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La Marquise de Cadouin

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Les <strong>Cadouin</strong>, une certaine idée <strong>de</strong> la France ?<br />

Nous sommes en effet un peu tous <strong>de</strong>s <strong>Cadouin</strong>. Notre démarche n’est en rien sociologique ou politique. Nous<br />

ne nous plaçons ni en observateurs ni en analystes. Cependant, l’imagination que nous mettons en commun<br />

pour construire nos spectacles est une véritable éponge. En construisant ce cycle, nous nous sommes aperçus<br />

qu’une <strong>de</strong>s bases du projet était notre envie <strong>de</strong> nous amuser à la fois <strong>de</strong> ce trait très français <strong>de</strong> vanter notre<br />

rapport à la culture, notre exception, notre histoire faite <strong>de</strong> lumières qui ont été pionnières, et à la fois <strong>de</strong> cette<br />

tendance très actuelle <strong>de</strong> porter un regard faussement empathique sur ceux qu’on juge défavorisés, et qui nous<br />

sont souvent montrés comme <strong>de</strong>s arriérés sans goût, un peu comme <strong>de</strong>s cousins très lointains, <strong>de</strong> ceux qui ont<br />

<strong>de</strong>s accents et qui aiment la variété française. Si nous nous intéressons à la marge, ou à la culture populaire, ou<br />

à un événement historique lorsqu’il bouleverse la structure sociale, c’est pour chercher ce qui anime celui ou<br />

celle qui n’a pas accès à ce que serait censé offrir un pays, une citoyenneté, qui se retrouve déclassé ou incapable<br />

<strong>de</strong> s’adapter. Le travail s’articule donc autour <strong>de</strong> l’idée qu’on a (ou pas) <strong>de</strong> sa propre différence. Nous parlons<br />

ici d’individus, <strong>de</strong> petites ambitions, <strong>de</strong> petits arrangements, qui peuvent dégager l’image d’une population.<br />

En cela, nous pouvons dire que ce cycle, articulé autour du nom <strong>Cadouin</strong>, propose en effet une certaine idée <strong>de</strong><br />

la France. Car chaque spectacle est traversé par l’envie <strong>de</strong> défendre ces personnages ancrés dans un quotidien<br />

presque sordi<strong>de</strong>, dans un terroir sans horizon, et par ce qui serait une sorte d’héritage commun, un patrimoine,<br />

un rang à tenir coûte que coûte. Je partage assez en ce sens ce qu’écrivait De Gaulle : « Toute ma vie, je me suis<br />

fait une certaine idée <strong>de</strong> la France (…) S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en<br />

éprouve la sensation d’une absur<strong>de</strong> anomalie, imputable aux fautes <strong>de</strong>s Français, non au génie <strong>de</strong> la patrie. »<br />

Quelles sont les règles du jeu, d’un <strong>Cadouin</strong> à l’autre ?<br />

Le cycle Les <strong>Cadouin</strong> repose sur un dogme important à souligner. Tout d’abord, les trois spectacles n’ont<br />

aucun lien entre eux. Les personnages n’ont rien en commun, les lieux, les époques et les intrigues diffèrent.<br />

L’ordre <strong>de</strong>s spectacles n’est pas chronologique. Il existe cependant <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> convergence, <strong>de</strong>s règles :<br />

en tout premier, le nom <strong>de</strong> famille. Chaque spectacle du cycle met en scène une famille <strong>Cadouin</strong> différente.<br />

Ensuite, le récit se passe toujours entre le 1 er et le 14 juillet. Nous nous amusons ainsi à créer une mythologie<br />

« cadouine », qui trouverait son origine dans cette pério<strong>de</strong> cristallisant la naissance d’une certaine France,<br />

révolutionnaire et républicaine, et qui questionne l’évolution symbolique du 14 juillet, date d’une victoire du<br />

peuple <strong>de</strong>venue fête nationale organisée autour du bal populaire et qui sent la merguez. <strong>La</strong> troisième règle :<br />

la mort d’un <strong>de</strong>s personnages. Chaque famille <strong>Cadouin</strong> va pousser quelqu’un à mourir, toujours un 14 juillet<br />

et <strong>de</strong> façon différente (meurtre, suici<strong>de</strong>, condamnation à mort…). Enfin, avec ce cycle, la compagnie Teknaï<br />

élabore un travail autour d’une esthétique en <strong>de</strong>ux dimensions. <strong>La</strong> scénographie est constituée <strong>de</strong> panneaux<br />

imprimés. Chaque accessoire est une photographie <strong>de</strong> ce qu’il représente. Ainsi les personnages prennent<br />

vie dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> signes, vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> leurs contenus, sur lequel ils ne semblent avoir aucune prise. L’aspect<br />

même <strong>de</strong>s personnages rajoute à cette déréalisation.<br />

Pourquoi ont-ils le teint cadavérique, les <strong>Cadouin</strong> ?<br />

Les visages <strong>de</strong>s comédiens sont dissimulés par un gros travail <strong>de</strong> maquillage (qu’on retrouve d’ailleurs dans<br />

tous les spectacles <strong>de</strong> la compagnie) qui peut évoquer un masque mortuaire. Cette mort affichée soutient<br />

l’hypothèse que les personnages reviennent jouer leur histoire. Encore une fois, la petite histoire prend le pas<br />

sur la gran<strong>de</strong>, avec ces figures spectrales piégées dans <strong>de</strong>s histoires sans gran<strong>de</strong>urs, l’ampleur surnaturelle très<br />

avouée étant contrariée par la petitesse <strong>de</strong> ce qui se joue. Tout est ici question <strong>de</strong> décalage, une sorte d’antinaturalisme<br />

dans <strong>de</strong>s situations très concrètes, sinon sordi<strong>de</strong>s. Par cette dimension esthétique et ce rapport<br />

surréaliste aux éléments qui entourent les personnages, nous tenons à troubler le rapport au réel pour rappeler<br />

la dimension farcesque du propos. Mais une farce noire et sans relief. Cela soutient aussi l’entreprise <strong>de</strong><br />

mythologie imaginaire qui charpente tout le cycle <strong>de</strong>s <strong>Cadouin</strong>. Qu’ils soient figures types ou revenants, les<br />

personnages sont avant tout <strong>de</strong>s énergies très présentes, caractérisées par un rapport au langage qui les sauve<br />

autant qu’il ne les perd, mais qui engendre le rire, aussi dérangeant soit-il !<br />

propos recueillis par Pierre Notte

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