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PARTITIONS URBAINES - Artishoc

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DE L’INTIMITÉ DU SON<br />

JUSQU’AU PAYSAGE<br />

L’art subtil de Pierre Berthet s’épanouit au croisement de<br />

plusieurs chemins. S’il invente des sons inouïs, il se préoccupe<br />

tout autant de leur mise en espace que de leur perception.<br />

Le « haut-parleur prolongé » est une installation que Pierre<br />

Berthet a construite autour de long fils d’acier reliés à des<br />

bidons servant de résonateurs. Un son émis d’un hautparleur<br />

fiché dans l’un d’eux met l’ensemble du réseau en<br />

vibration. Le son initial se transforme comme s’il passait<br />

au travers d’un prisme. Il se décompose en fragments<br />

colorés qui se mêlent, se superposent… Des harmoniques<br />

apparaissent, s’enfuient. Tout le réseau vrombit d’une<br />

musique mystérieuse. Mais surtout – et c’est sans doute<br />

le plus fascinant – la source vibratoire se déroule devant<br />

nous, autour de nous, immense. Lorsqu’une une corde de<br />

guitare vibre à un endroit précis de son manche, l’air transporte<br />

sa vibration jusqu’à notre tympan. Lui nous transporte<br />

au cœur même de la vibration. Habilement accroché<br />

à des murs ou à des branches, à des plafonds ou à des<br />

arbres, son dispositif éclaté dans l’espace nous enveloppe<br />

dans sa vibration essentielle.<br />

Histoire d’épurer le dispositif ou de rendre la source sonore<br />

plus abstraite encore, la membrane du haut-parleur, la<br />

source, peut être totalement enlevée. Seule l’impulsion<br />

vibratoire initiale subsiste. Elle suffit à animer le réseau<br />

tendu de ses fils et de ses bidons qui prennent<br />

harmonieusement le relais. Pour avoir le temps de provoquer<br />

leurs effets en toute quiétude, les sons insufflés par<br />

ses haut-parleurs, « démembranés » ou non, doivent durer,<br />

s’étendre. C’est pourquoi Pierre Berthet utilise des<br />

sonorités ambient, atmosphériques, électroniques ou sinusoïdales.<br />

Son système peut également s’auto-alimenter en<br />

captant ses propres sons et en les réinjectant dans son<br />

réseau vibrant. La musique qui résulte de ces dispositifs<br />

se déploie, mouvante, colorée dans un souffle ample. Elle<br />

fait plus penser à une aurore boréale qu’à autre chose.<br />

Pierre Berthet est capable de brancher ses fils d’acier et<br />

ses bidons métalliques sur des cadres de piano, sur des<br />

ressorts de locomotives ou au bout d’une longue trompe<br />

dans laquelle il souffle. Ses sources sont multiples, la<br />

prolongation, la transformation et la mise en espace sont<br />

à chaque fois plus étonnantes. Il construit également<br />

toutes sortes d’instruments : des « expirateurs » qui soufflent<br />

de l’air dans des tubes de différentes longueurs, les<br />

mettant en résonance, des « tambours tubulaires » qui font<br />

tomber des gouttes d’eau sur une fine membrane fixée au<br />

bout d’un tuyau. Mais le plus impressionnant reste sans<br />

conteste ses Cabanes à sons posées en 2005 dans un<br />

Pierre Berthet & Patrick Delges,<br />

Cabanes à sons Photo : D. R.<br />

parc de Neerpelt, en Belgique, en pleine nature. Faites de<br />

lames d’acier, elles sont connectées à un réseau de fils<br />

métalliques et à un haut-parleur qui diffuse des sons sinusoïdaux<br />

mixés à des bruits de nature pris sur le vif (oiseaux,<br />

frottements de feuilles, souffle de vent). On entre dans ces<br />

cabanes comme on entre dans le son. Tel est le geste<br />

fabuleux de Pierre Berthet.<br />

Accompagné de musiciens aventureux comme Xavier<br />

Charles, Frédéric Le Junter ou eRikm, jouant avec des<br />

danseurs ou en solo, on a pu entendre Pierre Berthet dans<br />

des hauts lieux de défrichages sonores : Instants Chavirés,<br />

festival Why Note de Dijon, Musique Action à Vandœuvrelès-Nancy,<br />

Festival Octopus à Beaubourg, etc. Il ne s’est<br />

jamais retenu de se produire dans des endroits aussi variés<br />

ou improbables que des galeries à Cologne, Marseille,<br />

Tokyo, New York, Hasselt ou Berlin, des bureaux abandonnés<br />

à Dortmund, un hangar de chemin de fer à Courtrai,<br />

une église à Metz ou à Caen, des ateliers à Lille, et bien<br />

sûr des parcs et des forêts comme à Dijon et à Reims.<br />

Dans les années 1970, Walter De Maria a installé de<br />

manière géométrique quatre cents paratonnerres de sept<br />

mètres de haut dans une plaine orageuse du Nouveau-<br />

Mexique. Pendant les orages, les éclairs bondissaient<br />

nerveusement des uns aux autres, formant un splendide<br />

tableau éphémère. Pierre Berthet développe exactement la<br />

même attention à provoquer et jouer avec un phénomène<br />

naturel élémentaire. Il prend surtout le même plaisir un<br />

peu fou et merveilleux à réaliser son désir d’expression<br />

dans l’espace.<br />

Camille Guynemer<br />

ENTRETIEN<br />

AVEC PIERRE BERTHET<br />

Comment en êtes-vous venu à la création de vos propres<br />

dispositifs instrumentaux ?<br />

« Parallèlement aux cours de percussions que je suivais au<br />

Conservatoire de Bruxelles, j’ai commencé à récolter des<br />

objets trouvés et à les écouter. J’avais un professeur qui<br />

s’appelait André Van Belle. Dans les années 1970, il s’est<br />

beaucoup consacré à constituer un groupe pour jouer sur<br />

le gamelan du musée des instruments de musique. Je suis<br />

malheureusement arrivé trop tard pour en profiter, mais<br />

André avait aussi formé un groupe qui s’appelait Fusion,<br />

dans lequel j’ai un peu joué. On interprétait sa musique et<br />

celle d’autres compositeurs sur un instrumentarium qui<br />

mélangeait des instruments exotiques et des objets trouvés.<br />

Il organisait des concerts chez lui, ce qui fut très<br />

enrichissant pour moi. Il a aussi composé deux morceaux<br />

pour carillon quand il a su que j’en jouais.<br />

Par ailleurs, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, tous<br />

les premiers week-ends du mois, il y avait un festival<br />

gratuit de musiques expérimentales où j’ai vu beaucoup de<br />

gens qui jouaient avec autre chose que des instruments :<br />

Tom Johnson, Lloenç Barber, le groupe Zaj, Han Beninnk,<br />

Max Eastle, etc. Je trouvais tout cela plus excitant que<br />

la percussion “classique”, et j’ai commencé à explorer<br />

ce matériau. Puis, Garrett List, professeur d’improvisation<br />

au Conservatoire de Liège, et Frederic Rzewski, professeur<br />

de composition dans le même lieu, m’ont encouragé dans<br />

cette voie.<br />

Pierre Berthet & Patrick Delges, Cabanes à sons.<br />

Photo : D. R.<br />

Pierre Berthet, Un haut-parleur prolongé, installation réalisée<br />

pour Lieux Communs 2004, à Montreuil. Photo : Mélanie Desiron.<br />

J’ai sans doute aussi été influencé par des plasticiens<br />

ou des performeurs qui utilisaient des matériaux pas<br />

nécessairement prévus pour faire de l’art.<br />

Vous avez aussi découvert les travaux de Jim Burton, Alvin<br />

Lucier, Terry Fox, Paul Panhuysen, Ellen Fullman…<br />

« Oui, toutes ces personnes ont plus ou moins travaillé<br />

avec des longues cordes métalliques, ce qui est aussi mon<br />

cas ; mais je suis arrivé après, et j’ai beaucoup appris en<br />

les écoutant.<br />

Quels souvenirs gardez-vous de vos deux années passées<br />

à jouer du carillon ?<br />

« Un enchantement ! Tant dans le fait de jouer que dans<br />

celui d’être là-haut à écouter la rumeur de la ville, le<br />

marché, les pigeons, etc.<br />

Vous vous produisez souvent en extérieur. Qu’attendez-vous<br />

d’un environnement naturel ou urbain ?<br />

« Je me produis tout simplement là où on me le demande.<br />

Ce sont plus ou moins les mêmes principes qui sont mis<br />

en jeu, mais je les adapte aux circonstances. Je n’ai jamais<br />

une installation idéale en tête. Dans chaque lieu, quel qu’il<br />

soit, de nouvelles idées arrivent, d’autres sont abandonnées,<br />

reviennent plus tard.<br />

Le son est un phénomène multiple. Votre travail consiste-t-il<br />

à en simplifier la perception ?<br />

« Plutôt à essayer de l’affiner, d’entendre les dessous du<br />

son, de trouver des moyens relativement simples de<br />

voyager à l’intérieur du son et d’éveiller l’intérêt de l’oreille<br />

pour des zones sonores consciemment peu fréquentées. »<br />

Propos recueillis par Camille Guynemer<br />

Sélection discographique :<br />

Un cadre de piano prolongé (Sonoris/Orkhêstra) ;<br />

Two continuum pieces (Sub Rosa/Metamkine) ;<br />

Berthet Le Junter, avec Frédéric Le Junter<br />

(Vand’Œuvre/Metamkine).<br />

Pour en savoir plus : www.pierre ;berthet.be

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