Nous avons vu en outre , parmi tant d’autres, la persistance de la vision symbolique systématique dans la rhetorique simili –soufie (tamat) des <strong>Khaksars</strong>. Adopté par l’ordre khaksar après Baba Daud KHAKI, le symbôle de la poussière (pers. khak) est evidemment omniprésent dans ce discours, qu’il s’agisse de l’humilite d’Abu Torabi « NAKSHBI » ou qu’il s’agisse des galettes de boues (dhella) pétries par Baba Baud « KHAKI » au Cachemire. L’image de la poussière est en fait d’un lieu commun dans la litterature gnostique persane : les soufis eux-mêmes aiment á rappeler que la poussière est, selon la Genèse, la Matrice originelle de la Création de l’Homme. En sus de son acception apologique de l’humilité, la terre est donc notre origine , celle d’oú nous venons et celle ou nous retournerons, une fois défunts. A la suite d’AS-SAWADJI, les premiers Qalandars entretenaient l’obsession de l’éphémèrité de l’existence, qu’on la considère d’un moint de vue métaphysique ou social. Ils fréquentaient donc les cimetières assiduement. « SALOMON chercha un jour une cruche (…) une cruche qui ne fut pas faite de l’argile d’un cadavre ». Faute de parvenir à cette fin, la fable d’ATTAR « SALOMON cherche une cruche » conclut que tout argile provient en fait d’une tombe, et que, par conséquent, la fréquentation des cimetières nous prépare à la Sagesse. <strong>Les</strong> Zoroastres, par exemple, peu avant l’Islam, considéraient que les corps des défunts souillaient la terre, et recouraient aux « tours du Silence », plutôt qu’à l’unhumation, pour cette raison. De nos jours, les iraniens entretiennent une conception très radicale de la poussière qu’ils considérent comme hautement souillée et impure. Notre corps n’est que poussière et retournera à la poussière, toute poussière est souillée par les corps. Moralement, le postulat de la terre perpétuellement souillée relativise toute prétention, toute fierté personnelle, fut elle pieuse. Chez les renonçants, l’argument ne vaut pas forcément pour forcer la pièté, mais plutôt pour perpétuellement dénigrer les hommes – les Fidèles y compris – tant qu’ils se tiennent éloignés, qui du Renoncement, qui de la Futuwwat. « Tu es fais d’une motte de terre ; d’où te vient donc toute la vanité ? Lorsque tu fus détaché de ta mère, tu étais destiné à la Poussière. Sois certain de celà: plus tu te fais poussière ici bas, plus tu deviendras pur là haut. C’est en se faisant poussière que les Saints se purifièrent corps et âme. » [Abu SAID, rapporté par ATTAR, « Elahinameh »] [PAPAS, 2010] de citer par exemple les provocations faites par le « qalandar-naqshbandi » ouzbèke Baba RAHIM dit « MASHRAB » (b. 1640 AD) á ces hôtes ou aux clerge á ce titre. Urinant sur le brocart de son hôte, il justifie cette offense evidente á sa richesse en arguant que cela est préfèrable que de souiller la Terre, origine et destination de l’existence. L’offense d’uriner est par ailleurs relevée dans nombre d’hagiographies mediévales d’errants rind et autres heterodoxes. [PAPAS, 2010] relève dans ses justifications allegoriques la recherche systèmatique de l’inversion du système de valeurs convenues – le pur apparent devient l’impur et vice-versa-, un mécanisme batiniste fréquent dans la rhetorique et dans la prédication prophetique de l’Antiquité. <strong>Les</strong> Qalandars n’echappaient pas á cette règle et en faisaient grand usage au motif de la recherche de la sagesse ou encore du malamatisme . Une autre fois, urinant dans un canal d’irrigation, MASHRAB pretend, aux mollahs qui l’invectivent : « vous lavez l’eau avec votre science, avec ma pisse, je reunis l’enfant et la mère ». Et lorsqu’ils demandent « Et pourquoi n’as tu pas pissé par terre ? », il leur repond que les grands saints attendent sous terre le jugement dernier, et qu’il ne saurait les troubler par la souillure de la terre par l’urine. Nous avons vu que la métaphore de la poussière était prise au sens propre par les premiers ascètes du lignage khaki –khaksar de Baba KHAKI (Cachemire), lesquels confectionnaient d’ailleurs des galettes de boue (dhella). Lire infra, 3 ème partie.
FIGURE 20. Zekr occasionnel des <strong>Khaksars</strong> kurdes, Kermanshah. En arriere plan, á gauche, la percussion Siyafi ( source : tekkieh Kermanshah ) FIGURE 21. Zekr occasionnel á Kermanshah : le luth tanbur empruntés aux Ahl e Haqq ( source : tekkieh Kermanshah )