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LES VOYAGES DE GULLIVER

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avaient mouillé pour faire aiguade ; qu’ils avaient aperçu un<br />

cheval chassant devant lui un troupeau d’animaux parfaitement<br />

ressemblants à ceux que je lui avais décrits, et auxquels je<br />

donnais le nom yahous, avec plusieurs autres particularités que<br />

le capitaine me dit qu’il avait oubliées, et dont il s’était mis alors<br />

peu en peine de charger sa mémoire, les regardant comme des<br />

mensonges.<br />

Il ajouta que, puisque je faisais profession d’un si grand<br />

attachement à la vérité, il voulait que je lui donnasse ma parole<br />

d’honneur de rester avec lui pendant tout le voyage, sans songer<br />

à attenter sur ma vie ; qu’autrement il m’enfermerait jusqu’à ce<br />

qu’il fût arrivé à Lisbonne. Je lui promis ce qu’il exigeait de moi,<br />

mais je lui protestai en même temps que je souffrirais plutôt les<br />

traitements les plus fâcheux que de consentir jamais à retourner<br />

parmi les yahous de mon pays.<br />

Il ne se passa rien de remarquable pendant notre voyage.<br />

Pour témoigner au capitaine combien j’étais sensible à ses<br />

honnêtetés, je m’entretenais quelquefois avec lui par<br />

reconnaissance, lorsqu’il me priait instamment de lui parler, et<br />

je tâchais alors de lui cacher ma misanthropie et mon aversion<br />

pour tout le genre humain. Il m’échappait néanmoins, de temps<br />

en temps, quelques traits mordants et satiriques, qu’il prenait<br />

en galant homme, et auxquels il ne faisait pas semblant de<br />

prendre garde. Mais je passais la plus grande partie du jour seul<br />

et isolé dans ma chambre, et je ne voulais parler à aucun de<br />

l’équipage. Tel était l’état de mon cerveau, que mon commerce<br />

avec les Houyhnhnms avait rempli d’idées sublimes et<br />

philosophiques. J’étais dominé par une misanthropie<br />

insurmontable ; semblable à ces sombres esprits, à ces<br />

farouches solitaires, à ces censeurs méditatifs, qui, sans avoir<br />

fréquenté les Houyhnhnms, se piquent de connaître à fond le<br />

caractère des hommes et d’avoir un souverain mépris pour<br />

l’humanité.<br />

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