Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne

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Associations de la Chine distractions. A mesure que le prix de la vente vous est remis, hâtez-vous de le déposer au fond de votre sac ; que s'il vous prend envie de fumer une pipe, asseyez-vous sur votre monnaie, autrement la pipe ne sera pas fumée, que, déjà, des amateurs prompts comme l'éclair, adroits comme des singes, se seront donné l'agrément de filer avec votre bien. Au mois de Juin dernier, j'appelais à Ou-Kiâo un bon et brave vieillard, baptisé depuis deux ou trois ans seulement, mais dont l'honnêteté lui a conquis, dès sa jeunesse, les sympathies et la confiance de tous. — Tu approches de ta soixante-dixième année, lui dis- je ; il serait bien temps de vivre de tes rentes. Serais-tu encore assez vaillant pour monter sur mon âne et aller à Tchang-Kia-Tchouang, me chercher une quinzaine de taëls dont j'ai besoin ? — Comment ! répond le vieux Tchang, en se redressant, le père me croît donc tout à fait hors de service ? Faire vingt-cinq lieues à dos d'âne ! Mais je les ferais à pied et cela en vingt-quatre heures. Pour l'argent, ajouta-t-il en baissant la voix, soyez tranquille, il n'y a encore que les vieux à bien s'acquitter de ces p.299 commissions là ! Nous n'en sommes pas à notre premier coup d'essai, nous autres, nous avons roulé, et bien malin le filou qui réussirait à mettre la main dans notre poche ou dans notre sac de voyage ! Avec de pareilles données, je pouvais me tranquilliser, aussi on équipa de suite le baudet ; le vieux postillon sauta dessus, leste comme un conscrit de vingt ans, et le voilà parti. Trois jours se passent, le quatrième aussi, et mon commissionnaire ne reparaît point : Est-il malade ? Monseigneur Dubar l'a-t-il 238

Associations de la Chine retenu ? Je commençais à être inquiet. D'ailleurs, il ne me restait plus ni argent ni sapèques pour vivre... Enfin, un beau matin, l'âne fait entendre sa voix connue. Je me précipite avec deux catéchistes, aussi intrigués que moi, à la porte de mon logis ; nous allons avoir de l'argent, des journaux et des lettres du pays... Cruelle déception ! Le vieux courrier marche la tête baissée, tenant son âne par la bride ; ses jambes peuvent à peine le porter ; on dirait qu'il a les nerfs et les jarrets rompus. Nous lui crions d'avancer. Il persiste à tenir les yeux fixés à terre, et n'en marche pas plus vite. p.300 — Tiens, s'écria un de mes catéchistes, lorsque le vieux Tchang est parti, il avait une besace ; qu'en a-t-il fait ? Rien sur le dos de l'âne et rien sur les épaules de l'ânier ! Pas de doute, il lui sera arrivé quelque malheur. A peine mon lettré avait-il cessé de parler, qu'un cri de désespoir se fait entendre : c'est le fameux Nga-ia !! des Chinois en détresse. Le vieillard, pâle comme un revenant, est à mes pieds : — Ah ! Père spirituel, je ne suis plus digne de vivre ; mon honneur et ma réputation sont à jamais perdus. Si je n'étais pas chrétien et si je n'avais pas eu l'âne du Père spirituel à ramener ici, je ne sais ce qui serait advenu. Il y a neuf sur dix que je me serais jeté à l'eau en traversant le canal impérial ! Oui ! oui, c'en était fait du vieux Tchang. Nous relevons le voyageur. Plusieurs chrétiens attirés par ses cris et plus émus de sa douleur que de la perte de mes taëls, le soutiennent et le consolent. Je ne pouvais moi-même lui refuser quelques paroles réconfortantes : mon argent était perdu ; 239

<strong>Associations</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chine</strong><br />

retenu ? Je commençais à être inquiet. D'ailleurs, il ne me restait<br />

plus ni argent ni sapèques pour vivre... Enfin, un beau matin,<br />

l'âne fait entendre sa voix connue. Je me précipite avec <strong>de</strong>ux<br />

catéchistes, aussi intrigués que moi, à <strong>la</strong> porte <strong>de</strong> mon logis ;<br />

nous allons avoir <strong>de</strong> l'argent, <strong>de</strong>s journaux et <strong>de</strong>s lettres <strong>du</strong><br />

pays... Cruelle déception ! Le vieux courrier marche <strong>la</strong> tête<br />

baissée, tenant son âne par <strong>la</strong> bri<strong>de</strong> ; ses jambes peuvent à peine<br />

le porter ; on dirait qu'il a les nerfs et les jarrets rompus. Nous lui<br />

crions d'avancer. Il persiste à tenir les yeux fixés à terre, et n'en<br />

marche pas plus vite.<br />

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— Tiens, s'écria un <strong>de</strong> mes catéchistes, lorsque le vieux<br />

Tchang est parti, il avait une besace ; qu'en a-t-il fait ?<br />

Rien sur le dos <strong>de</strong> l'âne et rien sur les épaules <strong>de</strong><br />

l'ânier ! Pas <strong>de</strong> doute, il lui sera arrivé quelque malheur.<br />

A peine mon lettré avait-il cessé <strong>de</strong> parler, qu'un cri <strong>de</strong><br />

désespoir se fait entendre : c'est le fameux Nga-ia !! <strong>de</strong>s Chinois<br />

en détresse. Le vieil<strong>la</strong>rd, pâle comme un revenant, est à mes<br />

pieds :<br />

— Ah ! Père spirituel, je ne suis plus digne <strong>de</strong> vivre ;<br />

mon honneur et ma réputation sont à jamais per<strong>du</strong>s. Si<br />

je n'étais pas chrétien et si je n'avais pas eu l'âne <strong>du</strong><br />

Père spirituel à ramener ici, je ne sais ce qui serait<br />

advenu. Il y a neuf sur dix que je me serais jeté à l'eau<br />

en traversant le canal impérial ! Oui ! oui, c'en était fait<br />

<strong>du</strong> vieux Tchang.<br />

Nous relevons le voyageur. Plusieurs chrétiens attirés par ses cris<br />

et plus émus <strong>de</strong> sa douleur que <strong>de</strong> <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> mes taëls, le<br />

soutiennent et le consolent. Je ne pouvais moi-même lui refuser<br />

quelques paroles réconfortantes : mon argent était per<strong>du</strong> ;<br />

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