LES VOYAGES DE GULLIVER
LES VOYAGES DE GULLIVER LES VOYAGES DE GULLIVER
La littérature de ce peuple est fort peu de chose et ne consiste que dans la connaissance de la morale, de l’histoire, de la poésie et des mathématiques ; mais il faut avouer qu’ils excellent dans ces quatre genres. La dernière de ces connaissances n’est appliquée par eux qu’à tout ce qui est utile ; en sorte que la meilleure partie de notre mathématique serait parmi eux fort peu estimée. À l’égard des entités métaphysiques, des abstractions et des catégories, il me fut impossible de les leur faire concevoir. Dans ce pays, il n’est pas permis de dresser une loi en plus de mots qu’il n’y a de lettres dans leur alphabet, qui n’est composé que de vingt-deux lettres ; il y a même très peu de lois qui s’étendent jusqu’à cette longueur. Elles sont toutes exprimées dans les termes les plus clairs et les plus simples, et ces peuples ne sont ni assez vifs ni assez ingénieux pour y trouver plusieurs sens ; c’est d’ailleurs un crime capital d’écrire un commentaire sur aucune loi. Ils possèdent de temps immémorial l’art d’imprimer, aussi bien que les Chinois ; mais leurs bibliothèques ne sont pas grandes ; celle du roi, qui est la plus nombreuse, n’est composée que de mille volumes rangés dans une galerie de douze cents pieds de longueur, où j’eus la liberté de lire tous les livres qu’il me plut. Le livre que j’eus d’abord envie de lire fut mis sur une table sur laquelle on me plaça : alors, tournant mon visage vers le livre, je commençai par le haut de la page ; je me promenai dessus le livre même, à droite et à gauche, environ huit ou dix pas, selon la longueur des lignes, et je reculai à mesure que j’avançais dans la lecture des pages. Je commençai à lire l’autre page de la même façon, après quoi je tournai le feuillet, ce que je pus difficilement faire avec mes deux mains, car il était aussi épais et aussi raide qu’un gros carton. – 118 –
Leur style est clair, mâle et doux, mais nullement fleuri, parce qu’on ne sait parmi eux ce que c’est de multiplier les mots inutiles et de varier les expressions. Je parcourus plusieurs de leurs livres, surtout ceux qui concernaient l’histoire et la morale ; entre autres, je lus avec plaisir un vieux petit traité qui était dans la chambre de Glumdalclitch. Ce livre était intitulé : Traité de la faiblesse du genre humain, et n’était estimé que des femmes et du petit peuple. Cependant je fus curieux de voir ce qu’un auteur de ce pays pouvait dire sur un pareil sujet. Cet écrivain faisait voir très au long combien l’homme est peu en état de se mettre à couvert des injures de l’air ou de la fureur des bêtes sauvages ; combien il était surpassé par d’autres animaux, soit dans la force, soit dans la vitesse, soit dans la prévoyance, soit dans l’industrie. Il montrait que la nature avait dégénéré dans ces derniers siècles, et qu’elle était sur son déclin. Il enseignait que les lois mêmes de la nature exigeaient absolument que nous eussions été au commencement d’une taille plus grande et d’une complexion plus vigoureuse, pour n’être point sujets à une soudaine destruction par l’accident d’une tuile tombant de dessus une maison, ou d’une pierre jetée de la main d’un enfant, ni à être noyés dans un ruisseau. De ces raisonnements l’auteur tirait plusieurs applications utiles à la conduite de la vie. Pour moi, je ne pouvais m’empêcher de faire des réflexions morales sur cette morale même, et sur le penchant universel qu’ont tous les hommes à se plaindre de la nature et à exagérer ses défauts. Ces géants se trouvaient petits et faibles. Que sommes-nous donc, nous autres Européens ? Ce même auteur disait que l’homme n’était qu’un ver de terre et qu’un atome, et que sa petitesse devait sans cesse l’humilier. Hélas ! que suis-je, me disais-je, moi qui suis au-dessous de rien en comparaison de ces hommes qu’on dit être si petits et si peu de chose ? Dans ce même livre, on faisait voir la vanité du titre d’altesse et de grandeur, et combien il était ridicule qu’un – 119 –
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femmes et du petit peuple. Cependant je fus curieux de voir ce<br />
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des bêtes sauvages ; combien il était surpassé par d’autres<br />
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Il enseignait que les lois mêmes de la nature exigeaient<br />
absolument que nous eussions été au commencement d’une<br />
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d’une tuile tombant de dessus une maison, ou d’une pierre jetée<br />
de la main d’un enfant, ni à être noyés dans un ruisseau. De ces<br />
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penchant universel qu’ont tous les hommes à se plaindre de la<br />
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même auteur disait que l’homme n’était qu’un ver de terre et<br />
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Hélas ! que suis-je, me disais-je, moi qui suis au-dessous de rien<br />
en comparaison de ces hommes qu’on dit être si petits et si peu<br />
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Dans ce même livre, on faisait voir la vanité du titre<br />
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