LES VOYAGES DE GULLIVER
LES VOYAGES DE GULLIVER LES VOYAGES DE GULLIVER
Aussitôt sept hommes de sa taille s’avancèrent vers lui, chacun une faucille à la main, chaque faucille étant de la grandeur de six faux. Ces gens n’étaient pas si bien habillés que – 74 –
le premier, dont ils semblaient être les domestiques. Selon les ordres qu’il leur donna, ils allèrent pour couper le blé dans le champ où j’étais couché. Je m’éloignai d’eux autant que je pus ; mais je ne me remuais qu’avec une difficulté extrême, car les tuyaux de blé n’étaient pas quelquefois distants de plus d’un pied l’un de l’autre, en sorte que je ne pouvais guère marcher dans cette espèce de forêt. Je m’avançai cependant vers un endroit du champ où la pluie et le vent avaient couché le blé : il me fut alors tout à fait impossible d’aller plus loin, car les tuyaux étaient si entrelacés qu’il n’y avait pas moyen de ramper à travers, et les barbes des épis tombés étaient si fortes et si pointues qu’elles me perçaient au travers de mon habit et m’entraient dans la chair. Cependant, j’entendais les moissonneurs qui n’étaient qu’à cinquante toises de moi. Étant tout à fait épuisé et réduit au désespoir, je me couchai entre deux sillons, et je souhaitais d’y finir mes jours, me représentant ma veuve désolée, avec mes enfants orphelins, et déplorant ma folie, qui m’avait fait entreprendre ce second voyage contre l’avis de tous mes amis et de tous mes parents. Dans cette terrible agitation, je ne pouvais m’empêcher de songer au pays de Lilliput, dont les habitants m’avaient regardé comme le plus grand prodige qui ait jamais paru dans le monde, où j’étais capable d’entraîner une flotte entière d’une seule main, et de faire d’autres actions merveilleuses dont la mémoire sera éternellement conservée dans les chroniques de cet empire, pendant que la postérité les croira avec peine, quoique attestées par une nation entière. Je fis réflexion quelle mortification ce serait pour moi de paraître aussi misérable aux yeux de la nation parmi laquelle je me trouvais alors, qu’un Lilliputien le serait parmi nous ; mais je regardais cela comme le moindre de mes malheurs : car on remarque que les créatures humaines sont ordinairement plus sauvages et plus cruelles à raison de leur taille, et, en faisant cette réflexion, que pouvais-je attendre, sinon d’être bientôt un morceau dans la bouche du premier de ces barbares énormes qui me saisirait ? En vérité, les – 75 –
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le premier, dont ils semblaient être les domestiques. Selon les<br />
ordres qu’il leur donna, ils allèrent pour couper le blé dans le<br />
champ où j’étais couché. Je m’éloignai d’eux autant que je pus ;<br />
mais je ne me remuais qu’avec une difficulté extrême, car les<br />
tuyaux de blé n’étaient pas quelquefois distants de plus d’un<br />
pied l’un de l’autre, en sorte que je ne pouvais guère marcher<br />
dans cette espèce de forêt. Je m’avançai cependant vers un<br />
endroit du champ où la pluie et le vent avaient couché le blé : il<br />
me fut alors tout à fait impossible d’aller plus loin, car les<br />
tuyaux étaient si entrelacés qu’il n’y avait pas moyen de ramper<br />
à travers, et les barbes des épis tombés étaient si fortes et si<br />
pointues qu’elles me perçaient au travers de mon habit et<br />
m’entraient dans la chair. Cependant, j’entendais les<br />
moissonneurs qui n’étaient qu’à cinquante toises de moi. Étant<br />
tout à fait épuisé et réduit au désespoir, je me couchai entre<br />
deux sillons, et je souhaitais d’y finir mes jours, me représentant<br />
ma veuve désolée, avec mes enfants orphelins, et déplorant ma<br />
folie, qui m’avait fait entreprendre ce second voyage contre<br />
l’avis de tous mes amis et de tous mes parents.<br />
Dans cette terrible agitation, je ne pouvais m’empêcher de<br />
songer au pays de Lilliput, dont les habitants m’avaient regardé<br />
comme le plus grand prodige qui ait jamais paru dans le monde,<br />
où j’étais capable d’entraîner une flotte entière d’une seule<br />
main, et de faire d’autres actions merveilleuses dont la mémoire<br />
sera éternellement conservée dans les chroniques de cet empire,<br />
pendant que la postérité les croira avec peine, quoique attestées<br />
par une nation entière. Je fis réflexion quelle mortification ce<br />
serait pour moi de paraître aussi misérable aux yeux de la<br />
nation parmi laquelle je me trouvais alors, qu’un Lilliputien le<br />
serait parmi nous ; mais je regardais cela comme le moindre de<br />
mes malheurs : car on remarque que les créatures humaines<br />
sont ordinairement plus sauvages et plus cruelles à raison de<br />
leur taille, et, en faisant cette réflexion, que pouvais-je attendre,<br />
sinon d’être bientôt un morceau dans la bouche du premier de<br />
ces barbares énormes qui me saisirait ? En vérité, les<br />
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