Migration internationale et développement local dans le ... - Matrix
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<strong>Migration</strong> <strong>internationa<strong>le</strong></strong> <strong>et</strong> <strong>développement</strong> <strong>local</strong><br />
<strong>dans</strong> <strong>le</strong> Nguènar sénégalais<br />
Papa Demba Fall<br />
Parent pauvre de la mondialisation, la libre circulation des hommes n’en<br />
continue pas moins de susciter un engouement particulier <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s pays<br />
du Sud où l’exode de longue distance est toujours perçu comme une<br />
alternative à la reproduction des unités familia<strong>le</strong>s durement éprouvées<br />
par la dégradation de <strong>le</strong>urs conditions de vie. Tel est <strong>le</strong> cas du Sénégal —<br />
ancien territoire phare de l’empire colonial français d’Afrique — qui, en<br />
dépit d’un contexte international peu favorab<strong>le</strong>, est devenu pays<br />
d’émigration 1 . En eff<strong>et</strong>, la dynamique migratoire observée au Sénégal<br />
depuis <strong>le</strong> début des années 1980 coïncide, à l’échel<strong>le</strong> planétaire, avec un<br />
renforcement du protectionnisme migratoire (Fall 1998 ; Tall 2004).<br />
La rapide progression du nombre de migrants internationaux, l’extension<br />
du phénomène à des espaces naguère absents du bassin d’émigration, la<br />
diversification des destinations, <strong>et</strong>c. suscitent des interrogations<br />
auxquel<strong>le</strong>s peu de réponses satisfaisantes ont été apportées.<br />
Naguère traitée par <strong>le</strong>s pays nantis comme un apport économique uti<strong>le</strong>, la<br />
migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong> de travail est aujourd’hui appréhendée comme<br />
un problème <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s grands foyers d’accueil qui se sont évertués à<br />
m<strong>et</strong>tre en place des politiques dont l’ambition non avouée est « l’arrêt<br />
des flux en échange de l’aide au <strong>développement</strong> <strong>local</strong> ».<br />
Éminemment liée au diffici<strong>le</strong> renouvel<strong>le</strong>ment des flux, l’une des<br />
stratégies adoptées par <strong>le</strong>s migrants internationaux regroupés en<br />
associations dites de <strong>développement</strong> des villages d’origine consiste à<br />
s’investir <strong>dans</strong> des proj<strong>et</strong>s communautaires qui ont nourri bien des<br />
discussions <strong>et</strong> hypothèses (Daum 1993 ; Quiminal 1994 ; Libercier &<br />
Schneider 1996).<br />
1 Des enquêtes récentes indiquent que sur une population tota<strong>le</strong> de dix millions<br />
d’habitants, <strong>le</strong> nombre de Sénégalais vivant à l’étranger est estimé à deux<br />
millions d’individus (Eurosat 2000). Autant l’Afrique reste la principa<strong>le</strong><br />
destination des migrants sénégalais avec près de 58 % des départs, autant<br />
l’Europe <strong>et</strong> l’Amérique du Nord ont fait une entrée remarquée <strong>dans</strong> <strong>le</strong> champ<br />
migratoire sénégalais. Cf. Réseau <strong>Migration</strong> <strong>et</strong> Urbanisation en Afrique de<br />
l’Ouest, Enquête sur <strong>le</strong>s migrations <strong>et</strong> l’Urbanisation au Sénégal (EMUS) 1992-<br />
1993. Rapport national descriptif. Bamako: août 1997.
C<strong>et</strong>te contribution propose, à la faveur d’enquêtes menées en mai <strong>et</strong> juin<br />
2005 2 <strong>dans</strong> cinq villages wolof de la province historique du Nguènar (carte<br />
1), de (re)discuter de la relation entre migration <strong>et</strong> <strong>développement</strong>.<br />
Carte1- Le Nguènar : <strong>local</strong>isation des villages étudiés<br />
Outre <strong>le</strong> caractère récent du fait migratoire au départ <strong>et</strong> son<br />
l’importance quantitative <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s villages de Mogo Tapsir Balla<br />
(éga<strong>le</strong>ment appelé Fété Niébé), Taiba Nguèyene, Sédo Sébé, Thieukheul<br />
Sébé <strong>et</strong> Thiarène, quatre raisons fondamenta<strong>le</strong>s ont motivé <strong>le</strong> choix de la<br />
zone d’enquêtes :<br />
2 C’est <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre du programme « Renforcement des capacités des<br />
associations de migrants sénégalais d’Italie » conduite simultanément en Italie <strong>et</strong><br />
au Sénégal que <strong>le</strong>sdites missions ont été effectuées. El<strong>le</strong>s complètent nos<br />
enquêtes menées en décembre 2004 <strong>dans</strong> la haute vallée du f<strong>le</strong>uve Sénégal sur la<br />
participation au <strong>développement</strong> <strong>local</strong> des associations soninkés. Ces travaux ont<br />
donné lieu à deux publications : Le capital social des migrants sénégalais d’Italie.<br />
Dakar: COOPI, 2005 <strong>et</strong> “International Labour <strong>Migration</strong> and Local Development in<br />
the Upper Val<strong>le</strong>y of the Senegal River”, New Delhi, 2005.
- <strong>le</strong> caractère homogène des villages étudiés tant au plan <strong>et</strong>hnique<br />
qu’environnemental ;<br />
- l’expérience capitalisée, à l’échel<strong>le</strong> régiona<strong>le</strong>, par <strong>le</strong>s groupes<br />
<strong>et</strong>hniques voisins — Halpular <strong>et</strong> Soninkés — dont la tradition<br />
d’expatriation <strong>et</strong> de mobilisation en faveur du <strong>développement</strong> des<br />
terroirs d’origine est largement établie (Quiminal 1991 ;Daum 1993; Lanly<br />
1998) ;<br />
- la proximité de Ouro Sogui dont l’affirmation en tant que pô<strong>le</strong><br />
régional 3 est largement commandée par <strong>le</strong>s investissements des pionniers<br />
de la migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong> (Bredeloup 1995; Sall 2004) ;<br />
- <strong>le</strong>s opportunités offertes par la décentralisation qui accorde une place<br />
de choix aux initiatives communautaires.<br />
Les investigations menées au sein des villages étudiés perm<strong>et</strong>tent, à<br />
travers <strong>le</strong>s différentes articulations de c<strong>et</strong>te contribution, de soutenir<br />
trois thèses :<br />
- la première partie du texte esquisse <strong>le</strong>s considérations<br />
géophysiques <strong>et</strong> économiques majeures qui déterminent<br />
l’engouement pour la migration, son importance quantitative <strong>et</strong><br />
<strong>le</strong>s destinations privilégiées. El<strong>le</strong> souligne l’originalité de la<br />
migration au départ du Nguènar par rapport avec <strong>le</strong>s flux<br />
migratoires de la vallée du f<strong>le</strong>uve Sénégal en particulier la<br />
nouveauté du mouvement <strong>et</strong> son ancrage <strong>dans</strong> <strong>le</strong> nouveaux<br />
territoires d’immigration sénégalaise ;<br />
- la seconde section analyse <strong>le</strong>s fondements de la mobilisation en<br />
faveur des terroirs d’origine <strong>et</strong> <strong>le</strong> mode de fonctionnement des<br />
associations. El<strong>le</strong> indique que la prise en charge des besoins<br />
communautaires est la conséquence logique de la difficulté à<br />
renouve<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s flux migratoires <strong>et</strong> la dépendance accrue des<br />
villages d’origine vis-à-vis des envois financiers des migrants qui<br />
sont fortement érodés par la dégradation des conditions de vie <strong>et</strong><br />
de séjour <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s pays d’accueil ;<br />
- enfin, la troisième <strong>et</strong> dernière partie dresse un état des lieux des<br />
investissements communautaires réalisés à l’échel<strong>le</strong> desdits<br />
villages. El<strong>le</strong> perm<strong>et</strong> de relativiser la thèse du migrant un acteur<br />
de <strong>développement</strong> tout en soulignant qu’il constitue une ressource<br />
dont la mise en œuvre implique de profonds réaménagements.<br />
3 Ourou Sogui est, à maints égards, l’illustration parfaite de l’impact de la<br />
migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong> sur la transformation d’un hameau en centre<br />
commercial <strong>et</strong> urbain. Il doit son dynamisme aux investissements de migrants qui<br />
ont fait fortune <strong>dans</strong> <strong>le</strong> commerce du diamant <strong>et</strong> des pierres précieuses.
Une terre d’émigration récente au sein du vieux bassin migratoire<br />
sénégalais<br />
Les déterminants de la migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong><br />
Situé aux confins Sénégal, <strong>le</strong> Nguènar se caractérise par son climat<br />
sahélien <strong>et</strong> l’extrême pauvr<strong>et</strong>é des sols qui n’autorisent qu’une<br />
agriculture extensive.<br />
Largement tributaire des aléas climatiques, la mise en va<strong>le</strong>ur des terres<br />
qui constitue l’occupation principa<strong>le</strong> de la quasi-totalité de la population<br />
active ne dure guère plus de trois mois. À la différence des terroirs qui<br />
jouxtent <strong>le</strong> lit majeur du f<strong>le</strong>uve, <strong>le</strong>s cultures de décrue y sont<br />
méconnues. L’aménagement de la vallée du Sénégal 4 , qui a nourri bien<br />
des espoirs, n’a pas produit <strong>le</strong>s résultats escomptés en raison notamment<br />
du r<strong>et</strong>ard accusé par <strong>le</strong>s proj<strong>et</strong>s de revitalisation du Ferlo dont <strong>le</strong>s deux<br />
affluents — <strong>le</strong> Loumbol <strong>et</strong> <strong>le</strong> Lougguéré — qui traversent la région se sont<br />
fossilisés avec <strong>le</strong>s cyc<strong>le</strong>s répétés de sécheresse.<br />
Les observations empiriques <strong>et</strong> informations glanées au suj<strong>et</strong> des<br />
conditions de vie <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s villages sont accablantes. Par exemp<strong>le</strong>, parmi<br />
<strong>le</strong>s 29 chefs de ménage interrogés à Thiarène, seuls 5 estiment avoir<br />
couvert <strong>le</strong>urs besoins alimentaires de l’année écoulée sur la base de<br />
revenus agrico<strong>le</strong>s : vente d’arachide <strong>et</strong> de bétail.<br />
Dans un tel contexte, la migration temporaire est très vite apparue<br />
comme une stratégie de survie. Il est d’ail<strong>le</strong>urs rare de rencontrer parmi<br />
<strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s générations, des individus n’ayant pas expérimenté, à l’âge<br />
adulte, <strong>le</strong> navétanat ou migration saisonnière vers <strong>le</strong> bassin arachidier<br />
(David 1980) ou l’exode rural tourné vers la recherche de revenus<br />
additionnels <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s centres urbains sénégalais.<br />
La dégradation continue des conditions de vie en milieu rural, l’échec de<br />
politiques nationa<strong>le</strong>s de <strong>développement</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s difficultés récurrentes de<br />
l’État sénégalais ont progressivement placé <strong>le</strong>s populations <strong>dans</strong> la<br />
recherche de stratégies de survie 5 . Parmi el<strong>le</strong>s, la migration<br />
<strong>internationa<strong>le</strong></strong> figure au premier rang.<br />
4 Créée à l’initiative des États riverains du f<strong>le</strong>uve Sénégal, l’Organisation pour la<br />
mise en va<strong>le</strong>ur du Sénégal (OMVS) est un ambitieux programme sous –régional de<br />
<strong>développement</strong>. El<strong>le</strong> compte à son actif deux réalisations majeures :<br />
- <strong>le</strong> barrage de Diama destiné à empêcher la remontée de l’eau salée venant de<br />
l’estuaire du f<strong>le</strong>uve, à r<strong>et</strong>enir l’eau douce pour perm<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> accroître <strong>le</strong>s<br />
possibilités d’irrigation ou recharger <strong>le</strong>s cuv<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s lacs fossi<strong>le</strong>s situés en<br />
bordure du f<strong>le</strong>uve ;<br />
- <strong>le</strong> barrage de Manantali dont la vocation est d’assurer, durant la saison des<br />
pluies, la r<strong>et</strong>enue d’eau, de perm<strong>et</strong>tre, par des lâchers judicieux, la navigabilité<br />
du f<strong>le</strong>uve l’irrigation des terres agrico<strong>le</strong>s pendant la saison sèche <strong>et</strong> de produire<br />
de l’é<strong>le</strong>ctricité pour <strong>le</strong>s capita<strong>le</strong>s (Dakar, Bamako <strong>et</strong> Nouakchott).<br />
5 Une importante littérature est consacrée aux programmes d’ajustement<br />
structurel <strong>et</strong> à <strong>le</strong>ur vol<strong>et</strong> consacré à l’agriculture. Pour plus d’informations sur ce<br />
suj<strong>et</strong>, <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur pourra consulter <strong>le</strong>s travaux suivants : ANTOINE & DIOP (1995) ;
Peu significative au début des années soixante-dix, la forte propension<br />
des Sénégalais à s’expatrier n’épargne aujourd’hui aucune région ni<br />
groupe <strong>et</strong>hnique (carte 2).<br />
Carte 2. L’espace migratoire international des Sénégalais<br />
Dans <strong>le</strong> cas particulier de notre zone d’étude, la spécificité de la<br />
migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong> réside essentiel<strong>le</strong>ment <strong>dans</strong> son caractère tardif<br />
<strong>et</strong> son ancrage en territoire italien. Comment expliquer c<strong>et</strong>te évolution ?<br />
Situé au cœur de la plus ancienne région d’émigration sénégalaise, <strong>le</strong>s<br />
villages de Mogo Tapsir Balla/Fété Niébé, Taïba Ngueyène, Sédo Sébé,<br />
Tharène <strong>et</strong> Thieukheul Sébé n’ont véritab<strong>le</strong>ment rejoint <strong>le</strong> peloton<br />
migratoire qu’à partir des années 1990.<br />
Le recensement effectué en 2005 indique que la proportion de migrants<br />
internationaux est de l’ordre de 5,37 % de la population tota<strong>le</strong> (tab<strong>le</strong>au<br />
ci-dessous).<br />
ANTOINE <strong>et</strong> al. (1995) ; DELGADO & JAMMEH (1991); DIOP & DIOUF (1990);<br />
DURUFLÉ (1994); DIOP (1992).
Tab<strong>le</strong>au 1. La population migrante <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s villages étudiés<br />
Village<br />
Population<br />
tota<strong>le</strong><br />
Migrants<br />
internationaux<br />
Proportion de<br />
migrants<br />
installés en Italie/<br />
nombre total<br />
Sédo Sébé 8 000 600 200<br />
Mogo Tapsir Balla 6 500 92 45<br />
Thiékheul Sébé 2 327 150 100<br />
Thiarène 5 000 275 200<br />
Taiba 1 350 129 80<br />
Total 23 177 1 246 625<br />
Source : enquête, 2005<br />
L’importance actuel<strong>le</strong> de la migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong> tranche très<br />
n<strong>et</strong>tement avec <strong>le</strong>s informations recueillies auprès des pionniers de<br />
l’exode de longue distance. Cel<strong>le</strong>s-ci révè<strong>le</strong>nt qu’ils n’étaient que 33<br />
migrants internationaux entre 1956 <strong>et</strong> 1970 dont 25 étaient installés en<br />
Afrique <strong>et</strong> 8 en France.<br />
Une analyse fine de la population migrante recensée en 2005 indique 92 %<br />
des flux migratoires datent des quinze dernières années. C<strong>et</strong>te évolution<br />
s’inscrit <strong>dans</strong> la dynamique largement documentée de l’implication des<br />
Modou-Modou 6 <strong>dans</strong> la migration de longue distance. El<strong>le</strong> confirme,<br />
toutes choses éga<strong>le</strong>s par ail<strong>le</strong>urs, la prégnance des réseaux <strong>et</strong>hniques<br />
<strong>dans</strong> <strong>le</strong> processus migratoire. En eff<strong>et</strong>, il est surprenant d’observer que<br />
<strong>le</strong>s groupes wolof implantés au Fouta depuis <strong>le</strong> XV e sièc<strong>le</strong> (Kane 1986)<br />
n’aient pas été plus tôt influencés par l’intensité <strong>et</strong> <strong>le</strong>s r<strong>et</strong>ombées de la<br />
migration de <strong>le</strong>urs voisins Soninké <strong>et</strong> Halpular qui sont <strong>le</strong>s précurseurs de<br />
l’exode international (Diarra 1968 ; Dupraz 1995).<br />
En termes de pays d’accueil, l’espace migratoire international des<br />
populations du Nguènar épouse <strong>le</strong>s contours de la recomposition observée<br />
au Sénégal en l’occurrence la part grandissante de la péninsu<strong>le</strong> italienne<br />
(Fall 1998). Suivie de la Côte-d’Ivoire, du Congo <strong>et</strong> plus récemment du<br />
Maroc, l’Italie héberge 50,16% des migrants internationaux issus des<br />
<strong>local</strong>ités enquêtées.<br />
6 Nom donné aux migrants wolof du centre du Sénégal notamment <strong>le</strong>s Baol-Baol,<br />
<strong>le</strong>s Saloum-Saloum <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Ndjambour-Ndjambour. Alors qu’ils ne représentaient<br />
qu’environ 10 à 12 % des migrants internationaux installés <strong>le</strong>s pays du nord en<br />
1960, ils constituent près de 40 % des flux migratoires en 2000.
Dégradation de l’environnement migratoire international <strong>et</strong><br />
reformulation des rapports avec <strong>le</strong> pays d’origine<br />
Nombre de travaux scientifiques ont souligné <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> prépondérant des<br />
va<strong>le</strong>urs communautaires africaines <strong>dans</strong> l’édification des réseaux<br />
d’insertion des nouveaux arrivants <strong>et</strong> de maintien de liens étroits avec <strong>le</strong><br />
pays d’origine (Schmidt di Friedberg 1994 ; Buggenhagen 1997).<br />
Fondées sur la solidarité villageoise ou inter<strong>et</strong>hnique, <strong>le</strong>s caisses<br />
communautaires des ressortissants du Nguénar en terre étrangère sont<br />
alimentées par des cotisations mensuel<strong>le</strong>s des habitants d’une même<br />
<strong>local</strong>ité. Leur fonction essentiel<strong>le</strong> est de réduire <strong>le</strong>s dépenses de<br />
subsistance <strong>dans</strong> <strong>le</strong> pays hôte afin de répondre à la vocation<br />
fondamenta<strong>le</strong> de la migration : la satisfaction des sollicitations des<br />
famil<strong>le</strong>s restées au pays.<br />
Ainsi que <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong> l’un des pionniers de la migration « la première<br />
caisse du Nguénar a été créée au foyer de la rue Saint-Denis à Paris, au<br />
début des années 1970. El<strong>le</strong> était alimentée par des cotisations<br />
mensuel<strong>le</strong>s de 20 francs français qui couvraient la popote ou repas<br />
commun du soir 7 .<br />
Analysée à l’aune de la migration des populations du Nguènar vers<br />
l’Italie, on observe que la redéfinition des rapports avec <strong>le</strong>s villages<br />
d’origine a été largement influencée par des facteurs d’importance<br />
inéga<strong>le</strong> :<br />
- la dépendance accrue des zones d’émigration vis-à-vis des<br />
mandats 8 ;<br />
- la nécessité de soulager <strong>le</strong>s maigres budg<strong>et</strong>s des migrants qui<br />
doivent non seu<strong>le</strong>ment penser à <strong>le</strong>urs proj<strong>et</strong>s de r<strong>et</strong>our mais aussi<br />
faire face à des charges de plus en plus importantes comme <strong>le</strong><br />
logement ou <strong>le</strong> transport ;<br />
- l’arrivée à la tête des associations de dirigeants forts de la<br />
maîtrise des rouages administratifs du pays d’accueil qui ont<br />
naguère été tenus à l’écart des associations communautaires pour<br />
des raisons socioculturel<strong>le</strong>s (système des castes ou prééminence<br />
des aînés sur <strong>le</strong>s cad<strong>et</strong>s 9 ) ;<br />
7 Entr<strong>et</strong>ien avec A. Guèye, Taiba Nguèyène, mai 2005.<br />
8 Dans une étude faite quelques années plus tôt en pays soninké, C. Quiminal<br />
(1991) notait « qu’en assurant 30 à 80% des besoins familiaux, <strong>le</strong>s migrants<br />
soninkés ont installé <strong>le</strong>urs villages <strong>dans</strong> une situation d’autosubsistance<br />
assistée ».<br />
9 C<strong>et</strong>te étape correspond à la première phase de la migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong> qui<br />
se caractérise par la constitution de « communautés-bis » (Condé <strong>et</strong> Diagne 1986)<br />
qui sont une reproduction du schéma organisationnel du village d’origine.
- <strong>le</strong>s opportunités offertes par <strong>le</strong>s dispositions législatives en<br />
matière de regroupement associatif <strong>et</strong> l’intérêt accordé aux<br />
groupes organisés par <strong>le</strong>s institutions publiques <strong>et</strong> municipa<strong>le</strong>s ;<br />
- <strong>le</strong> soutien des formations politiques de gauche <strong>et</strong> de la société<br />
civi<strong>le</strong> fortement attachées à l’action humanitaire 10 ;<br />
- la sollicitude accrue des autorités politiques des pays d’origine qui<br />
comptent beaucoup sur l’apport des migrants 11 .<br />
L’ère des proj<strong>et</strong>s communautaires: <strong>le</strong>s associations de <strong>développement</strong><br />
Le recensement effectué <strong>dans</strong> <strong>le</strong> département de Ouro Sogui indique que<br />
<strong>le</strong>s premières infrastructures réalisées <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre des associations de<br />
migrants internationaux datent de trente ans. Mais, contrairement à la<br />
dynamique nouvel<strong>le</strong> qui consiste à soutenir ou à encourager des activités<br />
productives <strong>dans</strong> un espace de concertation élargi <strong>et</strong> renforcé, <strong>le</strong>s<br />
premiers investissements des migrants internationaux étaient<br />
essentiel<strong>le</strong>ment d’ordre symbolique : construction de mosquées ou du<br />
mur de clôture du cim<strong>et</strong>ière villageois, appui à l’organisation de chants<br />
religieux annuels, <strong>et</strong>c.<br />
Une innovation importante <strong>dans</strong> <strong>le</strong> fonctionnement des organisations de<br />
migrants réside <strong>dans</strong> <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>s migrants ne se substituent plus aux<br />
populations <strong>local</strong>es <strong>dans</strong> <strong>le</strong> choix des proj<strong>et</strong>s de <strong>développement</strong>. C<strong>et</strong>te<br />
dynamique a donné naissance à la création, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s zones de départ, de<br />
branches <strong>local</strong>es des associations mises sur pied <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s pays d’accueil.<br />
La conjugaison des efforts <strong>et</strong> la concertation au sein d’une communauté<br />
éclatée entre des territoires distants mais liés par des flux de toutes<br />
natures (Rouse 1992 ; Riccio 2001) confèrent aux associations<br />
transnationa<strong>le</strong>s une dimension nouvel<strong>le</strong> <strong>dans</strong> la commune volonté de<br />
construire <strong>le</strong>ur espace de référence ou lieu de convergence <strong>et</strong> de pallier<br />
l’absence d’État.<br />
Le souci de m<strong>et</strong>tre en place des structures capab<strong>le</strong>s de répondre aux<br />
exigences des partenaires au <strong>développement</strong> constitue <strong>le</strong> principal<br />
vecteur de la restructuration du modè<strong>le</strong> associatif. Fondées sur <strong>le</strong><br />
contexte multipartenarial d’aide au <strong>développement</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s avancées<br />
significatives de la décentralisation, deux évolutions significatives se sont<br />
dessinées au sein des associations de migrants :<br />
10 Expression préférée cel<strong>le</strong> de co-<strong>développement</strong> qui a longtemps été interprété<br />
par ses détracteurs comme « la ferm<strong>et</strong>ure des frontières en échange du<br />
tarissement des flux migratoires ».<br />
11 Tel est l’esprit qui guide <strong>le</strong> décr<strong>et</strong> n° 95-154 du 9 février 1995 portant création<br />
du Conseil supérieur des Sénégalais de l’Extérieur. Pour plus de détails voir<br />
l’arrêté n° 4380/MAESE/DES du 24 avril 1997 fixant la composition <strong>et</strong> <strong>le</strong> mode<br />
d’é<strong>le</strong>ction des délégués, l’organisation <strong>et</strong> <strong>le</strong> fonctionnement du Conseil supérieur<br />
des Sénégalais de l’Extérieur ; la loi organique n°98-48 du 10 octobre 1998<br />
relative à l’é<strong>le</strong>ction des [trois] sénateurs représentant <strong>le</strong>s Sénégalais de<br />
l’Extérieur.
- l’élargissement de l’aire de recrutement des membres qui se<br />
traduit par <strong>le</strong> passage des associations villageoises aux associations<br />
intervillageoises <strong>et</strong>, plus récemment, à la constitution de<br />
fédérations regroupant plusieurs associations ;<br />
- <strong>le</strong> rapprochement avec <strong>le</strong>s ONG <strong>et</strong> <strong>le</strong>s institutions publiques du<br />
pays d’accueil.<br />
Dans sa forme actuel<strong>le</strong>, la structuration du mouvement associatif tourné<br />
vers <strong>le</strong> <strong>développement</strong> <strong>local</strong> peut être schématiquement décrite comme<br />
suit :<br />
- chaque village dispose d’une association–mère qui fédère <strong>le</strong>s<br />
initiatives <strong>local</strong>es. Cel<strong>le</strong>-ci fonctionne comme une superstructure<br />
regroupant toutes <strong>le</strong>s formations associatives d’un village à<br />
l’image de l’ADS (Association pour <strong>le</strong> Développement de Sédo) qui<br />
regroupe <strong>le</strong>s garçons organisés en ASC (associations sportives <strong>et</strong><br />
culturel<strong>le</strong>s), <strong>le</strong>s Groupements féminins <strong>et</strong> <strong>le</strong>s GIE (Groupement<br />
d’intérêt économique) <strong>et</strong> de bien d’autres organisations comme<br />
<strong>le</strong>s dahira, <strong>le</strong>s groupes d’age, <strong>et</strong>c. ;<br />
- l’association villageoise ou association-mère est <strong>le</strong> répondant de<br />
l’organe de coordination des associations qui regroupent <strong>le</strong>s<br />
migrants internationaux <strong>dans</strong> <strong>le</strong>urs pays d’accueil respectifs à<br />
l’image de l’ARSRI (Association des ressortissants de Sédo résidant<br />
en Italie) ou de l’ARSRF (Association des ressortissants de Sédo<br />
résidant en France).<br />
Le dédoub<strong>le</strong>ment des structures associatives entre <strong>le</strong>s deux pô<strong>le</strong>s de la<br />
migration s’accompagne d’une répartition des rô<strong>le</strong>s : <strong>le</strong>s migrants<br />
installés <strong>dans</strong> un ou plusieurs pays réunissent <strong>le</strong>s moyens matériels <strong>et</strong><br />
financiers tandis que <strong>le</strong>s populations restées au village apportent <strong>le</strong>ur<br />
connaissance du milieu <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur force de travail qui est rémunérée à<br />
hauteur des tâches <strong>dans</strong> l’exécution des proj<strong>et</strong>s col<strong>le</strong>ctifs.<br />
Le processus de prise de décision en matière de réalisations villageoises<br />
résulte d’un débat démocratique :<br />
- l’assemblée généra<strong>le</strong> de l’Association regroupant <strong>le</strong>s différentes<br />
formations au niveau villageois entérine <strong>le</strong>s proj<strong>et</strong>s portés à la<br />
connaissance des populations par <strong>le</strong>s migrants ;<br />
- <strong>le</strong> président de l’association villageoise rapporte <strong>le</strong>s délibérations<br />
de l’assemblée à la connaissance du responsab<strong>le</strong> moral de<br />
l’association des migrants internationaux qui se charge de trouver<br />
<strong>le</strong>s moyens nécessaires à la concrétisation du proj<strong>et</strong> ;<br />
- une fois <strong>le</strong>s moyens matériels réunis — avec ou sans l’aide des<br />
partenaires au <strong>développement</strong> — <strong>le</strong>s populations restées au village<br />
se mobilisent pour l’exécution des travaux en apportant<br />
bénévo<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur force physique.
Des groupes isolés comme <strong>le</strong> Groupement féminin ou l’ASC peuvent<br />
solliciter l’appui des migrants internationaux lors de manifestions qui<br />
nécessitent une bonne participation villageoise comme la Journée de la<br />
femme ou <strong>le</strong> championnat navétane de football 12 .<br />
Profitant des importantes sommes d’argent mobilisées <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre de la<br />
coopération décentralisée, <strong>le</strong>s associations de migrants ont ainsi élargi<br />
<strong>le</strong>urs actions à des secteurs comme l’agriculture, l’éducation, la santé <strong>et</strong><br />
l’hydraulique. El<strong>le</strong>s doivent cependant affronter <strong>le</strong>s vives tensions qui<br />
rythment <strong>le</strong>s rapports avec <strong>le</strong>s autorités administratives <strong>et</strong> politiques<br />
régiona<strong>le</strong>s 13 <strong>et</strong> <strong>le</strong>s partenaires au <strong>développement</strong>.<br />
La collaboration avec <strong>le</strong>s autorités administratives est indispensab<strong>le</strong>. En<br />
eff<strong>et</strong>, si l’équipement des villages en infrastructures scolaires ou de santé<br />
peut re<strong>le</strong>ver d’une initiative populaire, l’affectation de fonctionnaires<br />
chargés de <strong>le</strong>s animer est une prérogative du représentant de l’État.<br />
Dans trois des villages enquêtés, l’édi<strong>le</strong> <strong>local</strong>, un ancien migrant,<br />
participe aux délibérations des assemblées territoria<strong>le</strong>s en qualité de<br />
porte-paro<strong>le</strong> des associations de migrants dont <strong>le</strong> soutien est plus que<br />
nécessaire <strong>dans</strong> l’accomplissement de sa mission.<br />
Aucun de nos interlocuteurs ne se prononce ouvertement sur <strong>le</strong>s<br />
problèmes qui minent <strong>le</strong> fonctionnement des associations. Mais <strong>le</strong>s<br />
entr<strong>et</strong>iens approfondis avec <strong>le</strong>s populations soulèvent deux principa<strong>le</strong>s<br />
questions :<br />
- des tentatives de récupération des actions communautaires de<br />
<strong>développement</strong> par <strong>le</strong>s élites politiques <strong>local</strong>es ;<br />
- des conflits internes liés à la contestation de dirigeants accusés, à tort<br />
ou à raison, de malversations ou de chercher à tirer profit de <strong>le</strong>ur statut.<br />
Lorsqu’el<strong>le</strong>s sont épargnées par la rivalité entre <strong>le</strong>s différentes<br />
composantes du mouvement associatif, <strong>le</strong> principal problème auquel<br />
doivent faire face <strong>le</strong>s associations <strong>local</strong>es de <strong>développement</strong> est la vive<br />
compétition des « courtiers du <strong>développement</strong> » (Blundo 1995). En se<br />
posant comme intermédiaires entre <strong>le</strong> dispositif international d'aide au<br />
<strong>développement</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s bénéficiaires tout en faisant valoir de solides<br />
compétences techniques <strong>et</strong> une bonne connaissance de la société <strong>local</strong>e,<br />
<strong>le</strong>s ONG <strong>et</strong> <strong>le</strong>s différents prestataires ont progressivement pris la place<br />
des associations de migrants. Ainsi que <strong>le</strong> notent Husson <strong>et</strong> Sall (2000),<br />
« des coopérations sont désormais mises en œuvre sans <strong>le</strong>ur concours,<br />
bien que la solidarité familia<strong>le</strong> <strong>et</strong> communautaire reste <strong>le</strong> soc<strong>le</strong><br />
fondamental des liens qui <strong>le</strong>s unissent aux villageois ».<br />
12 Il s’agit des compétions sportives entre quartiers ou villages voisins qui ont lieu<br />
durant la saison des pluies communément appelée hivernage<br />
13 L’érection, en janvier 2002, de Matam en onzième région administrative du<br />
Sénégal est souvent interprétée comme la « victoire des migrants<br />
internationaux » ou la « reconnaissance, par <strong>le</strong> pouvoir central, des tâches<br />
accomplies par <strong>le</strong>s associations <strong>local</strong>es de <strong>développement</strong> ».
En dépit de l’essouff<strong>le</strong>ment des réseaux de solidarité <strong>et</strong> de l’émergence<br />
de concurrents disposant de moyens plus importants, <strong>le</strong>s associations de<br />
migrants restent plus que jamais attachées au <strong>développement</strong> <strong>local</strong> de<br />
<strong>le</strong>urs pays d’origine. En eff<strong>et</strong>, l’enclavement des villages du Nguènar <strong>et</strong><br />
<strong>le</strong>ur l’éloignement des centres de décision politique favorisent <strong>le</strong>s<br />
initiatives <strong>local</strong>es qui sont portées par <strong>le</strong>s associations villageoises dont la<br />
vocation est <strong>le</strong> <strong>développement</strong> <strong>local</strong> entendu au sens d’amélioration des<br />
conditions de vie.<br />
Etat des lieux des investissements communautaires<br />
Un bilan largement positif<br />
En plus de la sécurisation des moyens de vie, <strong>le</strong>s associations de migrants<br />
participent depuis plus d’une dizaine d’années à la résolution des<br />
problèmes vitaux de <strong>le</strong>urs villages.<br />
L’enquête menée <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s villages du Nguènar indique que <strong>le</strong>s domaines<br />
d’intervention des migrants constituent un bon indicateur des besoins<br />
locaux. Dans <strong>le</strong> département de Ouro Sogui, <strong>le</strong>s efforts portent, par ordre<br />
d’importance, sur l’approvisionnement en eau (puits ou forages), <strong>le</strong>s<br />
établissements scolaires, <strong>le</strong>s postes de santé, <strong>le</strong>s services <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
périmètres maraîchers (tab<strong>le</strong>au ci-dessous).<br />
Tab<strong>le</strong>au 2. Secteurs d'intervention des associations de migrants<br />
Domaine d’investissement %<br />
Mosquée 29<br />
Agriculture 14,2<br />
Santé 22,8<br />
Education 45,7<br />
Hydraulique 65,7<br />
Non précisé 8,5<br />
Autres<br />
Source : enquête 2004<br />
17,1<br />
Les lieux de culte constituent des investissements symboliques qui sont<br />
effectués sur fond de rivalités inter villageoises. En eff<strong>et</strong>, chaque village<br />
tient à disposer d’une mosquée <strong>et</strong> s’efforce de la rendre la plus bel<strong>le</strong><br />
possib<strong>le</strong>. Les deux minar<strong>et</strong>s constituent d’ail<strong>le</strong>urs des Tour Eiffel que l’on<br />
aperçoit plusieurs km à la ronde expriment, en partie, la dimension<br />
ostentatoire de l’œuvre des migrants.
L’une des plus anciennes mosquées - au vu du «coquillage marin» utilisé<br />
<strong>dans</strong> la décoration extérieure - est cel<strong>le</strong> de Taïba Ngueyène. El<strong>le</strong> a été<br />
entièrement financée par <strong>le</strong>s premiers migrants installés en France.<br />
Quant à la nouvel<strong>le</strong> mosquée de Mogo — construite avec <strong>le</strong> concours du<br />
« diamantaire » <strong>et</strong> principal mécène du village (Alpha Thiam) — el<strong>le</strong> a<br />
coûté 73 millions de francs CFA.<br />
L’éducation constitue un secteur privilégié d’investissement. Il s’agit,<br />
pour l’essentiel, d’éviter <strong>le</strong>s longs déplacements aux jeunes élèves mais<br />
aussi de lutter contre l’analphabétisme qui est perçu comme un obstac<strong>le</strong><br />
à la bonne insertion <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s sociétés d’accueil, en particulier <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />
marché du travail comme l’indiquent si bien ces propos :<br />
« Moi je n’ai pas fait <strong>le</strong>s bancs (éco<strong>le</strong>). J’ai eu vraiment tel<strong>le</strong>ment de<br />
problèmes que je ne dois pas accepter çà pour mes enfants…. On a tous<br />
vraiment compris à quoi çà servait l’éco<strong>le</strong>… » (Entr<strong>et</strong>ien avec un migrant<br />
de r<strong>et</strong>our de France, juin 2005.)<br />
L’extrême mobilisation des populations <strong>dans</strong> <strong>le</strong> domaine de l’éducation<br />
est perceptib<strong>le</strong> à travers la pose, à la main <strong>et</strong> avec des moyens de<br />
fortune, d’une conduite d’eau de plus de trois km entre <strong>le</strong> forage <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />
collège de trois classes construit par <strong>le</strong>s populations de Taiba Ngueyène.<br />
Les efforts consentis <strong>dans</strong> <strong>le</strong> domaine de l’éducation sont considérab<strong>le</strong>s<br />
comme en témoigne <strong>le</strong> collège d’enseignement secondaire de Sédo Sébé.<br />
Financé sur fonds propres par <strong>le</strong>s migrants pour un coût global de 20<br />
millions de francs CFA, qui a ouvert ses portes à la rentrée 2005-2006.<br />
L’approvisionnement en eau reste <strong>le</strong> souci majeur des populations tant<br />
pour la consommation des ménages, du cheptel que de l’irrigation des<br />
champs col<strong>le</strong>ctifs. Aussi, l’une des réalisations prioritaires d’un village est<br />
<strong>le</strong> forage ou château d’eau. Même si <strong>le</strong>s forages n’offrent que des<br />
quantités en deçà des besoins, ils n’en jouent pas moins une fonction<br />
essentiel<strong>le</strong> <strong>dans</strong> la vie des villageois.<br />
À Thieukheul Sébé, <strong>le</strong> chef de village rapporte qu’en attendant <strong>le</strong><br />
fonctionnement du forage de 30 m 3 qui doit alimenter <strong>le</strong>s quatre villages<br />
polarisés, « la centaine de migrants installés en France, en Belgique, en<br />
Al<strong>le</strong>magne <strong>et</strong> en Italie a déboursé, entre 2002 <strong>et</strong> 2005, près de 18 millions<br />
de francs CFA pour approvisionner <strong>le</strong> village de Thieukheul en eau potab<strong>le</strong><br />
au moyen d’un camion citerne. »<br />
Quand au forage de Thiarène, réalisé grâce aux cotisations des migrants<br />
internationaux éga<strong>le</strong>ment appelés enfants d’en haut, il a coûté<br />
161 800 000 F.<br />
La santé constitue <strong>le</strong> seul domaine où nous avons re<strong>le</strong>vé un appui des<br />
partenaires au <strong>développement</strong>. Il s’agit, en l’occurrence, de la case de<br />
santé de Taiba qui a bénéficié, à l’initiative des migrants, du précieux<br />
concours d’une ONG italienne : la RETE DI SOLIDARIETA-LA ESPERANZA.
Parmi <strong>le</strong>s investissements qui concourent à l’amélioration de la vie<br />
quotidienne des populations on peut citer <strong>le</strong>s réalisations re<strong>le</strong>vées <strong>dans</strong><br />
<strong>le</strong> village Sédo-Sébé où <strong>le</strong>s migrants sont particulièrement dynamiques:<br />
- la construction du marché qui a coûté 25 000 000 francs CFA;<br />
- <strong>le</strong> « magasin de vivres » qui commercialise <strong>le</strong>s denrées de<br />
première nécessité est doté d’un capital de 50 000 000 francs CFA.<br />
C<strong>et</strong>te initiative qui remonte au début des années 1980 se fonde<br />
sur <strong>le</strong>s problèmes d’approvisionnement en denrées alimentaires<br />
liés aux fréquentes ruptures de stocks liées à l’enclavement <strong>et</strong><br />
l’inaccessibilité des villages en saison des pluies ;<br />
- <strong>le</strong> télécentre perm<strong>et</strong> aux habitants de communiquer avec <strong>le</strong> reste<br />
du pays mais aussi avec <strong>le</strong>s migrants. En eff<strong>et</strong>, <strong>le</strong> réseau de<br />
téléphone fixe ne couvre que <strong>le</strong> village de Mogo Tapsir. Il en<br />
résulte que <strong>le</strong> téléphone cellulaire, communément appelé<br />
portab<strong>le</strong>, constitue <strong>le</strong> principal outil de communication avec <strong>le</strong><br />
monde extérieur. Des observations empiriques indiquent que <strong>le</strong><br />
taux d’équipement des ménages de migrants est de loin supérieur<br />
à celui des famil<strong>le</strong>s qui ne comptent pas de migrants. Loin d’être<br />
un outil personnel, <strong>le</strong> cellulaire est partagé par <strong>le</strong>s différents<br />
membres <strong>et</strong> <strong>le</strong>urs voisins. Il fonctionne comme un répondeur qui<br />
n’est rechargé qu’à la date d’expiration du contrat. La fin me<br />
semb<strong>le</strong> un peu bruta<strong>le</strong>
Conclusion<br />
Par sa capacité à s’adapter à l’environnement migratoire <strong>et</strong> à saisir <strong>le</strong>s<br />
opportunités du moment, la diaspora sénégalaise a, à la faveur d’une<br />
redéfinition des liens avec <strong>le</strong> pays d’origine, conféré à la relation entre la<br />
migration <strong>internationa<strong>le</strong></strong> de travail <strong>et</strong> <strong>le</strong> <strong>développement</strong> <strong>local</strong> plus de<br />
relief.<br />
Expression d’une citoyenn<strong>et</strong>é à cheval sur un territoire affectif <strong>et</strong> un<br />
territoire d’adoption, <strong>le</strong>s actions menées depuis plus d’une dizaine<br />
d’années par <strong>le</strong>s migrants du Nguènar ont contribué de manière décisive à<br />
la survie des villages d’origine.<br />
Si <strong>le</strong>s succès engrangés <strong>dans</strong> l’amélioration des conditions de vie des<br />
populations sont réels, l’absence de complémentarité entre <strong>le</strong>s proj<strong>et</strong>s<br />
initiés à l’échel<strong>le</strong> de villages voisins constitue une lourde contrainte. En<br />
eff<strong>et</strong>, la rivalité entre <strong>le</strong>s associations villageoises se traduit par une<br />
grande dispersion des ressources <strong>et</strong> des énergies <strong>et</strong> un manque notoire de<br />
coordination des actions de <strong>développement</strong>. Il en résulte, quel que soit <strong>le</strong><br />
mérite des réalisations, qu’el<strong>le</strong>s ne peuvent pas garantir un<br />
<strong>développement</strong> durab<strong>le</strong> encore moins inverser la dynamique migratoire,<br />
l’unique alternative à la reproduction de cellu<strong>le</strong>s familia<strong>le</strong>s.<br />
Pour atteindre un tel objectif, il importe de concevoir <strong>le</strong> <strong>développement</strong><br />
<strong>local</strong> <strong>dans</strong> un cadre géographique plus large <strong>et</strong> une synergie entre <strong>le</strong>s<br />
différents protagonistes que sont <strong>le</strong>s associations villageoises, <strong>le</strong>s<br />
institutions publiques, <strong>le</strong>s partenaires au <strong>développement</strong>, <strong>et</strong>c. Même si <strong>le</strong><br />
processus reste timide, <strong>le</strong>s populations du Nguènar semb<strong>le</strong>nt avoir pris<br />
conscience, à l’image des associations soninké ou halpular, de la<br />
nécessité de m<strong>et</strong>tre sur pied des associations inter-villageoises capab<strong>le</strong>s<br />
prendre en charge des investissements coûteux comme la voirie.<br />
Loin de nous l’idée de penser que l’action des migrants au demeurant fort<br />
salutaire <strong>dans</strong> l’amélioration des conditions de vie des bassins<br />
d’émigration constitue une panacée qui peut, à seu<strong>le</strong>, assurer un<br />
<strong>développement</strong> durab<strong>le</strong>. Pour atteindre un tel objectif il y a lieu de créer<br />
une synergie entre l’État, <strong>le</strong>s partenaires au <strong>développement</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />
populations <strong>local</strong>es sur la base de programmes inter-communautaires<br />
mieux articulés <strong>et</strong> plus cohérents.
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