approche pluridisciplinaire d'un système de production ... - IRD

L’organisation juridique
de la pêche
L’eau ainsi que les poissons qui y vivent sont la pro-
priété des génies. L’alliance religieuse du premier
sacrificateur avec le génie de l’eau garantit l’exercice
de la pêche pour lui et ses descendants mâles (patri-
lignage) sur des emplacements précis répertoriés,
nommés et intériorisés, de génération en génération.
Consacrés par la coutume, ils deviennent des pêche-
ries et revêtent le caractère d’un patrimoine lignager
indivis exploité par tous les membres de la commu-
nauté. À la sacrificature est donc lié le droit d’occu-
pation territoriale reposant sur I’antériorité d’occupa-
tion. L’espace de production halieutique est un espa-
ce médiatisé et pacifié. La pratique de la pêche dans
un espace inculte transformé en sphère de produc-
tion génère des droits et prérogatives pour les
lignages autochtones regroupés sous l’autorité du
sacrificateur. La ressource piscicole est une ressource
renouvelable mais non appropriée ; tant qu’elle cir-
cule librement elle garde les caractères d’un bien
public pour le pêcheur et n’importe qui peut se
l’approprier. Cependant la capture est soumise à des
conditions de sauvegarde de l’intérêt général qui
s’énoncent ainsi :
l ne pas porter atteinte à des droits légaux d’autres
individus ;
l ne pas gêner les manœuvres des autres pêcheurs
et des engins ;
l ne pas s’emparer d’un emplacement déjà retenu,
signalé par des repères visibles ;
l ne pas bloquer le passage des poissons dans le lit
principal du fleuve au risque de compromettre leur
reproduction en arrêtant leur migration ;
l ne pas pêcher dans des zones mises en défens.
Toute infraction à ces règles entraîne une poursuite
du contrevenant de la part du maître d’eau ou des
parties lésées.
L’allusion évidente aux droits légaux d’autres individus,
aux emplacements réservés etc., renvoie sans
équivoque à un droit de maîtrise de l’eau ; l’exploitation
prolongée d’un milieu concède un droit d’usufruit.
Le lignage devient l’unité de détention de droit
d’usage de l’eau en fonction de son occupation
ancienne et permanente. Pour Cormier-Salem (1991),
qui parle de l’émergence des droits de pêche et de
propriété en Casamance, le poisson capturé revient
au propriétaire de la palissade, puis par extension le
fonds de pêche sur lequel est fixé la palissade lui
appartient, alors qu’au départ il n’en avait que l’usufruit.
La parcelle d’eau une fois découverte, exploi-
tée et occupée de façon plus ou moins permanente
devient la propriété privée du pêcheur ou de son
lignage quand la pêche est collective, elle acquiert
un statut équivalent à celui d’une rizière. L’exploitant
du Delta Central, inséré dans des rapports mysticolignagers,
reconnaîtrait-t-il en une pêcherie lignagère
ou individuelle une propriété Priv;e ? Sans aller si
loin, reconnaissons le caractère pérenne du droit
d’exploitation reconnu de facto par la coutume aux
exploitants actifs, tant que le domaine ne tombe pas
en déshérence ; auquel cas il revient au sacrificateur
qui est le médiateur aupres des génies. 11 y a des
similitudes flagrantes entre modes d’occupation de la
terre et de l’eau ainsi qu’entre les droits d’exploitation.
Ainsi en termes simples : . . . “les rlzpports tradttiotznels
établis entre les bomrnes et la terre cultike se
ramènent ci deux niz~eaux. La prhauté historique
agricole downe la nlaîtrike de la terre mec sofa fondement
rituel et sa,fonction arbitrale, uoire redistributi-
L!e ; l’accord du maître de terre donmi ir une famille
établit le droit de culture.” (GaIlais, 1984).
l L’ALTÉRATION DES DROIT3 DE PÊCHE
Un groupe social (lignage, fragment de lignage,
famille étendue ou conjugale), si élémentaire soit-il,
ne peut demeurer complatement isol2, “le rapport
d l’extériorité constitue me donnée immëdiate de
sa constitution et sa mainte>aance” (Amselle et
M’Bokolo, 1985).
Les premiers lignages tir et sorogo du Delta Central,
sous ki poussee des étrangers et des pouvoirs poli-
tiques hégémoniques, ont déléguP une partie de
leurs prérogatives, ce qui a altéré la nature des droits
de pêche kitialement basés sur l’ancienneté d’occu-
pation sanctionnée par le pacte mystique.
l LES GROUPES AUTOCHTONES
Comme nous l’avons déjà évoqué, dans le processus
de transformation historique des chasseurs-collec-
teurs-pêcheurs en groupes socio-professionnels dif-
férenciés, l’apport d’allochtones provenant d’hori-
zons divers a &e déterminant. Le processus d’inté-
gration des étrangers (chasseurs, guerriers, rizicul-
teurs, migrants, fuyards, conquérants) ne s’est pas
clos avec l’émergence et la stabilisation relative des
groupes de pêcheurs. Au fil des siècles l’assimilation
des popuhtions allochtonrs s’est poursuivie et conti-
nue encore de nos jours (Daget, 1956 ; Sakaï, 1990).
Leur installation sur les p&heries autochtones a
modifié le contenu des droits de p&he. A l’origine
nous retrouvons un lignage autochtone exploitant
ses pêcheries délimitées géographiquement et éri-
gées en patrimoine familial. Le droit d’usufruit
concédé par la sacrifiWure est en même temps un