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dis que mon sort était entre leurs mains et que je consentais<br />
d’avance à tout ce qu’ils voudraient. Ils m’obligèrent d’en faire<br />
serment, et puis me délièrent, se contentant de m’enchaîner un<br />
pied au bois de mon lit et de poster à la porte de ma chambre<br />
une sentinelle qui avait ordre de me casser la tête si j’eusse fait<br />
quelque tentative pour me mettre en liberté. Leur projet était<br />
d’exercer la piraterie avec mon vaisseau et de donner la chasse<br />
aux Espagnols ; mais pour cela ils n’étaient pas assez forts<br />
d’équipage ; ils résolurent de vendre ; d’abord la cargaison du<br />
vaisseau et d’aller à Madagascar pour augmenter leur troupe.<br />
Cependant j’étais prisonnier dans ma chambre, fort inquiet du<br />
sort qu’on me préparait.<br />
Le 9 de mai 1711, un certain Jacques Welch entra, et me dit<br />
qu’il avait reçu ordre de M. le capitaine de me mettre à terre. Je<br />
voulus, mais inutilement, avoir quelque entretien avec lui et lui<br />
faire quelques questions ; il refusa même de me dire le nom de<br />
celui qu’il appelait M. le capitaine. On me fit descendre dans la<br />
chaloupe, après m’avoir permis de faire mon paquet et<br />
d’emporter mes hardes. On me laissa mon sabre, et on eut la<br />
politesse de ne point visiter mes poches, où il y avait quelque<br />
argent. Après avoir fait environ une lieue dans la chaloupe, on<br />
me mit sur le rivage. Je demandai à ceux qui m’accompagnaient<br />
quel pays c’était. « Ma foi, me répondirent-ils, nous ne le savons<br />
pas plus que vous, mais prenez garde que la marée ne vous<br />
surprenne ; adieu. » Aussitôt la chaloupe s’éloigna.<br />
Je quittai les sables et montai sur une hauteur pour<br />
m’asseoir et délibérer sur le parti que j’avais à prendre. Quand<br />
je fus un peu reposé, j’avançai dans les terres, résolu de me<br />
livrer au premier sauvage que je rencontrerais et de racheter ma<br />
vie, si je pouvais, par quelques petites bagues, par quelques<br />
bracelets et autres bagatelles, dont les voyageurs ne manquent<br />
jamais de se pourvoir, et dont j’avais une certaine quantité dans<br />
mes poches.<br />
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