LES VOYAGES DE GULLIVER
LES VOYAGES DE GULLIVER LES VOYAGES DE GULLIVER
ibliothèques ? Que deviendraient la réputation de nos savants et le négoce de nos libraires ? La république des lettres ne serait que celle de la raison, et il n’y aurait, dans les universités, d’autres écoles que celles du bon sens. Les Houyhnhnms s’aiment les uns les autres, s’aident, se soutiennent et se soulagent réciproquement ; ils ne se portent point envie ; ils ne sont point jaloux du bonheur de leurs voisins ; ils n’attentent point sur la liberté et sur la vie de leurs semblables ; ils se croiraient malheureux si quelqu’un de leur espèce l’était, et ils disent, à l’exemple d’un ancien : Nihil caballini a me alienum puto 4 . Ils ne médisent point les uns des autres ; la satire ne trouve chez eux ni principe ni objet ; les supérieurs n’accablent point les inférieurs du poids de leur rang et de leur autorité ; leur conduite sage, prudente et modérée ne produit jamais le murmure ; la dépendance est un lien et non un joug, et la puissance, toujours soumise aux lois de l’équité, est révérée sans être redoutable. Leurs mariages sont bien mieux assortis que les nôtres. Les mâles choisissent pour épouses des femelles de la même couleur qu’eux. Un gris-pommelé épousera toujours une grisepommelée, et ainsi des autres. On ne voit donc ni changement, ni révolution, ni déchet dans les familles ; les enfants sont tels que leurs pères et leurs mères ; leurs armes et leurs titres de noblesse consistent dans leur figurée, dans leur taille, dans leur force, dans leur couleur, qualités qui se perpétuent dans leur postérité ; en sorte qu’on ne voit point un cheval magnifique et superbe engendrer une rosse, ni d’une rosse naître un beau cheval, comme cela arrive si souvent en Europe. Parmi eux, on ne remarque point de mauvais ménages. 4 Variante du célèbre vers de Térence : « Je suis homme et pense que rien de ce qui concerne les hommes ne doit m’être indifférent. » Nihil caballini, rien de ce qui concerne les chevaux. – 244 –
L’un et l’autre vieillissent sans que leur cœur change de sentiment ; le divorce et la séparation, quoique permis, n’ont jamais été pratiqués chez eux. Ils élèvent leurs enfants avec un soin infini. Tandis que la mère veille sur le corps et sur la santé, le père veille sur l’esprit et sur la raison. On donne aux femelles à peu près la même éducation qu’aux mâles, et je me souviens que mon maître trouvait déraisonnable et ridicule notre usage à cet égard pour la différence d’enseignement. Le mérite des mâles consiste principalement dans la force et dans la légèreté, et celui des femelles dans la douceur et dans la souplesse. Si une femelle a les qualités d’un mâle, on lui cherche un époux qui ait les qualités d’une femelle ; alors tout est compensé, et il arrive, comme quelquefois parmi nous, que la femme est le mari et que le mari est la femme. En ce cas, les enfants qui naissent d’eux ne dégénèrent point, mais rassemblent et perpétuent heureusement les propriétés des auteurs de leur être. – 245 –
- Page 193 and 194: 16 d’avril 1710, nous débarquâm
- Page 195 and 196: Chapitre I L’auteur entreprend en
- Page 197 and 198: Je découvris de grands arbres, de
- Page 199 and 200: pas ensemble, comme s’ils eussent
- Page 201 and 202: prononciation, j’avais pourtant f
- Page 203 and 204: toujours les mêmes objets qui me f
- Page 205 and 206: jument, de m’ouvrir une salle, o
- Page 207 and 208: créatures de mon espèce. Aussitô
- Page 209 and 210: Chapitre III L’auteur s’appliqu
- Page 211 and 212: alors joindre au langage plusieurs
- Page 213 and 214: que la nature nous défend de faire
- Page 215 and 216: pouvait que les Houyhnhnms de mon p
- Page 217 and 218: pays, les animaux maîtres et domin
- Page 219 and 220: soumissent à leurs lois, vu que la
- Page 221 and 222: voyages, j’avais été capitaine
- Page 223 and 224: Chapitre V L’auteur expose à son
- Page 225 and 226: qui nous manquent, et nous avons de
- Page 227 and 228: yahous de ce pays ; mais, après to
- Page 229 and 230: et simples, feront plus d’attenti
- Page 231 and 232: Chapitre VI Du luxe, de l’intemp
- Page 233 and 234: onne chère et du plaisir était le
- Page 235 and 236: d’imagination attaquent nos femel
- Page 237 and 238: Chapitre VII Parallèle des yahous
- Page 239 and 240: nos yahous, règnent aussi parmi vo
- Page 241 and 242: un régime excellent pour la triste
- Page 243: Comme les Houyhnhnms, qui sont les
- Page 247 and 248: ordonné une chasse générale des
- Page 249 and 250: médicinales, vu qu’ils étudient
- Page 251 and 252: Chapitre X Félicité de l’auteur
- Page 253 and 254: satisfaction infinie ; tout ce que
- Page 255 and 256: Après avoir gardé quelque temps u
- Page 257 and 258: oser leur opposer celle d’un mis
- Page 259 and 260: Chapitre XI L’auteur est percé d
- Page 261 and 262: de moules, afin de ménager mes pet
- Page 263 and 264: Lorsqu’ils me parlèrent, d’abo
- Page 265 and 266: avaient mouillé pour faire aiguade
- Page 267 and 268: Dom Pedro, à qui j’avais expliqu
- Page 269 and 270: Chapitre XII Invectives de l’aute
- Page 271 and 272: tomber mon livre et peut-être oubl
- Page 273 and 274: découvre terre : les voilà aussit
- Page 275 and 276: EXTRAIT D’UN PAMPHLET SUR L’IRL
- Page 277 and 278: « Quant à notre cité de Dublin,
- Page 279: À propos de cette édition électr
ibliothèques ? Que deviendraient la réputation de nos savants<br />
et le négoce de nos libraires ? La république des lettres ne serait<br />
que celle de la raison, et il n’y aurait, dans les universités,<br />
d’autres écoles que celles du bon sens.<br />
Les Houyhnhnms s’aiment les uns les autres, s’aident, se<br />
soutiennent et se soulagent réciproquement ; ils ne se portent<br />
point envie ; ils ne sont point jaloux du bonheur de leurs<br />
voisins ; ils n’attentent point sur la liberté et sur la vie de leurs<br />
semblables ; ils se croiraient malheureux si quelqu’un de leur<br />
espèce l’était, et ils disent, à l’exemple d’un ancien : Nihil<br />
caballini a me alienum puto 4 . Ils ne médisent point les uns des<br />
autres ; la satire ne trouve chez eux ni principe ni objet ; les<br />
supérieurs n’accablent point les inférieurs du poids de leur rang<br />
et de leur autorité ; leur conduite sage, prudente et modérée ne<br />
produit jamais le murmure ; la dépendance est un lien et non un<br />
joug, et la puissance, toujours soumise aux lois de l’équité, est<br />
révérée sans être redoutable.<br />
Leurs mariages sont bien mieux assortis que les nôtres. Les<br />
mâles choisissent pour épouses des femelles de la même couleur<br />
qu’eux. Un gris-pommelé épousera toujours une grisepommelée,<br />
et ainsi des autres. On ne voit donc ni changement,<br />
ni révolution, ni déchet dans les familles ; les enfants sont tels<br />
que leurs pères et leurs mères ; leurs armes et leurs titres de<br />
noblesse consistent dans leur figurée, dans leur taille, dans leur<br />
force, dans leur couleur, qualités qui se perpétuent dans leur<br />
postérité ; en sorte qu’on ne voit point un cheval magnifique et<br />
superbe engendrer une rosse, ni d’une rosse naître un beau<br />
cheval, comme cela arrive si souvent en Europe.<br />
Parmi eux, on ne remarque point de mauvais ménages.<br />
4 Variante du célèbre vers de Térence : « Je suis homme et<br />
pense que rien de ce qui concerne les hommes ne doit m’être<br />
indifférent. » Nihil caballini, rien de ce qui concerne les chevaux.<br />
– 244 –