Essai sur la Musique ancienne et moderne - National Library of ...

S 6i
ESSAI
geront. D'où je conclus combien il importe à nos Compofiteurs de faire
une étude férieufe 8c réfléchie, non-feulement des différentes propriétés
des mouvemens & des modes, mais encore de celles des fons : étude que
les Anciens eurent extrêmement à cœur , qu'ils recommandèrent comme
la partie de la mufique la plus utile à l'éloquence , &c dans laquelle je
ferai voir jufqu'à quel point ils fe perfectionnèrent.
J'applique à la mélodie ce repos que les Architectes & les Peintres
recommandent avec tant de foin , dont l'inobfervation jette le défordre
Se l'embarras dans toutes les parties , &: par lequel , dans la mufique ,
l'ame jouit du chant préfent , de celui qui l'a précédé , & preflent celui,
qui doit le fuivre : beauté précieufe & malheureufement négligée par la
plupart de nos Artiftes , même les plus célèbres. Je fais obfejver que dans
la mufique , plus encore que dans les autres arts , il eft des endroits qu'il
faut négliger &. éteindre : plus un art eft délicieux, plus le dégoût en"
eft voifin j & Bacon , ainfi que Leibnitz , ont judicieufement obfervé
que le mérite principal des diflonances eft de fauver à l'ame le poids
infupportable d'une douceur continue. Je. rendrai tout cela plus fenfible
par des exemples ; comme je ne parle d'abord que de la mélodie fran-
çaife , je les puife dans les ouvrages de nos plus célèbres Auteurs ; je-
viens enfuite au chant italien, qui, félon la définition que j'ai déjà
donnée de la mélodie , &c ainfi que je Texpoferai plus au long en traitant
de l'analogie du chant avec les langues , doit autant différer du nôtre que
l'accent , les inflexions , le mécanifme du langage & les mœurs des
Italiens différent de la pofodie , des mœurs & du génie des Français.
Je comparerai ce qu'ont dit fur la Mufique Italienne quelques perfonnes
diftinguées par l'étendue &c par la variété de leurs connailfances , avec
ce qu'en ont penfé les plus grands hommes de l'Italie (a). Je tâcherai de
pénétrer les caufes de fa fédu&ion & de fa magie (b) ; fe
ferai voir que la
(a) Le célèbre Gravina, l'Abbé Metaftafe, héritier Se digne élevé de ce grand homme,,
ÏAbbé Conti , le Marquis Maffei , Becelli , &c.
(b) L'Auteur eftimable d'un Journal périodique, en parlant des Opéra Italiens qu'on
Tient de graver à Paris, en appelle la mufique Téduifante & magique. Cette définition
«jui eft très j'ufte nie rappelle ce paflage d'un Ancien : Unumquodque genus cùm cajlè pu-
4iééque ornatur fit illujlriùs , cùm fucatur atque prœlinitur fit prœjîigiofum. Aul.
Gcll. noft. atiic. vu. 14.