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« Lorsqu’il s’agit de Paris j’y vais souv<strong>en</strong>t de ma larme<br />

ou de ma note » FRANCIS POULENC (1899–1963)<br />

J<br />

AMAIS UN COMPOSITEUR n’adora une métropo<strong>le</strong> autant<br />

que Pou<strong>le</strong>nc adora Paris. Cet être ultraraffiné, volontiers<br />

<strong>en</strong>clin à l’<strong>en</strong>nui et à la dépression, détestait l’inévitab<strong>le</strong> exil<br />

que lui imposai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s tournées de concerts <strong>en</strong> province, loin<br />

de sa chère vil<strong>le</strong> nata<strong>le</strong>. Dithyrambe éhonté disant toute sa joie<br />

(et son soulagem<strong>en</strong>t) à l’idée de retrouver <strong>le</strong> melting-pot<br />

urbain, Voyage à Paris v<strong>en</strong>ait clore ces récitals <strong>en</strong> un bis un<br />

brin malicieux. « Quand on me connaît, il paraîtra tout naturel<br />

que j’aie ouvert une bouche de carpe pour happer <strong>le</strong>s vers<br />

délicieusem<strong>en</strong>t stupides du Voyage à Paris », écrivit Pou<strong>le</strong>nc<br />

dans son Journal de mes mélodies. Ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t, il avait très<br />

peu connu Guillaume Apollinaire (1880–1918) mais l’écouter<br />

lire à voix haute ses poèmes lui avait fait reconnaître une âme<br />

sœur. Apollinaire (Kostrowitsky de son vrai nom) était italopolonais<br />

de naissance et son amour de Paris avait toute<br />

l’int<strong>en</strong>sité d’un amour de converti. Montparnasse est une<br />

séduisante évocation nostalgique du sud parisi<strong>en</strong> dont<br />

l’appr<strong>en</strong>ti-poète ress<strong>en</strong>t, <strong>le</strong>s yeux écarquillés, toute la magie.<br />

Pou<strong>le</strong>nc mit quatre ans à assemb<strong>le</strong>r cette pièce, mais <strong>le</strong><br />

déroulé coulant de la musique, épousant <strong>le</strong>s t<strong>en</strong>dres méandres<br />

du poème, est un triomphe : il a trouvé la mélodie et l’harmonie<br />

à même de suggérer et la nostalgie des temps révolus de la<br />

jeunesse du poète à Montparnasse et <strong>le</strong> sourire chagrin de ce<br />

dernier face au jeune homme gauche qu’il était alors—un peu<br />

bête et trop blond.<br />

Hyde Park nous transporte à Londres et forme, avec sa<br />

jumel<strong>le</strong> parisi<strong>en</strong>ne, un g<strong>en</strong>re de « Conte des deux vil<strong>le</strong>s » <strong>en</strong><br />

chanson même si, la concernant, Pou<strong>le</strong>nc savait avoir fait<br />

beaucoup, beaucoup mieux. « C’est une mélodie tremplin, ri<strong>en</strong><br />

de plus », écrivit-il, signifiant par là qu’il la voulait comme<br />

un tremplin rapide et efficace vers une mélodie davantage<br />

substantiel<strong>le</strong>. La vignette marquée fol<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t vif et furtif<br />

évoque <strong>le</strong>s drô<strong>le</strong>s de prêcheurs de Hyde Park Corner, <strong>le</strong>s<br />

nurses réprobatrices faisant pr<strong>en</strong>dre l’air à ceux qui <strong>le</strong>ur sont<br />

confiés et la purée de pois qui empêche <strong>le</strong>s policiers d’y voir<br />

assez pour trousser quelqu’un. En fait de mythologiques, <strong>le</strong>s<br />

yeux des cyclopes roux ne sont ri<strong>en</strong> d’autre que la lueur des<br />

pipes.<br />

Chez Pou<strong>le</strong>nc comme chez Apollinaire, la verve peut tojours<br />

<strong>le</strong> céder brusquem<strong>en</strong>t à la plus profonde émotion, B<strong>le</strong>uet, <strong>le</strong><br />

titre de la mélodie suivante, est un t<strong>en</strong>dre diminutif de « b<strong>le</strong>u »,<br />

terme argotique désignant un jeune soldat. Ce soldat va<br />

mourir ; à cinq heures, il faut quitter <strong>le</strong>s tranchées pour<br />

affronter <strong>le</strong> feu <strong>en</strong>nemi. Mais il n’y a ni héroïsme ni patriotisme<br />

exacerbés dans cette mélodie. Et Pou<strong>le</strong>nc d’écrire :<br />

« L’humilité, qu’il s’agisse de la prière ou du sacrifice d’une<br />

vie, c’est ce qui me touche <strong>le</strong> plus … l’âme s’<strong>en</strong>vo<strong>le</strong> après un<br />

long regard jeté sur ‘la douceur d’autrefois’. » C’est l’unique<br />

mélodie de Pou<strong>le</strong>nc pour ténor et el<strong>le</strong> requiert plus la voix d’un<br />

Cu<strong>en</strong>od que d’un Gigli ; pour dire <strong>le</strong> jeune homme de vingt ans,<br />

<strong>le</strong> malheureux gâchis de sa vie et ce dernier long regard, la voix<br />

du narrateur doit avoir un timbre particulier, éthéré. Apollinaire<br />

rédigea ce poème <strong>en</strong> 1917, un an <strong>en</strong>viron avant de mourir des<br />

suites de ses b<strong>le</strong>ssures de guerre.<br />

Autre adieu émouvant, Voyage fut éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong><br />

musique dans un contexte de guerre. Qui d’autre que Pou<strong>le</strong>nc<br />

eût pu déchiffrer ce Calligramme (comme Apollinaire appelait<br />

ses expérim<strong>en</strong>tations de typographie pictura<strong>le</strong>—et celui-ci<br />

a une mise <strong>en</strong> page particulièrem<strong>en</strong>t déroutante) et produire<br />

une mélodie d’une tel<strong>le</strong> lucidité fluide ? Le climat est ici à<br />

l’acceptation résignée—<strong>le</strong>s séparations <strong>en</strong> temps de guerre<br />

sont souv<strong>en</strong>t des adieux à jamais ; <strong>le</strong> voyage de Dante<br />

dans <strong>le</strong>s sphères inferna<strong>le</strong>s est sans retour. Comme dans<br />

Montparnasse, nous assistons à une réaction presque<br />

chimique quand la musique de Pou<strong>le</strong>nc r<strong>en</strong>contre la poésie dite<br />

surréaliste d’Apollinaire et de Paul Éluard (1895–1952).<br />

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