Associations de la Chine, Lettres du P. Leboucq ... - Chine ancienne

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Associations de la Chine les veilleurs frappent la quatrième heure sur le tam-tam, le tambour ou la crécelle, les malheureux voyageurs qui ont eu la faiblesse de se laisser embaucher, sont bien obligés d'avoir assez de courage ou de résignation pour continuer leur chemin sans viatique, quelquefois même sans souliers. Bien que les Frères du Sabre tranchant ne tiennent pas absolument à se battre, ils ne manquent jamais pourtant de montrer, à l'occasion, qu'ils sont à la hauteur du nom qu'ils portent. Dans les villes et les gros bourgs situés sur les routes de grande communication, ils sont toujours debout avant l'aurore, s'échelonnent par petites bandes au Sud et au Nord de la cité ou de la bourgade, et, tout en fumant leur calumet, demeurent assis, à leurs places respectives, jusqu'à ce que d'autres voyageurs se présentent. Rien dans leur tenue ne saurait faire soupçonner le métier qu'ils exercent. Comme la plupart des voyageurs, ils portent sur leurs épaules un petit paquet et un sabre de bois. Une bande de voyageurs sort-elle du faubourg, les Frères placés les premiers ne bougent pas, La deuxième bande, au contraire, se lève : puis, commencent les saluts et les compliments voulus en pareil cas, par l'usage et la politesse. Les nouveaux amis sont enchantés les uns des autres. D'où vient celui-ci ? p.281 Quelle est la profession de celui-là ? son pays natal ? son âge ? — Bref, c'est un feu roulant de questions, un assaut de politesses. Mais à peine nos piétons ont-ils fait deux ou trois kilomètres que l'un des Frères s'arrête... Son paquet est ouvert ! Il le fouille avec une ardeur fébrile et s'écrie avec désespoir : — Mes amis, je suis un homme ruiné ; j'avais dix taëls (quatre-vingts francs), fruit de mes sueurs, que je 224

Associations de la Chine portais à ma vieille mère. Ils ont disparu ; sûrement nous les retrouverons... De grâce assistez-moi, aidez- moi à les chercher. Tout le monde, alors, de faire volte-face. On revient sur ses pas, on marche, on cherche, on fouille même jusqu'au fond des ornières. Heureusement, une autre bande de voyageurs paraît ; ce sont les Frères de la première bande, ceux qui se tenaient à la porte de la ville. Ils ne sont pas seuls ; cinq ou six voyageurs, étrangers et inconnus, font route avec eux... On les interpelle, on leur demande, d'abord poliment, s'ils n'ont rien trouvé. La réponse est unanime ; ils n'ont rien vu. On insiste ; la bile s'échauffe, de gros mots sont échangés puis bientôt des menaces. Déjà les sabres de bois sont dégainés ; de part et d'autre, chacun a déposé son paquet sur le bord du chemin, retroussé ses manches et pris l'attitude du combat. Une rixe est inévitable... le sang va couler... C'est l'heure pour les Frères d'exécuter leur manœuvre. Ceux qui sont p.282 mêlés à la seconde bande s'avancent, se placent entre les combattants, lèvent les bras pour arrêter les hostilités et demandent à s'arranger... — N'est-ce pas une folie de nous battre ici, dit le plus éloquent à son compagnon de route ? Je ne suis pas plus riche que vous ; n'importe, j'aime mieux sacrifier un taël que de risquer ma vie ou de m'exposer à un procès ruineux et dont l'issue est incertaine ; et il donne sa contribution à celui qui se plaint d'avoir perdu dix taëls. Les autres Frères de la même bande en font autant, et le reste de la compagnie est bien obligé de suivre l'exemple. Que peuvent quatre ou cinq paisibles voyageurs contre dix ou douze gaillards qui ne demandent pas mieux que d'en venir aux mains ? 225

<strong>Associations</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Chine</strong><br />

les veilleurs frappent <strong>la</strong> quatrième heure sur le tam-tam, le<br />

tambour ou <strong>la</strong> crécelle, les malheureux voyageurs qui ont eu <strong>la</strong><br />

faiblesse <strong>de</strong> se <strong>la</strong>isser embaucher, sont bien obligés d'avoir assez<br />

<strong>de</strong> courage ou <strong>de</strong> résignation pour continuer leur chemin sans<br />

viatique, quelquefois même sans souliers.<br />

Bien que les Frères <strong>du</strong> Sabre tranchant ne tiennent pas<br />

absolument à se battre, ils ne manquent jamais pourtant <strong>de</strong><br />

montrer, à l'occasion, qu'ils sont à <strong>la</strong> hauteur <strong>du</strong> nom qu'ils<br />

portent. Dans les villes et les gros bourgs situés sur les routes <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong> communication, ils sont toujours <strong>de</strong>bout avant l'aurore,<br />

s'échelonnent par petites ban<strong>de</strong>s au Sud et au Nord <strong>de</strong> <strong>la</strong> cité ou<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> bourga<strong>de</strong>, et, tout en fumant leur calumet, <strong>de</strong>meurent<br />

assis, à leurs p<strong>la</strong>ces respectives, jusqu'à ce que d'autres<br />

voyageurs se présentent. Rien dans leur tenue ne saurait faire<br />

soupçonner le métier qu'ils exercent. Comme <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s<br />

voyageurs, ils portent sur leurs épaules un petit paquet et un<br />

sabre <strong>de</strong> bois.<br />

Une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> voyageurs sort-elle <strong>du</strong> faubourg, les Frères<br />

p<strong>la</strong>cés les premiers ne bougent pas, La <strong>de</strong>uxième ban<strong>de</strong>, au<br />

contraire, se lève : puis, commencent les saluts et les<br />

compliments voulus en pareil cas, par l'usage et <strong>la</strong> politesse. Les<br />

nouveaux amis sont enchantés les uns <strong>de</strong>s autres. D'où vient<br />

celui-ci ? p.281 Quelle est <strong>la</strong> profession <strong>de</strong> celui-là ? son pays<br />

natal ? son âge ? — Bref, c'est un feu rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> questions, un<br />

assaut <strong>de</strong> politesses. Mais à peine nos piétons ont-ils fait <strong>de</strong>ux ou<br />

trois kilomètres que l'un <strong>de</strong>s Frères s'arrête... Son paquet est<br />

ouvert ! Il le fouille avec une ar<strong>de</strong>ur fébrile et s'écrie avec<br />

désespoir :<br />

— Mes amis, je suis un homme ruiné ; j'avais dix taëls<br />

(quatre-vingts francs), fruit <strong>de</strong> mes sueurs, que je<br />

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