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Zina et l'oiseau.indd - Les histoires à tire d'ailes

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Texte : Yasmina Maghni<br />

Illustrations : Élisa Granowska


L orsqu’elle vint au monde, <strong>Zina</strong> avait deux ailes. Une <strong>à</strong> son<br />

épaule gauche, l’autre <strong>à</strong> son épaule droite. Ses parents au début<br />

étonnés, pensèrent ensuite que ce bébé serait une enfant très sage<br />

pour porter de tels attributs, habituellement réservés aux anges.<br />

Et finalement, ils furent très fiers d’avoir mis au monde c<strong>et</strong>te jolie<br />

demoiselle <strong>et</strong> décidèrent de l’appeler <strong>Zina</strong>, ce qui veut dire « belle<br />

». Quand elle eut sept ans, l’âge de raison (enfin c’est ce que disent<br />

les parents qui ne donnent pas pour autant raison <strong>à</strong> leurs enfants),<br />

elle eut une visite qui devait changer son existence. Il faut dire<br />

que jusqu’ici <strong>Zina</strong> avait une vie bien sage sans jamais démériter.<br />

En conduite, son carn<strong>et</strong> de classe était rempli de « A » surtout en<br />

calcul <strong>et</strong> en dictée ses matières préférées. Pourtant, des enfants de<br />

sa classe, plutôt jaloux de ses bonnes notes l’avaient un jour dessinée<br />

sur le grand tableau noir avec deux « A » de chaque côté pour<br />

remplacer ses ailes. Ainsi ils l’avaient nommés « mademoisailes A<br />

». C’était jeudi dernier. Depuis, <strong>Zina</strong> avait demandé <strong>à</strong> sa mère de<br />

lui confectionner une cape pour cacher ses ailes qui maintenant<br />

lui faisaient peine. <strong>Zina</strong> veut dire « belle » dans les pays orientaux,<br />

lui avait répondu sa mère, c’est pourquoi nous t’avons donné ce<br />

prénom, car tu es belle. Laisse les dire, ils se lasseront. Mais <strong>Zina</strong><br />

insista pour avoir une cape qui, lui semblait-il, la protègerait du<br />

regard des méchantes personnes. C<strong>et</strong>te cape elle ne la portait pas<br />

quand elle était chez elle <strong>et</strong> encore moins dans son jardin.<br />

C ’est l<strong>à</strong> qu’elle jouait avec son chat Nicéphore quand sa<br />

mère l’appela. « <strong>Zina</strong>, <strong>Zina</strong>aaa ! Viens vite, j’ai une surprise<br />

pour toi ». On lui présenta alors sa grand-tante, qui était la<br />

tante de sa mère mais pas du tout grande. En famille on la<br />

surnommait Coccinelle <strong>à</strong> cause de sa p<strong>et</strong>ite taille <strong>et</strong> de ses<br />

grains de beauté éparpillés sur son visage <strong>et</strong> plus précisément<br />

autour de son nez. « <strong>Zina</strong>, voici Coccinelle dont je t’ai<br />

parlé si souvent » dit sa mère. Souvent ? C’était un véritable<br />

euphémisme car sa mère TOUS LES SOIRS lui racontait des<br />

<strong>histoires</strong> que Coccinelle inventait autrefois pour elle. « Si tu<br />

es bien sage, je t’en conterais une après le repas » lui dit-elle<br />

avec un p<strong>et</strong>it clin d’œil complice. <strong>Zina</strong> était très impatiente,<br />

car elle savait aussi que sa maman était longue dans ses<br />

préparatifs.


C ’est vrai, qu’elle accueillait toujours ses invités en «<br />

grandes pompes » comme disait papa, <strong>et</strong> pour l’occasion,<br />

elle m<strong>et</strong>tait ses chaussures <strong>à</strong> hauts talons <strong>et</strong> sa robe « taille<br />

de guêpe » <strong>à</strong> rayures jaunes <strong>et</strong> noires. C’est pour ça qu’on<br />

l’appelle comme ça pensait <strong>Zina</strong>. Donc, pour le repas, sa<br />

mère voulait que ce soit parfait. Tout y était : les p<strong>et</strong>its plats<br />

<strong>et</strong> les grands, le vase au milieu de la table pour cacher le<br />

trou de la nappe normande sans oublier de ne pas mélanger<br />

les torchons avec les servi<strong>et</strong>tes, assortis <strong>à</strong> la nappe. Au dessert,<br />

<strong>Zina</strong> ne tenait plus en place <strong>et</strong> engloutit, le temps que<br />

son père baille, sa glace au coulis de fraises “du jardin” (avait<br />

fièrement dit sa maman).


Justement, c’est dans le jardin que sa grand-tante l’invita<br />

<strong>à</strong> la suivre.<br />

« <strong>Zina</strong>, ma belle enfant, connais-tu l’histoire de l’oiseau<br />

rouge ? lui demanda-t-elle <strong>et</strong> sans attendre sa réponse<br />

elle enchaîna : c<strong>et</strong> oiseau rouge, est le grand cousin du<br />

cousin du rossignol français mais lui vit dans les pays<br />

chauds. Allons <strong>à</strong> l’ombre de c<strong>et</strong> arbre <strong>et</strong> assieds-toi près<br />

de moi. Ferme les yeux, sens-tu c<strong>et</strong>te douce chaleur du<br />

printemps, nous avons la même en Kabylie. La Kabylie, tu le<br />

sais, est le pays de ton grand-père qui était aussi mon p<strong>et</strong>it<br />

frère, mais pas p<strong>et</strong>it du tout, <strong>et</strong> surtout beaucoup plus grand<br />

que moi. Quand nous étions enfants, nous vivions avec notre<br />

mère <strong>et</strong> notre grand-mère car notre père était mort pendant<br />

la guerre. Nous habitions un p<strong>et</strong>it village dans les montagnes,<br />

<strong>et</strong> il fallait beaucoup marcher pour aller <strong>à</strong> l’école. C’est notre<br />

grand-mère qui avait insisté pour que nous y allions, car<br />

elle disait que l’école nous mènerait l<strong>à</strong> où elle n’est jamais<br />

allée. Moi je n’étais pas très bonne élève malgré mes efforts,<br />

surtout en mathématiques que je détestais. En général,<br />

pendant ce cours, je m’ennuyais. Un jour, nous avons abordé<br />

la division <strong>et</strong> mon calvaire, lui, ne se divisa pas. Alors,<br />

pendant que le maître parlait, j’écoutais les bruits de dehors<br />

en inventant des <strong>histoires</strong>.<br />

C ’est comme cela que j’entendis le joli chant d’un oiseau.<br />

Il sifflait en marquant de courtes pauses <strong>et</strong> je m’amusais <strong>à</strong><br />

les compter. Après tout, j’étais en cours de mathématiques.<br />

Je l’écoutais toujours, quand j’entendis le maître demander<br />

« en vingt-quatre combien de fois huit ? » <strong>et</strong> je me mis <strong>à</strong> dire<br />

tout haut « trois » car l’oiseau avait sifflé trois fois. Je sentis<br />

soudain, tous les regards se tourner vers moi <strong>et</strong> surtout celui<br />

de Karim qui était le premier de la classe <strong>et</strong> qui détestait<br />

que l’on réponde avant lui. « Bravo, me dis le maître, tu vois<br />

Coccinelle qu’il ne faut jamais désespérer. » « Ce n’est pas<br />

moi, répondis-je sans réfléchir, c’est l’oiseau dehors qui a<br />

sifflé 3 fois ». <strong>Les</strong> enfants, pour se moquer de moi se mirent<br />

<strong>à</strong> siffler <strong>et</strong> <strong>à</strong> rire. Mais le maître les arrêta <strong>et</strong> me dit « Coccinelle<br />

tu me déçois, tu n’es pas la première ici <strong>à</strong> vouloir nous<br />

faire croire <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te histoire d’oiseau rouge. Dommage, je ne<br />

vois vraiment pas l’intérêt que tu as <strong>à</strong> raconter de pareilles<br />

sottises. » <strong>et</strong> il nous pria de sortir pour la récréation. Dehors,<br />

Karim se dirigea très vite vers moi <strong>et</strong> me dit en rigolant «<br />

Maintenant que tu es bonne en maths, peut-être pourrais-tu<br />

diviser les points de ta joue droite par ceux de ta joue gauche<br />

ou alors les multiplier, tu en as tellement ...! » Je devins<br />

rouge de honte, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te fois, je ressemblais vraiment <strong>à</strong> une<br />

Coccinelle.


Pour me consoler, mon p<strong>et</strong>it frère <strong>à</strong> qui je confiais<br />

mes malheurs me promit qu’il trouverait l’oiseau rouge <strong>et</strong><br />

clouerait le bec de tous ces idiots. Il était courageux Amir,<br />

autant de détermination pour son âge, forçait l’admiration.<br />

Pour me faire plaisir, ma grand-mère, qui avait appris ma<br />

mésaventure par les commères du village, m’invita le lendemain<br />

<strong>à</strong> tisser son tapis avec elle. J’adorais ça, tous ces fils<br />

de couleurs <strong>et</strong> les dessins qui naissaient de l’agilité de ses<br />

doigts. Je l’entends encore de sa voix douce me dire « Celui<br />

qui transm<strong>et</strong> aura appris. » Elle avait beaucoup de sagesse <strong>et</strong><br />

les gens du village lui demandaient souvent conseil.<br />

N ous commencions d’introduire les fils rouges, quand Amir<br />

entra en riant « Ca y est ! dit-il, je l’ai ton oiseau rouge ! ».<br />

Je le suivi dehors en courant <strong>et</strong> je vis dans une p<strong>et</strong>ite cage l’oiseau<br />

rouge ; aussi rouge que les fils du tapis de ma grand-mère.<br />

Emerveillée <strong>et</strong> folle de joie, j’embrassais Amir qui me conseilla<br />

de l’apporter <strong>à</strong> l’école. Le lendemain, sur le chemin de<br />

l’école, fière comme le premier de la classe le jour des prix,<br />

je riais avec Amir quand soudain je remarquais que l’oiseau<br />

ne chantait pas. Trop préoccupée par ma gloire, je ne lui<br />

avais pas accordé de véritable attention.<br />

Nous étions très en avance <strong>et</strong> je proposais donc <strong>à</strong> mon p<strong>et</strong>it<br />

frère de faire une pause.


L ’oiseau rouge, dans la cage, ne bougeait pas. Je me mis<br />

<strong>à</strong> siffler pour qu’il me réponde mais il n’en fît rien. Amir me<br />

dit : « Allez, viens Coccinelle, sinon les autres n’auront pas<br />

le temps de le voir. » Nous avons repris notre route mais je<br />

n’avais plus la même gaeîté.<br />

« D’après toi <strong>Zina</strong>, pourquoi l’oiseau ne chantait-il plus ? »<br />

demanda Coccinelle.<br />

<strong>Zina</strong> réfléchit <strong>et</strong> répondit que d’être enfermé dans c<strong>et</strong>te cage, le<br />

rendait sûrement triste au point qu’il ne veuille plus chanter.<br />

« Tu as raison, dit Coccinelle, c’est tout <strong>à</strong> fait ça. Privé de liberté,<br />

il nous privait de son chant merveilleux. En revanche,<br />

j’entendais les cris des enfants qui jouaient avant la classe <strong>et</strong><br />

je me lamentais :<br />

« Que dois-je faire ? »<br />

Le regard triste de l’oiseau rouge me donna la réponse <strong>et</strong><br />

sans plus tarder, j’ouvris la cage.<br />

Il sortit en sifflant si fort que tous les enfants se mirent <strong>à</strong> crier<br />

« l’oiseau rouge est l<strong>à</strong> ».<br />

Le maître attiré par les cris, sortit dans la cour mais ne<br />

vit rien d’autre qu’un point rouge dans le ciel <strong>et</strong> pensa que<br />

c’était la forte lumière du soleil qui lui jouait des tours.<br />

« Rentrez les enfants, <strong>et</strong> cessez vos bêtises avec c<strong>et</strong> oiseau<br />

qui n’existe pas » s’exclama-t-il.


Coccinelle eut un long soupir <strong>et</strong> ajouta « Depuis ce jour,<br />

<strong>Zina</strong>, je sais accepter mes peines <strong>et</strong> espérer mes joies. Il ne<br />

faut pas se fier aux apparences, le bonheur peut-être l<strong>à</strong> où on<br />

ne l’attend pas ».<br />

La nuit tout doucement est venue <strong>et</strong> Coccinelle est rentrée chez elle.<br />

Dehors il fait doux, <strong>et</strong> les étoiles prom<strong>et</strong>tent pour demain,<br />

encore une belle journée. En se couchant, <strong>Zina</strong> ne demande<br />

pas d’histoire. Elle continue de penser <strong>à</strong> celle de Coccinelle,<br />

ce qui la rend rêveuse.<br />

« Maman, demande-t-elle, est-ce que Coccinelle a un mari ? ».<br />

« Oui, sourit maman, il s’appelle Karim ce qui veut dire généreux ».<br />

« Karim, s’étonne <strong>Zina</strong>, comme le méchant garçon, premier de sa<br />

classe ? ». Sa mère éclate de rire<br />

« Mais oui, <strong>Zina</strong>, ce Karim l<strong>à</strong>. Il est devenu le meilleur ami de mon père<br />

<strong>et</strong> aussi l’amoureux de Coccinelle ! ».<br />

« Est-ce que Coccinelle a un vrai prénom ? » insiste <strong>Zina</strong>.<br />

« Bien sûr, ma belle, elle s’appelle comme toi, <strong>Zina</strong>, mais on<br />

ne te l’avait pas déj<strong>à</strong> dit ?<br />

En tous les cas, je trouve que « belle » <strong>et</strong> « généreux » vont bien<br />

ensemble, l’amour a bien fait les choses tu ne trouves pas ? ».<br />

<strong>Zina</strong> ne répond pas, elle est déj<strong>à</strong> au pays des songes <strong>et</strong> discute<br />

avec l’oiseau rouge, du maître d’école, qui, l<strong>à</strong>-bas, en<br />

Kabylie, n’a jamais cru en l’existence d’un oiseau couleur<br />

d’amour <strong>et</strong> de passion...!


F I N<br />

en langue d’oiseau

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