PARTITIONS URBAINES - Artishoc
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LA MUSE<br />
À L’OREILLE<br />
Puce Muse, collectif fondé par Serge<br />
de Laubier et inventeur du « méta-instrument »,<br />
fête ses 25 ans.<br />
Au départ, Serge de Laubier pensait devenir ingénieur : c’est<br />
sa rencontre avec Nicolas Frize – « un musicien d’une ouverture<br />
et d’une disponibilité exceptionnelles » – qui a poussé<br />
ce « mauvais pianiste » à embrasser la carrière de compositeur,<br />
et à entrer au Conservatoire de Paris, où il suit en particulier<br />
l’enseignement de Pierre Schaeffer... Au départ, Puce<br />
Muse, créé par Serge de Laubier à la fin de ces études,<br />
n’avait vocation qu’à constituer un collectif de compositeurs<br />
(Philippe Leroux, Augusto Mannis...) désireux de faire entendre<br />
leurs œuvres, qui avaient en commun d’utiliser les techniques<br />
électroniques. C’était compter sans la rencontre,<br />
vers 1983, à l’occasion d’une collaboration avec des plasticiens,<br />
d’un monde que Laubier ignorait totalement, celui des<br />
arts de la rue : « Cette découverte magnifique m’a beaucoup<br />
troublé, et marqué. Dans les arts de la rue, le rapport avec<br />
le public est beaucoup plus libre, avec très peu d’intermédiaires,<br />
sans doute parce que mouvement a été initié et porté<br />
par des artistes, et non par des institutions. » Cette découverte<br />
place le compositeur face à un certain nombre de<br />
questions – à qui s’adresse-t-on ? et pourquoi ? – qui ont<br />
contribué à donner à Puce Muse son visage actuel : celui<br />
d’un « pôle ressource sur la M3V » (« Musique vivante<br />
visuelle virtuelle ») – en d’autres termes, une structure de<br />
référence dans le domaine de la recherche informatique liée<br />
à la création musicale. Sa dimension scientifique (Laubier<br />
a également étudié à l’Ecole Louis Lumière) a conduit à<br />
l’invention de plusieurs technologies – dont le « processeur<br />
spatial octophonique », breveté et commercialisé en 1986-<br />
87 – qui ont permis au collectif, outre d’assurer sa survie<br />
financière, de développer, à la fin des années 1990, le<br />
« méta-instrument » : une sorte de « super télécommande »<br />
permettant d’actionner, via un système de capteurs, des<br />
logiciels de son, d’image, des robots… Le « méta-instrument<br />
», qui en est aujourd’hui à sa troisième génération, a<br />
permis de donner lieu à de multiples créations véritablement<br />
interactives (ainsi La Main vide, créé en mai dernier à Radio<br />
France, sur une musique de François Bayle). Surtout, la<br />
« méta-mallette » permet de mettre cette technologie à la<br />
disposition du plus grand nombre, et de partager instantanément<br />
l’expérience de la musique – notamment avec des<br />
franges de la population (personnes handicapées, troisième<br />
âge, écoliers...) qui n’ont pas forcément accès à la création<br />
musicale. A Igny (Essonnes), où 70 « joueurs de joystick » se<br />
retrouvent le 23 juin pour créer ensemble un vrai spectacle<br />
multimédia, comme à Aurillac, Serge de Laubier n’aime rien<br />
tant que de faire découvrir « le plaisir fou de faire de la<br />
musique ensemble. Ce qui me touche le plus, c’est lorsque<br />
des gens qui n’ont rien à voir les uns avec les autres jouent<br />
côte à côte. » Puce Muse célèbre en 2007 ses vingt-cinq<br />
ans de partage.<br />
David Sanson<br />
www.pucemuse.com<br />
« LA MUSIQUE<br />
DES MÉMOIRES »<br />
En 2000, Claire Renard réalisait une composition en forme<br />
de triptyque musical qui a pris pour terrain de jeu Athènes,<br />
Helsinki et Lisbonne.<br />
« En tant que compositeur, il m’est apparu impératif d’aller à la rencontre du réel et du<br />
vivant sonore tels qu’ils se manifestent dans les lieux de vie aujourd’hui, à savoir l’urbain,<br />
en essayant, comme le dit le poète Yves Bonnefoy, “de ne pas obéir à un savoir qu’on a<br />
du monde”, mais de nouer un dialogue avec ce réel, d’en faire l’expérience physique et<br />
consciente, comme le peintre va “sur le motif”, pour tenter d’en saisir et d’en faire<br />
partager, dans une future composition, l’immanence virtuelle. » A travers La Musique des<br />
mémoires, Claire Renard interroge le rôle de la musique aujourd’hui, notre façon d’écouter<br />
et notre expérience du temps dans un monde « où tout, y compris l’art, est devenu objet<br />
de marché ».<br />
Pour la composer, elle a choisi trois villes portuaires, aux confins des frontières de<br />
l’Europe, pour leurs configurations particulières : « Vaste espace plat en pierre dense<br />
d’Helsinki, rues géométriques et bétonnées d’Athènes, ruelles tortueuses et étroites,<br />
tapissées de céramiques, nichées de collines pour Lisbonne ». Une expérience de plus<br />
de deux ans d’immersions répétées, « le corps en alerte, autant que l’oreille, dit-elle, pour<br />
repérer une sensation sonore spécifique ou se laisser envahir par le bruit permanent et<br />
mécanique de la modernité », menée avec un double parti pris : éprouver à la fois le<br />
temps et l’espace de ces trois urbanités.<br />
Equipée d’un simple baladeur DAT et un micro stéréo, comme une « antenne du corps »,<br />
elle capte les bruits, les souvenirs mais aussi la parole de l’autre « dans ce qu’elle porte<br />
de musical en tant que langue étrangère ». Au-delà du reportage, sa démarche tend à<br />
constituer un « corpus de mémoire vivante dans la chair des mots ». Elle ne s’intéresse<br />
pas tant au son, si volatil, même enregistré, qu’à l’expérience du son, qui, fondamentalement<br />
liée à la mémoire, accompagnant sa transformation en « mémoire de l’expérience<br />
» puis en création.<br />
Après cette collecte un peu particulière, vint le temps de « trier, ordonner, nommer, organiser<br />
dans une structure cohérente ». Composée en studio à l’aide du logiciel ProTools,<br />
cette œuvre utilise uniquement des sons dont la vie acoustique a été captée et pensée<br />
à la prise de son, afin de n’avoir recours à d’autres effets que les techniques traditionnelles<br />
de montage et de mixage. Déclinée en trois puis quatre villes portuaires (Saint-<br />
Nazaire), La Musique des mémoires interroge plusieurs espaces, entre parole concrète<br />
(« Du côté des mots », « Portraits ») et abstraction (« A propos du rythme », « A propos du<br />
temps », « Figures de l’Agora », « Air »). Chacun des pans du triptyque possède sa forme<br />
musicale propre, comprenant séquences musicales et récits-souvenirs.<br />
Sa diffusion a également été l’objet d’une réflexion spécifique menée avec la scénographe<br />
Esa Vesmanen : « Composer ce triptyque n’allait pas sans penser aux conditions dans<br />
lesquelles il pourrait être écouté et à l’expérience transmise. […] L’expérience de l’écoute<br />
urbaine avait été celle d’un corps aveugle mais résonant, d’une conscience intime orientée<br />
vers l’extérieur, vers ce dans quoi nounous mouvons sans le voir. Pour cette œuvre<br />
électroacoustique, un dispositif frontal scénique comme celui d’une salle de concert<br />
ne pouvait offrir des conditions d’écoute adéquates. […] Il fallait que chacun puisse<br />
se perdre intimement dans le son, pris au hasard de l’écoute mais aussi réécouté autant<br />
de fois que nécessaire pour entrer dans le temps de la contemplation ; il fallait un lieu<br />
où le visiteur aurait plaisir à rester, corps aveugle mais écoutant, où, comme dans une<br />
ville, on va, on vient à son propre rythme, on s’assoit, on passe et repasse à certains<br />
endroits pour retrouver un bonheur spécifique. »<br />
Julie Broudeur<br />
www.clairerenard-pimc.com<br />
DES AIDES INCITATIVES<br />
« La musique, toute la musique », proclame la Sacem, qui soutient<br />
des projets liés aux arts de la rue. Olivier Bernard, responsable de la<br />
Division culturelle à la Sacem, justifie le sens d’un tel engagement.<br />
Dans quel cadre la Sacem soutient-elle la création musicale<br />
liée aux arts de la rue ?<br />
Olivier Bernard : « La Sacem a développé dès les années<br />
1970, et même antérieurement pour certaines actions,<br />
une politique d’action culturelle. Ce qui a radicalement<br />
changé la donne, c’est la loi de 1985 sur la compensation<br />
du préjudice subi par les ayants droit avec la généralisation<br />
de la copie privée. Cette loi de 1985 a instauré au bénéfice<br />
des ayants droit, auteurs, interprètes et producteurs,<br />
une redevance dont 25% doivent être impérativement<br />
affectés à des opérations d’intérêt général dans le<br />
domaine de la création musicale, du spectacle vivant et<br />
dans celui de la formation et de l’insertion des jeunes<br />
et artistes. C’est dans ce cadre que la Sacem, comme<br />
d’autres sociétés civiles, dispose de moyens pour développer<br />
des actions.<br />
Mais pour nous, la prise en considération d’un territoire<br />
particulier autour des arts de la rue est relativement<br />
récente. A la fin des années 1990, nous nous sommes<br />
rendu compte qu’il y avait là une possibilité d’écriture<br />
musicale singulière, originale, inventive, transversale,<br />
parce qu’en dialogue avec d’autres disciplines du spectacle<br />
et différente des pratiques traditionnelles du concert.<br />
Cette prise de conscience a alors été facilitée par la<br />
rencontre avec Pierre Sauvageot, qui était alors responsable<br />
d’une compagnie d’arts de la rue avec une spécificité<br />
musicale forte. Sur la base de ces premiers échanges,<br />
nous avons peu à peu mis en place un certain nombre de<br />
dispositifs qui nous permettent d’apparaître comme partenaire<br />
de la création liée aux arts de la rue. Nos modes d’intervention<br />
peuvent être des aides à l’écriture ou encore<br />
des aides aux projets autour de spectacles bien identifiés.<br />
Une première convention a été signée voici quatre ans<br />
avec Lieux publics, Centre national de création des arts de<br />
la rue. Dans ce cadre, nous soutenons chaque année<br />
quatre ou cinq projets. Mais on pourrait fort bien être<br />
sollicités par d’autres lieux de fabrication et de production,<br />
mais aussi de compagnies, à condition que soient<br />
générées des commandes originales pour des projets à<br />
contenu musical fort.<br />
La Sacem peut-elle être directement sollicitée par des musiciens,<br />
des compositeurs ?<br />
« Bien sûr. Cette convention avec un Centre national a pour<br />
nous une fonction de facilitation et d’aide à l’expertise,<br />
mais la possibilité est offerte d’intervenir directement sur<br />
des projets qui nous sont adressés. Nous nous engageons<br />
également auprès d’un certain nombre de festivals ou<br />
d’événements avec lesquels nous avons multiplié des<br />
partenariats ces dernières années : Viva Cité, Chalon dans<br />
la Rue, la Nuit blanche parisienne, Musiques à la rue de<br />
Biarritz, les Tombées de la Nuit à Rennes, le festival de la<br />
Boule bleue à Amiens, etc.<br />
Il ne suffit pas de mettre une formation de rock, de jazz ou<br />
de musique classique sur une estrade ? Les projets qui vous<br />
sont présentés doivent donc comporter une dimension d’écriture<br />
spécifique ?<br />
« Bien sûr. Toutes les musiques de l’espace public ne sont<br />
pas concernées, sinon on aurait les bals, fanfares et<br />
autres… Nous ne confondons pas ce domaine traditionnel,<br />
que nous pouvons aider par ailleurs, avec le champ des<br />
arts de la rue tel qu’on le définit aujourd’hui.<br />
L’idée de soutenir la création musicale dans l’espace public,<br />
hors des espaces consacrés que sont les salles de concerts,<br />
est-elle facilement admise au sein de la Sacem ?<br />
« Absolument ! Quand on a commencé, à la fin des années<br />
1990, à réfléchir à ces perspectives qui étaient neuves<br />
pour nous, on a organisé à La Villette une grande rencontre<br />
professionnelle, où l’on avait conviés un certain nombre<br />
de responsables de compagnies et de festivals. On avait<br />
alors lancé l’information auprès d’un panel de compositeurs<br />
de différentes obédiences, et cela avait été pour<br />
nous un bon symptôme d’un réel intérêt de ces compositeurs<br />
pour ce type d’écriture et de création. Pour moi, ça<br />
a été le déclic qui nous a amenés à réfléchir plus loin et à<br />
dégager des moyens spécifiques. Il y a encore un travail<br />
d’information à mener, aussi bien en direction des acteurs<br />
du secteur que des créateurs, et des compositeurs en<br />
particulier. Nous avons une enveloppe budgétaire annuelle,<br />
pour les arts de la rue, qui est de l’ordre de 150 000<br />
euros. C’est relativement peu, parce que ces initiatives<br />
sont encore relativement marginales parmi les demandes<br />
et dossiers que nous recevons. Il y a encore un espace<br />
de progression dans ce type d’interventions, à condition<br />
que l’on aille vers l’exigence, la qualité et la création. »<br />
Propos recueillis par Jean-Marc Adolphe