Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne

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Associations de la Chine Le 21 Janvier dernier, revenant du Sud de mon district, j'avais passé la nuit dans une hôtellerie de Tei-Tcheou, ville du Chao- tong située à six lieues seulement de celle de Ou-Kiâo, où j'étais attendu pour dire la messe et arrêter une querelle qui allait se vider par les armes entre un petit hameau chrétien et un gros village païen. A peine les portes de la ville furent-elles ouvertes que je montai en voiture et me mis en route. Le froid était vif, le vent soufflait du Nord. Blotti au fond de mon véhicule, autant peut-être pour me garantir de la bise que pour me faciliter les premiers p.283 exercices religieux de la journée, la récitation de mon Itinéraire et la méditation, je sortais de l'hôtellerie de « l'hospitalité gratuite » à la pointe de cinq heures. Le maître d'hôtel, un musulman, nous avait souhaité toutes les prospérités... Son dernier mot surtout : — Le Ciel et la terre vous seront propices ; depuis huit jours, il n'y a sur le chemin ni voleurs ni brigands... devait nous inspirer toute confiance. Mon équipage lui-même, gens, chevaux et mulets, paraissait disposé à parcourir rapidement la distance de Tei-tcheou à Ou-Kiâo... Bref, j'allais, dans quelques heures, prier pour la France. Mais à peine avions- nous fait quelques kilomètres, que le cavalier qui ouvrait la marche s'arrête... — Père, me dit-il, il serait téméraire d'avancer ; on dévalise des voyageurs tout près d'ici. Nous écoutons... Le tumulte est indescriptible... C'est une confusion de voix qui profèrent des menaces de mort, auxquelles se mêlent des paroles de paix et des cris de détresse. Bref, malgré la fureur de la querelle, un de mes hommes, vieux lettré d'une expérience consommée, descend de cheval, s'approche de ma voiture. 226

Associations de la Chine — Continuons notre route, me dit-il avec calme, nous sommes simplement en face d'une troupe de voyageurs qui ne sont pas d'accord. C'est tout au plus un démêlé de filous ; absolument comme nous dirions en français : « C'est une querelle d'Allemand. » p.284 Nous avançons. Quelques instants après, nous étions sur le théâtre de la lutte ; mais la scène est changée. A gauche de la route, sept ou huit des batailleurs se tiennent assis sur leurs talons, chargeant leur pipe, battant le briquet et riant aux éclats. Pas de doute, ce sont les vainqueurs. De l'autre côté du chemin, les vaincus, moins nombreux, font tristement l'inventaire de leurs paquets. Tout à coup, l'un d'eux, qui a reconnu ma voiture, lève les mains vers le cavalier qui ouvre la marche, déjà il est à genoux. — Père spirituel, s'écrie-t-il, de grâce arrêtez-vous, ayez pitié de moi ; je suis chrétien et l'on vient de me voler mon argent, quatre taëls, fruit de six mois de travail, qui devaient empêcher ma femme et mes enfants de mourir de faim. — Voilà les coupables... Et il racontait l'indigne escamotage dont il avait été victime. Évidemment, ce malheureux néophyte est tombé entre les mains des Frères du Kan-Tâo ; je descends de voiture, tous mes hommes, moins deux qui sont restés à la garde des chevaux, m'entourent. Nous sommes dix, y compris les quatre voyageurs dépouillés. Le nombre de bras dont nous disposons paraît causer quelque émotion aux héros demeurés maîtres de la place et de l'argent de leurs adversaires. D'ailleurs, il faut bien le dire aussi, la présence d'un Européen que l'on croit, à tort ou à raison, armé jusqu'aux dents, ne laisse pas, en pareil p.285 cas, que de refroidir 227

<strong>Associations</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chine</strong><br />

— Continuons notre route, me dit-il avec calme, nous<br />

sommes simplement en face d'une troupe <strong>de</strong> voyageurs<br />

qui ne sont pas d'accord. C'est tout au plus un démêlé<br />

<strong>de</strong> filous ;<br />

absolument comme nous dirions en français : « C'est une querelle<br />

d'Allemand. »<br />

p.284<br />

Nous avançons. Quelques instants après, nous étions sur<br />

le théâtre <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte ; mais <strong>la</strong> scène est changée. A gauche <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

route, sept ou huit <strong>de</strong>s batailleurs se tiennent assis sur leurs<br />

talons, chargeant leur pipe, battant le briquet et riant aux éc<strong>la</strong>ts.<br />

Pas <strong>de</strong> doute, ce sont les vainqueurs. De l'autre côté <strong>du</strong> chemin,<br />

les vaincus, moins nombreux, font tristement l'inventaire <strong>de</strong> leurs<br />

paquets. Tout à coup, l'un d'eux, qui a reconnu ma voiture, lève<br />

les mains vers le cavalier qui ouvre <strong>la</strong> marche, déjà il est à<br />

genoux.<br />

— Père spirituel, s'écrie-t-il, <strong>de</strong> grâce arrêtez-vous, ayez<br />

pitié <strong>de</strong> moi ; je suis chrétien et l'on vient <strong>de</strong> me voler<br />

mon argent, quatre taëls, fruit <strong>de</strong> six mois <strong>de</strong> travail, qui<br />

<strong>de</strong>vaient empêcher ma femme et mes enfants <strong>de</strong> mourir<br />

<strong>de</strong> faim. — Voilà les coupables...<br />

Et il racontait l'indigne escamotage dont il avait été victime.<br />

Évi<strong>de</strong>mment, ce malheureux néophyte est tombé entre les mains<br />

<strong>de</strong>s Frères <strong>du</strong> Kan-Tâo ; je <strong>de</strong>scends <strong>de</strong> voiture, tous mes<br />

hommes, moins <strong>de</strong>ux qui sont restés à <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s chevaux,<br />

m'entourent. Nous sommes dix, y compris les quatre voyageurs<br />

dépouillés. Le nombre <strong>de</strong> bras dont nous disposons paraît causer<br />

quelque émotion aux héros <strong>de</strong>meurés maîtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce et <strong>de</strong><br />

l'argent <strong>de</strong> leurs adversaires. D'ailleurs, il faut bien le dire aussi,<br />

<strong>la</strong> présence d'un Européen que l'on croit, à tort ou à raison, armé<br />

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