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LES VOYAGES DE GULLIVER

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satisfaction infinie ; tout ce que j’entendais était utile et<br />

agréable, et toujours exprimé en peu de mots, mais avec grâce ;<br />

la plus exacte bienséance était observée sans cérémonie ;<br />

chacun disait et entendait ce qui pouvait lui plaire. On ne<br />

s’interrompait point, on ne s’assommait point de récits longs et<br />

ennuyeux, on ne discutait point, on ne chicanait point.<br />

Ils avaient pour maxime que, dans une compagnie, il est<br />

bon que le silence règne de temps en temps, et je crois qu’ils<br />

avaient raison. Dans cet intervalle, et pendant cette espèce de<br />

trêve, l’esprit se remplit d’idées nouvelles, et la conversation en<br />

devient ensuite plus animée et plus vive. Leurs entretiens<br />

roulaient d’ordinaire sur les avantages et les agréments de<br />

l’amitié, sur les devoirs de la justice, sur la bonté, sur l’ordre, sur<br />

les opérations admirables de la nature, sur les anciennes<br />

traditions, sur les conditions et les bornes de la vertu, sur les<br />

règles invariables de la raison, quelquefois sur les délibérations<br />

de la prochaine assemblée du parlement, et souvent sur le<br />

mérite de leurs poètes et sur les qualités de la bonne poésie.<br />

Je puis dire sans vanité que je fournissais quelquefois moimême<br />

à la conversation, c’est-à-dire que je donnais lieu à de fort<br />

beaux raisonnements ; car mon maître les entretenait de temps<br />

en temps de mes aventures et de l’histoire de mon pays, ce qui<br />

leur faisait faire des réflexions fort peu avantageuses à la race<br />

humaine, et que, pour cette raison, je ne rapporterai point.<br />

J’observerai seulement que mon maître paraissait mieux<br />

connaître la nature des yahous qui sont dans les autres parties<br />

du monde que je ne la connaissais moi-même. Il découvrait la<br />

source de tous nos égarements, il approfondissait la matière de<br />

nos vices et de nos folies, et devinait une infinité de choses dont<br />

je ne lui avais jamais parlé. Cela ne doit point paraître<br />

incroyable : il connaissait à fond les yahous de son pays, en<br />

sorte qu’en leur supposant un certain petit degré de raison, il<br />

supputait de quoi ils étaient capables avec ce surcroît, et son<br />

estimation était toujours juste.<br />

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