Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne

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14.07.2013 Views

Associations de la Chine Un frisson de respect et de frayeur s'empare de tous les assistants. Personne n'aperçoit les divinités, mais puisque le maire ou le percepteur des tailles a dit qu'elles étaient arrivées, le doute n'est plus permis. C'est alors que la musique fait entendre une de ses plus belles symphonies pour célébrer la présence des esprits... Le chef de musique a-t-il élevé sa baguette au-dessus de sa tête pour montrer au public que la fanfare est finie, il se fait de nouveau un grand silence ; c'est l'heure du dîner des puissances célestes. Bientôt vous entendez un violent coup de tambour, répété trois fois ; la foule se fend pour donner passage à une vingtaine de badauds, choisis parmi les joueurs, les buveurs, les libertins du pays. Celui-ci est chargé d'un plateau en bois verni, sur lequel sont des pains cuits à la vapeur et tout fumants encore ; cet autre porte sur sa tête un panier, rempli de gâteaux ; un troisième tient à la main un vase en étain, contenant du vin chaud ; un quatrième porte sous le bras un énorme tapis en feutre, destiné à servir de p.094 nappe pour le festin ; quelques-uns sont chargés des plats, de la viande, des légumes et du riz ; les autres ne portent rien. Arrivée au pied du mai, cette troupe de Paô-tang, coureurs de sauce ou garçons d'hôtel, se range en demi-cercle, le repas est préparé ; les plats, les assiettes, le vin, les bâtonnets même placés en ordre sur le tapis ; le peuple, les enfants surtout, ont les yeux fixés sur le mai, sur les hommes de service, encore plus sur les plats. On donne un coup de tam-tam, le tambour résonne, le chef d'orchestre frappe sur son bambou, la musique commence et, cette fois, la sérénade dure plus de trois quarts d'heure. Quand le répertoire des artistes est épuisé, on répète le même air, deux fois, trois fois et davantage s'il le faut ; souvent le même morceau dure depuis le commencement jusqu'à la fin du concert, sans que personne s'en aperçoive ou s'en offense. L'usage de la 84

Associations de la Chine Chine veut que les grands fassent manœuvrer leurs bâtonnets et leurs mâchoires au son de la musique ; c'est un honneur qu'on est heureux de faire aux esprits dont on redoute les caprices et dont on espère la bonne amitié et l'assistance. Le troisième jour, le dernier, est consacré tout entier aux hommes vivants ou morts. Les lanternes, ce jour-là, ont la mission de guider les humains sur le chemin qu'ils ont encore à parcourir ici-bas et de rappeler aux âmes des p.095 morts le temps heureux où il leur était donné de célébrer avec leurs parents, leurs amis et leurs voisins, la fête la plus joyeuse et la plus sympathique de toute l'année. Ces cérémonies, vous le pensez bien, ne laissent pas que de coûter fort cher, et, malheureusement, ce sont toujours les plus simples et les plus pauvres qui sont mis à contribution ; de gré ou de force, ils doivent s'exécuter. Les lettrés du demi-monde qui, en Chine, au fond des campagnes surtout, font la pluie et le beau temps, se contentent de présider la fête, celle du second jour surtout. C'est la plus pratique pour eux, puisqu'ils s'attribuent le droit d'absorber seuls et sous les yeux de ceux qui en ont fait les frais, la viande, les légumes et les gâteaux que les dieux n'ont pas mangés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Post-Scriptum. — Je terminais, hier soir à la veillée, ma lettre sur les associations religieuses, en vous disant qu'il faudrait des volumes entiers pour exposer avec quelque détail toutes celles qui existent. Je n'avais pas songé qu'aujourd'hui même, vingt- septième jour de Mars chez nous et vingt-cinquième de la première lune chez les Chinois, est précisément une fête chômée par les habitants du Céleste-Empire. Permettez-moi de vous dire rapidement quelques mots du vacarme qui me réveillait ce matin 85

<strong>Associations</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chine</strong><br />

Un frisson <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong> frayeur s'empare <strong>de</strong> tous les<br />

assistants. Personne n'aperçoit les divinités, mais puisque le<br />

maire ou le percepteur <strong>de</strong>s tailles a dit qu'elles étaient arrivées, le<br />

doute n'est plus permis. C'est alors que <strong>la</strong> musique fait entendre<br />

une <strong>de</strong> ses plus belles symphonies pour célébrer <strong>la</strong> présence <strong>de</strong>s<br />

esprits... Le chef <strong>de</strong> musique a-t-il élevé sa baguette au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> sa tête pour montrer au public que <strong>la</strong> fanfare est finie, il se fait<br />

<strong>de</strong> nouveau un grand silence ; c'est l'heure <strong>du</strong> dîner <strong>de</strong>s<br />

puissances célestes. Bientôt vous enten<strong>de</strong>z un violent coup <strong>de</strong><br />

tambour, répété trois fois ; <strong>la</strong> foule se fend pour donner passage<br />

à une vingtaine <strong>de</strong> badauds, choisis parmi les joueurs, les<br />

buveurs, les libertins <strong>du</strong> pays. Celui-ci est chargé d'un p<strong>la</strong>teau en<br />

bois verni, sur lequel sont <strong>de</strong>s pains cuits à <strong>la</strong> vapeur et tout<br />

fumants encore ; cet autre porte sur sa tête un panier, rempli <strong>de</strong><br />

gâteaux ; un troisième tient à <strong>la</strong> main un vase en étain,<br />

contenant <strong>du</strong> vin chaud ; un quatrième porte sous le bras un<br />

énorme tapis en feutre, <strong>de</strong>stiné à servir <strong>de</strong> p.094 nappe pour le<br />

festin ; quelques-uns sont chargés <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ts, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vian<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s<br />

légumes et <strong>du</strong> riz ; les autres ne portent rien. Arrivée au pied <strong>du</strong><br />

mai, cette troupe <strong>de</strong> Paô-tang, coureurs <strong>de</strong> sauce ou garçons<br />

d'hôtel, se range en <strong>de</strong>mi-cercle, le repas est préparé ; les p<strong>la</strong>ts,<br />

les assiettes, le vin, les bâtonnets même p<strong>la</strong>cés en ordre sur le<br />

tapis ; le peuple, les enfants surtout, ont les yeux fixés sur le<br />

mai, sur les hommes <strong>de</strong> service, encore plus sur les p<strong>la</strong>ts. On<br />

donne un coup <strong>de</strong> tam-tam, le tambour résonne, le chef<br />

d'orchestre frappe sur son bambou, <strong>la</strong> musique commence et,<br />

cette fois, <strong>la</strong> séréna<strong>de</strong> <strong>du</strong>re plus <strong>de</strong> trois quarts d'heure. Quand le<br />

répertoire <strong>de</strong>s artistes est épuisé, on répète le même air, <strong>de</strong>ux<br />

fois, trois fois et davantage s'il le faut ; souvent le même<br />

morceau <strong>du</strong>re <strong>de</strong>puis le commencement jusqu'à <strong>la</strong> fin <strong>du</strong> concert,<br />

sans que personne s'en aperçoive ou s'en offense. L'usage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

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