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LES VOYAGES DE GULLIVER

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alors joindre au langage plusieurs signes pour me faire<br />

entendre. Mon maître me répliqua qu’il fallait que je me<br />

trompasse, et que j’avais dit la chose qui n’était pas, c’est-à-dire<br />

que je mentais. (Les Houyhnhnms, dans leur langue, n’ont point<br />

de mot pour exprimer le mensonge ou la fausseté.) Il ne pouvait<br />

comprendre qu’il y eût des terres au delà des eaux de la mer, et<br />

qu’un vil troupeau d’animaux pût faire flotter sur cet élément un<br />

grand bâtiment de bois et le conduire à leur gré. « À peine,<br />

disait-il, un Houyhnhnm en pourrait-il faire autant, et sûrement<br />

il n’en confierait pas la conduite à des yahous. »<br />

Ce mot houyhnhnm, dans leur langue, signifie cheval, et<br />

veut dire selon son étymologie, la perfection de la nature. Je<br />

répondis à mon maître que les expressions me manquaient,<br />

mais que, dans quelque temps, je serais en état de lui dire des<br />

choses qui le surprendraient beaucoup. Il exhorta madame la<br />

cavale son épouse, messieurs ses enfants le poulain et la jument,<br />

et tous ses domestiques à concourir tous avec zèle à me<br />

perfectionner dans la langue, et tous les jours il y consacrait luimême<br />

deux ou trois heures.<br />

Plusieurs chevaux et cavales de distinction vinrent alors<br />

rendre visite à mon maître, excités par la curiosité de voir un<br />

yahou surprenant, qui, à ce qu’on leur avait dit, parlait comme<br />

un Houyhnhnm, et faisait reluire dans ses manières des<br />

étincelles de raison. Ils prenaient plaisir à me faire des<br />

questions à ma portée, auxquelles je répondais comme je<br />

pouvais. Tout cela contribuait à me fortifier dans l’usage de la<br />

langue, en sorte qu’au bout de cinq mois j’entendais tout ce<br />

qu’on me disait et m’exprimais assez bien sur la plupart des<br />

choses.<br />

Quelques Houyhnhnms, qui venaient à la maison pour me<br />

voir et me parler, avaient de la peine à croire que je fusse un vrai<br />

yahou, parce que, disaient-ils, j’avais une peau fort différente de<br />

ces animaux ; ils ne me voyaient, ajoutaient-ils, une peau à peu<br />

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