Quatre lettres d'un professeur - L'Affaire Corneille-Molière

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15.07.2013 Views

plus important. Il est probable que ces lettres soient suspectes (sont-elles seulement adressées à Molière comme le titre le laisse entendre ?), peut-être apocryphes, auquel cas il vous sera facile de le prouver. On trouve cette lettre reproduite p. 142 du volume 3 de l’édition des Œuvres complètes de Molière établie par L. Aimé-Martin et publiée en 1824 à Paris chez Lefèvre, libraire. Si ces lettres sont bien réelles, ce qui est vérifiable, il serait avéré que Molière n’aurait pas tout à fait rien écrit de sa main. Convenons-en : si cela ne change pas grand chose sur le fond, cela prouve qu’il aurait entretenu au moins une fois une correspondance littéraire avec un ami qui se pique d’écrire. 2- L’analyse que vous présentez de la « Satire à M. de Molière » de Boileau est très intéressante. Il est fort probable que Poquelin et Boileau ne furent pas des amis tels que la tradition le rapporte mais il apparaît difficilement contestable, d’ailleurs vous ne le contestez pas, qu’ils ne se soient pas connus. Si donc l’auteur qui a connu et fréquenté Poquelin savait que Molière n’était qu’un prête-nom de Corneille, il faut convenir que cette connaissance – ici dévoilée dans la satire – sous-tend tout ce qu’il a pu dire de Molière. Pourquoi en effet dévoilerait-il seulement ici ce qu’il sait et quel motif impérieux l’amènerait-il à mentir par la suite, singulièrement quand cette association Poquelin-Corneille est Jamais Molière n’a parlé de ses soucis d’écrivain ; et ses contemporains n’en ont rapporté aucun. Molière n’a confié à ses proches ou à la postérité que des problèmes de directeur de troupe ou de comédien ; ce qu’attestent les documents. On a publié deux lettres de Chapelle mais on n’a jamais cité une ligne de réponse de Molière. Autre possibilité : Molière pouvait se servir pour son courrier de Madeleine Béjart qui, un document le prouve, savait écrire. Plus tard, il a pu utiliser comme secrétaire Claude Chapelle qui passait beaucoup de temps avec son vieil ami Molière, qu’il vouvoyait à l’occasion, sans doute en raison de l’emploi sacro-saint de Bouffon du Roi que ce dernier occupait et dont Chapelle avait parfaitement conscience. 4

dissoute par la mort du premier ? Plutôt que d’analyser uniquement cette satire, il faut à mon sens la remettre en perspective dans l’ensemble des écrits de Boileau. A quoi renvoie le nom Molière sous sa plume ? On en compte une dizaine d’occurrences, ce qui est fort peu. A partir de 1680 le parti dévot régente les esprits. Dix ans plus tard il commence à occulter les débuts scandaleux du règne de Louis XIV afin d’en faire disparaître l’aspect licencieux et blasphématoire. Après 1700 il ne sera plus jamais question de dire la vérité sur les esprits libertins de l’époque, en particulier Boileau qui commença par être un franc-buveur, c’est-à-dire un « gouliard », autrement dit : un satiriste à visée politique – donc un homme peu recommandable (pour vous en convaincre, voyez le jugement que porte l’élite de l’époque sur ce jeune homme pilier de taverne). Les dévots s’occupèrent encore plus d’effacer ce que la vie de Molière avait d’« obscène » car le Roi est désormais « très-chrétien ». Mais nous savons par son disciple et secrétaire Le Verrier que lorsque Boileau félicita Molière pour sa « fertile veine », « L’auteur donne ici à son ami une facilité de tourner un vers et de rimer, que son ami n’avait pas, mais il est question de le louer et de lui faire plaisir. » Ainsi s’effondre le grand argument des moliéristes qui voient dans la « fertile veine » vantée par Boileau la preuve absolue du génie de Molière. L’aveu de Boileau en dit plus long qu’il n’y paraît car à une époque où tout mondain se piquait d’être poète, reconnaître que Molière n’avait pas le vers facile – lui qui était censé écrire très vite si l’on en juge par les délais extrêmement courts auxquels il était soumis en tant que directeur de troupe –, c’est reconnaître que Molière n’était pas un écrivain, ni même un homme de qualité pourvu de dons innés, mais un homme du peuple, à qui peut convenir le métier de farceur. Rien ne trahit plus l’opinion que l’on a des gens qu’un journal littéraire ou une correspondance entre amis. Il importe, là aussi, de savoir pourquoi le nom de 5

dissoute par la mort du premier ?<br />

Plutôt que d’analyser uniquement cette<br />

satire, il faut à mon sens la remettre en<br />

perspective dans l’ensemble des écrits de<br />

Boileau. A quoi renvoie le nom <strong>Molière</strong><br />

sous sa plume ? On en compte une dizaine<br />

d’occurrences, ce qui est fort peu.<br />

A partir de 1680 le parti dévot régente les<br />

esprits. Dix ans plus tard il commence à<br />

occulter les débuts scandaleux du règne de<br />

Louis XIV afin d’en faire disparaître<br />

l’aspect licencieux et blasphématoire.<br />

Après 1700 il ne sera plus jamais question<br />

de dire la vérité sur les esprits libertins de<br />

l’époque, en particulier Boileau qui<br />

commença par être un franc-buveur,<br />

c’est-à-dire un « gouliard », autrement<br />

dit : un satiriste à visée politique – donc<br />

un homme peu recommandable (pour<br />

vous en convaincre, voyez le jugement que<br />

porte l’élite de l’époque sur ce jeune<br />

homme pilier de taverne). Les dévots<br />

s’occupèrent encore plus d’effacer ce que<br />

la vie de <strong>Molière</strong> avait d’« obscène » car<br />

le Roi est désormais « très-chrétien ».<br />

Mais nous savons par son disciple et<br />

secrétaire Le Verrier que lorsque Boileau<br />

félicita <strong>Molière</strong> pour sa « fertile veine »,<br />

« L’auteur donne ici à son ami une facilité<br />

de tourner un vers et de rimer, que son<br />

ami n’avait pas, mais il est question de le<br />

louer et de lui faire plaisir. » Ainsi<br />

s’effondre le grand argument des<br />

moliéristes qui voient dans la « fertile<br />

veine » vantée par Boileau la preuve<br />

absolue du génie de <strong>Molière</strong>. L’aveu de<br />

Boileau en dit plus long qu’il n’y paraît<br />

car à une époque où tout mondain se<br />

piquait d’être poète, reconnaître que<br />

<strong>Molière</strong> n’avait pas le vers facile – lui qui<br />

était censé écrire très vite si l’on en juge<br />

par les délais extrêmement courts<br />

auxquels il était soumis en tant que<br />

directeur de troupe –, c’est reconnaître<br />

que <strong>Molière</strong> n’était pas un écrivain, ni<br />

même un homme de qualité pourvu de<br />

dons innés, mais un homme du peuple, à<br />

qui peut convenir le métier de farceur.<br />

Rien ne trahit plus l’opinion que l’on a des<br />

gens qu’un journal littéraire ou une<br />

correspondance entre amis. Il importe, là<br />

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