à lui. Il avait donné le soin à une femme dont je<br />
ne me souviens plus le nom de trouver un logo (*). Ce fut ce<br />
crocodile, et il voulait que ce soit le plus gros possible, pour<br />
qu’on le voie.<br />
Donc les premiers croco sont énormes, comme<br />
on le voit sur les photos d’époque…<br />
Aussi énorme que le coq qui était apposé dans les années<br />
0 et 30 sur les maillots de rugby, on va dire d’au moins<br />
10 cm de hauteur, toujours côté cœur. Et aujourd’hui on retrouve<br />
ce logo énorme dans la ligne de cette année, sans les<br />
mêmes matériaux ni la même impression. Un come-back<br />
comme on dit, tout en restant moins voyant et plus sobre<br />
que les premiers.<br />
Et d’ailleurs le croco n’était<br />
pas forcément vert…<br />
Non, justement. La fabrication était en<br />
France gérée par Devanlay. Pour tout<br />
ce qui est “made in France“, on trouve<br />
une petite étiquette à l’intérieur, à gauche<br />
ou à droite, une petite étiquette<br />
en satin, tout en bas dans la face opposée<br />
à la composition, on trouve qui<br />
a fabriqué le produit. Pour la France,<br />
c’est Devanlay. Ensuite on a André<br />
Gillier Team S.A., en sachant que Team<br />
S.A. utilise beaucoup le polyester ce<br />
qui est un handicap parce qu’au moment<br />
du repassage, on peut brûler le<br />
vêtement. Et puis on a Basi S.A., pour<br />
l’Espagne. Et Izod qui a eu la licence<br />
de fabrication pour les Etats-Unis :<br />
Izod en a surtout fabriqué dans les années<br />
70, parce qu’après (en 93, ndr) on<br />
leur a retiré la licence, la marque mère<br />
n’étant pas satisfaite de la qualité. Ceci<br />
dit, Izod avait sa propre marque dans<br />
le sportwear et dès qu’on lui a enlevé la licence, Izod s’est mis à fabriquer d’une<br />
meilleure façon mais c’était trop tard pour revenir en arrière.<br />
La particularité d’Izod, c’est qu’ils voulaient se différencier de la marque française<br />
en utilisant différents coloris pour le crocodile. <strong>Tout</strong> ce qui était européen, je parle<br />
à partir des années 60 toujours, c’était du vert, même si les premiers crocos<br />
gris sont apparus chez nous dans les années 70, mais ils n’ont jamais fait autre<br />
chose, tandis que les Américains ont sorti des crocodiles bleus, rouges (et ils<br />
utilisaient, pour la base de leurs vêtements, beaucoup d’acrylique à l’époque)…<br />
Les Américains se sont aussi mis à faire beaucoup de modèles à rayures et pour<br />
jouer des rappels entre les rayures et le croco, le croco en couleur était pratique.<br />
Même si à la base, chez Izod, on trouvait beaucoup de crocos verts, même là,<br />
on différencie très vite un Lacoste Izod d’un Lacoste européen, parce qu’Izod a<br />
lancé un style, repris ensuite par Ralph Lauren, Tommy Hilfiger et j’en passe énormément<br />
: le devant du polo est plus court qu’à l’arrière, tout en ayant une fente<br />
sur le côté. Ce qu’on retrouve dans ces Lacoste US, on va dire ceux des années<br />
80, on retrouve toujours le même style : on peut avoir les rayures, le croco vert et<br />
tout, mais l’arrière est toujours plus long que le devant.<br />
P L A T 1<br />
39
Les rayures, ce sont les années 80 ?<br />
Non, non, pas nécessairement, on en trouve déjà dans les années 60 (…) Et dans<br />
ces années là, on trouve aussi déjà du bord-côte pour tout ce qui est polo parce<br />
que les années 60 sont assez près du corps ou assez carré mais pour affiner<br />
au niveau de la taille, pour éviter que ça bave, ils resserraient le bas en bordcôte<br />
pour que la silhouette soit plus sobre. Et dans ces années, on trouve sur<br />
les Lacoste des étiquettes beaucoup plus larges, des rectangles avec “Chemise<br />
Lacoste“ de marqué avec “modèle déposé“ et “made in France“. Ce qu’on ne<br />
retrouvera pas par la suite à partir des années 70. Et le croco est toujours brodé<br />
avec du fil de pêche pour qu’il soit invisible. Ce qu’on trouve maintenant, c’est du<br />
fil différent, d’autres couleurs, du coup on peut présumer que ce sont, soit des<br />
imitations, soit que le croco a été recousu dessus… À la limite on peut penser<br />
que c’est une dénaturation du produit originel.<br />
Au niveau de la vente, quand est-ce que les gens ont commencé<br />
à ton avis à chiner du Lacoste 2è main ?<br />
Disons qu’il y a eu une vulgarisation à partir du milieu des 70, sous l’effet d’une<br />
mode, au niveau global. Les puces ici étaient un grand bric à brac, où l’on trouvait<br />
de tout, un truc magique quelque part, et il y a eu les premiers chineurs : à<br />
l’époque c’était beaucoup d’importation américaine, des anciens stocks américains,<br />
de grands containers qui arrivaient directement de là-bas à Marseille surtout,<br />
avec l’Armée du Salut là-bas qui dispatchait un peu partout. En fait ici, on<br />
trouvait de tout et à mon avis, et même si je n’en suis pas sûr du tout, c’est là que<br />
sont apparus, je vais dater ça d’à partir 1975 environ, les premiers polos Lacoste<br />
ou d’autres marques. Mais c’était pas une vente volumineuse : on ne recherchait<br />
pas la marque, on retrouvait simplement quelques marques, comme Lacoste,<br />
parmi les autres. On cherchait la qualité, et surtout : pas cher. À la base des puces,<br />
du chineur, ou du chiffonnier au départ, tout le monde s’y retrouvait parce<br />
que le vêtement, on le vendait en l’état, la valeur était peut-être vénale mais tout<br />
le monde s’y retrouvait par rapport à ses moyens : n’importe qui pouvait avoir<br />
un vêtement d’une certaine qualité parce que qu’il ne faut pas oublier que pour<br />
tout ce qui était produit dans les années 30, 40, 50, 60, la qualité était excellente<br />
par rapport à ce qui se fait actuellement. Les vêtements étaient faits pour durer,<br />
c’était une autre époque. On retrouvait les premiers Lacoste ou les premières<br />
marques américaines, donc de qualité, tout en payant pas cher.<br />
40<br />
2-IZOD : Distributeur<br />
americain de Lacoste<br />
3-René Lacoste 19 7<br />
«Mode Tennis»<br />
Diane Elisabeth Poirier<br />
Ed. Assouline<br />
P L A T 1<br />
2<br />
Mais les gars vendaient du “mêlé“<br />
comme on dit, pas que du Lacoste ou<br />
du Ralph Lauren, du mêlé ou des balles,<br />
où il y avait de tout. Après, à un niveau<br />
plus pointu, les premiers chineurs<br />
qui s’intéressaient à tout un historique<br />
des marques, se sont surtout retrouvés<br />
dans le jean, avec des chineurs professionnels<br />
qui essayaient de retrouver de<br />
l’ancien. Au niveau “mouvement“, toujours<br />
dans les années 70, on retrouvait<br />
encore les bousons noirs, les rockers<br />
au Perfecto qui recherchaient le style<br />
des années 50, donc le jean à liseré<br />
apparent comme James Dean ou Marlon<br />
Brando. C’était des effets de mode<br />
mais pas nécessairement basés sur la<br />
marque.<br />
Cette manie de la marque,<br />
c’est peut-être plus apparu<br />
avec les années 80, non ?<br />
Au début des années 80, la vulgarisation<br />
a déjà commencé, avec un choix<br />
beaucoup plus grand, avec la création<br />
de nouvelles marques. On voit apparaître<br />
Tacchini, Superga, Puma, Ellesse,<br />
Head, Wilson etc. Et Fila ! Surtout Fila,<br />
avec Borg, le champion incontesté de la fin des années 70,<br />
qui a fait exploser la marque, avec son petit logo B.G. à<br />
côté du logo Fila. Parmi ses vestes préférées, on retrouve<br />
la rouge, enfin, rouge en haut et beige avec de fines rayures<br />
rouges… toute une époque. <strong>Tout</strong> ce qui était Fila dans<br />
les années 80 et même 90 était très prisé par les Japonais.<br />
Aujourd’hui encore on trouve des acquéreurs à très bon<br />
prix, surtout si ce sont de bonnes tailles. Regarde les prix<br />
sur Internet : c’est du 200€ minimum, et dans les modèles<br />
plus anciens, le peau de pêche par exemple, ça monte encore<br />
plus (…)<br />
Toi tu as ouvert en 1996, en plein dans le début<br />
de la folie populaire pour Lacoste, non ?<br />
C’est avec un ami, Didier qui, lui, était déjà dans la partie<br />
depuis une dizaine d’années, que j’ai fait mes 1ères tournées<br />
parce que je viens d’un métier complètement différent,<br />
et quand j’avais du temps, j’allais avec lui voir. C’est grâce<br />
à lui et à travers mes propres recherches dans des journaux,<br />
dans des livres, que j’ai pu évoluer… Mais c’est lui<br />
qui m’a montré le chemin en me faisant d’abord reconnaître<br />
les vrais des faux, au moins pour Lacoste. Comme je suis<br />
un passionné du vêtement, sportswear ou autre, je recherche<br />
toujours comme on dit LA pièce : celle qui sort du lot.<br />
J’aime pas acheter, au niveau des achats, ce qu’achètent<br />
les autres, je cherche la rareté, ce qui est plus difficile. Parfois<br />
on trouve de super belles pièces, surtout des années 60<br />
ou 70, comme des petites marques naissantes qui n’ont pas<br />
eu les reins assez solides pour avoir une certaine continuité,<br />
mais qui avaient quelque chose en plus. Ces marques-là par<br />
la suite ont été, soit abandonnées par leurs créateurs, soit<br />
rachetées ou absorbées. Les petits nouveaux qui avaient<br />
quelque chose en plus étaient vite repérés par des marques<br />
solides pour pouvoir prendre ce créateur et donner un essor<br />
supplémentaire à leurs propres marques.<br />
P L A T 1<br />
3<br />
41
4<br />
4<br />
P L A T 1<br />
Tu as des exemples en tête ?<br />
Surtout dans les années 70, en restant sur tout ce qui est<br />
sportswear, on trouve très souvent, surtout dans le monde<br />
du ski mais on pourrait parler de MacGregor aussi, des marques<br />
allemandes, autrichiennes et suisses. Souvent très,<br />
très bon… Trévois par exemple qui ont fait de très belles<br />
pièces. Et ce qui est malheureux, c’est que Trévois, qui est<br />
une marque très ancienne aussi, a été laissée en cours de<br />
route alors qu’elle était de très bonne qualité et surtout, très<br />
innovatrice, n’ayant rien à envier à des Adidas, Puma, Fila<br />
etc. Avec la petite couronne qui était brodée… Il y en a eu<br />
tellement mais au lieu de se développer, ces marques sont<br />
restées des productions locales, elles ne cherchaient pas à<br />
sortir de leur territoire, par exemple en Autriche (avec Hummel).<br />
Peut-être parce que ça reflétait le style local, peut-être<br />
pour garder leur propre petit marché et éviter de se casser<br />
les dents sur un marché international(…)<br />
Il y a 2 sortes de personnes : celle qui sont nées pour commander,<br />
et celles nées pour exécuter. L’imagination, ça<br />
ne s’acquiert pas, tu as un don ou tu l’as pas. <strong>Tout</strong> esprit<br />
créateur, celui qui innove, de Jean Patou à Christian Dior ou<br />
Courrèges ou Balenciaga -qui était le maître, c’est lui qui a<br />
donné du boulot à Courrèges - tous ceux qui ont marqué la<br />
mode sont ceux qui ont su innover, que ce soit au niveau du<br />
produit, du matériau ou de la ligne. En fin de compte : ceux<br />
qui ont su oser. Comme disent les S.A.S anglais, “dare is<br />
win“, oser c’est gagner. Il faut avoir la foi, au moins essayer.<br />
Maintenant dans le monde de la mode, ou tu as les capitaux<br />
et pas d’imagination, il faut donc savoir bien s’entourer, ce<br />
que les locomotives ont su faire, surtout dans le sportswear.<br />
Ou tu as de l’imagination (et pas le reste) et tu fais des petites<br />
productions en attendant l’aide de quelqu’un. Les temps ont<br />
changé aujourd’hui : on recherche l’efficacité des ventes…<br />
<strong>Tout</strong> a déjà été créé, par les plus grands créateurs. Ceux-là,<br />
on les trouve au début du 0è siècle, dans la recherche du<br />
détail etc. et dans tout ce qui est sportswear, depuis les années<br />
60, tout a déjà été fait, il n’y a donc plus qu’une sorte<br />
de re-manipulation du produit, à la façon actuelle…<br />
Ce que fait très bien Lemaire avec Lacoste,<br />
avec les matières, les logos aussi, comme son<br />
croco gris…<br />
<strong>Tout</strong> à fait, même si le logo ne fait pas une ligne de vêtement.<br />
Le logo est l’emblème de reconnaissance du vêtement…<br />
Et de prix aussi…<br />
Le prix dans les grandes marques n’a jamais été à la baisse,<br />
il ne fait même qu’augmenter. Personnellement, je pense<br />
qu’il ne peut pas baisser : s’ils le font, c’est la fin de la marque.<br />
Comme dans la mode, regarde Pierre Cardin : dans les<br />
années 60 et 70, il a fait des merveilles, c’était un maître<br />
incontesté mais par la suite… Ou Balmain, dans les années<br />
80, ou Courrèges à la fin des années 70, début 80… ils ont<br />
travaillé avec des compagnies pour accroître la commercialisation,<br />
les compagnies d’aviation par exemple, même<br />
Hermès ! À la fin des années 80, début 90, chez Hermès, ils<br />
ont fait des pièces qui étaient des tenues de travail mais en<br />
faisant ça, automatiquement, tu dénigres ton nom, même si<br />
tu gardes une certaine qualité, ce n’est plus de la couture, tu<br />
perds de la crédibilité, tu retrouves les marques dans les cadeaux<br />
d’entreprise, des stylos Pierre Cardin, Balmain etc.<br />
C’est tout le businesss des licences…<br />
Voilà. Dès qu’il y a des marques qui se sentaient en perte<br />
de vitesse, pour faire rentrer toujours de l’argent, on commençait<br />
à faire des tenues de travail. On y mettait un certain<br />
style, en essayant de donner une idée de prestige, en<br />
associant un peu du prestige du logo du créateur à une ligne<br />
de vêtements. Peut-être que ça donnait du prestige aux<br />
entreprises qui utilisaient ces lignes, mais pas au créateur<br />
lui-même.<br />
Et donc quand tu as ouvert, tu as senti cette<br />
folie Lacoste ?<br />
Lacoste, moi je l’ai fait beaucoup plus tard, mais j’ai pu voir<br />
l’évolution justement à travers Didier, mon pote : il y avait<br />
tous les gamins des cités qui se ruaient sur les Lacoste. Et<br />
4-Björn Borg<br />
«Mode Tennis»<br />
Diane Elisabeth Poirier<br />
Ed. Assouline<br />
P L A T 1<br />
43
c’était pas cher : le 1er prix dans les Lacoste, c’était 50 Frs<br />
quand il y avait des petits défauts, sinon, c’était 100 Frs…<br />
et les gamins descendaient ici acheter par 0, par 50, ils en<br />
revendaient à d’autres, ils faisaient leurs petits bénéf’ en les<br />
revendant à d’autres, en les relavant et en les repassant.<br />
Beaucoup plus tard, la marque Lacoste a mis le holà, avec<br />
un nouveau directeur qui a arrêté tout ça, en passant à la<br />
télé pour dire qu’il en avait marre que la racaille porte du Lacoste.<br />
Cette clientèle des cités s’est trouvée prise à parti, en<br />
y trouvant un côté raciste. Ils ont alors arrêté net avec cette<br />
marque, en se rabattant, un peu, sur du Ralph Lauren…<br />
Qui a connu le même phénomène aux Etats-<br />
Unis…<br />
Oui, et sûrement après quelques temps, la racaille chez<br />
nous a eu vent du même problème avec Ralph Lauren et ils<br />
se sont aussi mis à la bouder et ils se sont mis à d’autres<br />
marques, comme Marlboro classics pour ce qui est du<br />
streetwear ou jeanswear. Mais la ligne de vêtements Lacoste<br />
a évolué depuis et les gens y reviennent régulièrement,<br />
parce qu’on arrive notamment encore à trouver du Lacoste<br />
d’assez bonne qualité, comme Ralph Lauren. Parce que<br />
Lacoste, au niveau qualitatif, ils ont prouvé avec le temps<br />
qu’ils savaient fabriquer des vêtements d’excellente facture<br />
-même des coloris assez vifs, même au bout de 30 ans, ne<br />
bougent pas trop si c’est bien lavé, chose qu’on ne peut pas<br />
dire de tout vêtement…<br />
Pour continuer sur Ralph Lauren, t’as vu<br />
qu’eux aussi ont ressorti les gros logos du jockey…<br />
Ouais, on retrouve aussi les battes de golf croisées avec les<br />
lettres en gothique, et ceux-là, on les retrouve à la fin des<br />
années 70, début 80 comme logo de base dans les hauts<br />
de rugby, c’est une production qu’il m’est arrivé de trouver.<br />
Chez Ralph Lauren, il y a plusieurs logos : il y a du “chaps“<br />
(équitation, ndr), une ligne golf, une ligne différente de ce<br />
qui est habituellement commercialisé parce qu’il n’y a pas<br />
nécessairement le cavalier, à la qualité légèrement supérieure<br />
: cette ligne-là est plus pour les personnes d’un certain<br />
âge, pas dans le besoin de s’afficher en affichant la marque,<br />
parce que aisées. Dans les lignes actuelles, l’avant-dernier<br />
modèle, c’était le poney avec le joueur de polo d’une très<br />
grande facture, avec un n° sur le côté. Dans les chemises,<br />
on retrouvait le même poney, en grand avec un n° sur le<br />
bras et à l’arrière, un peu pour faire croire à de l’innovation.<br />
Mais ce qui est beaucoup plus recherché c’est, un peu comme<br />
pour Lacoste, le maille piqué en nid d’abeille, parce que<br />
là au moins, par rapport aux matériaux qui étaient utilisés<br />
dans les années 80, c’était tressé très fin, c’est très agréable<br />
P L A T 1<br />
à porter. Mais le problème était qu’ils boulochaient : quand<br />
ça bouloche sur de la laine, on peut enlever les bouloches,<br />
mais sur du coton, c’est beaucoup plus dur d’où la bouderie<br />
sur ce genre de produit ; automatiquement la bouloche<br />
signifie usagé et vieux.<br />
Pour revenir à Fred Perry, t’as encore cette population<br />
de skins, ou de rockers, ou de mod’s,<br />
très vivaces dans les années 80 ?<br />
Justement, on retrouve deux sortes d’acheteurs de Fred<br />
Perry, facilement reconnaissables par leurs looks, notamment<br />
les coupes de cheveux : les hooligans qu’on retrouve<br />
toujours, les skinheads qu’ils soient français, anglais ou<br />
hollandais etc. Et une clientèle typiquement parisienne, du<br />
Marais, hommes ou femmes et ça, on ne peut que le reconnaître<br />
: la population homosexuelle regroupe des gens<br />
prescripteurs, ils ont un feeling en plus. Parlons des pulls :<br />
quand il y a eu la tendance du pull en V, en petit V, c’étaient<br />
eux qui l’avaient lancée. Quand il y a eu celle de la marinière,<br />
pareil. Ils cherchent toujours la nouveauté ; le col rond<br />
aussi et parmi les 1ers à porter Fred Perry, c’étaient eux.<br />
Regarde Jimmy Somerville dans les années 80. La communauté<br />
homo a suivi, et quand ça s’est estompé chez eux,<br />
ce sont les hétéros qui ont repompé cette vague, devenue<br />
une mode par la suite. En fait, c’est une sorte de schéma<br />
fashion, les homos créent une tendance chez eux et une fois<br />
que eux, ils en ont marre, ça se diffuse… Dans le sportswear<br />
en général, ils cherchent toujours des marques qui les différencient<br />
des autres.<br />
Et toi qui es italien, raconte-nous un peu l’ambiance<br />
de l’Italie…<br />
Le style italien est spécial, c’est un monde à part, toutes<br />
couches sociales confondues. Fred Perry là-bas est porté<br />
par des personnes d’un certain âge, les personnes aisées<br />
de 50 ans et plus, des gens qui aiment le blanc, rien de chargé,<br />
avec une certaine classe, qui aiment bien porter la marque,<br />
ou la qualité en général, mais surtout pas ce qui flashe,<br />
pas comme chez les jeunes. Eux, c’est autre chose… Même<br />
si actuellement il y a un retour du polo Fred Perry chez les<br />
jeunes aussi, qui cherchent de l’ancien Fred Perry alors que<br />
ça coûte hyper cher là-bas : sur le marché de Rome, les<br />
puces de là-bas, ils sont vendus 110, 120€, et c’est de la<br />
fripe… En revanche, dans le sportswear italien qu’on retrouve<br />
souvent et qui trouve toujours preneur, on retrouve Le<br />
Coq Sportif des années 70, les Superga, une petite marque<br />
née dans les années 70 et qui est un vêtement de sport de<br />
l’armée italienne à la base… Et des toutes petites marques<br />
qui étaient faites juste pour les marchés. Du cheap pas cher,<br />
qui reprenaient les formes connues, par exemple, celle de<br />
la Clarks “Wallabee“ qui a connu l’essor que l’on sait il y a 7,<br />
8 ans. La forme Clarks elle même, ça ne coûtait rien en Italie<br />
mais on appelait ça des Clarks sauf qu’avec l’effet fashion,<br />
on les a faites payer plus cher. Même chose pour les baskets,<br />
il y avait du sans marque surtout, des baskets toutes<br />
bêtes mais avec des finitions excellentes par contre, qu’on<br />
retrouve maintenant un peu partout, dans les grandes surfaces<br />
aussi. Sauf qu’on ne parle plus de la même période,<br />
on trouve encore des choses à 10€ mais c’est pas la même<br />
qualité… J’ai pas les moyens mais je suis fashion…<br />
(*) : à moins que ce ne soit le dénommé Robert George, ndr.<br />
Adresse :<br />
60, rue Jules Vallès<br />
93 400 St Ouen<br />
P L A T 1<br />
45
LE SURVÊTEMENT LACOSTE ET LA PAIRE DE “REQUINS“ AUX PIEDS AVEC, POURQUOI<br />
PAS, UNE JAMBE DU SURVÊT DANS LA CHAUSSETTE… VOILÀ L’IMAGE PURE ET PAR-<br />
FAITE QUE L’ON S’EST FAITE DU JEUNE DANGEREUX DE BANLIEUE, OU DU JEUNE DE<br />
BANLIEUE DANGEREUSE, VERS LA FIN DES ANNÉES 90.<br />
CETTE PAIRE DE CHAUSSURES DE SPORT EST L’UNE DES RARES À AVOIR AUTANT MAR-<br />
QUÉ UN TERRITOIRE.<br />
DÉFINI UNE CULTURE.<br />
ÉCLABOUSSÉ TOUT UN IMAGINAIRE SOCIAL.<br />
EN BIEN.<br />
ET EN MAL. BEAUCOUP.<br />
Beaucoup. Et notamment, et surtout, chez les amateurs et collectionneurs de baskets considérées comme “nobles“, les<br />
sneakerheads souvent horrifiés à l’idée ne serait-ce que de l’éventualité de se retrouver mis dans le même sac que les<br />
amateurs de “requins“. “Requins“ ou “Tn“, du nom de la technologie Air Tuned que Nike avait conçue à l’occasion de ce<br />
modèle.<br />
Cette coupure dans le monde mystérieux de la sneaker n’est pas seulement du snobisme. Certes, il existe. Tarte à la crème<br />
un peu molle du chou (à la crème) : tout est question de points de vue, les goûts et les couleurs etc… Mouais. Quand un<br />
de nos collectionneurs de “requins“ que l’on a interviewés avance que ce modèle est avant tout une “chaussure mode“,<br />
d’autres y verront juste une verrue bas de gamme, pas too much, juste trop moche… Mouais, mouais.<br />
Il y a autre chose qui couve là-dessous, sous les braises de la distinction par un seul objet de consommation. Car vouloir<br />
se distinguer, pourquoi pas, mais se distinguer de qui, et de quoi ? Surtout au sein d’une communauté sneakers qui d’après<br />
le proverbe qui n’existe pas, serait intrinsèquement hip hop (on oublie le reste skate), avec ses valeurs communes.<br />
Sous le prétexte esthétique, perce une question sociologique.<br />
46<br />
P L A T 2<br />
P L A T 1<br />
47
‘‘L’APPELLATION<br />
«REKINS» EXISTE’’<br />
5<br />
48<br />
MODÈLES SERIE 1<br />
1-Ceramic Blue<br />
2-Éclair<br />
3-Lazer Blue<br />
4-Marine Silver<br />
5-Olympique Marine<br />
6-Water Blue<br />
2<br />
4<br />
6<br />
ORTHOGRAPHE<br />
Mais d’abord, la question étymologique.<br />
Cette appellation “requins“ est d’origine<br />
incontrôlée : très vite « au départ,<br />
dans la rue, cette appellation a été retenue<br />
compte tenu de la forme des vagues<br />
présentes sur la paire, qui rappelle<br />
les ailerons de l’animal » dixit Romain<br />
qui continue, réaliste : « Les appellations<br />
«Tn» et «requins» sont bien trop<br />
souvent utilisées par leurs détracteurs<br />
pour qui «Tn = racaille». Ces appellations<br />
sont devenues péjoratives au fil<br />
du temps. Moi, je les appelle le plus<br />
souvent les Air Max Plus (AMP). »<br />
Exactement parlant, ce sont des Air<br />
Max Plus 1 et l’on peut comme Manu<br />
préciser la précision : « en général je dis<br />
mes «Plus 1» ou à la rigueur, si on sait<br />
que je parle des «Plus 1», je dis «Tn»,<br />
car en fait j’ai aussi quelques «Plus 3»<br />
et «Plus 7»… C’est donc plus simple<br />
de les différencier par le chiffre que par<br />
un nom. »<br />
Sauf qu’entre amoureux du modèle,<br />
même un chiffre peut être cause de<br />
schisme :<br />
« les Air Max Plus 2 et Plus 3 ne sont<br />
pas des «requins», le nom «requins» est<br />
propre à la gamme Air Max Plus 1. Les<br />
autres AMP sont des paires qui font<br />
suite à l’Air Max Plus 1, des épouvantails<br />
commerciaux. Par exemple pour la<br />
Air Max Plus 2, à l’époque, j’entendais<br />
souvent le nom de «dauphins» pour les<br />
qualifier », nous rappelle Romain.<br />
Précision qui se perd de l’autre côté de<br />
la frontière, selon notre correspondant<br />
belge, Jibé : « je les appelle «Tn» par<br />
habitude car je suis originaire de Belgique<br />
et là-bas tout le monde les appelle<br />
«Tn», contrairement à la France où elles<br />
ont pris le surnom de «rekin». »<br />
Mais, mais, mais… doit-on écrire requins<br />
ou rekins ? « L’appellation «rekins»<br />
existe -nous confirme Romain-<br />
mais pour moi, elle vient purement du<br />
web car il y a eu un site internet, qui<br />
n’existe plus mais qui a été le précurseur<br />
des sites web sur les AMP et qui<br />
s’appelait «rekins.com». C’est aussi un<br />
terme utilisé par les newbies et autres<br />
nerds qui ont raté le train dans ce monde<br />
de… requins.<br />
En plus, cette appellations web, ou plutôt<br />
l’orthographe, vient des fétichistes<br />
P L A T 2<br />
1<br />
3<br />
de la AMP qui ont commencé à utiliser<br />
le web pour leurs plans foireux (gay,<br />
roulage dans la boue avec leur pompes<br />
lève pas vraiment et vraiment pas d’une<br />
neuves ...) D’ailleurs le boss de «rekins.<br />
raison sportive : « la «Plus 1» est pour<br />
com», en était un... »<br />
moi, tout sauf une chaussure de sport:<br />
Ce fut évidemment notre plus grande<br />
faire un foot avec un paire de «Plus<br />
surprise dès que l’on a commencé à<br />
1» c’est comme faire un golf en talon<br />
s’intéresser au sujet : il existe un mon-<br />
aiguille, on est sûr de repartir avec une<br />
de très particulier de jeunes exhibi-<br />
entorse et le confort «sportif» est vraitionnistes<br />
n’ayant pas peur de montrer<br />
ment très limité. Quand je fais du sport<br />
leur appareil intime avec une paire de<br />
je prends une paire de Dunks ! », c’est<br />
requins quelque part sur leurs photos,<br />
Manu qui le dit.<br />
diffusées sur le web.<br />
A priori, mais nous n’avons pas poussé<br />
l’investigation jusqu’au bout (sic), des<br />
7-Anglaise<br />
8-Chambray<br />
9-Lunar Blue<br />
Bien obligé pourtant de communiquer<br />
sur cet aspect technique, Nike<br />
a chaussé toute l’équipe des athlètes<br />
soirées d’un genre très particulier de<br />
fétichistes existent… Resterait à savoir<br />
ce qu’il s’y montre en premier, son<br />
10-Met Silver<br />
11-Canvas<br />
12-Swooth Bleu Ciel<br />
américains pour les J.O. de 000, mais<br />
seulement pour la cérémonie d‘ouverture,<br />
pas les épreuves, comme quoi<br />
sguègue ou sa «Tn». Ou les deux, mys-<br />
eux-mêmes devaient savoir cette grostère…<br />
Alors, quand on demande à ces collectionneurs<br />
de AMP1 ce qu’ils «kiffent» le<br />
7<br />
‘‘ON NE PEUT PAS<br />
DIRE QUE L’AMP<br />
ÉTONNE PAR<br />
se différence… Parade marketing.<br />
« Faut être franc », on est là pour ça<br />
Jibé : « je dois reconnaître qu’elles sont<br />
extrêmement fragiles, la robustesse ne<br />
fait malheureusement pas partie de ses<br />
SON CONFORT ’’<br />
qualités. » Clair résumé par Romain :<br />
« Son poids, les matériaux utilisés ne<br />
sont pas vraiment adéquats à la prati-<br />
plus chez elles : l’esthétique, le confort, que sportive. »<br />
la forme… rebelote, on s’entend ré- On touche là le nerf de la guerre<br />
pondre par Romain : « Je n’emploierai sportswear : adoption d’un produit<br />
pas le terme «kiffer». C’est un mot bien pour l’amener sur des terrains de jeux<br />
spécifique dans le jargon de la AMP et originellement pas prévus à cet effet.<br />
8<br />
qui fait référence aux fétichistes. Catégorie<br />
dans laquelle je n’entre pas.<br />
Succès sur le macadam. Pas sur la<br />
cendre d’une piste de course.<br />
Idem de la part de Manu : « Je n’em- La valeur du produit ne réside pas dans<br />
ploierai pas le terme kiffer mais ap- la fonctionnalité, ni seulement dans<br />
précier… Pour moi le “kif“ n’est pas son prix mais dans sa valeur ajoutée :<br />
un langage de collectionneur. Donc l’imaginaire qu’il véhicule. <strong>Tout</strong> est dit<br />
j’apprécie l’esthétisme, les bulles, la par Jibé : « Je suis tombé amoureux de<br />
forme, les coloris surtout, qui sont très ce modèle sans les avoir testées donc à<br />
originaux pour l’époque ; la façon dont la base ce n’était pas pour le confort ».<br />
on les lace sans pour autant faire les Mais pour bien autre chose.<br />
9<br />
lacets etc… Par contre le confort est<br />
assez précaire malgré toutes les bulles…<br />
»<br />
Idem pour Kevin : « on ne peut pas<br />
dire que l’AMP étonne par son confort,<br />
c’est plus son esthétisme et les tons<br />
de couleurs qui m’on attiré. »<br />
Et pourtant… La “Tn“ a été vendue<br />
comme une révolution du confort pour<br />
pieds sportifs. Or la réalité conso ne re-<br />
10<br />
11 12<br />
P L A T 2<br />
49
50<br />
GRAMMAIRE<br />
Maintenant,rappelons nous la citation<br />
initiale du même Jibé quant à l’appelation<br />
«Tn» en général dans le plat pays<br />
belge pour toute AMP sans particulier.<br />
La «Tn» a explosé en France et dans<br />
l’espace francophone, en Belgique, en<br />
Suisse, (et un peu en Angleterre aussi)<br />
là où se trouve le marché du rap en<br />
français. A contrario, aux Etats-Unis,<br />
le pays érigé en paradis de la sneaker<br />
acclimatée à l’enfer urbain, la AMP1 a,<br />
d’après nos informations, été surtout<br />
considérée comme une chaussure de<br />
sport pour filles ou en tout cas, une<br />
chaussure de running pure et dure,<br />
rien d’autre. Rien à voir donc avec l’Air<br />
Force 1, un des symboles de la communauté<br />
hip hop US.<br />
Alors qu’ici, telle la Air Max des années<br />
avant, la Air Max Plus 1 va connaître<br />
un sort typiquement français (ou francophone),<br />
un accessoire citadin ou<br />
suburbain, bien plus qu’un article de<br />
sport.<br />
La raison ? : l’adoption du modèle<br />
par les représentants de cette France<br />
qu’on allait encenser le temps d’un été<br />
(la victoire de la Coupe du monde de<br />
football) et à laquelle, à tort ou à raison,<br />
on identifie les représentants du<br />
rap, du rap français.<br />
<strong>Tout</strong> commence donc en 1998, année<br />
de sortie de la AMP1, coïncidence rétrospectivement<br />
signifiante.<br />
Romain se souvient pour nous : « lors<br />
de leur sortie, nous sommes dans<br />
l’âge d’or du rap français : NTM, IAM<br />
et Arsenik (pour ne citer qu’eux) sont<br />
propulsés sur le devant de la scène<br />
médiatique et c’est ce qui va influencer<br />
énormément d’acheteurs, dont<br />
les gars des cités, dans leur façon de<br />
s’habiller. C’est le départ de la mode<br />
survêtement Lacoste et «Tn» et de toutes<br />
autres choses chères et luxueuses<br />
qui va permettre de se démarquer. Et<br />
1-Manu<br />
1<br />
donc, de faire passer le message «moi j’ai réussi» auprès des autres.<br />
Des groupes de rap, mais aussi des artistes comiques comme Jamel Debbouze<br />
ou Eric et Ramzy qui émergent, et des sportifs tels que Thuram, Blanc, Ronaldo<br />
voire même Ribery (mais lui, ce ne sera que beaucoup plus tard, en 005) qui se<br />
feront, inconsciemment, porte-parole de cette paire en les portant en public. »<br />
C’est cette image, qui explique ce qu’une paire de «requins» a pu « représenter<br />
dans la vie courante au début des années 2000 chez les jeunes. Posséder un<br />
beau coloris, que personne n’avait, a fait tourner les têtes… surtout sur Internet,<br />
quand la paire est devenue obsolète dans la rue. »<br />
1998 : généralisation du web dans les facs et les premiers cybercafés sans oublier<br />
quelques foyers favorisés, apogée (début de la fin ?) du rap français, accès au<br />
rap US totalement démocratisé.<br />
Hypothèse : c’est vers cette année-là que le public hip hop se divise vraiment<br />
en plusieurs clans : rap français, rap mainstream R’n’b, rap indé, tout ça tout ça.<br />
Même grammaire pour tous sauf qu’on ne parle plus de la même chose. Notamment,<br />
et surtout, quant au rap français.<br />
Il y a ceux qui en écoutent, et ceux qui tout en écoutant du rap US ne veulent<br />
P L A T 2<br />
pas l’entendre parler français. Souvenez-vous,<br />
c’est la prolifération Secteur<br />
Ä, l’explosion Fonky Family, les puristes<br />
que ça fait enrager, le marketing du<br />
rap qui fait mousser la rivalité Paris vs<br />
Marseille, les “conscientisés“ qui supportent<br />
La Rumeur : division des clans<br />
en sous clans.<br />
Surtout qu’à ce moment-là le terme<br />
«racaille» est passé dans le langage<br />
juvénile commun (bien avant le commun<br />
politique, plus tard…), notamment<br />
après pas mal de heurts plus ou moins<br />
virils entre techno fans et cailleras «forcément»<br />
rap… Et pour repérer une racaille,<br />
un look seul suffit, c’est l’association<br />
survêt / «requins».<br />
Stigmate et stigmatisation.<br />
Clichés aussi durs à décoller qu’un<br />
chewing-gum crevé sous la semelle :<br />
« Moi, je vis en banlieue et j’écoute de<br />
tout sauf du rap, et pourtant je porte<br />
des «Tn» donc l’habit ne fait pas le<br />
moine… non ?», c’est la sagesse po-<br />
13<br />
14<br />
pulaire rappelée par Manu. Mais l’on<br />
n’est pas obligé de la respecter.<br />
La fameuse équivalence : “requin“ =<br />
racaille a l’aileron dur.<br />
Et un chewing-gum c’est casse-pieds,<br />
et c’est compliqué d’expliquer le pourquoi<br />
du comment à un observateur qui<br />
a branché son radar de protection urbaine<br />
sur fréquence parano. Un petit<br />
coup d’œil, de la tête aux pieds, c’est<br />
limité. Malheureusement (ou pas) le<br />
look est un méta-langage. Un impact<br />
visuel direct.<br />
‘‘ LA FAMEUSE ÉQUIVALENCE :<br />
“REQUIN“ = RACAILLE<br />
A L’AILERON DUR. ’’<br />
« C’est totalement débile, continue de s’insurger Jibé. Quand j’explique aux gens<br />
pourquoi j’aime tant cette paire, quand je leur explique son histoire, les gens<br />
laissent vite ce préjugé loin derrière eux. » Et comme Manu, l’on pourrait aussi<br />
remarquer qu’« aujourd’hui les racailles portent des Asics et des Converse, estce<br />
qu’on dit pour autant que c’est des shoes de racailles ? »<br />
Non, mais tout est image.<br />
Avec un premier plan et un arrière fond.<br />
Seconde hypothèse pas forcément imaginaire, celle de l’inconscient collectif :<br />
puisque le requin est assimilé à un prédateur marin dangereux, le surnom donné<br />
à ce modèle fait résonner en nous une corde très sensible, les menaces qui sourdent<br />
dans la ville, les dangers cachés sous la surface.<br />
Le terme “requin“ porte en lui ce son de cloche d’avertissement, l’arrivée de ces<br />
jeunes garçons à l’affût de leurs proies, petits poissons pris dans les mailles du<br />
filet d’une bande de «prédateurs».<br />
Un seul mot suffit et la connotation est verrouillée.<br />
15 16<br />
17 18<br />
MODÈLES SERIE 2<br />
13-Abysse<br />
14-Zebra Carreaux<br />
15-Arsenik<br />
16-Carolina Women<br />
17-Petrole<br />
18-Olympique Turquoise<br />
P L A T 2<br />
51
5<br />
ÉPISTÉMOLOGIE<br />
Verrouillée et sous écrou, malgré tout, et<br />
malgré le prix d’un AMP1 en particulier.<br />
Car 1998 est aussi l’entrée d’une tranche<br />
d’âge dans la possibilité de l’argent<br />
de poche dans le porte monnaie, pour<br />
les plus jeunes. Le temps de l’adolescence<br />
ou de la post adolescence plus<br />
ou moins prolongée pour une génération<br />
qui, comme les précédentes,<br />
adore se repérer entre pairs, pour savoir<br />
à quelle «tribu», comme on disait,<br />
à quelle groupe l’on appartient.<br />
Sauf qu’ici, les signes extérieurs de<br />
richesse ne suffisent plus. Même (et<br />
surtout) avec cette génération-là, qui<br />
a particulièrement basculé plus largement<br />
encore que ses ainées du côté<br />
boulimie des éléments consommables<br />
d’une culture, appropriation en espèces<br />
sonnantes et de plus en plus trébuchantes<br />
de produits distinctifs. Avec la<br />
“Tn“, il est désormais clair, que la seule<br />
dépense hors de prix ne suffit plus pour<br />
faire communauté commune.<br />
Parce que le prix d’une AMP1 est élevé,<br />
« allant de 899 frs jusqu’à 1199 frs,<br />
voire plus encore dans certains magasins<br />
d’importation ou au marché de<br />
Clignancourt où, par exemple, le modèle<br />
Olympique Femme était vendus<br />
1500 frs… », d’après Romain qui s’en<br />
rappelle exactement.<br />
Confirmé par Jibé : « à l’époque, les<br />
“requins», c’était tout un phénomène.<br />
D’abord c’était une des rares baskets à<br />
coûter plus de 1000 francs, et puis elle<br />
‘‘ D’ABORD C’ÉTAIT<br />
UNE DES RARES BASKETS<br />
À COÛTER PLUS DE 1000 FRANCS ’’<br />
P L A T 2<br />
2-Romain<br />
n’était distribuée que dans les magasins de la chaîne Foot Locker ce qui en faisait<br />
réellement une exclusivité. J’ai connu des gens qui pouvaient se taper plusieurs<br />
centaines de bornes pour se procurer une paire d’AMP1. »<br />
On peut ainsi ne pas oublier que cette enseigne aux rayures noires et blanches<br />
a gonflé son chiffre d’affaires grâce à ce modèle et l’on peut quasi supputer que<br />
la multiplication des boutiques Foot Locker s’explique un peu (beaucoup ?) par<br />
ce gonflement de l’engouement «Tn» : « moi, avoue Romain, j’ai connu les “Tn“<br />
en 1999, lorsque je suis arrivé sur Nancy. Malheureusement, compte tenu de<br />
leur prix, ce n’est qu’en 00 que j’ai pu acheter ma première paire. À Nancy à<br />
l’époque, on n’avait pas de Foot Locker, j’étais monté exprès à Paris au F.L. des<br />
Halles pour les acheter, c’était un événement personnel dans mon “amour“ des<br />
baskets (car je ne me limite pas aux AMP !)… »<br />
Malgré donc les prix haut de gamme d’une paire de “requins“, le seul prix n’a pas<br />
suffi à rassembler tout le monde autour de la même table.<br />
2<br />
‘‘ BOOBA L’A ÉTÉ : POP.<br />
LA TN, NON,<br />
JUSTE POPULAIRE. ’’<br />
Bien sûr, comme le rappelle Manu avec bon sens, « mettre<br />
160€ dans une paire qui va pas tenir 1 mois si on fait du<br />
sport, ça rebute… » sauf que l’on vient de voir que la AMP1<br />
remplissait bien autre chose qu’une fonction sportive, une<br />
fonction de marqueur culturel et de statut social.<br />
Mais une sociabilité pas partagée par l’ensemble de ceux<br />
baignant a priori dans les mêmes eaux. Curiosité symptomatique<br />
à l’heure également où il est devenu réglementaire<br />
que le caractère hors de prix justifie souvent seul un engouement<br />
général, au moins virtuellement, à cette heure<br />
précise où le web gagnait sa place dans de plus en plus<br />
de foyers. Et où naissait une génération web bientôt web<br />
.0, des blogs conso et forums de toxicos du produit qui se<br />
mettent alors à pulluler. Où des communautés (ou des clans)<br />
se séparent même si, de loin, elles se partagent certains<br />
référents.<br />
Quand quelqu’un ou quelque chose arrive à croiser tous ces<br />
référents, il ou elle devient pop, plus que populaire : Booba<br />
l’a été : pop. La «Tn», non, juste populaire.<br />
P L A T 2<br />
53
54<br />
‘‘ PAYER 160 EUROS<br />
POUR UNE PAIRE<br />
QUI DURE 3 SEMAINES,<br />
C’EST PAS TOP. ’’<br />
Et contrairement à d’autres passions de collectionneurs se<br />
démocratisant parallèlement à leur micro marché devenant<br />
important et attirant du coup de nouveaux adeptes, la collectionite<br />
AMP1 a chanté son chant du cygne quand elle a<br />
atteint des sommets de prix.<br />
Qui ont effectivement explosé : « 003 a été l’année phare<br />
pour se faire de l’argent grâce aux AMP, nous a appris par<br />
exemple Romain : (ensuite) ça c’est calmé car des pseudo<br />
vendeurs sur Internet, peu scrupuleux, ont voulu faire passer<br />
la AMP comme la future Jordan en terme de prix, en<br />
00 - 003, avec l’émergence de certains forums. On assiste<br />
actuellement à un déclin total en terme de tarifs car beaucoup<br />
de gars ont acheté sur Internet et se sont vite rendus<br />
compte qu’acheter une paire de baskets ne les rendait pas<br />
meilleurs ou plus respectés, et donc, les ont revendus en<br />
masse, et c’est pas si mal ! Mais la qualité des Air Max Plus<br />
s’est détériorée à partir de l’année 003...» Comme si l’on<br />
pouvait faire prendre des vessies pour des lanternes à des<br />
fanatiques de l’objet en tant que tel : un collectionneur est<br />
d’abord un amateur très éclairé de son objet de collection.<br />
Comme le dit Manu : « je pense aussi que seuls quelquesuns<br />
avaient la collectionnite aigue en AMP1, or le jour où<br />
ils ont trouvé les modèles qu’ils voulaient, ils sont passés<br />
à autre chose, tout simplement (…) Le souci, c’est que les<br />
modèles dits de collection, sont les tout premiers modèles<br />
car ils étaient de bonne qualité, avec des couleurs originales<br />
notamment… » De tout premiers modèles qui sont les<br />
«Hyperblue» (sorti en 99 et réédité en 003, justement) et<br />
«Tigre».<br />
Et l’on pourrait parler d’autres modèles encore, tel le modèle<br />
homme appelé “Electrik“, évoqué à la fois par Kevin et<br />
par Jibé. Romain, peut-être le plus pointu de nos collectionneurs,<br />
souligne aussi que « beaucoup recherchent le modèle<br />
Olympique féminin en croyant que c’est le plus rare, mais<br />
pas forcément le plus beau, juste parce que c’est rare… Ça<br />
dépend aussi de la pointure. Par exemple les Olympique<br />
Femme, en petite pointure, sont faciles à trouver, par contre<br />
en grande pointure, il faut s’accrocher ! »…<br />
On touche là (encore une fois) le cœur de cette douce maladie<br />
appelée collectionnite : un modèle féminin faisant fantasmer<br />
des têtes et des pieds masculins… Kevin connaît<br />
forcément bien ce modèle femme Olympique white, « sorti<br />
MODÈLES SERIE 3<br />
19-Florales<br />
20-University<br />
21-Tigres<br />
22-Sanguines<br />
P L A T 2<br />
à l’occasion des J.O. de 000, limité a 9000 exemplaires et vendu avec un certificat<br />
d’authenticité »<br />
Encore faut-il ne pas vouloir faire affaire avec un margoulin qui a photocopié le<br />
certificat, pour garnir son compte Paypal…<br />
Délices d’une collection, épopées personnelles, histoires cultes et déconvenues.<br />
Quand cette passion s’éteint, la nostalgie pointe le bout de son nez : « aujourd’hui<br />
les modèles fabriqués sont ternes à côté. Les bulles reformatées, depuis quelques<br />
mois, en font un modèle qui a perdu tout son charme. À rentabiliser le coût<br />
de fabrication, on en fait un modèle très “bof“, voire nul. »<br />
Romain : « Nike a tué l’esthétisme de la paire le jour ou ils ont revu leur système<br />
Air (les bulles carrées), pour l’ensemble de leur gamme fin 2005. Cela s’est traduit<br />
par une grosse différence esthétique pour les AMP, et là, je n’ai plus retrouvé<br />
l’esprit AMP que j’aime tant. »<br />
C’est ce qui s’appelle tuer une poule aux oeufs d’or…<br />
Petite leçon de marketing par Romain, une de ces cibles idéales mais beaucoup<br />
plus lucide que les services marketing ne l’imaginent un peu trop souvent :<br />
« ce déclin qui va commencer courant 003 s’explique par de nombreux points.<br />
Primo, le design : on assiste à un essoufflement créatif. Fini le tissu à motif quadrillé<br />
ou les dégradés flashants innovants, les coloris deviennent ternes et sans saveur.<br />
Deuxio, de plus en plus de personnes en portent, que ce soient des jeunes de 1<br />
ans ou des darons et de plus en plus de Foot Locker ouvrent en France. Cette paire<br />
devient banale et très accessible, l’effet rare et exclusif n’y est plus du tout.<br />
Tertio, la qualité de fabrication des paires<br />
: on assiste comme pour l’ensemble<br />
des autres modèles Nike à une profonde<br />
décadence en terme du choix<br />
des matériaux comme de l’assemblage<br />
(choses expliquées en partie par les<br />
changements de pays de production).<br />
Et payer 160€ pour une paire qui dure<br />
3 semaines, c’est pas top.»<br />
Faut pas prendre les enfants du bon<br />
dieu pour des canards sauvages.<br />
Et encore moins des oies qu’on gave.<br />
Reste une question : verra-t-on un<br />
jour prochain un revival de la Air Max<br />
Plus 1, à la façon des Air Max ?<br />
Une gamme qui, avant sa relance pour<br />
un nouveau culte pop et de la même<br />
façon que sa petite soeur «Plus 1»,<br />
était originellement une gamme seulement<br />
populaire.<br />
P L A T 2<br />
19<br />
20<br />
21<br />
22<br />
55
Gracieusement rédigé par Romain, collectionneur très pointu, ce petit guide va vous permettre d’obtenir<br />
des informations liées à vos sneakers.<br />
L’étiquette donne tout un tas d’informations à propos d’une paire, encore faut-il savoir les décrypter.<br />
Et enfin posséder ces informations nécessaires à un passionné d’Air Max Plus 1, par exemple : cette<br />
méthode s’applique certes aux AMP, mais peut très bien être adaptée à d’autres modèles Nike.<br />
La méthode sera la suivante :<br />
Description de texte de l’étiquette<br />
puis application à deux cas :<br />
Les Bloods, modèle de 001 / Les<br />
Nid d’abeille, modèle bleu, sorti en<br />
006.<br />
Ces deux modèles présentent la caractéristique<br />
suivante : 2 étiquettes<br />
différentes dans la conception et la<br />
délivrance de l’information.<br />
56<br />
COMMENT DÉCHIFFRER LES ÉTIQUETTES<br />
A. Le lieu de Fabrication<br />
Voici les principaux sites de fabrication<br />
des modèles Nike :<br />
1. Chine<br />
. Taiwan<br />
3. Corée<br />
4. Vietnam<br />
5. Thailande<br />
6. Indonesie<br />
7. Italie<br />
8. Japon<br />
9. Etats-Unis<br />
Comme indiqué textuellement sur l’étiquette,<br />
nous remarquons des sites de<br />
fabrication différents pour nos coloris<br />
test : le Vietnam pour les Nid d’abeille<br />
bleus et la Chine pour les Bloods.<br />
A noter qu’à l’heure actuelle, il ne se<br />
fabrique plus d’Air Max Plus en Chine,<br />
l’Indonésie et le Vietnam étant devenus<br />
les sites principaux de fabrication.<br />
B. Codes correspondants aux<br />
usines Nike<br />
Suite à l’indication du site de fabrication,<br />
nous retrouvons un repère,<br />
au point B, correspondant au site :<br />
1. Taiwan - FT1, FT , FT4, FT8,<br />
PC3, PC8<br />
. Corée - ST, ST5, S7, T -1, T -A,<br />
T -D, TY, TY1, ST-P, SH, BY<br />
3. Chine - LN , LN3, LN4, Y , Y3,<br />
Y2-3, QH, QS, QT<br />
4. Indonesie - IB, ID, IN, IP, IW,<br />
IRSS<br />
5. Thailande - PA<br />
6. Vietnam – VT,VS, VJ<br />
7. Italie - ?<br />
8. Japon - ?<br />
9. Etats Unis - ?<br />
Vis-à-vis de nos deux coloris test, pas<br />
de soucis, on retrouve bien les codes<br />
correspondants aux différents sites.<br />
C - Les Tailles<br />
1. US - Taille Américaine<br />
. UK - Taille Anglaise<br />
3. EUR - Taille Européenne<br />
4. CM – Centimètres utilisé en Asie.<br />
P L A T 2<br />
D. La période de Fabrication.<br />
Une étiquette de Air Max Plus 1, c’est comme un livret de naissance, on sait<br />
où elle a été fabriquée, mais aussi : quand. Mais elle apparaît sous une forme<br />
différente selon nos étiquettes de coloris test.<br />
En effet, l’étiquette “new school“ nous informe de la période de fabrication<br />
de ce coloris à 2 endroits :<br />
Au point D, le jour de lancement de la fabrication du coloris.<br />
Au point D’, le jour de fin de production.<br />
Pour 2 paires ayant un coloris strictement identique, vous retrouverez à chaque<br />
fois ces dates, indiquant donc la période de production.<br />
On remarque que sur les étiquettes «old school», la période de production<br />
est concentrée en un point (D), et se présente sous cette forme :<br />
(Année de production)<br />
( Mois de départ de production)<br />
( Mois de fin de production)<br />
Ce qui donne pour les Bloods :<br />
01<br />
03<br />
05<br />
On peut ainsi aisément déduire la période fabrication de ce coloris, située ici<br />
entre Mars 001 et Mai 001.<br />
P L A T 2<br />
57
E. La date de Fabrication :<br />
Nous avons vu comment déterminer<br />
la période de fabrication,voici<br />
comment trouver la date précise de<br />
fabrication de votre paire.<br />
Ceci n’est possible que sur les étiquettes<br />
«old school» telle que celle<br />
des Bloods. Ainsi au point E, nous<br />
avons une date sous la forme :<br />
MM / JJ / AA : Format représentatif<br />
des dates de production.<br />
a) «MM» mois de production.<br />
b) «JJ» jour de production<br />
c) «AA» année -> 0 ( 00 ), 03<br />
( 003) ...<br />
Les Bloods ont été fabriquées le<br />
8 Mars 001, cela coïncide donc<br />
bien avec la période de fabrication<br />
trouvée juste avant (de Mars à Mai<br />
001).<br />
F. Le code produit<br />
Il se découpe en deux parties :<br />
1) Les informations relatives au<br />
modèle, composées de 6 chiffres,<br />
) Les informations relatives au<br />
coloris, composées de 3 chiffres,<br />
1) Les informations relatives au<br />
modèle, composées de 6 chiffres.<br />
1) Sous la forme 604133 pour les<br />
Nid d’abeille Bleue et les Bloods,<br />
celui-ci décrit :<br />
a) Le premier numéro correspondant<br />
au type de production :<br />
1 - Production grande série<br />
(dont Production Standard pour la<br />
première série de AMP1 en 1998).<br />
3 - Production destinée aux<br />
équipes sponsorisées (dont Production<br />
exclusive Foot Locker de<br />
modèles pour le marché américain).<br />
4 - Production destinée aux<br />
joueurs sponsorisés.<br />
6 - Production exclusive destinée<br />
à des chaînes de magasin<br />
et rééditions de modèles anciens<br />
(dont les productions exclusives<br />
Foot Locker, sorties mondiales Asie,<br />
Océanie et Europe).<br />
58<br />
7 - Inconnu au bataillon.<br />
8 - Série spéciale (Signatures),<br />
Pack Luxe ou autre.<br />
9 - Production exclusive à une<br />
région du globe (Europe, Asie ou US).<br />
b) Le deuxième et le troisième numéro<br />
indiquent la catégorie d’utilisation<br />
de la paire.<br />
Ainsi, pour un modèle homme de<br />
Air Max Plus 1, on trouvera les<br />
chiffres “04“ correspondant à la<br />
catégorie Running Homme de Nike,<br />
et pour un modèle femme on y trouvera<br />
les numéros “05“.<br />
Voici les principales catégories,<br />
avec chiffres correspondants :<br />
0 : Men Indoor Running<br />
03 : WMN Indoor Running<br />
04 : Men Running<br />
05 : WMN Running<br />
06 : Medium Running<br />
07 : Racing<br />
36 : Men Jordan<br />
37 : WMN Basketball<br />
40 : Men Tennis<br />
43 : WMN Tennis<br />
73 : Men Cross Training<br />
74 : WMN Cross Training<br />
<strong>Tout</strong>es les Air Max Plus ne possèdent<br />
pas seulement les numéro 04<br />
ou 05, en fonction du sexe. En effet<br />
sur certains modèles, tels que les<br />
Slip-On Europe ou des modèles US,<br />
les numéros se rapportent à des<br />
gammes Running moins en avant<br />
telles que les gammes “Medium<br />
Running“ ou “Men Indoor Running“.<br />
c) Les 3 derniers numéros du code<br />
produit désignent le sexe mais aussi<br />
le type de matériaux employés,<br />
voire même pouvant mentionner<br />
l’appartenance du coloris à un pack<br />
ou une série particulière.<br />
Voici un échantillon de quelques<br />
séries de chiffres trouvés sur des<br />
codes produit de Air Max Plus (les<br />
plus fréquents), ainsi que leur signification<br />
probable :<br />
XXX11 : Modèle Femme<br />
XXX133 : Modèle Homme<br />
XXX180 : Modèle Cuir Homme<br />
XXX078 : Modèle Cuir Femme<br />
XXX696 : Modèle Import<br />
XXX7 1 : Modèle Homme Exclu US<br />
XXX 9 : Série Particulière<br />
XXX163 : Modèle Cuir et Synthétique<br />
P L A T 2<br />
Pour nos deux coloris possédant<br />
une partie du même code produit,<br />
nous pouvons en déduire que ceux<br />
sont des modèles Homme (133),<br />
Exclusivité Foot Locker (6), appartenant<br />
à la gamme Men Running (04).<br />
) Les informations relatives au coloris,<br />
composées de 3 chiffres : Le<br />
code couleur<br />
Cet ensemble de 3 chiffres, que<br />
nous désignons comme code couleur,<br />
détermine et explique de quelle<br />
façon le coloris a été appliqué.<br />
Chaque chiffre désigne un aspect<br />
du coloris :<br />
1) Le premier désigne la couleur<br />
primaire utilisée,<br />
) Le deuxième désigne la couleur<br />
secondaire employée,<br />
3) Le troisième donne le ton du<br />
coloris.<br />
Voici les correspondances Chiffre /<br />
Couleur :<br />
0 : <strong>Noir</strong><br />
1 : Blanc mais aussi argenté<br />
: Brun et ses dérivés<br />
3 : Vert, vert Olive, Néon ...<br />
4 : Bleue, Bleue Obsidian …<br />
5 : Violet, mauve<br />
6 : Rouge, Rouge «Crimson»…<br />
7 : Jaune, Jaune «Ginger»…<br />
8 : Orange<br />
9 : Couleur Bonus<br />
Pour le coloris Nid d’abeille, nous avons le code suivant : 604133 415<br />
“415“ confirme bien le coloris appliqué à ce modèle :<br />
Couleur dominante bleue (4), vagues et talon blancs (1), le tissu est accentué<br />
de manière différente compte tenu du matériau Nid d’Abeille qui doit influer<br />
sur le code coloris (5).<br />
Pour le coloris Blood, nous avons le code suivant : 604133 601<br />
“601“ signifie donc un modèle de couleur Rouge (6), ton du rouge assez vif<br />
(1), avec comme couleur secondaire le noir (0).<br />
À présent, il vous est possible de déchiffrer le code produits de toutes vos<br />
Nike, mais d’autres informations sont présentes sur l’étiquette : ce sont les<br />
brevets.<br />
G. Les Brevets<br />
Systématiquement mentionnés, les références des différents brevets déposées<br />
par Nike sont indiquées directement sur l’étiquette. On distingue 3 types<br />
de brevets :<br />
G1 : Les brevets américains, commençant par PAT. US, puis se succédant<br />
par l’intermédiaire d’une *, ils sont généralement au nombre de 4, quelquefois<br />
moins comme par exemple sur des Quadrillées grise rouge.<br />
Ils désignent le système Air utilisé ainsi que sa composition.<br />
G : Les brevets liés au design, au nombre de 3, expliquent en détail le design<br />
des Air Max Plus.<br />
G3 : Les brevets anglais, qui se réfèrent tous aux brevets déposés US.<br />
P L A T 2<br />
59
60<br />
DÉDICACE AU REBELLE DES QHS.<br />
RIEN À FOUTRE DE RIEN.<br />
DES FLICS ET DU MILIEU.<br />
RIEN QUE DE LA CLASSE, QUE DE LA VIOLENCE.<br />
HORRIBLE ET AVIDE.<br />
DERNIER ENNEMI PUBLIC.<br />
PAS DE CAUSE, SAUF LA SIENNE.<br />
ENFANT DE BANLIEUE, MORT À PARIS.<br />
CRIBLÉ DE BALLES PORTE DE CLIGNANCOURT.<br />
FANTÔME.<br />
MESRINE EST UN SPECTRE.<br />
IL EST ENCORE LÀ, DANS LE 18È.<br />
D É D I C A C E<br />
SÉRIE MODE, PEUT-ÊTRE, OU SOCIO MODE PLUTÔT.<br />
AUX PUCES DE CLIGNANCOURT : LA RUE ET DES HURLUBERLUS QUI CROI-<br />
SENT LES ANTIQUAIRES ET DES MILLIONNAIRES, DES GENS DE TOUTES LES<br />
COULEURS ET DE TOUS LES MILIEUX, DES JEUNES ET DES VIEUX, TOUTES<br />
LES ÉPOQUES, TRÈS VINTAGE OU TRÈS 2008… NON, ON N’EST PAS PLEIN<br />
D’AMOUR, MAIS ON AIME CLIGNANCOURT.<br />
CARREFOUR D’HISTOIRES QUI SE CROISENT SANS FAIRE D’HISTOIRES, MAIS<br />
DES AFFAIRES.<br />
UN MARCHÉ DE PASSIONS.<br />
Photo : Wilee, Elisa Gomez<br />
S É R I E M O D E<br />
61
PHILIPPE<br />
ALL WESTERN ATTITUDE<br />
Chapeau Vintage SUPER RESISTOL XXX (en castor),<br />
Veste BECKARO (croûte de veau doublée laine),<br />
Gilet en laine<br />
Chap’s en laine<br />
Ceinture CHAMBLER’S<br />
Boucle de ceinture vintage<br />
Chemise en flanelle<br />
Boots vintage NOCONA<br />
Puces de Saint-Ouen<br />
Passage Marceaux-Porte de Clignancourt<br />
50 mètres du pont du périphérique<br />
Ouvert les samedi, dimanche & lundi<br />
01 49 45 03 16<br />
www.awcooper.net<br />
6
NICOLAS “ZEHER”<br />
chez SURPLUS SIMON<br />
Combinaison Armée de l’air personnel au sol<br />
Chapka Armée DDR<br />
50, rue J.Vallès<br />
93 400 Saint-Ouen<br />
Ouvert samedi, dimanche & lundi.<br />
01 40 10 18 70<br />
65
MORSAY, ZEHEF & CO<br />
TRUAND 2 LA GALÈRE<br />
Hoodies TRUAND 2 LA GALÈRE<br />
Rue des Rosiers<br />
93 400 Saint-Ouen<br />
www.myspace.com/truand2lagalereofficiel<br />
66
EMMA<br />
chez M. WILLIAM OURY<br />
Robe bustier bleu satiné années 1950<br />
Cape en velours noir et col de renard blanc années 1900<br />
Escarpins noirs vernis<br />
Petit sac pochette cuir vernis<br />
Marché Dauphine - Stand 17/18<br />
140, rue des Rosiers<br />
93 400 Saint-Ouen<br />
Ouvert les samedi, dimanche & lundi<br />
06 09 87 14 5<br />
06 60 4 93 11<br />
69
70<br />
P L A T 3<br />
1<br />
- IL ME RESTE “CRUDITÉS DINDE“, “CRUDITÉS THON“,<br />
“CHEESE“ ET “DOUBLE CHEESE“.<br />
- J’VAIS T’PRENDRE UN “CRUDITÉS DINDE“.<br />
- TU VEUX QUOI, BABA ?<br />
- “CRUDITÉS DINDE“.<br />
- “DINDE EMMENTAL“ OU “DINDE NORMALE“ ?<br />
- NORMALE, NORMALE.<br />
- ET DONNE UN EMMENTAL EN PLUS S’IL TE PLAÎT.<br />
- TU VEUX KEK’CHOSE TOI ?<br />
- NAN, C’EST BON MOI.<br />
- TIENS LE “DINDE EMMENTAL“ FRÈRE.<br />
- MERCI BEAUCOUP.<br />
Il y a deux choses incontournables dans les quartiers.<br />
Les sandwicheries et les halls.<br />
On y passe, on y reste, plus ou moins longtemps, mais on<br />
le fait, immanquablement, car ce sont de vrais, et parfois les<br />
seuls, lieux de vie.<br />
Certains restaurants sont mêmes devenus institutions, les bonnes<br />
adresses : aucune publicité, juste un endroit connu de tous.<br />
Le « 1 9 » à Saint-Denis par exemple, où tu prends un ticket,<br />
comme à la Sécu, pour attendre ton menu triple steak, presque<br />
religieusement. D’ailleurs, ce sont des Frères Musulmans<br />
qui t’y préparent ton repas.<br />
Les halls, où les murs te servent de dossiers, c’est quand les<br />
vendeurs de kebab ont tiré leurs rideaux.<br />
Et que tu es loin d’avoir fini de refaire le monde avec tes potes.<br />
Et à un moment, tu as faim, forcément à l’heure où tout en<br />
banlieue est fermé.<br />
Sauf les épiciers et leurs imitations de Granola à 6€ le paquet.<br />
Alors autant dire que lorsqu’on te rencarde sur le fait que<br />
par un simple coup de bigo, un mec déboule chez toi la nuit<br />
avec des sandwiches dans son coffre, tu deviens fou.<br />
Je me présente : Mohammed Amara, j’habite à Bobigny,<br />
j’ai 3 ans.<br />
Je fais de la livraison de sandwiches le soir jusqu’à 3h du<br />
matin. Je fais toutes les cités de presque toutes les villes:<br />
Saint-Denis, La Courneuve, Stains, Epinay, Villetaneuse,<br />
Pierrefite, Garges, Sarcelles, Le Bourget, Aubervilliers,<br />
Saint-Ouen, Drancy, Dugny... Ma plus grosse clientèle c’est<br />
les cités, les jeunes, de 16 à 30 ans.<br />
Après je fais aussi quelques hôtels, sur Porte de La Chapelle,<br />
Porte d’Aubervilliers, Clignancourt. Je fais un peu des<br />
gens qui sont chez eux aussi, des pères et des mères de<br />
familles, mais le gros de la clientèle ça reste les jeunes des<br />
cités quand même.<br />
Une idée tellement simple que personne n’y avait songé avant.<br />
Des milliers de baskets tiennent les murs des cités, la nuit.<br />
Une nuit c’est long.<br />
À la base, l’idée ne vient pas de moi, je suis juste livreur.<br />
C’est mes patrons qui ont vraiment lancé le truc, avec des<br />
cartes de visites distribuées dans tous les quartiers pour se<br />
faire connaître.<br />
Mais surtout nous, par rapport aux autres personnes qui<br />
font ça, la différence c’est qu’on fait ça tous les jours, toute<br />
l’année. Il y en a, c’est de l’intérim, ils ne font ça que l’été,<br />
histoire de gratter les jeunes qui sortent avec le soleil.<br />
Nous, à 3 on fait tout le 93 toute l’année, hiver, automne,<br />
tout ce que tu veux.<br />
Ça va faire à peu près 3 ans maintenant.<br />
C’est sûr qu’il y a des périodes creuses, là c’est l’été, les<br />
gens sont dehors, il fait chaud, donc ça commande.<br />
Après, l’hiver c’est beaucoup plus calme, c’est normal. Pour<br />
nous, plus il fait chaud, mieux c’est. On joue avec le temps,<br />
quand il fait froid c’est un peu dur. Mais moi je m’en fous : je<br />
tourne quand même. C’est un peu «laisse tomber» quand il<br />
neige, quand il pleut, c’est vrai : tu tournes, tu te prends la<br />
tête pour vendre des sandwiches. Y’a personne dehors et<br />
personne t’appelle, tu ne vends rien.<br />
Ça arrive, parfois tu rentres avec des sandwiches, y’a de la<br />
perte. C’est le risque.<br />
Une carte, un numéro.<br />
7/7j, de 19h à 3h du matin.<br />
Même sous la neige.<br />
Saint-Bernard des ventres vides, avec une cannette de<br />
Coca autour du cou.<br />
Un coffre d’Express, y’a de quoi faire tu sais. Y’a tout ce<br />
qui est sandwiches «normaux» genre crudités, jambon de<br />
dinde, mais on fait aussi des sandwiches chauds, genre<br />
“chicken tikka“.<br />
On a des boissons, tout ce qui est Coca, Oasis, Orangina,<br />
les jus aussi.<br />
On a des bonbons, enfin plein de trucs.<br />
<strong>Tout</strong> ce qu’il faut pour tenir.<br />
<strong>Tout</strong> ce qu’il faut pour finir sa nuit avec le ventre plein et la<br />
langue gracile.<br />
Les discussions nocturnes ne s’arrêtent plus aux premiers<br />
gargouillis des estomacs vidés par la digestion.<br />
Sans le savoir, les deux Frères Musulmans derrière cette<br />
mini-chaîne de livraison de sandwiches sont des acteurs<br />
sociaux puissants.<br />
Le lien social, ça se mange.<br />
Le 129 :<br />
1 9 rue Gabriel Péri, 93 00 Saint-Denis.<br />
Sandwich 24’ :<br />
Livraison de sandwichs Hallal de 19h00 à 3h00, 7/7.<br />
Pour toute commande, appel ou SMS au:<br />
06 10 65 54 79 ou 06 18 33 91 31<br />
minimum de sandwichs par commande<br />
P L A T 3<br />
71
NON, ON N’ESSAIE PAS ICI DE REVITALISER L’ESPRIT CHOC DU MOIS, SCANDALE DE LA<br />
SEMAINE FAÇON ENTREVUE DU DÉBUT, OU GLOBE DE LA FIN.<br />
PAS DE BIDONNAGE.<br />
PAS DE SENSATIONNALISME NI SON COROLLAIRE : UN BON GROS JUGEMENT MORAL.<br />
ICI, PAS DE POINT DE VUE DE CELUI QUI PARLE.<br />
CETTE VOIX DE LA RAISON RAISONNABLE QUI EMPÊCHE DE DÉCRIRE TEL QUEL ;<br />
ÉCRAN POUR NE PAS MONTRER LA RÉALITÉ BRUTE.<br />
MÊME DIFFÉRENCE ENTRE LA SÉRIE NOIRE À LA FRANÇAISE ET LE POLAR À L’AMÉRI-<br />
CAINE.<br />
ICI, DES QUESTIONS NEUTRES ET DES RÉPONSES FROIDES.<br />
7<br />
Quel est ton parcours?<br />
Fouad : Moi, depuis tout petit, avec les embrouilles dans mon quartier, j’ai été<br />
habitué à voir des armes. Au depart, c’étaient des grenailles, tu vois, pas des<br />
vrais trucs, pas tout de suite, enfin… ça dépend des personnes. Mais moi, j’ai<br />
commencé à voir seulement des grenailles. Après, moi, c’est spécial, je kiffe les<br />
armes, vraiment. Avec mon pote Bibiche tout ça, on kiffe les armes.<br />
Pourquoi tu kiffes à ce point les armes?<br />
F : Franchement, tu veux savoir ? Parce que c’est le pouvoir. Parce que tu peux<br />
être qui tu veux, tu peux faire tout le cinéma que tu veux, devant une arme t’es<br />
rien du tout. C’est un truc qui te ramène à la triste réalité, tu vois ? C’est une<br />
balle, un mort. T’as un chargeur de 15 balles, tu peux tuer 15 personnes. Si t’es<br />
vraiment déterminé et que tu ne fais pas de gâchis, tu tues 15 personnes. Le<br />
P L A T 4<br />
4<br />
1- AK 47<br />
2<br />
2- GLOCK<br />
3- 9mm BERETTA<br />
4- UZI<br />
pouvoir, tu vois, le pouvoir : un bout de métal qui met tout le<br />
monde d’accord.<br />
Après, savoir si c’est à utiliser tout le temps, toi-même tu<br />
sais…<br />
Ton premier contact avec une arme : à quel âge?<br />
F : Quand on a commencé à voir des grenailles, pas des<br />
vraies armes, c’est dès la sixième, avec les premières embrouilles<br />
au collège. Mais faut bien différencier les grenailles<br />
du reste. Grenaille, Gomme Cogne tout ça, tu les sors facilement<br />
pour des embrouilles balourdes, pour faire flipper,<br />
c’est juste la détonation qui fait flipper. Parce qu’un vrai calibre,<br />
déjà pour en avoir un en sixième, c’est tendu.<br />
Hakim : De toute façon, en sixième, tu sors un grenaille,<br />
c’est comme si tu sortais un M-16.<br />
C’est nécessaire d’être calibré dès la sixième?<br />
F : Fallait pas forcément être avec un grenaille, c’est juste<br />
que t’avais le choix entre ramener ta bombe lacrymogène<br />
que tout le monde pouvait avoir, que tu gazais dans le tas<br />
comme un gogol, que tout le monde se faisait gazer pour<br />
des embrouilles jamais bien concrètes. Soit l’histoire, tu la<br />
P L A T 4<br />
1<br />
3
74<br />
P L A T 4<br />
réglais, tu y mettais un terme, tu choquais tout le monde<br />
avec une détonation, que ce soit du grenaille ou un vrai calibre,<br />
c’est la même chose, c’est le bruit qui compte. Après<br />
le seul trou du cul qui veut vérifier si c’est un vrai ou un<br />
grenaille, il est con parce que le jour où tu tires avec un vrai<br />
brelique et que lui croit que c’est un grenaille, il va rester au<br />
sol, il va se faire douiller. Quand t’es en sixième, t’es petit, tu<br />
entends un bruit, tu te sauves, tu ne sais pas.<br />
Mais tu en viens à ça pour montrer aux gens que malgré ton<br />
jeune âge, tu peux pousser toi aussi. Tu peux aller plus loin,<br />
tu te limites au grenaille mais quand même…<br />
Comment un gamin de sixième peut se procurer<br />
un grenaille?<br />
F : Il prend la ligne 4, il va aux puces, avec un mec de sa<br />
cité qui est majeur et il l’achète, c’est tout. <strong>Tout</strong> simplement,<br />
avec une pièce d’identité. Un grenaille, c’est en vente libre,<br />
n’importe qui peut acheter un pistolet d’alarme.<br />
Maintenant tu me dis un Glock 9mm ou un Uzi ou un pompe,<br />
tu vois ce que je veux dire, un truc comme ça, c’est des<br />
gens bien précis qu’il faut aller voir, ce n’est pas n’importe<br />
qui. Tu ne va pas aller voir le vendeur de gazeuse pour lui<br />
demander un fusil de chasse. Tu les trouves aux puces, de<br />
la main à la main, avec tous ceux qui revendent leurs calibres,<br />
ça tourne, ça se prête, ça se donne. Tu sais, y’en a<br />
plein des armes qui dorment dans les quartiers. Ça se vole<br />
aussi, tu vas me prêter ton truc et je ne vais jamais te le rendre.<br />
Je vais te dire que je l’ai perdu, mais je l’ai gardé pour<br />
moi. Et à la prochaine embrouille, je vais le sortir. Les armes<br />
ça tourne, du grenaille jusqu’au 9mm.<br />
Première arme en sixième avec le grenaille,<br />
et ensuite?<br />
F : Personnellement, ensuite y’a un gros trou. Je ne vais pas te<br />
mentir. Moi les armes pendant un moment, je n’en ai plus vu.<br />
Parce que je n’ai pas été chercher plus loin, je ne voulais tuer<br />
personne, j’avais pas la nécessité d’avoir des armes à feu.<br />
Mais avec l’âge, tu fais certaines choses pour certaines personnes.<br />
J’ai fait certaines choses, j’ai participé à certaines<br />
embrouilles, je n’avais pas besoin d’une arme moi particulièrement,<br />
mais les vraies armes, il les fallait. Parce que les<br />
gens avec qui on s’embrouillait, ils avaient des grands avec<br />
eux qui avaient des vraies armes et ils n’hésitaient pas à<br />
leur passer. Dans notre quartier, on n’avait aucun grand qui<br />
nous passait des armes : c’était soit on se faisait tirer dessus<br />
et on fermait nos gueules, soit on se faisait tirer dessus<br />
et on leur tirait dessus. Ils veulent tirer, on tire, je sais pas,<br />
tu vois c’est con, c’est tout pourri, mais t’es obligé. Tu me<br />
tires dessus, je te tire dessus. Comme ça tu sais que si tu<br />
75<br />
APÉRO
viens me tirer dessus, même si tu me butes, dans mon équipe y’a des gens qui<br />
ont des trucs. Tu peux te dire ça, tu vas te dire : « Bon, ok, lui je vais le terminer,<br />
mais maintenant si je le descends, y’a untel, y’a untel, y’a untel qui sont là, qui<br />
sont équipés. Donc je peux le terminer et moi me faire terminer, tout de suite ou<br />
même dans deux ans. » C’est pour ça qu’à un moment, arrivé à un certain âge,<br />
tu arrives à une nécessité d’avoir de vraies armes à feu, par rapport à ce qu’on<br />
disait, par rapport à comment c’est dans la rue. Arrivé à un moment, tu ne te bats<br />
plus cousin, t’as une embrouille, tu ne va pas te battre, faut vraiment régler les<br />
choses. Je ne te dis pas qu’il faut aller tuer tout le monde, mais y’a des gens, il<br />
faut les faire flipper, pour de vrai, sinon ça peut aller trop loin.<br />
Donc armé pour dissuader?<br />
F : Tu peux être armé et être totalement pacifique, y’a des gens, ils sont armés<br />
jusqu’aux dents chez eux, tu ne les connais pas, c’est des pères de famille, c’est<br />
des chasseurs, mais dans son placard, le mec il a 10 fusils de chasse. Et si lui,<br />
demain, il veut venir avec ses potes dans le quartier pour allumer des gens, il<br />
t‘allume. Tu sais, c’est des fusils de chasse, c’est pas des fusils pour tuer des<br />
gens à la base.<br />
Maintenant, nous, des armes on en a. C’est pas pour ça qu’on est là à les montrer,<br />
à dire t’as vu on a des armes, ceci cela. Nous on les garde au chaud : tu nous<br />
casses pas les couilles, on te casse pas les couilles. Le jour où tu casses les<br />
couilles à un frère et tu vas trop loin, le jour où tu veux marcher sur lui, marcher<br />
sur sa famille, nous on est tous des frères, tu fais quelque chose à quelqu’un<br />
d’entre nous, nous on va te montrer que nous aussi on peut le faire, on peut se<br />
sacrifier pour l’un d’entre nous.<br />
Après tu peux aussi t’en servir pour protéger un terrain. Le jour où tu as un terrain,<br />
si t’as pas d’armes, t’es le roi des cons. Parce que si tu fais un terrain c’est<br />
pour faire de l’argent, et si ça marche et que tu commences à faire des sous…<br />
comment tu va te protéger de tous ceux qui vont venir te casser les couilles ? T’es<br />
obligé d’être armé, t’es obligé de faire circuler l’info que t’as acheté des armes.<br />
Parce que le premier trou du cul qui va vouloir te car-na, il va être au courant de<br />
cette info, il va se dire : « Bon, avant de faire ça, on va réfléchir. »<br />
C’est balourd, c’est que du métal mais ça sert à plein de choses… Les gens,<br />
ils règlent des guerres avec ça, des conflits qui durent pendant des années se<br />
règlent avec ces trucs.<br />
Maintenant moi, je ne prône pas. Je kiffe la machine que c’est, la technique, la<br />
précision, l’évolution des armes dans le temps, mais sinon là, on a perdu Kamel,<br />
on a perdu Ibrahima, tout ça par rapport à des embrouilles… Moi si je peux éviter<br />
tout ça, si je peux éviter de tuer quelqu’un, éviter même de sortir les armes, je<br />
serais le plus heureux.<br />
Parce que faut pas se mentir, si t’achètes une arme pour faire le comédien toute<br />
ta vie, tu la regardes, tu la lustres, tu braques tes potes avec en rigolant, t’es un<br />
tout pourri, ça ne sert à rien. Achète-la, range-la et le jour où il y a quelque chose,<br />
tu la sors vraiment. Ça ne sert à rien de faire du cinéma, y’en a qui, pour cette<br />
raison, ne devraient pas avoir d’armes chez eux. Y’en a, un coup de diabète,<br />
ils sortent, ils allument tout le monde et après ils regrettent, ils se retrouvent au<br />
commissariat en train de pleurer, c’est-ce qu’il se passe tout le temps.<br />
76<br />
5<br />
Tu parlais d’un gros trou où tu n’avais pas vu d’arme. Aujourd’hui,<br />
t’es armé?<br />
F : Ouais, moi j’ai un pompe, avec celui de Hakim mon pote ça fait deux, (il pointe<br />
du doigt) le p’tit Black là, il n’a rien pour l’instant mais il veut son 9 (9mm, ndr)<br />
et il l’aura. Il veut son truc, il ne veut pas de fusil, il veut son petit truc à lui. Par<br />
exemple, dans son cas, ce n’est pas du tout pour flamber ou quoi que ce soit, il<br />
veut son bijou, comme ça le jour où il y a un truc qui se passe, il n’a pas besoin<br />
de compter sur quelqu’un. C’est mort, c’est un truc que tu ne peux pas lui retirer,<br />
il veut sauver sa peau, il a son truc à lui, il a son outil. Parce que des fois y’a des<br />
gens qui ne te suivent pas, quand toi t’es vraiment déterminé, t’es énervé et qu’il<br />
y en a qui ne le sont pas autant que toi, soit ils vont te raisonner soit ils te diront<br />
qu’ils ne te suivent pas. Des fois certaines choses doivent être faites seul.<br />
AP LP ÉA RT O4<br />
4<br />
1-2-3- Pistolets d’alarme<br />
4- MAUSER<br />
4- Bombe Lacrymogène<br />
2<br />
1<br />
Les vrais calibres tu les trouves comment?<br />
F : T’as de l’argent, tu trouves. C’est tout. C‘est ni compliqué<br />
ni facile. T’as de l’argent, tu trouves. Demain tu vas voir un<br />
mec dans un quartier, pas n’importe quel trou du cul non<br />
plus, un mec que tu connais, tu lui dis : « Voilà, moi, j’ai<br />
tant de biftons à mettre dedans», tu lui donnes un ordre de<br />
prix en étant raisonnable. Les gens ils peuvent t’arranger<br />
pour les armes. Tu peux trouver des armes à 500€ comme<br />
à 4000€, 10000€, après, c’est d’autres marchés, tu passes<br />
à autre chose. Y’en a, ils te vendent des armes de guerre,<br />
ces gens-là, moi je ne les connais pas, celui qui te vend un<br />
AK-47 avec 4 chargeurs, 3 grenades et un gilet pare-balles,<br />
va le trouver lui. Mais y’a des armes qui circulent, tout ce qui<br />
est pompe, 9mm, 6.35, 11.43, toutes les armes comme ça<br />
circulent à la mort.<br />
Donc pour répondre à ta question, c’est facile quand tu as<br />
de l’argent. C’est comme pour tout, quand t’as des sous,<br />
t’achètes tout ce que tu veux.<br />
H : Ah ouais, le 11.43 c’est la vraie arme de you-voi, c’est<br />
celle que tu portes en dessous du pull, tous les jours, c’est<br />
pas l’arme que tu laisses chez toi au cas où. Là en ce<br />
moment t’en as un qui ne sort jamais sans son Scorpion. Le<br />
Scorpion, c’est pour couper les jambes.<br />
De toute façon, chaque arme a sa fonction : par exemple, un<br />
pompe, un bon canon scié, c’est pour les descentes, tu ne<br />
sors pas avec tous les jours. C’est quand tu descends dans<br />
les cités, quand tu va défourailler en bécane.<br />
Vous avez déjà vraiment tiré?<br />
F : Je vais te dire la vérité, je ne vais pas faire le mytho avec<br />
toi, j’ai jamais tiré de ma vie. J’ai tiré au grenaille, je n’ai<br />
jamais tiré au 9mmm avec de vraies bastos, même pas juste<br />
viser une cible, je n’ai jamais eu l’occasion. Je kifferais aller<br />
dans la forêt avec eux là (il montre ses potes), ces zoulous<br />
là, on y va, on tire sur des cibles, on s’entraîne. Mais on<br />
passe plus de temps à en parler qu’à en faire, on n’y pense<br />
pas.<br />
3
Pareil pour le pompe alors ?<br />
H : (Il me coupe) Non mais tu sais c’est quoi le truc? C’est que tout le monde<br />
veut acheter des grosses armes pour sa sécurité, mais ça reste un rêve, on arrive<br />
jamais aux vraies grosses armes. Ça reste toujours des 9mm, quand ça douille<br />
c’est toujours avec ça. Après on sait qui va sortir des Kalach, y’en a, ils ont des<br />
Bazookas mon frère, ils ont des lance-roquettes. Mais là, ça ne sort que pour des<br />
histoires de gros sous, de très gros sous. On a des grosses armes, mais on ne<br />
s’en sert pas. On se dit toujours qu’on s’en servira un jour. Mais le jour, il n’arrive<br />
pas. C’est ça en fait le truc. Mais le jour où il faudra s’en servir, t’inquiètes pas,<br />
on va charger et on va tirer, c’est tout.<br />
F : Tu presses une gâchette c’est bon.<br />
H : Ouais, tu sais à quoi t’attendre. Tu sais déjà comment il faut le tenir le truc,<br />
Kalach, fusil, on sait. C’est pas “on va le prendre comme une brêle, on va tirer et<br />
on va se déboîter l’épaule”. C’est bon, t’es pas con, t’allumes et c’est tout. Mais<br />
pour l’instant, ça n’en est pas à s’allumer avec des grosses armes.<br />
F : Le jour où il faudra tirer, tes bras, tu vas les serrer, le pompe, tu vas le tenir<br />
et tu vas tirer. Maintenant, nous les armes on les a. Si elles peuvent rester avec<br />
de la poussière dessus, tant mieux. Mais le jour où ça devra péter il ne faut pas<br />
se retrouver les mains dans les poches comme des cons et se<br />
regarder : « Ah, ils ont ça, nous on a rien ». Tu te tais, mais le jour<br />
où il faut les sortir, tu les sors.<br />
Imagine si ici, c’était comme aux États Unis, tu ouvres un compte,<br />
t’as une arme de poing.<br />
Ouais, mais là-bas, c’est plus ou<br />
moins en vente libre. Comment<br />
tu expliques qu’ici, alors que c’est<br />
réglementé jusqu’à la moelle, tu<br />
arrives à en trouver quand même<br />
à droite à gauche?<br />
F : Je vais t’expliquer ça rapidement :<br />
c’est l’Est ma gueule. Y’a des conflits<br />
encore dans l’Est, des gens qui se tirent<br />
encore à la Kalachnikov, qui prennent<br />
des écoles en otage, en Russie,<br />
là-bas.<br />
En France les armes viennent principalement<br />
de l’Est. Un peu d’Italie<br />
aussi pour les armes de poing. Mais<br />
les vraies armes de guerre, ça vient de<br />
l’Est. La dernière fois, j’ai eu un pompe<br />
qui venait de Colombie, tu peux toujours<br />
essayer de te creuser la tête pour<br />
te demander comment ils ont fait pour<br />
les amener jusqu’ici. Soit complètement<br />
démontés, soit montés mais alors<br />
dans des putains de gros containers<br />
où tu ne vois rien du tout passer, y’a<br />
peut-être 5 containers qui se font péter<br />
sur 300. Ça y est, t’es approvisionné :<br />
dans un container, tu peux foutre combien<br />
d’armes? 4000 peut-être?<br />
H : Mais dis-toi que si dans les quartiers<br />
il n’y avait pas de grosse tête, on<br />
n’aurait jamais eu d’armes. Tu regardes,<br />
toutes les armes qu’on a eues à<br />
la base, c’était des armes qui ne servaient<br />
plus à des gros qui les revendaient.<br />
Tu ne sais même pas ce qu’ils<br />
ont fait avec. De vraies armes cassepipes,<br />
des armes qui ont déjà servi. Tu<br />
AP LP ÉA RT O4<br />
1- M-4<br />
2- Lance-roquettes<br />
1<br />
2<br />
peux avoir du neuf, mais au début, tout le monde en récupère<br />
une d’occasion.<br />
F : En tout cas je ne fais pas l’ancien, mais les armes on sait<br />
très bien où ça se trouve.<br />
H : Putain, mais déjà c’est facile pour en avoir ici, alors imagine<br />
si c’était comme aux États Unis. Déjà, en ce moment,<br />
ici, y’a un mort par mois, tué par balle. Alors que c’est un<br />
truc de ouf à la base pour se procurer une arme. Aux États-<br />
Unis ils s’allument comme des dingues tous les jours, ce<br />
serait pareil ici, on s’allumerait pour rien.<br />
F : T’achètes ton steak, tu vas au rayon gâteaux et le rayon<br />
d’après c’est les balles…<br />
H : Eux, ils sont tous armés.<br />
F : A l’inverse, peut-être qu’ici, si tout le monde pouvait avoir<br />
des armes, personne ne ferait le malin dehors, parce que tu<br />
sais qu’à tout moment, tu peux te faire douiller gratuitement,<br />
y’en aurait peut-être aucun qui essaierait d’arracher un sac<br />
ou de voler une voiture. Parce que le mec, tu vas lui voler<br />
sa voiture, il va te laisser partir et il va t’allumer : légitime<br />
défense.<br />
Si tu regardes bien, s’il n’y avait pas les armes, ça changerait<br />
beaucoup de choses. Que tu sois courageux ou pas, balèze<br />
ou pas, c’est la même chose, tu presses une détente, une<br />
balle sort qui tue quelqu’un. Que tu sois une baltringue, que<br />
tu sois le plus fort, à ce moment là, ça ne compte pas. C’est<br />
là où tu te rends compte du rôle important que jouent les<br />
armes dans la rue.<br />
Si tu les supprimes, comment tu vas régler tes histoires?<br />
Si jamais t’as peur d’untel, tu ne veux pas aller au contact,<br />
tu veux le régler mais tu fais comment si t’as rien? T’es obligé<br />
d’aller au contact, ça changerait trop de choses.<br />
Avec le temps ça raisonnerait les gens.<br />
P L A T 4<br />
79
C’est une ambivalence impossible quand même,<br />
votre rapport aux armes. Vous ne pouvez pas vous<br />
en séparer pour toutes les raisons qu’on a abordées<br />
plus haut, mais en même temps, elles vous<br />
enlèvent des gens, des proches. Deux aspects d’un<br />
même objet. Comment tu réagis face à ça?<br />
F : Ça me dégoûte quelque part. Dans mon cas, il y a un<br />
petit moment, j’avais des armes à la maison. Des potes venaient<br />
et on rigolait, desfois sur certains sons on les sortait,<br />
pour rigoler entre nous, se taper un petit délire. On s’amuse,<br />
on se braque, on parle des embrouilles : « Tiens, si lui, il fait<br />
un truc je le fume, si eux, ils s’attaquent à telle personne, je<br />
les fume ». On parlait de tuer des gens, mais du jour au lendemain,<br />
la réalité nous a rattrapés. On a perdu trop de gens<br />
d’un seul coup, pour des embrouilles qui n’en valaient pas<br />
la peine. C’est là où tu te dis que toi, un jour dans ta vie, tu<br />
aurais pu faire cette connerie. J’aurais pu enlever un fils à<br />
une mère, anéantir une famille, anéantir des amis. C’est une<br />
ambiguïté qui te retourne, tu te dis qu’un jour, sur un coup<br />
de folie ou pour une embrouille qui est partie trop loin, je<br />
peux douiller, je peux tuer quelqu’un, sans le vouloir ou en<br />
le voulant, mais quand tu as vécu un deuil, tu comprends<br />
les dommages que tu peux infliger derrière un coup de feu.<br />
Mais des deux côtés, toi tu peux douiller quelqu’un et 3 ans<br />
après, pour toi, l’histoire est oubliée, t’es dans ta voiture<br />
avec ta gamine et tu te fais fumer.<br />
C’est quoi la hiérarchie d’événements qui vont te<br />
pousser à te servir d’une arme alors ?<br />
F : Première chose, la famille. J’ai pas 70 personnes dans<br />
ma famille. Tu touches à un des miens, je t’enlève la vie,<br />
sans regrets, sans scrupules. Je ne voudrais pas enlever la<br />
vie à quelqu’un pour de l’argent, pour de la drogue, pour un<br />
terrain, pour des embrouilles de cités. C’est pas ça la vie.<br />
Tu construis une famille, tu fais ta vie, tu veux être un individu<br />
normal. Nous on emprunte des chemins qui vont nous<br />
forcer, un jour, à utiliser ce genre de choses. À nous à ce<br />
moment là de relativiser ou d’agir et assumer après.<br />
Deuxième chose, c’est mes potes. Les gens avec qui je suis,<br />
jours et nuits, certains sont comme mes frères, j’ai partagé<br />
des trucs avec eux, je regardais à droite, ils étaient là, où<br />
personne n’allait et eux, ils étaient là. Tu leur fais un truc, tu<br />
me fais un truc à moi. C’est logique. Tu as tout traversé avec<br />
moi et tu as une embrouille avec lui, tu veux lui faire du mal<br />
au point de nuire à sa vie, à ce moment-là, s’il faut prendre<br />
les armes, j’y vais. J’y vais les yeux fermés. Ces gens-là,<br />
si jamais j’ai une galère, je sais que je pourrai compter sur<br />
eux. Tu aimes savoir que tu n’es pas tout seul. Le jour où tu<br />
as une couille, il y a des frères qui sont là, qui sont prêts à<br />
mettre les gants pour toi, t’es content.<br />
Franchement c’est un truc de salope de penser comme ça,<br />
mais dans la rue t’es obligé. Rester seul, ça n’existe pas.<br />
Pour K. et M.<br />
(Les prénoms ont étés modifiés)<br />
P L A T 4<br />
81
1<br />
8<br />
P L A T 5<br />
DEPUIS BIENTÔT 20 ANS UNE PETITE MUSIQUE LENTEMENT MAIS SÛREMENT S’EST TRANS-<br />
FORMÉE EN SYMPHONIE WAGNÉRIENNE ; DES PETITES TROMPETTES SUR LES BANDES DE<br />
JEUNES DE L’ARCHE DE LA DÉFENSE NOUS SOMMES PASSÉS, DE VAULX-EN-VELIN AUX<br />
SAUVAGEONS, DE 2005 À VILLIERS-LE-BEL AU SON DES HAUTBOIS QUI SONNENT ET DES<br />
MUSETTES QUI RÉSONNENT.<br />
SAUF QUE CE N’EST PAS LE BAL DU SAMEDI SOIR, MAIS L’ORCHESTRE DE TOUS LES JOURS.<br />
GROSSE CAISSE QUI TAMBOURINE, BATTEMENT DU CHŒUR SOCIAL, TOUS EN CŒUR :<br />
“INSÉCURITÉ“.<br />
UNITÉ DE BRUIT MÉDIATIQUE. BRUIT DE FOND PERMANENT.<br />
EN LE VIVANT TOUS LES JOURS, NOUS NOUS CROYONS ET C’EST HUMAIN, LES PREMIERS<br />
À SUBIR CE REFRAIN ENTÊTANT. C’EST PEUT-ÊTRE VRAI À CE NIVEAU DE DÉCIBELS, MAIS<br />
CE N’EST PAS NOUVEAU.<br />
“LES BANDES DE JEUNES - DES «BLOUSONS NOIRS» À NOS JOURS“ EST UN LIVRE QUI<br />
NOUS LE RAPPELLE CONSCIENCIEUSEMENT : DÈS QUE LES JEUNES SE SONT CONSTRUITS<br />
UN UNIVERS BIEN À EUX, SUR FOND DE TRANSFORMATIONS SOCIALES ET DE CULTURE<br />
ROCK, ILS ONT FAIT PEUR. C’ÉTAIENT LES «BLOUSONS NOIRS».<br />
SUR FOND D’AUTRES TRANSFORMATIONS SOCIALES ET DE CULTURE RAP, CETTE PEUR<br />
DIFFUSE A MUTÉ EN «SENTIMENT GÉNÉRAL D’INSÉCURITÉ».<br />
RETOUR AVEC LAURENT MUCCHIELLI, UN DES COORDINATEURS DE CE LIVRE SUR CETTE HIS-<br />
TOIRE, ET CETTE ACTUALITÉ QUI MÊME SANS ACTUALITÉ, FAIT LA BANDE SON DE NOS J.T.<br />
ET DES DISCOURS DE MOINS EN MOINS POLICÉS DE NOS POLITICIENS.<br />
P L A T 5<br />
83
Dans le livre, il y a un article très intéressant<br />
de Sébastien Le Pajolec sur “Le cinéma des<br />
blousons noirs“ où il nous expliquecomment<br />
« “L’équipée sauvage” a servi d’alibi à la<br />
création médiatique d’un stéréotype social ».<br />
Est-ce que “La Haine” a pu, paradoxalement,<br />
jouer ce même rôle, de film détonateur?<br />
Je ne suis pas sûr que ce film ait joué le même rôle. Il a<br />
joué un rôle oui, en mettant des images sur ces fameuses<br />
“cités“ dont 90 % de la population française, a fortiori celle<br />
en dehors des grandes agglomérations, n’avait aucune<br />
connaissance directe. S’ils avaient vu une cité, c’était éventuellement<br />
sur une autoroute, et de loin… En mettant ces<br />
images dans un film qui se voulait réaliste, sans doute que<br />
de ce côté-là malheureusement, ça a contribué à renforcer<br />
certaines peurs. Dans le même temps, le film a aussi une<br />
trame explicative ; je me souviens que Matthieu Kassovitz<br />
disait régulièrement à l’époque qu’il avait voulu faire un film<br />
aussi sur la violence policière : ceux qui ont voulu le regarder<br />
autrement ont pu le regarder autrement.<br />
Ceci dit, le phénomène est réel et par exemple dans mon<br />
travail sur les tournantes, on peut se rendre compte que le<br />
point de départ de la panique médiatique n’était même pas<br />
un fait divers particulièrement grave. On aurait pu imaginer<br />
une histoire extrêmement sordide avec vingt jeunes au fond<br />
d’une cave mais pas du tout… C’est un film qui a déclenché<br />
cela : “La Squale”. Un film qui n’est pas, j’insiste, un film réaliste<br />
mais qui, en partie par l’auteur, en partie par les médias,<br />
a été présenté comme un documentaire alors que, encore<br />
une fois, c’est une pure fiction qui d’ailleurs raconte principalement<br />
tout autre chose : l’histoire d’une jeune fille qui<br />
cherche son père… Mais qui s’ouvre sur une scène de viol<br />
collectif. C’est ce que les médias ont retenu et c’est ce film<br />
qui a déclenché la panique médiatique. Ça, je l’ai démontré<br />
dans le bouquin. Le phénomène est bien réel mais le rôle<br />
des images, et de la façon dont on s’en empare, comme si<br />
c’était des sortes de documents, sont tout à fait importants<br />
pour comprendre l’interprétation qui est donnée. Et cette<br />
interprétation peut clairement déformer le réel.<br />
84<br />
P L A T 5<br />
2<br />
Et d’ailleurs, l’association Ni Putes Ni Soumises<br />
s’est crée avant ou après cette “panique<br />
médiatique” ?<br />
La panique morale, comme je l’appelle, sur l’affaire des<br />
tournantes a eu deux phases : la première, c’est le film qui<br />
la déclenche, fin 2000, début 2001. Et puis ça a rebondi,<br />
fin 2001, début 2002, dans le contexte de l’après 11 septembre,<br />
de la grande peur de l’Islam, et de l’islamophobie.<br />
C’est dans cette deuxième période qu’incontestablement le<br />
principal lobby qui a joué pour ériger cette question sur la<br />
scène politique, c’est effectivement l’association Ni Putes Ni<br />
Soumises. Avec l’incroyable couverture politique et médiatique<br />
dont elle a bénéficié, dans laquelle elle a été prise sans<br />
1/2-Marlon Brando dans “Léquipée Sauvage”<br />
“The Wild One” de Laslo Benedek<br />
3-“Arrestations” in Paris Match n°539<br />
Photos Roger Coral, J.C Sauer<br />
3<br />
doute elle-même, l’ayant favorisée et<br />
se faisant sans doute dépassée par elle<br />
aussi, amenant petit à petit ses représentants<br />
et notamment sa présidente<br />
Fadela Amara à contribuer en réalité et<br />
principalement à nourrir la stigmatisation<br />
et les amalgames qui pèsent sur<br />
les jeunes des quartiers qu’on présente<br />
comme fatalement violents, violents<br />
envers les femmes parce que d’origine<br />
maghrébine ou africaine, parce que<br />
musulmans, au fond prédisposés à la<br />
violence pour ces raisons-là. Ce qui<br />
s’est retourné contre l’association, ce<br />
qui fait que le discours de l’association<br />
a été à la fois extrêmement bien reçu<br />
dans les mondes politique et médiatique<br />
et extrêmement mal perçu dans<br />
les quartiers en question (...)<br />
Pour rester aux “bandes de jeunes”, est-ce que toute la difficulté<br />
du travail sociologique ne consiste pas un peu à déconstruire<br />
justement ces “réalités” construites par les médias et<br />
les politiques ?”<br />
C’est toute la difficulté de l’exercice du métier de sociologue face à des médias,<br />
des lobbies ou des politiques qui, dès lors que l’on va précisément déconstruire,<br />
à commencer par le langage qu’ils utilisent, vont s’empresser de dire que l’on<br />
cherche à nier des problèmes réels…<br />
Ce sont évidemment deux dimensions différentes. Il ne s’agit pas du tout de nier<br />
des problèmes réels, mais de proposer une autre façon de les analyser, et de<br />
refuser la langue, les catégories politiques, ou médiatiques. Du style les “gangs”<br />
pour qualifier n’importe quel groupe de jeunes. Du style les “guet-apens” pour<br />
justifier a posteriori des affrontements qu’on a en partie provoqué par des méthodes<br />
tout aussi agressives et provocatrices qu’ont malheureusement beaucoup<br />
de policiers peu encadrés et peu formés, et balancés en première affectation<br />
dans les quartiers les plus durs.<br />
Quant aux médias, ils regardent ça de loin, ils s’emparent et fabriquent des scandales<br />
parce qu’ils fonctionnent beaucoup à ça, ils adorent ça parce que cela<br />
donne à la fois la position du moralisateur, du bienfaiteur qui dénonce, et la possibilité<br />
de faire de bons tirages.<br />
Quand on remonte dans l’histoire, ce que je fais régulièrement, par exemple à<br />
P L A T 5<br />
85
4<br />
86<br />
4-“La Haine” Paris Match Février 1978<br />
5-“Blousons noirs”<br />
Photos Yan Morvan<br />
“Gang” Ed. Marval<br />
l’époque des “blousons noirs” au début des années 60,<br />
on retrouve à peu près les mêmes phénomènes de mise<br />
en scène, de panique et surtout donc malheureusement, de<br />
propagation d’éléments d’explications que nous trouvons<br />
très critiquables. Alors que par ailleurs, il y a des problèmes,<br />
mais d’autres façons de les analyser.<br />
P L A T 5<br />
5<br />
Et pour ce genre de sujets, les médias ont besoin de ce que<br />
Stanley Cohen appelle « les experts officiellement accrédités<br />
», ces fameux “experts” médiatiques, toujours les mêmes<br />
et qu’on peut compter sur les doigts des deux mains, notamment<br />
Alain Bauer et Xavier Raufer…<br />
<strong>Tout</strong> à fait, je les ai d’ailleurs identifiés depuis longtemps, c’est mon premier texte,<br />
qui concernait ces « nouveaux experts de la sécurité » (dont le tandem Alain Bauer<br />
- Xavier Raufer), écrit début 1999, ce qui fait presque 10 ans… Ces experts, qui<br />
ne sont ni des chercheurs ni des universitaires, ont une stratégie de légitimation<br />
universitaire et scientifique… C’est la couverture on va dire, ce qu’il faut pour se<br />
présenter en tant qu’experts alors même qu’il n’y a pas d’expertise validée par<br />
le monde universitaire et de la recherche -ils n’ont jamais publié un seul article<br />
dans une revue qui évalue les textes et sans doute que s’ils le tentaient, ils seraient<br />
recalés vite fait parce que précisément, ils ne respectent pas les critères<br />
scientifiques… Mais ils ont besoin de ça pour pouvoir se présenter comme tels<br />
et jouer sur tous les tableaux. Pour eux, l’objectif n’est pas la connaissance pour<br />
la connaissance, contrairement aux chercheurs ; leur objectifs sont évidemment<br />
politiques et à certains égards, économiques aussi, parce qu’il ya bien sûr un<br />
business de la sécurité…<br />
Les mots sont importants : est-ce que le mot “gang” ne porte<br />
pas en lui un contenu et un contexte plus américains que<br />
français et que le mot “bande” avec ce qu’il ce supposerait<br />
de moins organisé et structuré reflète mieux une réalité française<br />
?<br />
On peut dire que c’est juste une question de mots, ou que celui de “gang” est<br />
simplement l’expression ordinaire aux Etats Unis pour dire “bande” -il n’y en a<br />
pas d’autre. En réalité, pourquoi pas utiliser l’expression de “gang” lorsqu’on a à<br />
faire avec des groupes véritablement organisés autour d’une activité, qui est l’activité<br />
délinquante. Mais d’un autre côté, il existe aussi des expressions telles que<br />
“bandes de malfaiteurs” ou “bandes organisées” qui signifient la même chose.<br />
<strong>Tout</strong> le problème est d’éviter les amalgames<br />
qui tournent autour de la notion<br />
de “bande” en général parce qu’un<br />
groupe de copains qui peut être impliqué<br />
dans des faits délictueux, en particulier<br />
des faits délictueux qui naissent<br />
d’une opération de contrôle policier<br />
par exemple, ce groupe de copains<br />
n’est pas pour autant une bande organisée<br />
dans la délinquance. Je ne parle<br />
évidemment pas du groupe de copains<br />
qui a l’habitude d’être en groupe, qui<br />
peut susciter de la peur, qui peut éventuellement<br />
faire des incivilités mais qui<br />
n’est pas non plus pour autant structuré<br />
autour d’une activité délinquante.<br />
Sachant par ailleurs que le propre de<br />
l’adolescence, c’est de fonctionner<br />
en bande, en groupe. Effectivement,<br />
utiliser un seul mot pour désigner des<br />
réalités aussi différentes, par définition<br />
c’est favoriser les amalgames.<br />
P L A T 5<br />
87
Un autre grand et gros mot : est-ce qu’on peut<br />
qualifier la réalité des cités françaises du mot<br />
de “ghetto” ? Et est-ce qu’il y a des ghettos<br />
français ?<br />
Oui et non. Comme l’a dit souvent et à juste titre mon collègue<br />
Loïc Wacquant, on ne peut pas parler de ghetto si immédiatement<br />
on suggère des comparaisons avec d’autres<br />
pays (…) où la situation n’a rien à voir. Pour au moins deux<br />
raisons : dans les quartiers populaires français, d’abord il n’y<br />
a pas d’“homogénéité ethnique” comme on dit, avec plein<br />
de guillemets et ensuite, il n’y a pas non plus de disparition<br />
des services publics. Il y a plein de gros problèmes mais on<br />
ne peut pas dire que ce soient des ghettos.<br />
On n’est pas non plus sur les mêmes dimensions parce qu’à<br />
la limite en France, on a toujours l’image et le fantasme de la<br />
situation américaine, mais les véritables ghettos où les situations<br />
sont les plus dramatiques et où les coupures d’avec le<br />
reste de la société sont les plus fortes, ce n’est plus aux E.-<br />
U. qu’on les trouve mais dans les pays d’Amérique latine, en<br />
Afrique du Sud etc. Où là, l’on est véritablement dans des<br />
mondes séparés et néanmoins collés les uns aux autres,<br />
avec des niveaux d’absence de régulation étatique et des<br />
niveaux de violence qui sont absolument sans commune<br />
mesure avec ce que nous connaissons en Europe. Donc,<br />
de ce point de vue, moi je m’abstiens la plupart du temps<br />
d’employer le mot ghetto.<br />
88<br />
P L A T 5<br />
6<br />
5<br />
En revanche, je pense qu’il faut employer l’expression «processus de ghettoïsation»,<br />
pour indiquer des tendances, des possibilités si on ne fait rien, des situations<br />
qui évoluent. Parce que la situation des quartiers populaires se dégrade, et<br />
ne cesse de se dégrader. Et ce n’est pas une représentation catastrophiste que<br />
de dire ça. Ce sont des indicateurs de type socio-économique et démographique<br />
qui le disent : c’est l’INSEE qui a défini ces zones qu’elle appelle “Zones Urbaines<br />
Sensibles” en fonction d’une série d’indicateurs, et lorsqu’on les mesure, de<br />
recensement en recensement, on s’aperçoit que -pas tous les quartiers, certains<br />
vont mieux- une grande partie de ces ZUS se dégradent en termes de taux de<br />
chômage, de pauvreté etc.<br />
Ça me semble donc intéressant de parler d’un processus de ghettoïsation à la fois<br />
pour désigner ces problèmes de type socio-économique, mais aussi de ce que ça<br />
génère en termes de psychologie collective. Le processus de ghettoïsation, c’est<br />
aussi dans la tête, dans la mentalité du ghettoïsé : on voit bien que dans beau-<br />
5-“Rockers”<br />
Casse auto de Montreuil,1975<br />
6-“Fifties” Nogent sur Marne,1977<br />
7-“Rockers” Bastille,1975<br />
Photos Yan Morvan<br />
“Gang” Ed. Marval<br />
coup de quartiers -encore une fois : en<br />
France, avec sa situation bien à elle- il<br />
y a aussi une coupure mentale. C’est<br />
dans la tête que beaucoup de jeunes<br />
pensent qu’ils sont dans un monde<br />
différent du reste. Et cette coupure-là,<br />
cette barrière entre eux et nous, que la<br />
société leur renvoie en permanence et<br />
que eux, évidemment, finissent par reprendre<br />
à leur compte et retourner à la<br />
société -c’est le phénomène classique<br />
de stigmatisation / contre stigmatisation<br />
; racisme / contre racisme etc.- ce<br />
processus, on voit bien qu’il est à l’œuvre,<br />
bien sûr.<br />
Sur l’expression “homogénéité<br />
ethnique”, ou “bandes aux<br />
membres d’origine subsaharienne”<br />
comme disent les<br />
RG, je crois bien que la première<br />
fois qu’on a parlé de<br />
bandes ou de gangs dans les<br />
média, c’est notamment avec<br />
le magazine Globe à l’époque<br />
des Requins Vicieux ou des<br />
Black Dragons par exemple,<br />
et l’on parlait déjà de bandes<br />
de <strong>Noir</strong>s, ou de Zoulous pour<br />
euphémiser…<br />
Ça remonte à la fin des années 80, ça<br />
fait donc 0 ans maintenant, ce qu’on<br />
oublie toujours. Dans le monde des<br />
bandes, définis ici comme des groupes<br />
de grands adolescents ou de jeunes<br />
adultes qui ont des activités clairement<br />
tournées sur la délinquance, qui<br />
sont en groupe autour de ces activités,<br />
quel que soit le niveau -après, il y a des<br />
partages, ce n’est pas forcément la<br />
grande délinquance- dans ce mondelà<br />
il est certain qu’on peut rencontrer<br />
des bandes où les individus ont tous<br />
des familles qui ont les mêmes origines<br />
P L A T 5<br />
7<br />
89
8<br />
géographiques, si on veut parler correctement et éviter ce vocable ethnique qui<br />
n’a pas de sens, si ce n’est des facilités de langage, avec ses effets pervers. On<br />
peut en rencontrer, comme on peut ne pas en rencontrer, pourquoi ? Parce que le<br />
critère n’est pas là, le critère c’est tout simplement le quartier d’habitat d’où viennent<br />
ces jeunes, les territoires où ils sont -“territoires“ entendus jusqu’au sens<br />
restreint du micro quartier (les deux barres qui entourent la place). Quand on a<br />
des territoires à grande mixité sociale et d’origine, on va trouver des bandes qui<br />
reflètent largement ça ; inversement, si l’on va dans des territoires où les jeunes<br />
qui habitent là sont 9 fois 10 Blacks ou Beurs, les bandes seront composées de<br />
Blacks ou de Beurs, ce n’est pas étonnant. Juste le décalque de leur réalité démographique.<br />
Ensuite, les jeunes des bandes qui pratiquent des activités tournées autour de<br />
la délinquance ont pour principal point commun dans leurs trajectoires, l’échec<br />
scolaire. En réalité, il faudrait même les comparer avec la partie des jeunes de ce<br />
territoire qui sont en échec scolaire. Or il se trouve que les jeunes dits d’origine<br />
immigrée, on le sait, sont statistiquement plus défavorisés que les autres par<br />
rapport à la réussite scolaire, plus en échec. Autrement dit, si l’on prend la par-<br />
90<br />
tie des jeunes de ce quartier en échec<br />
scolaire, on a encore plus de jeunes<br />
issus de l’immigration. Que les bandes<br />
soient à l’image de ce monde-là,<br />
c’est la logique absolue puisque c’est<br />
là qu’on les recrute. C’est ça qu’il faut<br />
faire comprendre.<br />
La première logique, c’est le territoire<br />
d’un quartier précis, ces jeunes sont<br />
avant tout des jeunes qui se connaissent<br />
et qui ont grandi ensemble, à<br />
l’image de la jeunesse de ce quartier ;<br />
a fortiori si l’on ajoute le critère déterminant<br />
de l’échec scolaire, ils sont<br />
à l’image des jeunes en échec de ce<br />
quartier. Il n’y a pas besoin d’aller chercher<br />
des origines, des ethnies ou je ne<br />
sais quoi pour analyser le phénomène.<br />
Est-ce qu’on peut aussi simplement<br />
grâce au préfixe<br />
«ban» (banlieues, bandes,<br />
bandits, bannissement …) se<br />
permettre le raccourci : bandes<br />
= banlieue, alors que par<br />
exemple, les Requins Vicieux<br />
encore une fois, venaient à la<br />
base de Paris intra muros, du<br />
XIXè ?<br />
C’est l’idée de la mise à l’écart mais je<br />
ne sais jusqu’à quel point il faut utiliser<br />
ça, parce que peu de gens savent, en<br />
réalité, que les banlieues sont les lieux<br />
du ban. Mais ce qui est certain, c’est<br />
qu’on parle bien de phénomènes d’exclusion.<br />
Ce qu’il faut toujours rappeler,<br />
c’est que derrière les questions de délinquance<br />
juvénile se cache en réalité<br />
le problème de l’insertion sociale des<br />
jeunes.<br />
En fait, à quoi tout jeune rêve dans la<br />
vie ? Qu’est-ce que c’est pour un jeune<br />
de devenir un adulte ? C’est de réunir<br />
progressivement trois éléments.<br />
Le premier : avoir un travail, au double<br />
sens d’ailleurs d’un statut social et d’un<br />
revenu. D’un statut, parce que quoi<br />
8/9/10-“Del Vickings” Paris<br />
Photos Gilles Cohen<br />
(Zoom Magazine)<br />
P L A T 5<br />
9<br />
P L A T 5
qu’on dise, quand des adultes qui ne<br />
se connaissent pas se rencontrent au<br />
cours d’une soirée, la première question<br />
qu’on pose c’est : vous faîtes quoi<br />
dans la vie ? Et les gens répondent en<br />
parlant de leur métier, sauf quand ils<br />
n’en ont pas. Il est rare chez un adulte<br />
de répondre à cette question «je suis<br />
fan de telle ou telle musique»… Que<br />
l’on veuille ou non, cela reste le cœur<br />
de l’identité sociale : avoir une place,<br />
un statut, avoir une valeur sociale et<br />
se sentir utile etc. C’est subjectif mais<br />
c’est extrêmement important, c’est en<br />
partie ce qui fait tenir droit les individus<br />
et ce qui les tient ensemble, autrement<br />
dit c’est ce qui fait une société.<br />
Puis il y a le revenu, et là c’est très objectif<br />
: si on n’a pas de revenu, si on ne<br />
gagne pas ou pas assez d’argent, on<br />
ne peut avoir le deuxième élément de<br />
l’insertion sociale et du devenir adulte,<br />
qui est la capacité à prendre un logement.<br />
Partir de chez papa et maman,<br />
c’est aussi ça, devenir un adulte. Sans<br />
revenus liés au travail, impossible.<br />
Alors un film comme “Tanguy” fait sourire<br />
dans les milieux aisés mais dans<br />
les quartiers populaires, ça ne fait pas<br />
rire du tout : quand vous êtes un jeune<br />
homme de 5, 30 ans encore obligé<br />
de rentrer en catimini le soir chez ses<br />
parents ou d’aller dormir chez des copains,<br />
avec un père qui vous regarde<br />
de travers tous les jours sur le mode<br />
« tu fous rien, t’as pas de travail, tu ramènes<br />
pas d’argent », c’est extrêmement<br />
humiliant, et une vraie souffrance.<br />
Ça, c’était le deuxième critère : si<br />
pas de travail, pas de revenu, et pas de<br />
logement.<br />
C’est seulement si vous avez tout ça<br />
que vous êtes en condition pour la<br />
troisième étape qui est de vous mettre<br />
en couple et fonder à votre tour votre<br />
propre famille, ce qui est l’accomplissement<br />
du devenir adulte et la fin définitive<br />
de la jeunesse.<br />
9<br />
C’est ce processus-là, d’une très grande<br />
banalité, et pourtant absolument<br />
fondamental, c’est ce processus qui<br />
est bloqué aujourd’hui pour une partie<br />
de la jeunesse, en particulier dans<br />
ces quartier mais pas seulement -il y a<br />
de la misère, de la pauvreté et de l’absence<br />
d’insertion aussi chez les jeunes<br />
en milieu rural, mais il est plus concentré<br />
dans ces quartiers- et c’est ça qui<br />
se cache derrière tous nos problèmes,<br />
en réalité. Et que malheureusement<br />
l’on ne veut pas voir, ou pas comprendre<br />
: cette impossibilité d’y accéder<br />
et même pour une partie des jeunes,<br />
la conviction qu’ils n’y arriveront pas,<br />
que c’est pas pour eux etc. D’où fatalement,<br />
cette coupure avec les normes<br />
de la société, cette justification de se<br />
débrouiller en dehors du système parce<br />
qu’au fond, quand on fait des entretiens<br />
avec tous ces jeunes qui sont dans la<br />
délinquance, le “business” ou autre, on<br />
arrive toujours à cette justification. Cette<br />
possibilité d’acquérir un statut, dans<br />
un système régi par d’autres règles…<br />
Un statut par défaut. Et de manière<br />
générale d’ailleurs, parce que l’identité<br />
délinquante, la délinquance quand on<br />
la pratique de façon routinière, ce n’est<br />
pas juste une activité, c’est un rôle,<br />
une place qui est connue des autres,<br />
cette identité est une identité par défaut,<br />
faute d’une autre.<br />
Dans un autre des articles du livre, Yves Pedrazzini, écrit que<br />
« le spectre de la violence hante les villes. Il s’incarne dans la<br />
forme de la bande d’adolescents des quartiers pauvres. Sous<br />
le nom de “gang”, elle est la figure emblématique du devenir<br />
violent et fragmenté de la grande ville » : est-ce que les bandes<br />
de jeunes ne sont pas simplement la pointe immergée de<br />
l’iceberg, la peur collective de la “jungle urbaine” et des dangers<br />
qu’elle recouvre ?<br />
Oui, c’est plus globalement l’image de la jeunesse et je pense à des travaux<br />
d’historiens là dessus, cette jeunesse qui, dans toutes les sociétés, a toujours été<br />
associée au désordre. D’ailleurs, les sociétés anciennes avaient même ritualisé<br />
le fait que la jeunesse crée du désordre et en avait fait une fonction, avec des<br />
moments particuliers d’expression et de tolérance du désordre : ce sont les carnavals,<br />
le charivari, les désordres des jeunes. C’est une constante. Je dirais que<br />
par définition, l’âge adulte est le moment de l’établissement, de l‘intégration et<br />
de la soumission aux normes en quelque sorte mais ce qu’on ne veut pas com-<br />
P L A T 5<br />
10<br />
11/12-“La Haine”<br />
de Mathieu Kassovitz 1995<br />
13- Photo Yan Morvan<br />
“Gang” Ed. Marval<br />
11<br />
prendre dans la société actuelle, c’est<br />
que cette intégration, cette normalisation<br />
si on veut, n’est pas un processus<br />
mental de l’ordre de la décision : « j’ai<br />
décidé que je vais m’intégrer dans la<br />
société » ou « euh non, finalement, tout<br />
compte fait je ne vais pas m’intégrer »,<br />
ce n’est pas une décision comme s’il<br />
y avait un choix rationnel et qu’on décidait<br />
de le faire ou de ne pas le faire.<br />
C’est la conséquence en réalité du fait<br />
qu’on puisse remplir un certain nombre<br />
de conditions d’insertion qui font qu’au<br />
bout d’un moment effectivement, ça<br />
s’accompagne d’une conversion identitaire,<br />
de l’abandon de conduites juvéniles<br />
et l’adoption d’un style de vie<br />
plus normé, adulte, posé, avec abandon<br />
d’un certain nombre de conduites<br />
13<br />
P L A T 5<br />
12<br />
93
14 15<br />
à risques qui sont le propre de la jeunesse…<br />
C’est ça qu’on ne veut pas comprendre en accusant ces<br />
jeunes de ne pas vouloir, voire même de choisir cette vie,<br />
avec aujourd’hui et de façon dramatique, la banalisation de<br />
cette pseudo théorie de la délinquance qui serait l’explication<br />
par le choix rationnel, qui est une aberration totale,<br />
parce que ça revient à dire que les jeunes se disent : « alors<br />
moi, dans 10 ans, je rêve d’avoir un commerce et une baraque<br />
à tel endroit, donc il me faut environ 150 000 € donc je<br />
vais choisir la délinquance plutôt que de faire un mastère de<br />
droit commercial, un emprunt et travailler ». Non ! Ce n’est<br />
pas comme ça que ça se passe : on ne choisit pas une trajectoire<br />
de marginalité et d’exclusion ! On y est la plupart du<br />
temps poussé parce que l’on est en situation d’échec dans<br />
la “vie normale”. Ces théories du choix rationnel ne sont<br />
au fond que des rationalisations a posteriori produites par<br />
des gens bien propres sur eux qui ne savent pas de quoi ils<br />
parlent.<br />
14-“Eddy” Black Dragoons<br />
second général de Yves<br />
15-“Yves” chef des Black Dragoons<br />
Photo Yan Morvan<br />
“Gang” Ed. Marval<br />
94<br />
P L A T 5<br />
17<br />
Et le fait que ces sottises reviennent dans le débat est emblématique<br />
de cette mode idéologique dans laquelle nous<br />
sommes baignés, ce refus d’explications, cet enfermement<br />
de l’individu dans l’individualité, ce fait de tout ramener vers<br />
les choix individuels, la responsabilité individuelle. En fait,<br />
le but est d’autoriser l’ensemble de la société, l’ensemble<br />
du monde des adultes, à effectuer une sorte de démission<br />
collective face à son devoir d’éducation et d’insertion de la<br />
jeunesse. Et si cela marche bien c’est que sans doute, cela<br />
profite du sentiment d’impuissance que beaucoup de gens<br />
éprouvent sincèrement. Quand beaucoup de gens qui travaillent<br />
avec ces jeunes dans ces quartiers difficiles ont ce<br />
16<br />
16-“Zulus”<br />
17-“Rocky” chef des Ducky Boys<br />
18- “Ducky Boys” Paris,1989<br />
Photo Yan Morvan<br />
“Gang” Ed. Marval<br />
sentiment d’impuissance, ils l’ont non<br />
pas parce qu’ils n’arrivent à rien mais<br />
parce que le niveau de problèmes et<br />
les moyens qu’ils ont en face sont souvent<br />
en décalage ; leurs moyens sont<br />
même parfois dérisoires, de quoi aider<br />
réellement 3, 4, 5, 6 jeunes mais s’il y<br />
en a 30… Il y a des effets de seuil, des<br />
effets de masse donc souvent un sentiment<br />
d’impuissance de la part des professionnels<br />
de terrain, des associatifs,<br />
18<br />
voire des élus locaux. Je pense que ce<br />
discours de type idéologique en réalité<br />
sur la responsabilité individuelle nous<br />
pousse tous dans une espèce de démission<br />
collective qui profite des difficultés<br />
objectives du travail (social) et<br />
du sentiment d’impuissance.<br />
Pour rebondir sur ce discours<br />
idéologique qui refuse<br />
de contextualiser les choses,<br />
qu’on dit sarkozyste mais<br />
dans lequel quasiment tout le<br />
monde baigne, des politiques<br />
à la majorité des électeurs,<br />
des journalistes aux experts<br />
accrédités, peut-on encore<br />
faire entendre une autre langue,<br />
de type sociologique qui<br />
tente d’englober des parcours<br />
individuels dans des processus<br />
sociaux ?<br />
Bien sûr, dans les hautes sphères du<br />
pouvoir actuel, “sociologue“ est une<br />
insulte… C’est très clair, c’est un sujet<br />
à moqueries. Je peux raconter<br />
cette anecdote parce qu’elle est extrêmement<br />
significative : un collègue<br />
(Christian Mouhanna) a raconté dans<br />
un article qu’il avait donc assisté à<br />
une réunion dans ces hautes sphères<br />
dont vous parlez, à l’époque je crois<br />
où l’actuel président de la République<br />
était encore ministre de l’Intérieur, à la<br />
fin d’un discours, la blague de Nicolas<br />
Sarkozy consistait en : « vous vous<br />
rendez compte, il y a même des socio-<br />
logues qui font des thèses sur les banlieues…<br />
! » (rires gras)… Ça en dit long<br />
sur ce refus de comprendre.<br />
Comme une des petites phrases préférées<br />
de Nicolas Sarkozy : « expliquer<br />
l’inexplicable, c’est justifier l’injustifiable<br />
», ce qui constitue une confusion<br />
volontaire entre la compréhension intellectuelle<br />
et la compréhension morale.<br />
Entre la compréhension intellectuelle et<br />
l’encouragement, la validation morale.<br />
Cet amalgame volontaire vise évidemment<br />
à discréditer toute posture d’analyse.<br />
Pas d’analyse, pas de contexte,<br />
pas d’explication ; uniquement le Bien<br />
contre le Mal ou les gentils contre les<br />
méchants, qui vise à nous abrutir pour<br />
parler un peu radicalement, mais c’est<br />
malheureusement de ça dont il s’agit.<br />
Et qui ne peut que contribuer à renforcer<br />
la peur, c’est une des stratégies de<br />
la peur, refuser de comprendre, refuser<br />
d’expliquer, refuser de jeter la lumière<br />
sur des mécanismes qui ont produit tel<br />
problème. Dès lors cela veut dire s’empêcher<br />
de trouver une quelconque solution<br />
réelle aux problèmes parce que<br />
si on n’a pas analysé ses causes, on<br />
ne risque pas de trouver ses solutions.<br />
C’est pour ça que j‘écris dans l’introduction<br />
de “La frénésie sécuritaire”<br />
qu’on peut se demander dans quelle<br />
mesure la sécurité n’est pas devenue<br />
davantage une solution qu’un problème<br />
pour les politiques. Parce que la<br />
sécurité, et son entretien, est le moyen<br />
de montrer qu’ils se préoccupent d’un<br />
problème, ce qui suffit. Et il ne faut surtout<br />
pas que le problème disparaisse,<br />
ils seraient bien embêtés…<br />
“Les Bandes de jeunes - Des «blousons<br />
noirs» à nos jours“ : sous la<br />
direction de Marwan Mohammed et<br />
Laurent Mucchielli, La Découverte,<br />
collection “Recherches”, Paris, 007.<br />
À lire aussi : “La frénésie sécuritaire -<br />
Retour à l’ordre et nouveau contrôle<br />
social “ : Laurent Mucchielli, La Découverte,<br />
Paris, 008.<br />
P L A T 5<br />
95
1<br />
7<br />
2<br />
4<br />
3<br />
5 6<br />
8<br />
1/3/4/5/6-Thunder Valley<br />
2-El Cajon Carshow<br />
7/8-Norton Serie
dimitri.coste@orange.fr<br />
www.dimitricoste.com<br />
9<br />
14<br />
10<br />
15<br />
11<br />
1/2-El Cajon Carshow<br />
9/10/11/12/14/16<br />
-Désert Serie<br />
12<br />
13<br />
16
ALEA ACTA EST<br />
Amis des blogs musicaux, bonjour.<br />
Et bon courage.<br />
Va falloir trouver autre chose que la pépère mention «les morceaux ici présents<br />
ne sont là que pour un usage promo, soutenez les artistes, achetez leurs disques<br />
etc.“, pour continuer à servir de machine à buzz sans autorisation.<br />
Ou retourner au système habituel de la presse officielle.<br />
Parce que les gros labels, les gros calibres, pas de la roupie de sansonnet de<br />
petites maisons de disques tellement cool avec vous (et nous), mais l’industrie,<br />
la vraie, pas seulement celle de la musique, mais aussi celle de l’informatique et<br />
tutti quanti, dont les labos pharmaceutiques… elle rigole plus du tout.<br />
Leurs gros services juridiques et leurs cabinets d’avocats balèzes qui, à force de<br />
lobbying pour sauvegarder cette propriété intellectuelle qui protège nos indispensables<br />
auteurs que tout le monde sait bien sûr en voie d’extinction, sont en<br />
passe de réussir.<br />
C’est du lourd, mon coco.<br />
Tu vas bientôt oublier de balancer et de te servir en MP3 gratos, mais surtout<br />
tu vas oublier d’essayer de passer les frontières avec des trucs sans factures<br />
d’achat, parce que les douanes risquent d’avoir le droit d’inspecter sérieusement<br />
ton iPod, ton téléphone, en plus de ta valise à roulettes pour trouver des fringues<br />
bootleg.<br />
Ton fournisseur d’accès à Internet, ça va plus trop être ton ami, encore moins<br />
qu’aujourd’hui. Évidemment, l’usage des P P et des torrents deviendrait non<br />
plus un délit, mais un crime.<br />
Sans oublier de limiter les médocs génériques : c’est pas bon pour la santé des<br />
bénéfices.<br />
Nouvel Axe du Mal face au camp du Bien, celui des gens des compagnies.<br />
Les dits pirates, un peu Farc sur les bords de la jungle web doivent être éradiqués.<br />
SACEM needs you. Et la SACD aussi. Les talibans de l’écran vont faire moins les<br />
malins dans leurs chambres, on ira les chercher jusque dans leurs placards où<br />
ils se cacheront derrière leurs blousons, t-shirts et autres caleçons, et les chaussettes<br />
aussi.<br />
Mais chut, faut pas trop le dire, c’est secret. Top secret. Mission commando.<br />
Même Pascal Nègre et ses amis n’ont pas été invités à participer à ce cénacle :<br />
juste des gens très bien, pas des saltimbanques à balles, que des crânes d’œuf<br />
formatés ENA ou Harvard et autres pointus du cerveau droit, missi dominici de la<br />
Commission européenne, de la Chambres des représentants américains au commerce<br />
et tout plein d’agences gouvernementales, de l’Australie à l’Angleterre et<br />
d’autres pays amis<br />
Ça s’appelle ACTA. Anti-Counterfeiting Trade Agreement.<br />
Ou Accord commercial anti contrefaçon.<br />
100<br />
Et donc voilà, ça recommence comme<br />
en 14 comme disait mon grand tonton,<br />
c’est reparti comme il y a 10 ans : les<br />
éminences qui nous gouvernent vraiment<br />
depuis leurs bureaux, refont le<br />
coup de l’AMI, l’Accord multilatéral sur<br />
l’investissement, négocié secrètement<br />
dans les bureaux de l’OCDE entre 95 et<br />
97 et qui visait une libéralisation maxi<br />
maousse des échanges et donc des<br />
capitaux (pas des gens)…<br />
Et qui a amené ceux qui avaient eu<br />
accès à l’information par des voies détournées<br />
à créer un grand barouf anti<br />
AMI, juste en éventant le secret. Le dit<br />
syndrome de Dracula. Ce fut la création<br />
d’Attac.<br />
Sauf qu’aujourd’hui l’ACTA n’est pas<br />
du tout conçu pour libéraliser quoi que<br />
ce soit. Mais pour cadenasser le copyright,<br />
et les royalties du copyright.<br />
Subtilité de communication politique:<br />
mets moi “contrefaçon“ dans l’acronyme,<br />
mon vieux, ça fait mieux.<br />
Façon de brouiller les pistes en se servant<br />
d’un thème ayant bonne presse.<br />
Surtout avec ces satanés Chinois qui<br />
ne savent faire que piller notre savoir-<br />
F R O M A G E<br />
Modélisations D couleurs<br />
d’un web du World Wide Web<br />
www.opte.org/maps<br />
‘‘C’EST PAS BON POUR LA<br />
SANTÉ DES BÉNÉFICES’’<br />
faire de nos ancêtres à nous, c’est comme ça qu’on en parle,<br />
à la télé, tu crois que ce que tu vois…<br />
Mais quand tu lis dans ton lit Luxe & co de Dana Thomas<br />
où t’apprends que pas mal des maisons de luxe produisent<br />
en fait une bonne partie de leurs produits au pays du Milieu,<br />
afin de toujours augmenter leurs marges, tu commences à<br />
sourire jaune comme un Chinois…<br />
Façon de brouiller les pistes et le message, et de tordre le<br />
mauvais esprit de certains politiciens encore un peu constipés<br />
sur la protection des données personnelles et du droit<br />
à la vie privée, surtout quand il va s’agir, avec cet ACTA, de<br />
croiser les fichiers entre pays signataires. Et surtout, entre<br />
officines en zone grise, partenariat public / privé qu’ils disent…<br />
petites barbouzeries bonjour, à votre service.<br />
Des parlementaires canadiens ayant eu vent du sujet, ont<br />
donc demandé des explications : on leur a certes refilé des<br />
documents mais seulement après que les points importants<br />
aient été raturés. Efficacité à l’ancienne.<br />
Leurs collègues européens ont eux eu la chance d’obtenir<br />
des infos de la part du commissaire Peter Mandelson qui<br />
leur a confirmé que Bruxelles était bien engagé dans le procès<br />
délibératif… en donnant juste les dates des réunions.<br />
Ils ont raison de faire gaffe : quand un sujet de cet ordre<br />
est rendu public, il est souvent recadré à causes de petits<br />
détails pénibles, genre protection des libertés individuelles,<br />
droits de l’homme, tout ça…<br />
Confer la célèbre “riposte graduée“, comme si c’était la<br />
guerre, contenue dans le projet de loi Hadopi de notre cher<br />
Denis Olivennes, recalée au niveau européen par le parlement<br />
de Strasbourg au prétexte qu’on ne peut pas tomber<br />
sur le râble du quidam moyen et lui couper le robinet Adsl<br />
sans passer par l’autorité judiciaire.<br />
C’est pas vrai ça, qu’est-ce qu’ils sont mous alors, ces députés<br />
!<br />
Ils vont tuer la culture. Avec un grand C.<br />
C comme contrôle.<br />
Société du contrôle social.<br />
F R O M A G E<br />
101
10<br />
Musiques Pariphériques<br />
D E S S E R T<br />
D E S S E R T<br />
103
Ideal J<br />
O’riginal MC’s sur une mission<br />
(1996 - Night & Day)<br />
« Tu veux connaître la pureté d’une<br />
amitié, enfoiré, te gêne pas, viens vivre<br />
au milieu d’une cité ».<br />
À cette époque, Dj Mehdi était très<br />
loin de faire un truc comme Lucky<br />
Boy et personne n’aurait parié un cul<br />
de vieille sur un duo Kery James/Aznavour.<br />
Pour cause.<br />
Rarement la réalité d’une vie de cité<br />
ne fût aussi palpable. Des kilomètres<br />
de bandes K7 ont été usées, des milliers<br />
de LR6 ont été poncées dans<br />
des walkmans pourris avec cet album<br />
qui se refilait, de main en main,<br />
de ceux qui savent à ceux qui savent,<br />
avec cet album, qui à chaque écoute<br />
te fout un cafard monstre.<br />
104<br />
Despo Rutti<br />
Les Sirènes Du Charbon<br />
( 006 - Soldat Sans Grade)<br />
« Ceux qui parlent de niquer ta reum’<br />
ils savent que la revanche est une juge<br />
d’application des peines fiables ».<br />
006 fait une clé de bras au rap français<br />
qui tournait en rond depuis pas<br />
mal de temps.<br />
Album de Sefyu et mini album de<br />
Despo Rutti.<br />
Comme des ovnis, rien de comparable,<br />
enfin l’avenir.<br />
Chaque phase de ce disque transpire<br />
la banlieue, suinte la crasse, pisse le<br />
charbon.<br />
Ecoute, t’y es.<br />
« On grandit vite quand le daron ne<br />
peut pas chiffrer les Nike ».<br />
Beaucoup ne se donne pas la peine de<br />
disséquer le style unique de Despo.<br />
Qu’ils aillent se faire foutre, ils n’ont<br />
rien compris.<br />
Bérurier <strong>Noir</strong><br />
Abracadaboum!<br />
(1987 - Bondage Records)<br />
Cet album des Béru, comme disaient<br />
les fans du groupe, sent déjà le début<br />
de la fin : leur tube Empereur Tomato<br />
Ketchup a squatté un an avant les on-<br />
des de NRJ, pendant un sacré bout de<br />
temps pour un groupe boycotté sévère<br />
par la presse, même musicale.<br />
Parce que les Bérurier <strong>Noir</strong> étaient<br />
dans le genre ultra vener, hyper indépendants,<br />
politisés à l’extrême<br />
(gauche), porteurs de toute la culture<br />
squats parisiens années 80 mais au<br />
succès dépassant de loin le petit milieu<br />
punk alternatif, résumé d’abord et<br />
avant tout par Bondage Records (avec<br />
les lanceurs de poireaux et légumes<br />
variés avariés, les punkabilly Washington<br />
Dead Cats au même catalogue). Et<br />
ce succès commercial les a plongés en<br />
pleine contradiction.<br />
À part ça, les Béru c’est un grand cirque<br />
et détail qui veut dire beaucoup :<br />
une boîte à rythmes, enfants de Métal<br />
Urbain qu’ils sont. Punks parisiens, pas<br />
new wave français du tout.<br />
Pas du tout sinistres je suis pas bien<br />
dans ma tête de petit bourgeois, Virgin<br />
Prunes dans le walkman et la ficelle<br />
pour se pendre dans la poche. Non,<br />
ils étaient anti bourgeois, antirascistes,<br />
radicaux.<br />
Un style de vie.<br />
Une époque, celle de la génération<br />
1986, S.C.A.L.P et chasseurs de skins,<br />
qui n’a jamais fait la jonction avec celle<br />
qui suivra, la génération rap.<br />
<strong>Tout</strong> <strong>Simplement</strong> <strong>Noir</strong><br />
Dans Paris Nocturne<br />
(1995 - Night & Day)<br />
Deux sons entendus en live un soir<br />
à la radio, CD acheté le lendemain,<br />
voilà comment résumer mon histoire<br />
avec cet album. West Coast dans le<br />
son comme dans les textes “Gang<br />
Bang, tasspés et rage anti-bleus”,<br />
les TSN ont su apporter cet esprit au<br />
sein de Paris, les negros parigo ont<br />
trouvés leurs porte paroles.<br />
De plus ils reussirent à faire de nom-<br />
D E S S E R T<br />
breuses ventes sans rotation radio si<br />
ce n’est de J’suis F mais bon, comment<br />
ne pas se marrer en écoutant<br />
la si fameuse réplique empruntée<br />
à notre Cloclo national : «À ton âge<br />
il y a des choses qu’un garçon doit<br />
savoir, les filles tu sais méfie toi c’est<br />
pas ce que tu crois elle sont toutes ...<br />
des tasspés ouais des tasspés sous<br />
tous les aspects elles sont toutes des<br />
tass’.»<br />
Un album qui a marqué sans trop de<br />
spotlights rivés sur la gueule, sûrement<br />
une exception pour l’époque.<br />
À bon entendeur comme ils le notifiaient<br />
eux même en fin de dédicaces<br />
sur leur livret : 1995. <strong>Tout</strong> <strong>Simplement</strong><br />
<strong>Noir</strong>. Ils étaient “AL”…<br />
Arsenik<br />
Quelques Gouttes Suffisent<br />
(1998 - Hostile Records)<br />
« Un gars à la hauteur c’est rare comme<br />
une pute à son compte ».<br />
Vraie bible du ghetto, symbolique du<br />
rap de l’époque : violon, répliques de<br />
films cultes samplées, flows rapides<br />
et début du régne des punchlines.<br />
Double disque d’or.<br />
Les “Tchi-This” des deux frangins<br />
résonnaient partout en banlieue, et<br />
chez Lacoste on devenait fou, position<br />
latérale de sécurité pour le service<br />
communication et sourire diamant<br />
à la compta : les chiffres de vente des<br />
panoplies casquette-banane-survetdans-les-chaussettes<br />
siglées reptiles<br />
resteront à jamais secret défense.<br />
TRUST<br />
Répression<br />
(1980 - CBS)<br />
C’est ça qui est bien, ou pas, avec la<br />
France : on a toujours des adaptations<br />
fromagères des trucs U.K. et/ou US.<br />
Mais Trust, c’était pas du yaourt.<br />
D’abord, Bernie Bonvoisin chantait en<br />
français et pas des mièvreries Cendrillon<br />
à la Téléphone, parce que Trust<br />
c’était pas pour la FM , d’façon l’album<br />
Répression avec l’anthem Antisocial à<br />
l’intérieur, est sorti en 80.<br />
Trust c’est plus la fin des années 70,<br />
des petits gars énervés de la banlieue<br />
qui comme toute cette génération en a<br />
marre du glam rock, et même s’ils kiffaient<br />
évidemment le hard, surtout AC/<br />
DC d’ailleurs et leur leader Bon Scott<br />
avec qui ils deviendront ultra potes, ils<br />
ont bien compris la rage punk.<br />
Mais contrairement aux punks, ils savaient<br />
jouer d’un instrument, notamment<br />
de leurs guitares, et outre AC/<br />
DC, Iron Maiden ou Anthrax en seront<br />
de grands fans. Comme le public allemand.<br />
Qui ne pouvait pas comprendre combien<br />
Trust envoyait la purée sur la calvitie<br />
de Giscard, et cette France façon<br />
Raymond Barre. La France moisie intemporelle,<br />
qui censurera Trust plus<br />
d’une fois…<br />
Ce groupe, c’est une face des années<br />
80, et tous ces jeunes hardos jean slims<br />
zippés sur Americana, qui tomberont<br />
ensuite dans la marmite Megadeth et<br />
surtout : Metallica du début.<br />
Une autre odeur de bitume.<br />
Ministère A.M.E.R<br />
95 00<br />
(1994 - EMI)<br />
«T’es pas d’accord t’es un homme<br />
mort» PAM-PAM 95200 met direct,<br />
mais DIRECT je vous dis, les points<br />
sur les «a» à coups de fusil à canon<br />
scié, avec des références de l’époque<br />
et des interludes assassines.<br />
Des textes relatant leur quotidien<br />
d’une façon si réaliste et visuelle qu’en<br />
les écoutant même un Jean Richard<br />
de la rive gauche aurait l’impression<br />
de vivre en barre H.L.M, d’avoir des<br />
Reebok classic aux pieds, un 501 et<br />
une casquette Lacoste vissée sur le<br />
crâne.<br />
Une seule chose à dire à la génération<br />
Sinik, 95200 est très loin des<br />
featurings avec la légende flagada fatiguante<br />
du rock français ou des amitiés<br />
avec le blingeux-blingeux talonné<br />
et il peut toujours vous high-kicker le<br />
haut du crâne, un obus du rap français.<br />
Quelques phases de nos deux<br />
ministres et de leur secrétaire d’état<br />
pour vous donner un aperçu :<br />
« …j’aimerais voir brûler Panam au<br />
Napalm sous les flammes façon Viet-<br />
Nam… » (Stomy Bugsy)<br />
« …le C.F.A a perdu du poids, comme-ci<br />
l’avait le SIDA, ici on parle en<br />
écu, je te souhaite la bienvenue… »<br />
(Passi)<br />
« …ce n’est pas de ma faute tu en<br />
tomberas forcement accro-codile<br />
mon polo a du style, moi qui rêve de<br />
deal et de filles faciles… » (Doc Gyneco)<br />
D E S S E R T<br />
105
106<br />
D I G E S T I F<br />
SI L’ON VOUS DIT QUE LE SYSTEMA EST UN ART MARTIAL<br />
VENANT DES RUSSES DANS LE GENRE KGB, VOUS ALLEZ<br />
IMAGINER UN MEC SYMPA COMME POUTINE VOUS ENSEI-<br />
GNANT COMMENT RETOURNER UN GÉORGIEN ET LE DÉ-<br />
CORTIQUER TOUT CRU SUR LE TATAMI.<br />
EH BEN NON.<br />
C’EST TOUT LE CONTRAIRE : CET ART MARTIAL EST TOUT<br />
SAUF UN ART DE TARTARES DES STEPPES.<br />
D’AILLEURS PEUT-ÊTRE UN PEU GÉORGIEN SUR LES BORDS,<br />
PUISQUE L’ON RACONTE QUE LE SYSTEMA A D’ABORD ÉTÉ<br />
UNE SCIENCE EXCLUSIVEMENT À L’USAGE DES GARDES<br />
DU CORPS DE STALINE, LA GROSSE MOUSTACHE DE CE<br />
CÔTÉ-LÀ DU CAUCASE.<br />
LE SYSTEMA N’EST MÊME PAS VRAIMENT UN ART MAR-<br />
TIAL.<br />
MAIS UN ART DE SURVIE. OU DE VIVRE.<br />
INITIATION AVEC M. KARDIAN, MAÎTRE SEREIN D’UNE DES<br />
ÉCOLES SYSTEMA DE PARIS.<br />
Commençons par le commencement<br />
: comment avez<br />
vous découvert le systema ?<br />
J’ai commencé les arts martiaux en<br />
1979, j’en ai pratiqué beaucoup, et à<br />
fond, j’ai été instructeur en arts martiaux<br />
philippins, qui sont très différents…<br />
Un de nos élèves qui était<br />
abonné à différents magazines d’arts<br />
martiaux américains, m’a un jour montré<br />
un article sur Vladimir Vasiliev, qui<br />
m’a beaucoup intrigué. J’ai donc commandé<br />
des cassettes Vladimir Vasiliev<br />
-à l’époque le DVD n’existait pas- et<br />
quand j’ai vu les VHS, ça m’a rendu<br />
encore beaucoup plus curieux. Je les<br />
ai appelés le lendemain, pour leur demander<br />
si je pouvais venir m’entraîner.<br />
Étant célibataire, c’était pour moi plus<br />
facile de voyager, je suis donc parti<br />
quelques jours après à Toronto, pour<br />
apprendre.<br />
Si j’ai bien compris, Vasiliev,<br />
c’est un peu le fils spirituel de<br />
Mikhail Ryabko dont on dit<br />
qu’il est lui-même le neveu<br />
d’un des deux fameux gardes<br />
du corps de Staline… C’est<br />
une rumeur ou pas?<br />
Ils disent beaucoup de choses, mais<br />
moi, ça ne m’intéresse pas de remonter<br />
aussi loin. En fait, c’est le produit<br />
qui m’intéresse, d’où ça vient est secondaire<br />
pour moi.<br />
107
J’ai aussi cru comprendre que Vasiliev et Ryabko prétendaitent<br />
que c’étaient eux, la vraie école systema ?<br />
Pas du tout. Il y a d’autres écoles, on a des principes en commun, mais leur méthode<br />
d’apprentissage est différente, eux vous disent qu’ils sont chefs comme<br />
Vladimir est le chef de l’école Vladimir Vasiliev (...) Notre patriarche, c’est Mikhail<br />
Ryabko. Avec Vladimir, on est devenu très ami très vite. Lui dit qu’il ne s’y connaît<br />
pas beaucoup mais c’est un génie, sauf qu’il persiste à préconiser, si l’on veut<br />
vraiment connaître le systema, d’aller chez Mikhail Ryabko qui, lui, est plus jeune<br />
que Vladimir Vasiliev. C’est son avis.<br />
108<br />
Donc, vous voyez les premières<br />
cassettes, vous allez làbas,<br />
et là, on va dire que c’est<br />
le coup de foudre ?<br />
Non, parce que j’avais un grand ego,<br />
donc je me suis testé, je me suis battu,<br />
on a joué avec les différents élèves, et<br />
ils m’ont convaincu très vite. Parce que<br />
j’avais pratiqué beaucoup de choses,<br />
j’ai commencé avec le karaté, le kick<br />
boxing, la boxe thaï, le wing chun qui<br />
est un style de kung fu, puis les arts<br />
martiaux philippins.<br />
D I G E S T I F<br />
Le systema est une sorte d’art<br />
martial ou un art de combat ?<br />
C’est un art de survie.<br />
Rien à voir avec le krav-maga<br />
par exemple?<br />
Rien à voir, du tout. Le krav-maga, c’est<br />
un art martial très efficace, très violent,<br />
mais on enseigne les gens à détruire,<br />
uniquement. C’est très facile de détruire,<br />
mais c’est beaucoup plus difficile<br />
de réparer quelque chose, de travailler<br />
sur soi pour diminuer sa propre peur<br />
quotidienne, de travailler sur elle, elle<br />
qui nous provoque des tensions dans<br />
le corps. Or ce sont ces tensions, sur<br />
une longue durée, qui détruisent le<br />
corps. On n’a pas besoin qu’on nous<br />
agresse, on se détruit nous-même, par<br />
des petits énervements, des petites<br />
tensions, ou des grosses tensions en<br />
fait… Le stress, l’anxiété…<br />
Le systema est donc bien en<br />
rapport avec les arts martiaux<br />
?<br />
Le systema est basé sur la respiration.<br />
Respiration et mouvement.<br />
Respiration, décontraction...<br />
La respiration, c’est la vie. Chaque fois<br />
qu’on bouge en retenant notre souffle,<br />
on se fait du mal. Là, je suis assis. Je<br />
vais me lever : on est habitué à retenir<br />
son souffle, en se mettant en apnée.<br />
Inconsciemment. On se lève et (seulement)<br />
après, on se remet à respirer.<br />
Donc, ce grand effort que je fais en me<br />
levant et en retenant mon souffle augmente<br />
beaucoup la pression artérielle,<br />
la pression sur les organes internes.<br />
Ça nous arrive tous, on est en position<br />
squat, très bas au sol et tout d’un<br />
coup, quand on se lève, on a la tête qui<br />
tourne. Pourquoi la tête tourne ? Parce<br />
qu’il y a eu un grand changement de<br />
pression sanguine, artérielle. Et on n’a<br />
pas respiré avec, donc il y a eu trop de<br />
pression dans le système.<br />
Mikhail Ryabko Vladimir Vasiliev<br />
J’ai lu sur le web que dans certains séminaires, ou peut-être ici,<br />
on fait aussi des exercices pour renforcer la force corporelle...<br />
Automatiquement.<br />
Par exemple avec l’eau froide, ou carrément l’eau glacée...<br />
Ça, c’est pour ceux qui veulent ou peuvent le faire, on ne demande pas aux gens,<br />
mais on peut faire ce qu’on appelle des thérapies de seaux à eau froide, de l’eau<br />
très froide.<br />
Ce sont des gens qui se baignent dans de l’eau froide simplement?<br />
Non, une douche froide, c’est moins efficace. En fait, on est pieds nus, si c’est<br />
possible par terre, sinon, c’est dans une baignoire, on remplit un seau bien rempli<br />
avec de l’eau froide, et on va le verser sur la tête et ça va descendre sur tout le<br />
corps. Plus c’est froid, mieux c’est. Ce qu’il se passe ici, et c’est expliqué scientifiquement<br />
aussi, il y a des articles là-dessus : pendant une ou deux secondes,<br />
la température du corps va changer d’une façon… Ça va dépasser les 40 et<br />
quelques degrés. Si ça reste comme ça, on meurt, mais juste pour une ou deux<br />
secondes, ce changement va nettoyer le corps de tout ce qu’il peut avoir de pas<br />
bien en lui.<br />
D I G E S T I F<br />
109
110<br />
1<br />
Et pour définir toujours plus à<br />
l’intention de nos lecteurs, le<br />
sytema est plus qu’une technique<br />
de combat, mais ce<br />
n’est pas un sport non plus ?<br />
Ce n’est pas un sport non. En fait, les<br />
gens viennent de tous les coins, de différents<br />
métiers, avec différentes corpulences,<br />
avec différents niveaux de<br />
santé, ce ne sont pas tous de grands<br />
sportifs. Mais avec les exercices, on<br />
les renforce musculairement et surtout<br />
aux niveaux articulations et tendons.<br />
Le truc, c’est que si on fait des mouvements<br />
en répétition rapide, par exemple<br />
les pompes, les squats, ça épuise<br />
les muscles, les muscles se vident de<br />
leur énergie, mais si on le fait avec<br />
des respirations correctes et moins<br />
rapides, ça renforce les tendons et<br />
articulations. L’on accumule de l’énergie<br />
dans les tendons et articulations.<br />
Donc, c’est pour ça que beaucoup de<br />
problèmes d’articulation, ou de dos<br />
aussi beaucoup, disparaissent après<br />
quelque pratique.<br />
C’est donc pas un sport, mais<br />
un art de la survie, mais dans<br />
la survie, il y a le combat, au<br />
moins potentiellement...<br />
Il y a de la self-défense mais pas uniquement<br />
cela : on apprend à manipuler<br />
notre corps premièrement, on<br />
comprend comment on peut manipuler<br />
notre corps donc du coup, le corps<br />
d’autrui.<br />
Se connaître soi-même pour<br />
connaître les autres...<br />
<strong>Tout</strong> à fait… Par les endroits où c’est<br />
beaucoup plus facile à manipuler. On<br />
apprend, on découvre la biomécanique<br />
du corps. On montre un principe,<br />
et après les élèves découvrent plus ou<br />
moins par eux-mêmes. Au lieu de faire<br />
comme dans les arts martiaux asiatiques<br />
-“ça, vous faîtes ça comme ça”-<br />
où il faut exactement copier le maître.<br />
Eux, ils jouent, pas trop vite, parce<br />
qu’une fois qu’on commence à accélérer,<br />
on commence à... on prête moins<br />
d’attention, on apprend moins. Au départ<br />
ici, ça doit être fait lentement, on<br />
découvre chaque articulation et les limites,<br />
sans casser. À chaque mouvement,<br />
on se regarde et on regarde le<br />
partenaire, pour voir comment il est en<br />
train de réagir, et en même temps, on<br />
apprend à respirer avec. Le mouvement,<br />
on le marie avec la respiration.<br />
D I G E S T I F<br />
Et cette rapidité des gestes signifie l’ancienneté<br />
dans le sport, enfin… le niveau on va dire ?<br />
Plus ils sont à l’aise dans toutes situations...Si tout d’un coup<br />
quelqu’un les pousse et qu’ils vont tomber, ils savent comment<br />
tomber. Si 3, 4 personnes leur sautent dessus tout d’un<br />
coup, ils savent au moins comment se protéger, comment<br />
respirer... En fait, c’est comme les bébés : quand ils sont tout<br />
petits, ils jouent, ils tombent, et rien ne se passe parce qu’ils<br />
sont relax. En grandissant, on se touche de moins en moins,<br />
parce que la société nous l’interdit : en grandissant, on nous<br />
met une étiquette, notamment sur un garçon qui touche un<br />
autre garçon. Surtout en Europe. C’est encore plus vrai en<br />
vieillissant, là, on ne se touche plus du tout, sauf sa femme<br />
ou sa famille proche. Et ça, ça développe un complexe, ça<br />
développe une peur : quand on marche dans la rue, quand<br />
quelqu’un va nous toucher l’épaule, tout de suite on raidit<br />
l’épaule, si ce n’est pas tout le corps, parce qu’on ne sait<br />
2<br />
pas ce qu’il va se passer. En Europe, si un corps se fait toucher<br />
par un autre corps, juste avec un petit touché, épaule à<br />
épaule, le corps a peur de mourir. Cette peur de mourir très<br />
profonde dans notre inconscient. Donc, on travaille ça sur<br />
les gens, on les ramène petit à petit à ça: ils se touchent, ils<br />
se poussent, pour diminuer cette peur d’être touché, cette<br />
peur d’être frappé. On la ramène là où elle doit être, on ne<br />
peut pas la faire disparaître, parce que ce n’est pas naturel,<br />
mais on la ramène à son niveau naturel.<br />
1/2-Mikhail Ryabko<br />
en démonstration<br />
D’où cette fameuse décontraction...qu’on peut<br />
voir sur certaines vidéos, où il y a carrément<br />
tout un groupe qui tombe sur Vasiliev je crois,<br />
et en fait, de façon super fluide, il esquive tout,<br />
mais vraiment tout le monde…<br />
Juste un petit exemple, si quelqu’un vous attrape le poignet,<br />
solidement, vous, votre réaction naturelle est de retirer le<br />
bras : si vous commencez à le retirer, votre corps se raidit,<br />
des orteils jusqu’aux cheveux, mais vous n’avez pas besoin<br />
de tout ça. On peut juste raidir le bras et relaxer tout le reste<br />
du corps, pour pouvoir faire mille et une choses, pour dégager<br />
si on veut dégager.<br />
Et est-ce que ça a rapport quelque part avec l’aïkido<br />
où l’on utilise quasiment uniquement la<br />
force de l’adversaire?<br />
Il y a des éléments de l’aïkido, des principes d’aïkido communs,<br />
mas l’aïkido est très… Ils ne frappent pas par exemple,<br />
mais ils n’apprennent pas comment recevoir les coups,<br />
ou ils tombent sur le tatami, sauf que dans la rue… il n’y a<br />
pas de tatami. Je ne peux pas me promener avec un tatami<br />
sur le dos et dire à mon agresseur, “attendez, je vais mettre<br />
le tatami, après vous me pousserez”, c’est ça… Mais nos<br />
meilleurs élèves, ce sont des anciens de l’aïkido -on a des<br />
gens qui viennent du kung fu, du krav-maga, de partout...<br />
D I G E S T I F<br />
111
Est-ce que ce côté survie en milieu urbain, un peu “forces spéciales<br />
russes (spetsnaz)” ramène une clientèle un peu treillis sur<br />
les bords ?<br />
C’est pour ça qu’on a enlevé les projecteurs, tout ce qui est militaire, treillis,<br />
l’image spetsnaz, parce qu’en fait ici l’on enseigne aux civils, pas besoin de tout<br />
ça… Au départ, quand ça a commencé à Toronto, et c’est un peu lié au marketing,<br />
il y avait de cela, et Vladimir Vasiliev a fait 10 ans dans les spetsnaz, il a vu<br />
des choses, il raconte pas, mais bon… Il raconte à ses proches...<br />
C’est la génération de la guerre russe en Afghanistan...<br />
Oui il a vécu des choses et il a appris très, très vite, parce que c’est un génie,<br />
mais on n’a pas besoin de cela nous ici, parce qu’on fonctionne sur le bouche à<br />
oreille, c’est vrai que si on dit dans chaque pub qu’on fait ci ou ça, si on commence<br />
à attirer des gens un peu militaristes… Même si l’on a des policiers, ou des<br />
militaires, parmi les élèves mais c’est une école pour les civils. On apprend à se<br />
défendre, à protéger autrui, on a des cours entiers de méthodes, ce qu’on appelle<br />
intervenir sur une tierce personne. On enseigne cela aux agents de protection<br />
rapprochée, mais tout le monde peut l’apprendre pour intervenir de l’extérieur,<br />
parce que le travail est différent. Si on voit un ami ou une copine, ou n’importe<br />
qui en train de se faire agresser dans la rue, on peut manipuler beaucoup plus<br />
facilement, de l’extérieur. Parce qu’on découvre ici comment manipuler un corps<br />
avec un minimum d’effort.<br />
Vous, vous n’êtes pas russe…<br />
Non, non, je suis d’origine arménienne, j’ai vécu 0 ans au Liban, malheureusement<br />
c’était la guerre civile… et ça fait 18 ans que je suis en France.<br />
11<br />
Et vous donnez des cours ici, et<br />
des cours particuliers aussi ?<br />
Je donne des cours particuliers, j’ai<br />
des chefs d’entreprise qui viennent<br />
pour apprendre à se défendre et pour<br />
des cours de relaxation aussi. Ce que<br />
le systema m’apporte personnellement,<br />
et à d’autres instructeurs aussi,<br />
c’est le bien-être et la relaxation, c’est<br />
supérieur à la self-défense et à l’art<br />
martial qu’on enseigne. Notre but à la<br />
fin, via cet art martial, c’est d’amener<br />
les gens à ce bien-être dans la tête et<br />
dans le corps, à diminuer la peur. Malheureusement,<br />
si vous cherchez, on<br />
peut trouver d’autres arts martiaux où<br />
indirectement on va enseigner la peur<br />
aux gens. Un élève qui sort après ce<br />
genre de cours, il va regarder à gauche<br />
et à droite, pour voir s’il n’y a personne<br />
qui va lui sauter dessus.<br />
D I G E S T I F<br />
Et quelle est la différence entre le systema et le<br />
sambo ?<br />
Le sambo, c’est une sorte de lutte, qui peut ressembler un<br />
tout petit peu au ju-jitsu brésilien, ils font des clés, c’est<br />
devenu de plus en plus un sport de combat, surtout qu’ils<br />
commencent à incorporer l’aspect compétitif, où l’on peut<br />
gagner, il y a des points etc. il y a des protections au sol<br />
aussi etc… Quelqu’un qui fait un cours ici, un cours là-bas,<br />
il verra la différence très, très vite : ça n’a rien à voir.<br />
C’est Poutine qui en fait du sambo, non ?<br />
Oui, c’est un pratiquant.<br />
Mais, on peut pas dire quand même que le systema<br />
est un cousin du sambo parce qu’apparemment...<br />
Non, nous ce qu’on fait, ça n’a rien à voir avec le sambo. Peutêtre<br />
que ça peut arriver qu’on lutte au sol, mais pas de cette<br />
façon. On enseigne aux gens la survie au sol : on les met par<br />
terre et une ou plusieurs personnes commencent à le shooter<br />
avec les pieds, il doit d’abord savoir comment tomber sans se<br />
blesser et survivre aux coups de pieds, ou aux coups de couteaux,<br />
ou aux coups de bâtons qui vont lui tomber dessus, par<br />
un ou plusieurs adversaires, jusqu’à ce qu’il puisse se relever<br />
etc… <strong>Tout</strong> ça, c’est fait d’une façon très, très graduelle, pour<br />
faciliter l’apprentissage. On n’a pas de forme, de kata. Moi j’ai<br />
fait des katas pendant 10 ans de ma vie, mais maintenant, je<br />
considère que c’est une perte de temps. Il faut être touché et<br />
toucher les gens, pas frapper l’air.<br />
Pour parler des “accessoires”, le bâton et le<br />
couteau : dans les mouvement avec couteau en<br />
fait, vous prenez le couteau et vous allez jusqu’au<br />
bout...<br />
Oui, il faut finir le travail… Si vous allez au restaurant, si vous<br />
prenez juste l’entrée et que vous partez sans le plat, le dessert<br />
et le café, c’est pas bon…<br />
Ce n’est pas juste pour désarmer, c’est pour éliminer<br />
l’adversaire…<br />
Si on ne travaille pas sur la peur… Nous avons tous des différents<br />
niveaux de peur à l’intérieur du corps : une personne<br />
dans son cerveau académique, son cerveau conscient, peut<br />
dire «moi, j’ai pas peur» or ça, c’est l’image de notre ignorance.<br />
Quand on dit «j’ai pas peur», ça veut dire qu’on ne<br />
connaît pas son corps, qu’on ne connaît pas la psyché. On a<br />
tous peur, à différents niveaux, de différentes choses. Si cette<br />
peur est très, très élevée, on va en faire toujours trop, ce<br />
qui veut dire qu’au lieu de se défendre, juste d’un coup de<br />
poing, et manipuler, et neutraliser, on va arracher les yeux,<br />
ouvrir la bouche comme des lions, comme Samson l’a fait<br />
dans l’histoire, arracher et travailler sur les parties génitales,<br />
etc. etc. <strong>Tout</strong> ça parce que la personne qui se défend a trop<br />
peur. Mais si son corps est plus ou moins habitué à être<br />
touché, à être frappé, il fera uniquement le nécessaire. C’est<br />
ça ce qu’on appelle du travail professionnel. Nos (élèves)<br />
avancés commencent à le montrer sans aucun problème.<br />
D I G E S T I F<br />
113
4<br />
Et les coups portés font partie<br />
de l’exercice : ils consistent en<br />
quoi?<br />
En fait nous, on ne considère pas que<br />
frapper des objets inanimés soit quelque<br />
chose de très utile, comme les sacs<br />
de frappe par exemple. C’est mieux de<br />
frapper un corps parce qu’un corps a<br />
une topographie complètement différente.<br />
<strong>Tout</strong> notre travail est basé sur la<br />
science, ça veut dire que quand je vais<br />
donner un coup de poing, je vais être<br />
sûr que tout sera aligné derrière mon<br />
poing, le poignet, l’avant-bras, le coude,<br />
l’épaule et mon corps, pour qu’il<br />
n’y ait pas de manque d’énergie, pas<br />
de casse. Par exemple, si je frappe le<br />
poignet tordu, je risque de le fouler très,<br />
114<br />
5<br />
très vite... Il y a des gens, par exemple Mike Tyson que tout le monde connaît, il<br />
s’est battu dans un bar un jour… il a frappé une autre personne au visage mais il<br />
a cassé son bras. Parce que tout son entraînement se fait avec des protections,<br />
on roule le bandage au niveau du poignet et on se sert de gants. C’est pour ça<br />
que nous, on n’utilise pas de protection par exemple, et il y aura jamais de blessé<br />
parce que tout est graduel, parce qu’on travaille sur notre peur du contact, donc<br />
on ne fera pas le trop qui blesse. Si vous allez voir dans d’autres écoles d’arts<br />
martiaux par exemple, comme ceux que vous avez cités tout à l’heure, en sortant<br />
de cours, vous verrez, il y a des gens qui sortent avec un oeil noir, ou l’autre le<br />
nez tordu ou des dents qui manquent, alors qu’ils utilisent des protège-dents et<br />
protège-parties génitales… Ça non plus, nous, on ne les utilise pas. Parce que<br />
vous, vous vous promenez avec des protections de parties génitales dans la rue<br />
tous les jours, toute la vie ? Non. Donc il faut apprendre à protéger cette région<br />
par les bras, par les jambes ou par le déplacement.<br />
Vu que ça a l’air d’être une pratique complète, corporelle et psychologique,<br />
une recherche de sérénité, pourquoi ça n’a pas plus<br />
de succès ?<br />
On est nouveau en France, on est en train de grandir, et j’ai pas besoin pour<br />
l’instant de faire de la pub, ça vient tout seul et moi, je considère que quand le<br />
prof a une énergie propre, quand une personne a une énergie propre, il va attirer<br />
toujours des gens de même énergie. Si le prof est tordu dans sa tête, il ne va<br />
attirer que des gens tordus. Et moi je travaille sur moi-même uniquement, je n’ai<br />
pas besoin de travailler sur les autres. Quand je me nettoie, quand je travaille sur<br />
moi-même, je sais ce que je vais attirer, comme dans la vie en général.<br />
4-Combat au sol<br />
contre plusieurs adversaires<br />
5-Vladimir Vasiliev<br />
en démonstration<br />
D I G E S T I F<br />
Et peut-être que l’absence de grades ou de ceintures<br />
peut sembler bizarre à certains…<br />
Il n’y a pas de ceinture, si les gens en veulent, on peut les<br />
acheter en cuir, il y en a plein au marché… Ici, on ne va pas<br />
trouver des gens qui disent “j’ai eu ma ceinture noire, donc<br />
je me considère invincible”. Pour moi, les gens qui pratiquent<br />
depuis 5 ans, les anciens, ils peuvent sans problème<br />
d’ego jouer avec quelqu’un qui commence pour la première<br />
fois. Quelqu’un qui commence, il ne sera pas impressionné<br />
parce qu’il a devant lui quelqu’un avec une ceinture noire et<br />
plusieurs barettes dessus… Ils peuvent s’habiller comme ils<br />
veulent, il y en a qui s’entraînent en jeans, certains mettent<br />
le treillis militaire mais attention, ce n’est pas parce le systema<br />
vient des spetsnaz, mais parce que le treillis militaire,<br />
c’est entre les jeans et le survêtement, et que le survêtement<br />
c’est trop mou, et que les jeans, ça peut être trop serré…<br />
Donc l’ancien de 5 ans qui va jouer avec le débutant,<br />
il ne va faire que du mouvement lent ?<br />
Il va travailler sur le débutant, en enseignant, en lui montrant des<br />
choses, il va comprendre ce qu’il sait d’un autre point de vue, et<br />
qui est très intéressant, et lui il a bien dû commencer un jour, c’est<br />
ce qu’on lui a fait aussi, donc il faut donner pour recevoir.<br />
C’est de l’amour !<br />
C’est exactement ça. C’est vraiment de l’amour. Quand<br />
on masse les gens, quand on les relaxe, on leur transmet<br />
l’amour de soi, on commence à apprécier la relaxation, on<br />
peut relaxer quelqu’un qui s’allonge par terre jusqu’à un niveau<br />
où quand le cerveau donne l’ordre au bras de bouger,<br />
le bras ne veut plus bouger. On n’hypnotise pas la personne,<br />
mais elle n’a peut-être jamais expérimenté cette relaxation<br />
depuis la naissance. On peut relaxer les yeux, et les yeux ne<br />
veulent plus obéir. Parfois malgré qu’on les prévienne, les<br />
gens peuvent être surpris, ils commencent à pleurer, parce<br />
qu’ils croient qu’on leur a jeté un sort, ou qu’on les a hypnotisés.<br />
Mais, vraiment, on découvre l’amour.<br />
Pour terminer, on doit is’inscrire pour une année,<br />
la saison va de septembre à juin?<br />
En fait, chez nous, les gens peuvent commencer à n’importe<br />
quel moment dans l’année, ils n’ont pas besoin d’attendre<br />
début septembre. Les gens peuvent payer par cours, par<br />
mois, ou à l’année.<br />
Systema France / Maison de la culture arménienne :<br />
17, rue Bleue, Paris 75009.<br />
code : 65B09 (la salle est au fond de la cour)<br />
http://www.systemafrance.com<br />
jeromekadian@systemafrance.com<br />
D I G E S T I F<br />
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