Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne

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Associations de la Chine vie à trépas, ils accourent chez les plutonistes, et les amènent à la maison mortuaire pour donner trois sérénades à la divinité qui régit la redoutable caverne. La première se donne le soir avant le souper, on la nomme séance d'expiation, parce qu'elle a pour but d'obtenir la remise complète de leurs fautes à ceux qui habitent les prisons de Pluton. La deuxième se fait entendre, juste à minuit ; c'est l'heure où l'âme, après avoir fait antichambre, peut- être même un peu de toilette, comme le croient les païens de bonne maison, c'est, dis-je, l'heure où l'âme se présente devant son juge. Personne ne doute que tant d'instruments et de vacarme ne réussissent à distraire et à charmer le tribunal. Cette séance est la plus longue et la plus fatigante, sans doute parce qu'on ignore la durée exacte de l'interrogatoire et du jugement qui se font dans l'autre monde. La troisième sérénade a lieu le matin, au point du p.083 jour, immédiatement avant l'arrivée des Sœurs du Tambour. Les péchés sont remis ou en bonne voie de l'être : l'âme a été accueillie avec indulgence, il reste à lui offrir ses compliments et ses adieux. Les parents et les amis, cette fois, mêlent leurs voix et leurs cris à la voix des instruments ; c'est un vacarme effroyable. Tout est fini, les musiciens ont accompli consciencieusement leur tâche ; la famille a rempli les derniers devoirs de l'amitié ; on se sépare gaîment après avoir bu le vin de Sorgho. Outre les artistes connus sous le nom de Confrères de Pluton et dont l'association est exclusivement superstitieuse, chaque village, s'il est un peu considérable, possède une petite compagnie de virtuoses, pour qui la dévotion est le moindre des soucis. Leur nombre est fixé à six. Ce chiffre étant autorisé par un usage de vingt siècles, on ne voit pas trop comment il pourrait venir à la pensée des Chinois de le modifier. L'instrument qui joue 76

Associations de la Chine le principal rôle est toujours le tambour, un énorme tambour, dont les mugissements m'ont, plus d'une fois, rappelé le roulement des fléaux de nos batteurs en grange. Deux grosses et longues trompettes font la deuxième et la troisième partie, la quatrième et la cinquième sont exécutées par une clarinette et une flûte. Enfin le concert se complète par une assiette en cuivre, p.084 d'un diamètre de cinq à six pouces ; celui qui est chargé de cet instrument, a toujours ses coudées franches ; il peut commencer avant ses collègues, frapper quand ils respirent et même lorsque déjà le morceau est fini. Vous croiriez peut-être que cette grande liberté d'action nuit à l'ensemble, choque les oreilles des auditeurs, c'est justement le contraire qui arrive ; les solos et l'indépendante hardiesse de l'assiette excitent l'admiration et enlèvent les applaudissements de la foule. Ces musiciens, appelés Koû-ti-iâo, musique de louage, sont loin d'être les favoris de la fortune. Avant d'embrasser leur profession, ils ne possédaient ni meubles, ni immeubles ; depuis qu'ils cultivent les beaux-arts, ils n'en sont que mieux logés à la même enseigne. Mal habillés, crasseux, figures patibulaires, démarche nonchalante et efféminée : voilà le type. Et il faut qu'il en soit ainsi, car ces artistes de louage sortent de la classe des gens comme il faut, du moment qu'ils entrent dans le corps musical du Koû-ti-iâo. Comme les perruquiers, les prétoriens, les bourreaux et les esclaves attachés au service des grands, ce sont des parias avec lesquels tout ce qui se respecte ne peut avoir de commerce. Le chef de chaque société porte, il est vrai, un bouton et une plume sur le pompon de son chapeau, de loin on dirait un officier de l'armée impériale... mais ce bouton est p.085 de bois blanc et la plume n'est autre chose qu'une queue de chien, signes dérisoires, imposés aux chefs de musique de louage pour leur rappeler la honte de leur position sociale et proclamer aux yeux 77

<strong>Associations</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chine</strong><br />

le principal rôle est toujours le tambour, un énorme tambour,<br />

dont les mugissements m'ont, plus d'une fois, rappelé le<br />

roulement <strong>de</strong>s fléaux <strong>de</strong> nos batteurs en grange. Deux grosses et<br />

longues trompettes font <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième et <strong>la</strong> troisième partie, <strong>la</strong><br />

quatrième et <strong>la</strong> cinquième sont exécutées par une c<strong>la</strong>rinette et<br />

une flûte. Enfin le concert se complète par une assiette en cuivre,<br />

p.084<br />

d'un diamètre <strong>de</strong> cinq à six pouces ; celui qui est chargé <strong>de</strong><br />

cet instrument, a toujours ses coudées franches ; il peut<br />

commencer avant ses collègues, frapper quand ils respirent et<br />

même lorsque déjà le morceau est fini. Vous croiriez peut-être<br />

que cette gran<strong>de</strong> liberté d'action nuit à l'ensemble, choque les<br />

oreilles <strong>de</strong>s auditeurs, c'est justement le contraire qui arrive ; les<br />

solos et l'indépendante hardiesse <strong>de</strong> l'assiette excitent<br />

l'admiration et enlèvent les app<strong>la</strong>udissements <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule.<br />

Ces musiciens, appelés Koû-ti-iâo, musique <strong>de</strong> louage, sont<br />

loin d'être les favoris <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune. Avant d'embrasser leur<br />

profession, ils ne possédaient ni meubles, ni immeubles ; <strong>de</strong>puis<br />

qu'ils cultivent les beaux-arts, ils n'en sont que mieux logés à <strong>la</strong><br />

même enseigne. Mal habillés, crasseux, figures patibu<strong>la</strong>ires,<br />

démarche noncha<strong>la</strong>nte et efféminée : voilà le type. Et il faut qu'il<br />

en soit ainsi, car ces artistes <strong>de</strong> louage sortent <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong>s<br />

gens comme il faut, <strong>du</strong> moment qu'ils entrent dans le corps<br />

musical <strong>du</strong> Koû-ti-iâo. Comme les perruquiers, les prétoriens, les<br />

bourreaux et les esc<strong>la</strong>ves attachés au service <strong>de</strong>s grands, ce sont<br />

<strong>de</strong>s parias avec lesquels tout ce qui se respecte ne peut avoir <strong>de</strong><br />

commerce. Le chef <strong>de</strong> chaque société porte, il est vrai, un bouton<br />

et une plume sur le pompon <strong>de</strong> son chapeau, <strong>de</strong> loin on dirait un<br />

officier <strong>de</strong> l'armée impériale... mais ce bouton est p.085 <strong>de</strong> bois<br />

b<strong>la</strong>nc et <strong>la</strong> plume n'est autre chose qu'une queue <strong>de</strong> chien, signes<br />

dérisoires, imposés aux chefs <strong>de</strong> musique <strong>de</strong> louage pour leur<br />

rappeler <strong>la</strong> honte <strong>de</strong> leur position sociale et proc<strong>la</strong>mer aux yeux<br />

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