Quatre lettres d'un professeur - L'Affaire Corneille-Molière
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la tragédie, ne serait-ce que par le champ<br />
lexical employé ? Peut-on par ailleurs citer<br />
un seul autre comédien qui ait accompli la<br />
prouesse de <strong>Molière</strong> ? Certes la mémoire<br />
est utile, mais il faut plus que de la<br />
mémoire pour maîtriser la syntaxe de<br />
<strong>Corneille</strong> sur des périodes contenant<br />
plusieurs alexandrins, et se hisser à son<br />
niveau moral (les deux étant<br />
indissociables). Enfin, il est anormal que<br />
<strong>Molière</strong> écrive comme <strong>Corneille</strong> mais joue<br />
en farce ce qu’il écrit si admirablement. Il<br />
y a là une schizophrénie difficile à<br />
admettre. En revanche, il est évident<br />
qu’un homme fier de ce qu’il écrit ne<br />
rabaisse pas son œuvre. Bien sûr, tout<br />
peut arriver dans une carrière, mais on ne<br />
rabaisse pas systématiquement ce que l’on<br />
a écrit avec son âme. Pourtant, tous les<br />
témoignages concordent : sur scène<br />
<strong>Molière</strong> grimaçait son texte et faisait rire<br />
là où le public de qualité n’en voyait pas la<br />
raison. Enfin, si l’on acceptait l’hypothèse<br />
de la « connaissance récitative », il<br />
faudrait admettre que, par ce biais,<br />
<strong>Molière</strong> s’est aussi approprié les procédés<br />
stylistiques intimes de son modèle, les<br />
sources et même la culture de Pierre<br />
<strong>Corneille</strong> (il a été démontré que Tartuffe<br />
est le revers de Polyeucte). Ainsi, grâce à<br />
sa seule mémoire de comédien-farceur,<br />
<strong>Molière</strong> qui a toujours couru par monts et<br />
par vaux serait arrivé au niveau<br />
d’excellence du seul <strong>Corneille</strong>, dont le<br />
génie est certain, qui disposait de tout son<br />
temps et, à l’inverse de <strong>Molière</strong>, d’une<br />
excellente bibliothèque. L’hypothèse de la<br />
« connaissance récitative » nous oblige<br />
donc à croire à un comédien (mauvais de<br />
surcroît dans la tragédie, de l’avis de tous<br />
ses contemporains) qui par un don unique<br />
dans les annales de la comédie et de la<br />
littérature a réussi, alors qu’il ne jouait<br />
que des comédies pour le parterre, à se<br />
court-circuiter en permanence en<br />
imposant où cela n’était guère souhaitable<br />
pour une comédie le style très travaillé de<br />
<strong>Corneille</strong>, mais aussi son système<br />
référentiel, ses sources livresques, sa<br />
culture religieuse, son intérêt pour les