Quatre lettres d'un professeur - L'Affaire Corneille-Molière

Quatre lettres d'un professeur - L'Affaire Corneille-Molière Quatre lettres d'un professeur - L'Affaire Corneille-Molière

corneille.moliere.org
from corneille.moliere.org More from this publisher
15.07.2013 Views

Si Corneille en est l’auteur (ce qui est fort possible mais qui reste à démontrer), force est de constater qu’il se présente très souvent comme un critique ironique de certaines situations tragiques présentes dans son théâtre. Je ne suis peut-être pas très clair mais j’y reviendrai car les esthétiques tragique et comique visent des effets très différents. Par contre, la justification théorique développée par les préfaces moliéresques me paraît calquée à bien des égards sur l’argumentation cornélienne et ce rapprochement mérite d’être lui aussi analysé. 2- C’est d’autre part la recherche d’indices externes aux œuvres qui doit être menée. Un travail d’historien dans les archives et qui pose une preuve comme étant une 22 alors que précisément tout aurait dû le pousser, du moins si l’on en croit les moliéristes, à charger Corneille le plus possible. Et le public de l’époque qui riait, s’empoignait, se volait, ou plus écologiquement jetait des légumes aux comédiens, aurait compris quelque chose à ces quatre petits vers, lesquels pouvaient concerner tous les De l’Isle de France (et ils étaient nombreux !). D’ailleurs combien savaient que Thomas Corneille signait ainsi certains actes administratifs ? Nous pensons, comme certains historiens, que ces vers sont à circonscrire dans un contexte plus global, et d’abord politique. Puisque Molière est le Bouffon du Roi, il est aux ordres. Or, l’époque où fut composée la pièce est celle où Colbert cherche à juguler les «évasions fiscales » comme nous disons aujourd’hui. Corneille a toujours été un satirique dans l’âme et même envers lui-même comme le démontrent ses premières comédies, ses poésies et son Illusion comique écrite en parallèle du Cid ; sur ce point le corneilliste André Le Gall est catégorique. Tout à fait de votre avis. Une des clefs de cette affaire est la Préface du Tartuffe où, selon moi, à cause des événements qui se précipitent, Corneille se trahit ici et là. J’ai tenté de le faire dans ma thèse de plus de 1000 pages, toujours en attente d’un éditeur : Molière, Bouffon du Roi et prête-nom de Corneille.

donnée similaire établie par le recoupement de deux documents différents. Plutôt que d’écrire : "Molière n’a jamais écrit une lettre", je préfère pour l’instant affirmer : "Nous n’avons, dans l’état actuel de la recherche, aucune lettre écrite de la main de Molière. Plus de trois siècles de recherches n’ont jusqu’à présent rien donné". Le fait est plus que troublant et il convient de chercher dans toutes les correspondances des interlocuteurs qu’il fréquente l’absence de ces supposées lettres. Pour l’heure, je sais peu de choses de la correspondance des Corneille et du lieu où elle est archivée. Combien avons-nous de lettres de lui, de Mélite jouée autour de 1629 à la fin de sa vie ? L’édition des Œuvres complètes, édition Seuil 1988, fait état d’une vingtaine de lettres (Je cite la p. 830 : "il ne nous reste de Corneille qu’une vingtaine de lettres (dont les deux-tiers sont le résultat de découvertes relativement récentes"). Avouons que c’est fort peu sur un demi-siècle de productions et qu’il reste beaucoup à trouver dans ce domaine, et que ce peu de lettres trouvées jette un éclairage un peu différent sur l’absence de lettres de Molière. Pourquoi ne le dirait-on pas ? Si nous avons des doutes, disons-les ; ils font aussi partie de la démarche intellectuelle que nous entreprenons. 23 Il est à craindre qu’il n’y ait dans cette litote quelque hypocrisie. Car si après trois siècles de recherches acharnées l’on n’a toujours rien trouvé de la main de « l’illustre Molière », jusques à quand devra-t-on attendre pour appeler un "chat" un chat et écrire : "Nous n’avons rien de la main de Molière" au lieu de : "les recherches n’ont jusqu’à présent rien donné" ? Pense-t-on que si personne n’a jamais approché le monstre du Loch Ness, malgré des millions de curieux annuels, c’est uniquement parce que "les recherches n’ont jusqu’à présent rien donné" ? Ainsi, parce qu’il y a peu de lettres de Corneille il serait normal que nous n’en ayons aucune de Molière ! C’est oublier que nous en avons des centaines de Racine ou de Boileau ; c’est oublier que nous avons le registre paroissial que Pierre

Si <strong>Corneille</strong> en est l’auteur (ce qui est fort<br />

possible mais qui reste à démontrer), force<br />

est de constater qu’il se présente très<br />

souvent comme un critique ironique de<br />

certaines situations tragiques présentes dans<br />

son théâtre.<br />

Je ne suis peut-être pas très clair mais j’y<br />

reviendrai car les esthétiques tragique et<br />

comique visent des effets très différents. Par<br />

contre, la justification théorique développée<br />

par les préfaces moliéresques me paraît<br />

calquée à bien des égards sur<br />

l’argumentation cornélienne et ce<br />

rapprochement mérite d’être lui aussi<br />

analysé.<br />

2- C’est d’autre part la recherche d’indices<br />

externes aux œuvres qui doit être menée.<br />

Un travail d’historien dans les archives et<br />

qui pose une preuve comme étant une<br />

22<br />

alors que précisément tout aurait dû le<br />

pousser, du moins si l’on en croit les<br />

moliéristes, à charger <strong>Corneille</strong> le plus<br />

possible. Et le public de l’époque qui riait,<br />

s’empoignait, se volait, ou plus<br />

écologiquement jetait des légumes aux<br />

comédiens, aurait compris quelque chose<br />

à ces quatre petits vers, lesquels pouvaient<br />

concerner tous les De l’Isle de France (et<br />

ils étaient nombreux !). D’ailleurs<br />

combien savaient que Thomas <strong>Corneille</strong><br />

signait ainsi certains actes administratifs ?<br />

Nous pensons, comme certains historiens,<br />

que ces vers sont à circonscrire dans un<br />

contexte plus global, et d’abord politique.<br />

Puisque <strong>Molière</strong> est le Bouffon du Roi, il<br />

est aux ordres. Or, l’époque où fut<br />

composée la pièce est celle où Colbert<br />

cherche à juguler les «évasions fiscales »<br />

comme nous disons aujourd’hui.<br />

<strong>Corneille</strong> a toujours été un satirique dans<br />

l’âme et même envers lui-même comme le<br />

démontrent ses premières comédies, ses<br />

poésies et son Illusion comique écrite en<br />

parallèle du Cid ; sur ce point le<br />

corneilliste André Le Gall est catégorique.<br />

Tout à fait de votre avis. Une des clefs de<br />

cette affaire est la Préface du Tartuffe où,<br />

selon moi, à cause des événements qui se<br />

précipitent, <strong>Corneille</strong> se trahit ici et là.<br />

J’ai tenté de le faire dans ma thèse de<br />

plus de 1000 pages, toujours en attente<br />

d’un éditeur : <strong>Molière</strong>, Bouffon du Roi et<br />

prête-nom de <strong>Corneille</strong>.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!