Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne

Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne

chineancienne.fr
from chineancienne.fr More from this publisher
14.07.2013 Views

Associations de la Chine a fait son choix et reçu du bonze un billet de recommandation qu'elle devra déposer aux pieds de la mère Tzé-Süen, elle quitte la salle des p.088 bambinos et va se prosterner devant la déesse pour lui exposer ses chagrins et la supplier de ratifier le choix qu'elle vient de faire. Le vingtième jour de la quatrième lune, branle-bas général chez les aveugles : c'est la fête de leur patronne. Ce jour-là, contrairement à leurs habitudes, ils se lavent les mains et la figure, et vont se réunir devant l'autel d'une divinité appelée Sainte Mère de la prunelle des yeux, Yen-Kouang-Chem-mou, y font leurs dévotions et se réunissent ensuite chez le moins pauvre d'entre eux, pour y prendre une agape fraternelle. Plongés au fond des ténèbres de l'idolâtrie, comment ces malheureux déshérités de la nature ont-ils compris qu'eux aussi, qu'eux surtout devaient avoir au ciel une divinité qui les protège et prenne intérêt au sort de ceux que le monde méprise ou abandonne ? Cinquième jour de la cinquième lune. Cette fête, comme celle du quinze de la huitième lune, n'est pas seulement particulière à une province de l'empire, ni à une classe de la société ; la Chine tout entière est sur pied ce jour-là. Les mandarins, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, les notables, les lettrés, les cultivateurs, les pauvres et les mendiants, les voleurs eux-mêmes le célèbrent avec un enthousiasme toujours nouveau. Quoiqu'elle ait ses superstitions, ses aromates et ses pétards, cette solennité ressemble pourtant moins à une cérémonie p.089 religieuse qu'à une fête civile, destinée à rappeler et perpétuer le souvenir des vertus d'un sage qui fut le modèle des magistrats, l'ami et le père du peuple. Le prince Kiü-Ping joua un grand rôle dans le gouvernement du royaume, six cent septante-six ans avant J.-C. ; mais, alors 80

Associations de la Chine comme de nos jours, la vertu et le mérite étaient en butte à l'envie et à la haine. Les grands de l'empire du Milieu voyant dans la science, le désintéressement et l'intégrité de Kiü-Ping la condamnation de leur ignorance, de leurs exactions et de leur cupidité, réussirent à le perdre dans l'esprit du souverain qui l'exila sur les bords du fleuve Bleu, dans une baie déserte et marécageuse. Le désespoir s'empara de Kiü-Ping au fond de sa solitude et, après s'être attaché une énorme pierre au cou, il se précipita dans les flots du célèbre fleuve sans fond, Kiang-ou-ti. A la nouvelle de ce grand malheur, le peuple, auquel on avait eu soin de cacher sa disgrâce, comme le lieu de son exil, courut en foule sur les bords du Yang-Tze-Kiang, pour en retirer le corps de celui qu'il pleurait. Pendant plusieurs années, ces recherches continuèrent, au milieu des gémissements et des pleurs, non seulement sur le fleuve Bleu, mais, par extension, sur le rivage de la mer Jaune et sur tous les cours d'eau navigables de l'empire ; ce fut l'origine de cette fête si célèbre p.090 aujourd'hui en Chine. Sur tous les fleuves du pays, les bateliers ornent et pavoisent leurs barques, courent en tous sens, jettent leurs filets, plongent eux-mêmes au fond de l'eau pour retrouver le corps du savant et vertueux prince ; à voir la rapidité avec laquelle ils rament et manœuvrent ce jour-là, on croirait presque assister à une fête de régates. La journée s'est passée en recherches inutiles, on a appelé Kiü-Ping, les barques ont exploré toutes les rivières sous les yeux et aux acclamations d'une foule immense qui se presse sur la rive ; le programme de la cérémonie touche à sa fin. Tout à coup, au milieu du silence qui a succédé au tumulte et aux chants, la voix des ordonnateurs de la fête se fait entendre ; c'est le signal des adieux et des larmes à donner à celui qui aima le peuple jusqu'au sacrifice de sa vie. Ce devoir accompli, chacun jette au 81

<strong>Associations</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chine</strong><br />

comme <strong>de</strong> nos jours, <strong>la</strong> vertu et le mérite étaient en butte à<br />

l'envie et à <strong>la</strong> haine. Les grands <strong>de</strong> l'empire <strong>du</strong> Milieu voyant dans<br />

<strong>la</strong> science, le désintéressement et l'intégrité <strong>de</strong> Kiü-Ping <strong>la</strong><br />

condamnation <strong>de</strong> leur ignorance, <strong>de</strong> leurs exactions et <strong>de</strong> leur<br />

cupidité, réussirent à le perdre dans l'esprit <strong>du</strong> souverain qui<br />

l'exi<strong>la</strong> sur les bords <strong>du</strong> fleuve Bleu, dans une baie déserte et<br />

marécageuse. Le désespoir s'empara <strong>de</strong> Kiü-Ping au fond <strong>de</strong> sa<br />

solitu<strong>de</strong> et, après s'être attaché une énorme pierre au cou, il se<br />

précipita dans les flots <strong>du</strong> célèbre fleuve sans fond, Kiang-ou-ti. A<br />

<strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> ce grand malheur, le peuple, auquel on avait eu<br />

soin <strong>de</strong> cacher sa disgrâce, comme le lieu <strong>de</strong> son exil, courut en<br />

foule sur les bords <strong>du</strong> Yang-Tze-Kiang, pour en retirer le corps <strong>de</strong><br />

celui qu'il pleurait. Pendant plusieurs années, ces recherches<br />

continuèrent, au milieu <strong>de</strong>s gémissements et <strong>de</strong>s pleurs, non<br />

seulement sur le fleuve Bleu, mais, par extension, sur le rivage<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mer Jaune et sur tous les cours d'eau navigables <strong>de</strong><br />

l'empire ; ce fut l'origine <strong>de</strong> cette fête si célèbre p.090 aujourd'hui<br />

en <strong>Chine</strong>. Sur tous les fleuves <strong>du</strong> pays, les bateliers ornent et<br />

pavoisent leurs barques, courent en tous sens, jettent leurs filets,<br />

plongent eux-mêmes au fond <strong>de</strong> l'eau pour retrouver le corps <strong>du</strong><br />

savant et vertueux prince ; à voir <strong>la</strong> rapidité avec <strong>la</strong>quelle ils<br />

rament et manœuvrent ce jour-là, on croirait presque assister à<br />

une fête <strong>de</strong> régates.<br />

La journée s'est passée en recherches inutiles, on a appelé<br />

Kiü-Ping, les barques ont exploré toutes les rivières sous les yeux<br />

et aux acc<strong>la</strong>mations d'une foule immense qui se presse sur <strong>la</strong><br />

rive ; le programme <strong>de</strong> <strong>la</strong> cérémonie touche à sa fin. Tout à coup,<br />

au milieu <strong>du</strong> silence qui a succédé au tumulte et aux chants, <strong>la</strong><br />

voix <strong>de</strong>s ordonnateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> fête se fait entendre ; c'est le signal<br />

<strong>de</strong>s adieux et <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes à donner à celui qui aima le peuple<br />

jusqu'au sacrifice <strong>de</strong> sa vie. Ce <strong>de</strong>voir accompli, chacun jette au<br />

81

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!