Un artiste précurseur - Maroc Hebdo
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cahier28-42 22/07/09 21:37 Page 38<br />
© Ph.DR<br />
HOMMAGE<br />
•TRENTE-HUITIÈME ANNIVERSAIRE DE LA DISPARITION DE AMINE DEMNATI<br />
<strong>Un</strong> <strong>artiste</strong><br />
<strong>précurseur</strong><br />
A vingt-neuf ans, Amine Demnati décède dans des conditions tragiques. Il laisse une collection de<br />
toiles hors de prix. <strong>Un</strong>e fondation est en gestation pour préserver ses œuvres et les donner à voir.<br />
Amine Demnati. <strong>Un</strong> cadre imbu de culture et de quête du savoir.<br />
Il y a 38 ans, disparaissait l’<strong>artiste</strong>-peintre<br />
au talent toujours inégalé, à la touche<br />
d’une finesse extrême et aux<br />
choix de couleurs d’une subtilité<br />
éblouissante, Amine Demnati.<br />
Le 11 juillet 1971, invité parmi tant d’autres<br />
hommes politiques, de lettres et <strong>artiste</strong>s<br />
au palais royal de Skhirat, à l’occasion<br />
de l’anniversaire de SM Hassan II, Amine<br />
Demnati, 29 ans à peine, ne se doutait de<br />
rien. Lui, l’originaire de Demnat, petite<br />
ville nichée au Moyen Atlas, non loin d’Azilal,<br />
et qui toute sa courte mais dense vie n’a<br />
eu de cesse de prôner la tolérance, l’aide<br />
38 ❘ MAROC HEBDO INTERNATIONAL ❘ N° 849 Du 24 au 30 juillet 2009<br />
aux nécessiteux et le sacrifice pour l’autre.<br />
Il ne se doutait de rien, comme la totalité<br />
des invités et du maître des lieux. La tentative<br />
de coup d’Etat a coupé court à la fête.<br />
Amine Demnati figure parmi les victimes.<br />
Il y a laissé sa vie.<br />
Ami du prince feu Moulay Abdellah, un<br />
féru des objets et tableaux d’art, Amine<br />
Demnati, qui organisait quelques jours<br />
plus tôt sa dernière exposition à l’hôtel Tour<br />
Hassan, avait été invité au palais royal pour<br />
assister à la cérémonie commémorant le<br />
42 ème anniversaire du monarque<br />
aujourd’hui mort. «Il devait offrir, sur<br />
conseils des ses amis, un tableau à SM Hassan<br />
II. On ne saura jamais ce qu’il en est<br />
advenu de ce chef d’œuvre», raconte un de<br />
ses amis, les larmes aux yeux.<br />
Reliefs<br />
Natif de Marrakech en 1942, d’un père de<br />
famille très attaché aux traditions, Amine<br />
Demnati a été élevé dans un cadre<br />
emplein de respect de l’autre et de disposition<br />
à agir pour son bien. <strong>Un</strong> cadre imbu<br />
de culture et de quête du savoir. Après des<br />
études à l’Ecole des arts appliqués à Casablanca,<br />
le jeune Amine Demnati part à<br />
Paris où il poursuit des cours d’arts appliqués,<br />
avant d’intégrer l’Ecole des métiers<br />
d’arts, puis la prestigieuse Ecole nationale<br />
supérieure des arts décoratifs et, enfin,<br />
l’École du livre.<br />
<strong>Un</strong> cursus qui lui permet de parfaire sa<br />
maîtrise du trait et du pinceau, mais aussi<br />
d’inventer des formes, des reliefs et des<br />
Amine Demnati renouvelle sa<br />
gamme, revient avec des styles<br />
nouveaux ou, du moins, des modes<br />
plus fins et plus développés.
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“Le défunt nous rappelle la fête du<br />
printemps à travers des couleurs<br />
gaies, éclatantes et vivantes.”<br />
couleurs propres à lui. Côté couleurs, ses<br />
œuvres étaient sublimes. Et, comme l’a<br />
écrit l’écrivain et journaliste Zakya Daoud,<br />
le défunt nous rappelle la fête du printemps<br />
à travers des couleurs gaies, éclatantes<br />
et vivantes, tout en conservant<br />
l’essentiel de ses oeuvres: la retenue, la discrétion,<br />
la légèreté, l’harmonie surtout.<br />
<strong>Un</strong> témoignage partagé par le grand critique<br />
d’art Gaston Diehl, qui écrit «Le pleinchamp<br />
de la couleur dont il sait si<br />
adroitement dérouler les fastueux enchantements<br />
en variations multiples, nous émeut et<br />
nous séduit, non comme un vain spectacle,<br />
mais bien justement parce qu’il semble répondre<br />
vraiment à une spiritualité de l’attente et<br />
à un sentiment d’humaine fraternité…»<br />
Difficile de cataloguer Amine Demnati,<br />
qui était pendant son séjour parisien pris<br />
en charge par un autre grand nom des arts<br />
plastiques marocains, le défunt Cherkaoui<br />
et qui était néanmoins un ami, voire le<br />
frangin du grand El Gharbaoui. Difficile<br />
de le cataloguer, certes, mais à contempler<br />
ses toiles, on peut dire, qu’il était un <strong>précurseur</strong><br />
des arts plastiques modernes marocains.<br />
Séjour<br />
Les premières expositions, Amine Demnati<br />
les a faites à Paris, dès 1961, avant<br />
d’enchaîner avec d’autres à Rabat, Tanger<br />
ou encore Casablanca. A chaque exposition,<br />
Amine Demnati<br />
renouvelle sa gamme,<br />
revient avec des styles nouveaux<br />
ou du moins des<br />
modes plus fins et plus développés.<br />
On découvre ainsi la<br />
rigueur de la ligne et le rejet<br />
de faire des toiles à la carte<br />
postale dédiée aux touristes<br />
qui viennent ou pensent<br />
venir au <strong>Maroc</strong>.<br />
Demnati:<br />
La couleur<br />
pulvérise le<br />
verbe et le<br />
traduit en<br />
morceaux<br />
de vie.<br />
Mais tout le monde est fasciné par le travail<br />
d’orfèvre qui était celui de Amine Dem-<br />
nati. <strong>Un</strong> travail joliment décrit en 1966<br />
par le poète feu Kamal Zebdi qui a écrit:<br />
«un monde de rêve chargé de poésie où chante<br />
la couleur, pulvérisant le verbe, le traduisant<br />
en morceaux de vie avec un sens du subtil:<br />
Réalités quotidiennes, visages…produits de<br />
recherches qui nous laissent pas loin du<br />
malaise où régnait une incertitude dramatiquement<br />
banale.»<br />
Héritage<br />
Amine Demnati n’était pas engagé politiquement.<br />
Mais son idéal, c’était servir l’autre.<br />
Etre à l’écoute du démuni et<br />
réconforter le malade. Sa carrière d’<strong>artiste</strong>,<br />
il l’avait amplement réussie, alors qu’il était<br />
encore au début. Au stade de l’apprentissage.<br />
A ce stade-là, on le comparait déjà à<br />
des grands maîtres des arts plastiques. Lui<br />
dont les tableaux sont hors de prix, selon<br />
des connaisseurs du marché de l’art international.<br />
Quand on se hasarde à poser à l’une de<br />
ses connaissances la question sur le sort<br />
des œuvres du défunt, il lance que son<br />
frère Lahcen, ancien ministre de l’Emploi<br />
et membre du conseil constitutionnel, a<br />
réussi à en assembler la grande partie. Il a<br />
préservé ses tableaux et ses œuvres d’art,<br />
parfois dans des conditions difficiles. Sans<br />
en avoir le savoir-faire, ni les moyens techniques<br />
pour une telle tâche. Il ne veut pas<br />
les exposer, peut-être par jalousie, peut-être<br />
par crainte, mais il nourrit l’espoir de les<br />
mettre à la disposition du grand public,<br />
mais dans un cadre devant permettre de<br />
pérenniser le nom et préserver l’héritage<br />
de ce grand <strong>artiste</strong>…<br />
<strong>Un</strong> journal de l’époque n’avait-il pas titré La<br />
peinture marocaine a beaucoup perdu avec la<br />
mort de Amine Demnati? L’auteur attaque<br />
son article par ce beau passage: «S’il était<br />
un être que la tragédie semblait devoir épargner,<br />
c’était bien Amine Demnati. Toujours<br />
souriant et gai, aimant la vie et comptant<br />
d’innombrables amis, on aurait plutôt vu en<br />
lui un privilégié du sort.» Ce n’est pas ce<br />
que le sort a décidé pour lui.<br />
Mais, une chose est sûre, son œuvre<br />
témoignera pour longtemps encore de son<br />
génie créatif.<br />
N. Jouhari