PARTITIONS URBAINES - Artishoc
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CONCERTS SINGULIERS<br />
POUR OREILLES PASSANTES<br />
En faisant irruption dans l’espace urbain, les musiciens,<br />
tour à tour performeurs et inventeurs, réenvisagent leur pratique<br />
et la transmission de celle-ci.<br />
« Quand je veux écouter de la musique, j’ouvre ma<br />
fenêtre… » : la maxime de John Cage est connue ; elle a<br />
inspiré des générations de compositeurs qui la rendent de<br />
plus en plus tangible en se frottant à d’autres disciplines,<br />
tels les arts de la rue. Mais avant de donner naissance à<br />
une recherche contextuelle sur l’environnement sonore,<br />
l’histoire de la musique en espace urbain s’est d’abord<br />
nourrie d’une réflexion sur la spatialisation du son. Un<br />
champ investi par la musique expérimentale dès les<br />
années 1950, des premières performances multimédia<br />
décentralisant l’espace physique et musical – happenings<br />
du Black Mountain College aux Etats-Unis, ateliers du<br />
Jikken Kôbô et de Gutai au Japon – à la nécessité de créer<br />
des dispositifs inédits générant de nouveaux réflexes<br />
d’écoute – mélangeur à cellule photosensible de Frédéric<br />
Rzewski (1965), Pavillon Philips de Varèse, Xenakis, Le<br />
Corbusier (1958), auditorium sphérique de Stockhausen<br />
(1970), Acousmonium du GRM pour L’Expérience acoustique<br />
de François Bayle (1974), etc. En France, des<br />
compagnies telles que Décor Sonore, menée par Pierre<br />
Sauvageot et Michel Risse, ou Espace Musical (futur Puce<br />
Muse) de Serge de Laubier poursuivent ces investigations<br />
au début des années 1980, donnant naissance aux<br />
premiers spatialisateurs octophoniques ou au Méta<br />
Instrument - interface homme-machine mobile développée<br />
par Serge de Laubier dès 1989, autorisant la manipulation<br />
simultanée et indépendante de 54 variables continues à<br />
l’aide de capteurs placés au niveau des coudes, poignets<br />
et doigts, permettant par exemple de mettre en sons et en<br />
images des façades de monuments (Traverse de façade,<br />
mis en scène par Roland Auzet, 2004).<br />
La rencontre de l’art sonore et des arts de la rue se<br />
cristallise en 1994 autour du Cinématophone, avec la<br />
confrontation de Décor Sonore et d’Oposito : « C’était<br />
l’époque des tout premiers CD et MD portables, se souvient<br />
Pierre Sauvageot. On a mis au point avec Jonathan<br />
McIntosh un système de synchronisation des sources<br />
numériques, puis fabriqué des haut-parleurs portés sur la<br />
tête des musiciens pour obtenir une fanfare électronique,<br />
mais ça n’intéressait pas grand monde. Jean-Raymond<br />
Jacob nous a alors proposé d’utiliser ce dispositif pour un<br />
déambulatoire d’Oposito ; le Cinématophone a été une<br />
grosse réussite dans le domaine des arts de la rue ! Cela<br />
m’a conduit au constat suivant : on peut être radical dans<br />
des propositions artistiques d’espace public, mais si on<br />
n’est pas généreux, on se plante. »<br />
Réflexion sur le mode de transmission, intégration de l’auditeur<br />
en tant que paramètre supplémentaire : une dimension<br />
sociale et politique déjà présente dans les<br />
performances de Fluxus (pièces pour public de La Monte<br />
Young, 1960) ou du Scratch Orchestra, fondé en 1969 par<br />
Cornelius Cardew, Michael Parsons et Howard Skempton,<br />
réunissant musiciens professionnels et amateurs autour<br />
de compositions écrites ou improvisées pour des représentations<br />
en salles, mais aussi dans des églises, universités,<br />
parcs, sur un lac ou au bord de la mer. Plus récemment,<br />
c’est aussi en pensant ses compositions insolites par et<br />
pour l’auditoire – « Concert de haine » sur les marches du<br />
Palais de justice, « Concert de baisers » dans la cour du<br />
Palais Royal… – que Nicolas Frize a amené une certaine<br />
musique concrète en espace libre, entraînant l’adhésion<br />
d’un public qui n’aurait pas forcément poussé la porte des<br />
salles de concert. Une démarche identique est menée par<br />
d’autres artistes auprès de l’opéra : tandis que Pierre<br />
Sauvageot s’attelle à une relecture d’Homère en place<br />
publique avec sa toute récente oXc, l’association Opéra<br />
des rues propose de faire venir l’opéra dans la ville, les<br />
champs ou les halls d’immeubles ; et depuis vingt ans, les<br />
La Cie Déviation aux Tombées de la Nuit 2006. Photo : Nicolas Joubart.<br />
Grooms portent le chant lyrique dans la rue, adaptant leurs<br />
propositions (La Flûte en chantier, La Tétralogie de quat’sous…)<br />
au contexte urbain – investissement de places,<br />
apparitions aux fenêtres des immeubles, etc. Comme le<br />
constate Michel Risse, « il est difficile d’envisager le son<br />
dans la ville sans le raccorder à tout ce qu’il y a autour » ;<br />
l’art sonore s’est peu à peu fondu avec l’environnement<br />
urbain lui-même.<br />
INSTRUMENTARIUM URBAIN<br />
Prenant le contre-pied des bruitistes et des précurseurs de<br />
la musique concrète, qui invitaient les sons de l’environnement<br />
quotidien dans les salles de concert – à l’image de<br />
la Living Room Music de Cage (1940) –, l’utilisation et le<br />
recyclage des déchets sonores de la ville se jouent bientôt<br />
en plein air. En France, si les premières expérimentations<br />
des Tambours du Bronx, nées dans la rue en 1987, ont fini<br />
par faire entrer la poésie industrielle en espaces semifermés<br />
(avec la fondation de la compagnie Métalovoice)<br />
ou dans les salles, l’instrumentarium urbain à ciel ouvert<br />
ne cesse d’inspirer les compositeurs : des œuvres<br />
symphoniques de Pierre Sauvageot conviant klaxons,<br />
marteaux-piqueurs et musiciens – amateurs (Allegro<br />
barbaro, 1997) ou professionnels dans des nacelles<br />
(L’Orchestre de chambre de ville, 2000) – aux déambulatoires<br />
vocalo-percussifs des cinq Instr’humains des Piétons<br />
(Rue de l’attribut, 2003), en passant par des formes plus<br />
légères (impros sur objets de récupération des deux<br />
jazzmen d’Urban drum’n’bass). Les artistes se servent de<br />
l’environnement urbain comme source musicale, allant<br />
jusqu’à utiliser l’auditoire lui-même (Concert de public de<br />
Pierre Sauvageot, 2003) ou les contraintes sonores préexistantes<br />
(dispositif Sirènes et Midi net initié par Lieux<br />
publics, invitant des artistes à proposer une performance<br />
incluant la sirène de la ville chaque premier mercredi du<br />
mois à Marseille).<br />
Se servir des sons déjà présents dans la ville ou les inventer<br />
en remplaçant les éléments tangibles d’un décor classique<br />
de théâtre par de simples évocations sonores, c’est<br />
le credo de la compagnie de L’Eléphant Vert : à l’aide de<br />
dispositifs invisibles (enregistrements numériques diffusés<br />
par des enceintes dissimulées sous un costume, dans une<br />
brouette ou une valise, reliées à un baladeur de poche<br />
permettant la mise à feu sonore), les comédiens captent<br />
La Cie Deviation 2 aux Tombées de la Nuit<br />
2006, à Rennes. Photo : D. R.