LES VOYAGES DE GULLIVER
LES VOYAGES DE GULLIVER LES VOYAGES DE GULLIVER
j’étais un vrai et parfait yahou, si ce n’est que j’avais la peau blanche, peu de poil et des griffes fort courtes. « Ce yahou étranger, ajouta-t-il, m’a voulu persuader que, dans son pays et dans beaucoup d’autres qu’il a parcourus, les yahous sont les seuls animaux maîtres, dominants et raisonnables, et que les Houyhnhnms y sont dans l’esclavage et dans la misère. Il a certainement toutes les qualités extérieures de nos yahous ; mais il faut avouer qu’il est bien plus poli, et qu’il a même quelque teinture de raison. Il ne raisonne pas tout à fait comme un Houyhnhnm, mais il a au moins des connaissances et des lumières fort supérieures à celles de nos yahous. » Voilà ce que mon maître m’apprit des délibérations du parlement. Mais il ne me dit pas une autre particularité qui me regardait personnellement, et dont je ressentis bientôt les funestes effets ; c’est, hélas ! la principale époque de ma vie infortunée ! Mais avant que d’exposer cet article, il faut que je dise encore quelque chose du caractère et des usages des Houyhnhnms. Les Houyhnhnms n’ont point de livres ; ils ne savent ni lire ni écrire, et par conséquent toute leur science est la tradition. Comme ce peuple est paisible, uni, sage, vertueux, très raisonnable, et qu’il n’a aucun commerce avec les peuples étrangers, les grands évènements sont très rares dans leur pays, et tous les traits de leur histoire qui méritent d’être sus peuvent aisément se conserver dans leur mémoire sans la surcharger. Ils n’ont ni maladies ni médecins. J’avoue que je ne puis décider si le défaut des médecins vient du défaut des maladies, ou si le défaut des maladies vient du défaut des médecins ; ce n’est pas pourtant qu’ils n’aient de temps en temps quelques indispositions ; mais ils savent se guérir aisément eux-mêmes par la connaissance parfaite qu’ils ont des plantes et des herbes – 248 –
médicinales, vu qu’ils étudient sans cesse la botanique dans leurs promenades et souvent même pendant leurs repas. Leur poésie est fort belle, et surtout très harmonieuse. Elle ne consiste ni dans un badinage familier et bas, ni dans un langage affecté, ni dans un jargon précieux, ni dans des pointes épigrammatiques, ni dans des subtilités obscures, ni dans des antithèses puériles, ni dans les agudezas des Espagnols, ni dans les concetti des Italiens, ni dans les figures outrées des Orientaux. L’agrément et la justesse des similitudes, la richesse et l’exactitude des descriptions, la liaison et la vivacité des images, voilà l’essence et le caractère de leur poésie. Mon maître me récitait quelquefois des morceaux admirables de leurs meilleurs poèmes : c’était en vérité tantôt le style d’Homère, tantôt celui de Virgile, tantôt celui de Milton. Lorsqu’un Houyhnhnm meurt, cela n’afflige ni ne réjouit personne. Ses plus proches parents et ses meilleurs amis regardent son trépas d’un œil sec et très indifférent. Le mourant lui-même ne témoigne pas le moindre regret de quitter le monde ; il semble finir une visite et prendre congé d’une compagnie avec laquelle il s’est entretenu longtemps. Je me souviens que mon maître ayant un jour invité un de ses amis avec toute sa famille à se rendre chez lui pour une affaire importante, on convint de part et d’autre du jour et de l’heure. Nous fûmes surpris de ne point voir arriver la compagnie au temps marqué. Enfin l’épouse, accompagnée de ses deux enfants, se rendit au logis, mais un peu tard, et dit en entrant qu’elle priait qu’on l’excusât, parce que son mari venait de mourir ce matin d’un accident imprévu. Elle ne se servit pourtant pas du terme de mourir, qui est une expression malhonnête, mais de celui de shnuwnh, qui signifie à la lettre aller retrouver sa grand’mère. Elle fut très gaie pendant tout le temps qu’elle passa au logis, et mourut elle-même gaiement au bout de trois mois, ayant eu une assez agréable agonie. – 249 –
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médicinales, vu qu’ils étudient sans cesse la botanique dans<br />
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Leur poésie est fort belle, et surtout très harmonieuse. Elle<br />
ne consiste ni dans un badinage familier et bas, ni dans un<br />
langage affecté, ni dans un jargon précieux, ni dans des pointes<br />
épigrammatiques, ni dans des subtilités obscures, ni dans des<br />
antithèses puériles, ni dans les agudezas des Espagnols, ni dans<br />
les concetti des Italiens, ni dans les figures outrées des<br />
Orientaux. L’agrément et la justesse des similitudes, la richesse<br />
et l’exactitude des descriptions, la liaison et la vivacité des<br />
images, voilà l’essence et le caractère de leur poésie. Mon maître<br />
me récitait quelquefois des morceaux admirables de leurs<br />
meilleurs poèmes : c’était en vérité tantôt le style d’Homère,<br />
tantôt celui de Virgile, tantôt celui de Milton.<br />
Lorsqu’un Houyhnhnm meurt, cela n’afflige ni ne réjouit<br />
personne. Ses plus proches parents et ses meilleurs amis<br />
regardent son trépas d’un œil sec et très indifférent. Le mourant<br />
lui-même ne témoigne pas le moindre regret de quitter le<br />
monde ; il semble finir une visite et prendre congé d’une<br />
compagnie avec laquelle il s’est entretenu longtemps. Je me<br />
souviens que mon maître ayant un jour invité un de ses amis<br />
avec toute sa famille à se rendre chez lui pour une affaire<br />
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Nous fûmes surpris de ne point voir arriver la compagnie au<br />
temps marqué. Enfin l’épouse, accompagnée de ses deux<br />
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qu’elle priait qu’on l’excusât, parce que son mari venait de<br />
mourir ce matin d’un accident imprévu. Elle ne se servit<br />
pourtant pas du terme de mourir, qui est une expression<br />
malhonnête, mais de celui de shnuwnh, qui signifie à la lettre<br />
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bout de trois mois, ayant eu une assez agréable agonie.<br />
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